Chapitre 8 : Lointains souvenirs
Depuis qu’Adryen était parti, Lyës n’avait pas décroché un mot, se contentant de craquer nerveusement ses doigts, nous laissant dans un silence pesant. Déterminé à comprendre ce qu’ils ont vécus ensemble dans le passé -car c’est indéniable qu’ils étaient tous amis- et à briser la quiétude angoissante, je pris le parti de leur demander de me raconter leur histoire. Je pensais me heurter à un refus catégorique, ayant compris qu’il s’agissait plutôt de souvenirs douloureux que l’on souhaitait enfermer à double tour au fond de sa mémoire. Pourtant, ils me racontèrent tous deux leur rencontre, comme soulagés d’évoquer enfin ces réminiscences désagréables.
« On s’est rencontrés en seconde, il avait l’air d’un petit chiot perdu au milieu de la masse grouillante d’élèves, j’ai trouvé ça mignon et je suis allée le voir. Nous avons passé notre première journée ensemble, fous de joie le soir venu de voir que nous faisions partis du même clan. Le premier trimestre fut des plus joyeux, loin des problèmes de collégiens, nous nous sentions libres et adultes. Inébranlables… » Alphy’ s’arrêta un instant et ce fut Lyës qui reprit.
« Puis le deuxième trimestre arriva, les emmerdes avec. Le clan Pemphrédo, à l’époque encore dirigé par Marcel Cohàn, a commencé à s’en prendre à nous. Parce qu’une rumeur circulait, disant que je me travestissais… » Sa voix fila, faible, inaudible.
« Ils m’insultaient, me traitaient de perverse, d’aliénée parce que je restai avec Lyës et l’encourageait à être lui-même, peu importe les rumeurs qui circulaient, je n’allais pas l’abandonner pour si peu. Mais ça je m’en foutais, j’avoue être un peu perverse, mais pas comme ils l’entendaient. » Continua Alphonse, un sourire ironique aux lèvres.
Lyës baissa la tête, avant d’ajouter :
« Si Alphonse s’est fait autant persécuter, c’est de ma faute. Quelqu’un a lancé la rumeur qu’elle était la cause de mes agissements, que c’était elle et ses lectures sales qui m’avaient corrompu, faisant de moi un dégénéré sexuel, qui aime se prendre pour une fille. Mais c’est faux, je ne veux pas devenir une femme, c’est juste que je me suis toujours considéré comme non-binaire, je ne pensais pas que cela puisse être si mal. »
« Ça ne l’est pas Lyës, ça ne l’est pas. » L’interrompis Adryen en rentrant dans la pièce.
Identiquement à toutes les autres fois où Adryen s’est retrouvé dans les parages, Lyës baissa la tête, comme intimidé, chose que j’ai du mal à comprendre.
Adryen s’approcha de Lyës et s’assit à ses côtés, forçant le plus petit à s'allonger sur lui pour pouvoir poser un torchon emplit de glace sur sa pommette ecchymosée. Lyës pris sa lèvre inférieure entre ses dents, à cause du froid de la glace sur sa joue, ou alors est-ce du fait du chaud des bras d’Adryen contre lui ?
« Pour tout te dire, Al’, puisque l’on est à l’heure des confessions, si tu t’es tout prit dans la gueule, c’est en parti de ma faute. J’ai demandé à Marcel Cohàn de faire une demande de transfert pour Lyës, c’est pourquoi il fait maintenant parti du clan Pemphrédo, et je lui ai aussi dit de stopper la rumeur à son sujet. Quand il m’a demandé comment il pourrait faire ça, je lui ai simplement dit de lancer une autre rumeur, j’ignorais qu’il allait te prendre pour cible, je sais que je suis impardonnable parce que quand je l’ai su, je n’ai rien fait pour l’endiguer, trop heureux qu’elle apporte également un démenti sur la situation de Lyës. Excuse-moi. »
« J’aurais dû me douter que ça venait de Marcel, il a toujours tout fait pour me pourrir la vie depuis que j’ai refusé de sortir avec lui. Je suis sûre que les autres rumeurs venaient aussi de lui, ce sale pélican de malheur ! »
« Pélican ? » Pouffais-je, bientôt suivi des autres.
« Et bah quoi ? Je n’ai pas le droit d’insulter poliment ? » Sourit Alphy’, fière d’elle. « Tu sais quoi Adry’ ? Je suis prête à passer l’éponge parce que c’est toi qui a éjecté Marcel de sa place de Président, et que maintenant, lui aussi est un moins que rien dans cette école. Mais j’ai tout de même une condition, je veux que tu arrêtes de jouer le connard sans cervelle et sans sentiments quand tu es avec ton clan. En un mot, fini l’hypocrisie. »
Adryen arrêta tous mouvements, abasourdi devant cette proposition aussi soudaine qu’inespérée.
« Tu… Non, tu ne peux pas le pardonner ce que j’ai fait, je suis la source de ta déchéance ! »
« Disons juste que je me suis trouvée au mauvais endroit au mauvais moment, Marcel est la source de mon malheur et tout ce à quoi j’aspire désormais, c’est retrouver mes amis. »
Lyës se leva et prit Alphy’ dans ses bras, bientôt rejoints par Adryen. Ils étaient beaux.
Moi aussi je veux un câlin. La vie est injuste.
Je soupirais quand je sentis des bras puissants autour de moi m’emporter dans une douce et chaleureuse étreinte. Orphée.
Mais qu’est-ce qu’il fait ?
« Qu’est-ce que tu fais ? » Chuchotais-je pour ne pas attirer l’attention sur nous, embarrassé.
Je senti Orphée hausser les épaules et me souffler au creux de l’oreille, d’une voix sensuelle à m’en faire trembler :
« Tu voulais aussi un câlin, non ? »
« Oui mais pas de toi ! Maintenant dégage tu m’étouffes ! »
« Je n’ai jamais vu un enfant aussi petit et aussi revêche. De la hargne en petit format super-concentré. »
« C’est ça fous-toi de ma gueule ! »
Je me défis de son emprise et je vis trois paires d’yeux sur moi, la mine rieuse.
Pour la discrétion on repassera…
« Et vous, comment vous vous êtes rencontrés ? » Questionna Alphonse.
« Euhm… C’est une histoire compliquée… » Commençais-je, peu sûr de ce que j’allais dire en suite.
Orphée, aide-moi ! je suis sûr que tu écoutes encore ce que je pense alors aide moi !
« En fait, on s’est rencontré en vacances et comme je n’avais nulle part où aller à mon retour, Mahé m’a proposé gentiment de venir chez lui. Puis il m’a fait passer pour son correspondant au lycée, en gros, il m’utilise pour gratter des points en jouant le fayot devant les professeurs. Je lui devais bien ça, après tout, il m’héberge chez lui. »
Mais il est sérieux ? Moi je l’utilise lui ? Il inverse totalement les rôles et puis c’est lui qui s’est invité chez moi, jamais je ne lui aurais proposé une chose pareille. Et je ne suis pas une putain de fayot !
~Un peu quand même.
Pourquoi ma conscience ne respecte pas ?
Ils rirent tous, se moquant de moi et de ma mine déconfite. Je me renfrognais, boudeur, dans l’attente des excuses d’Orphée. Excuses qui ne vinrent jamais.
« Depuis tout à l’heure, vous ne faites que parler de clan, de présidents ‘fin bref, vous pouvez m’expliquer de quoi il s’agit ? Non parce que moi là je suis largué. » Somma Orphée.
« Alors pour faire simple, tous les élèves de St-Laurent sont divisés en trois clans : Pemphrédo, Enyo, et Dino, du nom des sœurs Grées, gardiennes de trois gorgones. Le clan Pemphrédo est connu pour son esprit vil et perfide, le clan Enyo pour son esprit guerrier, à toujours aller au-devant de l’affrontement. Et le dernier clan, pour son retrait par rapport aux autres, le clan Dino est mystérieux et effrayant. Ses membres n’agissent qu’en dernier recours mais ils sont puissants, ce qui provoque une crainte largement justifiée quand on les voit prendre part à quelque décision. »
« C’est encore en rapport avec la mythologie ? »
« Oui, le directeur de St-Laurent les as nommés ainsi pour nous apprendre les valeurs fondamentales dont nous aurons besoin dans le monde qui nous attend, à savoir, d’après lui : La méchanceté, la bellicosité, l’effrayance… D’une certaine manière, il n’a pas tort, la fourberie de ces trois ‘’qualités‘’ nous permettra de nous hisser dans le monde malsain qui nous attends mais de là à nous apprendre à être des connards entre nous, il va un peu trop loin, là où les autres lycées prônent l’entraide, nous on nous apprend à empiler les cadavres pour arriver jusqu’au sommet. C’est sans doute pour cela que certaines rumeurs détruisent des vies bien plus souvent ici qu’ailleurs. » Répondit Lyës.
« Et qui étaient précisément les sœurs Grées dans la mythologie ? » Questionna Orphée de nouveau, lui et Alphy’ se tournant vers moi.
Attends mais ils ne voient pas que je boude ? J’ai aucune envie de leur raconter une histoire ! Oui, je suis puéril, mais j’assume.
« Bah alors Mahé, tu ne nous racontes pas ? » S’enquit Orphée, ses yeux clairs d’une pureté exceptionnelle se posant sur moi.
Ok, je ne peux clairement pas résister à ses yeux là. Je suis coincé, je me dois de me plier à ses exigences. Les anges doivent avoir ce genre de pouvoir pour forcer les humains à leur obéir.
~Ou alors ce ‘’pouvoir‘’, c’est juste de l’amour ?
N’importe quoi. Expliquez-moi pourquoi ma conscience chercher toujours à me mettre des conneries dans la tête, comme si je n’avais pas déjà assez de mal tout seul.
Je pris la parole, un peu à contre-cœur, même si j’adore raconter des histoires, surtout mythologiques.
« Alors, les Grées, ou Graies, du grec Graîai, ‘’vieilles femmes‘’, étant, selon la légende, nées avec la peau fripée, les cheveux gris ainsi qu’un seul œil et une seule dent, pour trois. Aussi appelées les sœurs grises, elles sont les filles de Phorcys et Céto, eux-mêmes descendants de l’union de Gaïa, la Terre et de Pontos, l’Océan. Cela fait d’elles des divinités primordiales, souvent personnifiées par de l’écume marine. Elles sont les sœurs ainées des trois gorgones, la plus connue étant Médusa, et également leurs gardiennes. Elles vivaient dans une grotte située loin vers le couchant, sur les monts de la chaine Atlas, quelque part où il faisait nuit la casi totalité du jour. Selon une légende moins connue, l’œil de Graies serait en fait un homme de confiance, chargé de veiller, de tout voir sur leurs affaires, d’administrer leurs biens et ceux de leur royaume. Les trois clans du Lycée on aussi une Gorgone à protéger mais ils ne peuvent le faire indépendamment des autres clans, puisque les Graies n’avaient qu’un seul œil. Aucun clan ne peut attaquer la Gorgone d’un autre mais chacun aimerait qu’il ne reste plus que sa propre Gorgone. »
« Et qui sont les Gorgones ? »
« Dans le lycée, les Gorgones sont Lia, Jylla et Maya. Celles qui peuvent te pétrifier d’un seul regard, ruiner ta vie en un quart de seconde. Ces filles sont comme les sirènes, d’ailleurs, si on regarde, les Gorgones et les sirènes ont les mêmes ancêtres, elles te charment par leur beauté pour t’entrainer dans les profondeurs des abysses et se repaître de ton tourment. Surtout, méfie-toi d’elles. Elles sont les seules personnes de clan différents autorisées à être dans le même dortoir et à ne pas se quitter. Les relations inter-clans étant très mal vues, appart à certains endroits comme la bibliothèque, les salles de classes et le terrain de sport lors des matchs. Et les rares entrevues que l’on peut avoir avec les autres clans sont plus des affrontement qu’une partie de plaisir. »
« C’est pour cela que quand nous étions en seconde et nous avons découvert cet endroit, nous l’avons aménagé pour être le plus accueillant possible, pour que tout le monde puisse s’y rendre. Ici, il n’y a plus de clans, nous sommes tous des plus normaux, des adolescents à le recherche d’une jeunesse normale pour faire des conneries, profiter, s’amuser. Chacun y trouvait ce qu’il lui fallait, sans même en avoir conscience alors quand nous avons vu la statue de chèvre, nous lui avons brisé une corne et rebaptisé cet endroit la corne d’abondance. Mais très vite, les choses ont dégénéré avec la calomnie qui a entouré Lyës. Nous avons arête de venir, il ne restait plus qu’Adry’. Cet endroit était synonyme de honte pour notre clan et ils ont aussi arrêté de venir. Le clan Dino n’a, comme d’habitude pas fait d’histoire, laissant le champ libre au clan Pemphrédo, qui s’est approprié l’endroit, puisque Adry’ était le seul fondateur de l’endroit qu’il restait. » Expliqua Alphonse.
« Ce n’est pas exactement comme cela que ça s’est passé » Intervint Adryen, nous surprenant tous. « En réalité, j’ai cédé la place à Marcel, lui assurant que la place lui revenait, si en échange il prenait Lyës dans notre clan et faisait taire les rumeurs à son sujet. C’est pour cela que la clan Pemphrédo se croit maître en ces lieux. »
« Tu veux dire que tu t’es servi de l’endroit que l’on avait créé ensemble pour payer un service à Marcel ? »
« Ouais. C’est ce que j’ai fait. Et quand j’ai pris la tête du clan, je voulais rétablir les choses, mais j’étais seul et sans vous à mes côtés, ça n’avait comme plus aucune importance. »
« J’étais là moi… » Souffla Lyës, ne comprenant pas.
« Ouais mais plus de la même façon. Quand notre groupe a volé en éclat, quelque chose s’est brisé en toi, depuis tu n’es plus le même, tu te caches, tu es craintif et ça me fais énormément de peine. Tu ne peux pas savoir… »
Lyës baissa la tête, prit de remords.
« Tu vois, il y a trois ans, tu aurais répliqué avec la fougue qui te caractérisait alors. Maintenant, tu te contentes de te soumettre à tout ce que l’on dit, ne prenant même pas le temps d’avoir une opinon. Comme un pantin étranger à ta propre vie. »
Lyës releva des yeux emplis de larmes vers Adryen avant de se lever de se sortir en courant.
« Putain Adry’, tu ne pouvais pas être plus délicat ? Tu sais pourtant ce qu’il a traversé ! » S’énerva Alphy’.
« Je pensais pas qu’il le prendrait si mal Al’, tu sais que je ne voulais pas le faire pleurer, ça me fait du mal. Je veux juste qu’il redevienne comme avant, souriant et... Bordel juste heureux. »
« Mais il ne sera jamais plus comme avant, il peut guérir mais à jamais il gardera la cicatrise de son passé. »
Adryen soupira quand Alphonse s’énerva un peu plus, lui criant presque :
« Mais va le retrouver putain, t’attends quoi là ? »
Et sans plus attendre, il sorti aussi.
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Cadeau ! Le chapitre avec un peu d'avance 😊
Ce chapitre nous en apprend plus sur le passé d'Alphonse, Lyës et Adryen. J'espère que vous appréciez toujours 💕
ParadoxalementParadoxale.
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