Chapitre 28 : Imprégnation
Il y a quelques heures, Lyzaïa était revenu avec Helory qui tentait vainement de contenir ses sanglots, et depuis lors, ce dernier était enfermé avec Akihiko dans la chambre du japonais, se réconciliant, ou du moins essayant, à en juger par les cris que l’on entendait jusque dans le salon.
Tous dans ledit salon, nous essayions de faire abstraction de leurs éclats de voix, difficilement.
Espérons que tout va s’arranger, pour eux et aussi pour nous…
Il fallut encore une heure de plus pour qu’ils redescendent, Helory les joues marquées par les larmes, cherchant du réconfort auprès du japonais, bien que ce soit celui-ci la cause même de sa peine. Ce que je retins était qu’Akihiko avait finalement cédé, acceptant de procéder à une imprégnation, sous certaines conditions, entre autres qu’il ne serait pas reposable des dégâts sentimentaux que cela causerait. Et denier chose, selon ses mots : nous lui serions éternellement et pleinement reconnaissants et redevables. Le fait qu’il ait retrouvé son appétit concernant les dettes qu’il laisse à ceux à qui il daigne donner un coup de pouce nous rassura, preuve qu’il redevenait peu à peu lui-même et qu’il reprenait le recul par rapport aux situations qui le caractérisait.
Akihiko nous conduit à l’extérieur, puis nous traversâmes la propriété pour atteindre une sorte de petite chapelle très ancienne, dont la façade était recouverte de vigne vierge et le toit, plus très droit, commençait à tomber à l’intérieur, ne tenant plus que par un équilibre précaire et un grand mystère. Le japonais ouvrit la porte grinçante en bois pourri par endroit et vermoulu, qui tombait en décrépitude tout autour des gonds rouillés. Au moment où nous entrons, quelques pigeons s’envolèrent et passèrent par le trou d’un vieux vitrage écaillé, par lequel filtrait les rayons de la lune pleine et déjà haute dans le ciel. Tout était couvert de draps blancs surmontés d’une pellicule de poussière grise. Rapidement, Akihiko commença à enlever tous les draps, découvrant des candélabres à chaque coin de la pièce et des statues disposées en cercle autour d’un autel. Je fus prit d’une quinte de toux du fait de la poussière en suspension que l’on avait soulevé en retira les draps.
« C’est une chapelle qui autrefois était utilisée pour les offices démoniaques, chaque statue représente un dieu et un élément, ils sont les phases du rituel et les extrémités du pentacle. Ça fait des lustres que je n’ai pas mis les pieds ici. »
Le japonais aux cheveux couleur caramel saisi une craie sur le sol et commença à tracer des formes géométriques au sol, marmonnant des litanies dans diverses langues, je cru reconnaitre du latin, du slave, du japonais, de l’estonien et du français, ou quelque chose du genre. Quand il eut fini, on pouvait voir au sol un pentacle orné de tout un tas d’exorniphes étrange mais jolis, harmonieux. Il se leva et contempla son travail, d’un air fier.
« C’est ici que je vais vous aider pour l’imprégnation et c’est aussi là que j’ouvrirais le portail sur les Enfers. J’ai déjà préparé tout ce dont nous allons avoir besoin tout à l’heure. Je vais commencer les invocations, Tÿas et Mahé, je veux que vous vous mettiez au centre du cercle. »
Nous faisions ce qu’il nous demandait, prenant place au milieu du pentacle.
« Maintenant joignez vos mains et répétez après moi : Je jure solennellement de toujours rester lié à cet homme, quoi qu’il m’en coûte et établi par ce serment inviolable le début de processus d’imprégnation. »
Nous répétâmes, légèrement angoissés par ce qui allait s’en suivre et Akihiko dit d’une voix forte :
« Konoyo no subete no akuma to kage ni yotte, karera no keikaku ni yoreba , karera wa eien ni shibara rete imasu. Kore wa watawshi no kotobadesu. »
Ce qui voulait dire, comme il nous l’apprit plus tard : ‘’Par tous les diables et les ombres de ce monde, que sellons leurs desseins, ils soient liés à jamais et pour toujours. Ceci est ma parole, qu’il en soit ainsi.‘’
Au moment où il eut fini de prononcer cette incantation, nous nous sommes parés d’un halo bleu doré, un cercle de flammes noires faisant le tour du pentacle, venant lécher les planches de bois usé du sol.
Akihiko semblait toujours marmonner, à l’extérieur du cercle mais c’était comme si le rideau de flammes nous coupait du monde extérieur, si bien que je ne pus rien déceler d’autre que son visage concentré et ses lèvres se mouvant doucement.
Tout à coup, je fus frappé d’une douleur horrible, comme si l’on essayait de me sortir de mon propre corps et il semblait en être de même pour Tÿas qui hurlait à pleins poumons, ses mains se crispant sur les miennes en un geste frénétique et incontrôlé, égaré. Les flammes noires semblaient s’épaissir peu à peu, jusqu’à ce qu’elles nous atteignent, refroidissant immédiatement nos corps en une brulure de glace.
Tout cela est insensé ! Pourquoi ses flemmes sont-elles froides, c’est de summum de l’oxymore paradoxale.
Un autre cri me tira de mes pensées, mais je serais bien en peine de dire s’il était de moi ou de Tÿas. Tout se mélangeait dans mon esprit. Je ne savais lus ce qui était de moi et ce qui était de lui. La frontière était si floue qu’elle tendait à s’effacer.
L’un comme l’autre nous ne pouvions lutter à la fusion forcée de nos âmes qui n’étaient pourtant si sœurs, ni jumelles et qui n’auraient jamais dues être liées de cette façon. Mais nos âmes elles s’acharnaient face à la contrainte, tant et si bien que nous nous épuisions rapidement, tombant au centre du cercle, les mains toujours liées. Nous étions toujours conscients, comme dans un univers parallèle. Là où tout nait de la pensée. Il faisait sombre. Et sitôt y eussé-je pensé qu’une lumière éclaira l’endroit. Je crois que c’est ce que l’on appelé les limbes. Je pouvais sentir tout le pouvoir que renfermait ce lieu, comme si toutes les connaissances du monde y étaient renfermées et protégées. De la plus récente à la plus ancienne découverte. Là où l’on a un accès total et infini à la toile dédaignée qui forme le monde. Un endroit caché en chacun de nous, si profondément enfoui dans nos acéphales que l’on ignore tout de lui, jusqu’à son existence même. Pourtant, pour le trouver, il suffisait de suivre le chemin remisant notre conscience à toute chose. A mes côtes, je pu bientôt sentir l’esprit de Tÿas. Prenant lui aussi place dans cet infini de possibilités d’avenir que nous ne pouvions qu’observer sans les comprendre. Je ne savais pas vraiment ce que nous faisions là et comme s’il ressentait mon trouble, Tÿas s’approcha pour me dire, à moins qu’il ne l’ait juste pensé :
« Nous sommes dans les limbes, c’est de là que me vient mon pouvoir de vision. J’y suis directement connecté. Je crois que nous y ai envoyé sans le vouloir pace que la douleur de nos corps était trop grande. Ainsi nous n’avons plus à la supporter. »
« Mais va-t-on faire ? Comment repartir d’ici ? » Murmurais-je, brisant pourtant la quiétude du lieu.
« Pour l’instant on ne peut pas. » Affirma Tÿas, sa voix faisant comme corps avec le lieu, résonnant dans ma tête mais aussi dans cette immensité de vide.
Il n’est pas censé avoir d’écho dans le vide.
« Pourquoi ne pouvons-nous pas partir ? » Questionnais-je incertain.
« Parce que si nous partons maintenant, nous serons de nouveau submergés par la douleur de nos corps. »
« Alors on fait quoi ? »
« Ça ne t’intéresses pas d’aller fouiller dans ce tissu de possibilités qu’offre le futur ? » Sourit-il en démontrant les fils brillants qui s’entremêlaient face à nous. « Là-bas on peut tout voir. »
Il me prit par la main pour rentrer dans le conglomérat lumineux. Des milliers de voix chuchotant nous assaillirent, comme si le monde entier nous soufflait tous ses secrets.
Tÿas se déplaçait dans cet ensemble avec grâce et agilité tandis que moi je galérais, les fils s’accrochant à moi comme pour me retenir de pénétrer en leur sein, se resserrant sur mon passage. Heureusement, le blond ne me lâcha pas la main, m’aidant même à me défaire des fils trop envahissants.
« Ne fait pas attention à eux. Ils sentent ton stress, c’est pour cela qu’ils s’accrochent à toi. Laisse-toi couler. »
Ecoutant ses conseils, je me détendis et nous fumes bientôt au cœur de l’amas emmêlé tel une pelote de laine.
« Maintenant qui veux-tu voir ? »
Je restais un instant interdit.
« N’importe qui ? » Demandais-je.
Il hocha la tête.
Tout cela est réellement dément.
« Hum je ne sais pas… »
« Une amie à toi par exemple, enfin pas trop proche, quelqu’un que tu ne connais pas depuis longtemps. » M’encouragea-t-il.
« Alphonse, c’est ma seule amie. »
« Elle s’appelle vraiment Alphonse ? Mais à quoi pensaient ses parents ? »
J’haussais les épaules et il laissa échapper un petit rire.
« Et ça t’intéresserait de voir ce que sa vie pourrait devenir ? »
« Tu peux le voir ? »
« Je peux voir chaque possibilité de la vie de chaque personne mais je ne peux pas influer de façon directe, sinon je serais dieu. Et j’empêcherais tout le malheur qui peut accabler le monde. Mais c’est impossible, je ne suis qu’un simple adolescent un peu paumé qui ne comprends pas bien ce qui me coule dans la tête et si je change quelque chose de trop gros, l’effet boule de neige serait trop important et l’équilibre serait faussé. Tout le monde mérite sa part de malheur et personne ne peut en être exempt. C’est pourquoi je ne peux qu’influer sur des détails mineurs. »
« Donc même si tu sais la mort d’une personne que tu aimes imminente, tu ne pourrais rien faire pour l’en empêcher ? »
« Non. Quand mon grand père est mort, je savais que cela allait advenir et j’ai voulu lui dire. Mais quand il a compris, il m’a juste souri, passant sa main dans mes cheveux et est tout de même monté dans ce bus. C’était la dernière leçon qu’il avait à me donner. Celle de mon impuissance la plus totale. Je lui en ai longtemps voulu. Pour moi il m’avait abandonné sciemment, regardant sa mort en face sans ciller. Mais j’ai fini par comprendre qu’il avait fait cela pour moi, que c’était là encore une façon de me montrer tout son amour et de me protéger de moi-même et de ce que je pourrais engendrer en essayant de sauver tout le monde. »
J’étais profondément ébranlé par ce qu’il venait de me dire. Les dons exigent toujours des sacrifices, l’épée à double tranchant, le revers de la médaille.
« Mais bon, assez parlé de moi, viens là. »
Je m’approchais pour le voir démêler les fils et en suivre un, écartant les autres d’une main habile, sans s’enchevêtrer les doigts dedans. Puis il ferma cérémonieusement les yeux, comme s’il entrait en communion avec ce brin de vie at il me tendit une main. Je m’en saisi, légèrement anxieux et quand j’ouvris les yeux, j’assistait a quelque chose qui était sûrement le futur que pourrait avoir Alphy’. Pareille à elle-même, elle était éblouissante mais à son bras babillait joyeusement une petite fille de quelques années à peine, qui s’amusait avec un petit pélican en peluche.
Evidemment, pélican est l’insulte courtoise par excellence de celle aux cheveux colorés.
Horas apparut derrière elle et l’enlaça.
Alors ils allaient bien finir par se trouver ses deux-là.
Et puis l’image se brouilla, dans un mouvement accéléré, comme quand on rembobine un vieux film et nous finissons par arriver au moment où Alphonse m’avait demandé de tout lui expliquer sur mes absences avec Orphée, le soir où elle a failli tout comprendre, la nuit où j’ai failli tout lui révéler.
Je me vois lui parler, Orphée prétendre un diner, je me vois rougir…
Pitié, j’ai vraiment cette tête là quand je rougis ? Dieu du ciel quelle horreur !
Puis Orphée et moi sortons du cadre qui se déplace en même temps qu’Alphonse s’éloigne de nous. Elle contourne le bâtiment de l’internat pour venir retrouver le roux, qui semblait l’attendre depuis un moment déjà et qui sourit à son approche. Elle sourit en retour, venant l’embraser sensuellement, comme deux amants qui se retrouvent et laissent enfin tomber les masques pour se perdre dans les bras l’un de l’autre.
Tÿas relâcha la fibre étincelante avant de se tourner vers moi.
« Tu peux voir le passé et l’avenir ? Le présent aussi ? Tu peux genre stalker des gens, comme un psychopathe vraiment flippant ? »
« Ouais, sauf que je ne le fais jamais, ou presque. »
« Pourquoi ? » Demandais-je.
« Tu l’as dit, ce serait vraiment flippant. » Rit-il.
« Oh et il t’arrive d’assister à des scènes que tu n’aurais pas dû voir ? »
« Comment ça ? Tout ce que je vois, je n’aurais pas dû y assister donc… »
« Non, non, je parle de moments…Intimes. » Rectifiais-je.
« Ah, ça… Pour tout te dire, ça m’est déjà arrivé au début. Maintenant, je sais quand les choses commencent à déraper et je me retire avant. Je ne suis pas un voyeur. Les scènes que j’ai pu voir par erreur mon un peu dégouté de tout ce qui est d’ordre sexuel. »
« Tu donnerais ce pouvoir à mon amie, elle se ferait un plaisir d’aller espionner les gens dans leur moments coquins, crois-moi. Enfin cela a peut-être changé puisqu’elle sort visiblement avec Horas. » Ris-je doucement en pensant à elle. A elle et à Lyës. Et à Adryen. Eux que j’ai un peu laissé tomber ces derniers temps. Il faut que je les voie. Dès que cela sera fini, j’irais les rejoindre. Orphée ne sera surement plus là et ça me brise mais je pourrais toujours compter sur eux et je dois m’en montrer digne.
« A quoi tu penses ? » Questionna le blond à côté de moi.
« A des potes que j’ai un peu délaissé avec ces histoires d’ange, d’enfer et de damnation. »
Il hocha la tête en cherchant dans les lignes de vie entremêlées.
« Dit, on ne peut pas voir comment toute cette histoire va finir ? »
« Non, ceci est la première règle que m’a apprise mon grand-père, ne jamais regarder trop proche de soi. Jamais les amis proches, ni la famille et encore moins nous-même. Regarder son propre avenir est très douloureux, rare sont ceux qui ont réussi à le faire sans rester coincés dans les limbes ou devenir fou. »
Ok alors on va éviter, on n’a pas besoin de ça en plus pour le moment. Devenir fou n’est pas au programme.
« On a qu’à regarder la vie de Lyzaïa, on ne le connaît pas trop, c’est le moment d’en apprendre plus sur lui. »
« Pourquoi pas. » Dis-je en haussant les épaules.
Il prit une nouvelle ligne de vie dans une de ses mains et me tendit l’autre. Je la pris et fermais les yeux.
Nous fûmes rapidement projetés dans le passé du frissé.
L’environnement dans lequel nous nous sommes retrouvés était sombre et froid, comme une vieille rue humide. Un cri déchirant nous surprit, nous forçant à nous retourner. Nous découvrons un groupe de jeunes qui entourent une version plus jeune du frissé. Nous comprenons avec horreur qu’ils sont en train de le passer à tabac.
Oh putain !
L’un des agresseurs sorti un couteau à cran d’arrêt et s’approcha de Lyzaïa.
« Alors Joli-cœur, tu as l’argent ? Tu sais que tu m’as déjà beaucoup déçu, il ne faudrait pas que tu reviennes à nouveau les mains vides, tu le sais ça ? Ton père m’a donné l’autorisation de te faire mal, très mal, si tu ne nous apportais pas ce que l’on attend. »
« Va crever ! » Cracha abruptement Lyzaïa, sans se préoccuper de la lame qui courait sur lui, par-dessus ses vêtements, s’enfonçant dans sa chair à intervalles irrégulier, rendant sa respiration sifflante.
« Oh vraiment ? » Demanda celui qui avait en main le couteau.
Pour seule réponse, le frissé lui cracha à la figure, dédaigneux. Alors le qui lui faisait face leva sa lame et dit tout en la faisant glisser en un sillon purpurin, arrachant un grognement de douleur à sa victime :
« J’attends mon argent demain. Si je ne l’ai pas qui sait ce qui pourrait devenir, je pourrais vraiment te défigurer, cette fois tu ne ferais plus le malin hein Joli-cœur, t’arracher un œil par exemple ou non, attends, j’ai mieux, que dirais-tu si je déflorais ta petite sœur ? La douce et gentille Capucine… »
A l’entente de ses mots, le frissé fut pris d’une rage incontrôlable et se mit à frapper dans le tas, démontant ses adversaires un par un, avec une violence sans pareille, laissant des traces incarnates partout sur les pavés inégaux, se mélangeant aux flaques de pluie et de boue qui les recouvraient déjà. En un rien de temps, ils furent tous à terre, seul Lyzaïa couvert de sang se tenait encore debout dans cette ruelle.
Tÿas observait la scène horrifiée, sans parvenir à détacher son regard, moi-même je fus prit d’un haut-le-cœur. Comprenant que le blond allait réellement mal au moment où je remarquais ses mains trembler d’effroi et des perles salées dévaler ses joues, je lui lâchais la main, sortant ainsi de la vision, finissant dans le noir total.
Quand je rouvris les yeux, j’étais de nouveau dans mon corps, sur le plancher de la chapelle chez Akihiko.
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J'avais envie de parler un peu d'Alphonse, elle me manquait mdrr...
Il reste à peu près cinq chapitre (et peut-être un extra) avant l'épilogue.
J'espère que l'histoire vous plait toujours 💕 on arrive bientôt au 350 lectures, j'ai conscience que ça peut paraître dérisoire face aux écrit qui ont plusieurs K de lecture, mais ça me rends déjà très heureuse 😊
Avec amour et dévotion,
ParadoxalementParadoxale.
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