Chapitre 24 : Shitsumon-sha.

Nous avons mis plus de deux heures avant de mettre la main sur le fameux arc. Et tout du long de notre recherche, Akihiko et Nolahn n'ont cessé de se chamailler, tels des enfants. Il faut dire qu'Akihiko, qui n'a pas daigné nous aider, ne se tarissait jamais en remarques désobligeantes et cyniques vis-à-vis de mon demi-frère, si bien qu'à un moment, j'ai cru que j'allais craquer et leur en coller une. Et je pense que cela serait arrivé si Orphée n'avait pas été là pour me calmer et me retenir. Voyant que je bouillonnais sur place, il m'avait pris contre lui et emmené à l'écart, me calmant et me rassurant sur tout. C'est d'ailleurs comme cela que l'on a trouvé l'arc. En effet, Orphée avait voulu dégager le dessus d'une male pour que l'on s'assoit dessus, le temps de faire une petite pause, et, par curiosité, j'ai voulu jeter un œil à ce qu'il y avait dans celle-ci. Je ne fus pas dessus quand je trouvais, enveloppé dans un tissu de velours rouge, un arc et des flèches datant sans doute de temps immémoriaux, sans doute du début de l'ère d'Edo, et qui aurait plus sa place dans un musée que dans le foutoir d'Akihiko.

Nous étions maintenant en train d'écouter Akihiko nous parler de cet arc avec passion et sagesse, comme s'il le vénérait, ce qui changeait de son attitude légère et frivole de d'habitude.

« Les Arcs, Yumi en japonais, étaient taillés en un seul morceau dans le tronc du Zelkova ou du Catalpa, des arbres très solides, ou encore fait à partir de bambou en lamellé-collé, pourtant la création de celui-ci fut tout autre, il fut taillé dans une des branches de l'arbre de vie, Seikaiju ou arbre-monde, abritant l'esprit de tous les Kamis, êtres incorporels représentant les éléments de la nature, les animaux, les plantes ou bien les forces créatrices de l'univers, après que la tempête causée par la Fūjin et Raijin, deux frères jumeaux, divinités du vent et du tonnerre qui, poussés par leur instinct de Yōkai, êtres apparentés à des fantômes dont le comportement oscille entre la simple espièglerie et l'entière malveillance, ont voulu, pour s'amuser, créer la plus grande tempête jamais vue. Comme vénération à l'arbre de vie, ne pouvant faire d'offrande, les deux frères ont fait appel Hachiman, dieu de la guerre et des armes, protecteur du japon, pour qu'il les aide à faire un arc avec la branche arrachée à Seikaiju et ensuite offrir l'arme. Hachiman se mit tout de suite au travail, réalisant le plus bel arc jamais taillé, et qui, empreint de magie divine et de la magie céleste de l'arbre, avait le pouvoir de trouver, à l'aide de ses flèches de bambou, la personne que nous voulons le plus voir au monde. Quand Hachiman, fier de sa création l'apporta aux deux frères, ceux-ci, attirés par l'immense pouvoir de l'objet se déchiraient, voulant le garder pour eux seuls, créant la discorde entre eux. Hachiman, témoin de la scène, et horrifié par la rage et la haine qui animait les jumeaux, les poussa au fond du gouffre de l'espérance, les condamnant à errer, ensembles pour l'éternité, défaits de leurs pouvoirs. Conscient des ravages que pouvait faire son arc, qu'il avait nommé Shitsumon-sha ou l'inquisiteur, il demanda l'aide des autres dieux pour purifier l'arc. Sur conseil de ceux-ci, il le trempa dans le sel, élément purificateur, et quand il l'en ressorti, seul un cœur pur, animé de nobles et honnêtes intentions, pouvait se saisir de l'arme et tirer ses flèches. C'est ainsi que cet arc s'est transmis de génération en générations, comme un objet symbolique et sacré, servant parfois à désigner les empereurs et shogun, à la façon d'Excalibur qui désignait le roi. En effet, celui qui parvenait à tirer l'une de ses flèches sacrées était indéniablement appelé à devenir dirigeant du japon. »

Et bien, il raconte bien mieux les coutumes et légendes japonaises que la mythologie grecque.

« Et comment se fait-il que tu possèdes un tel objet ? » Interrogea Orphée, qui je crois, prenait la parole pour la première fois de la soirée.

« Disons qu'en plus de six siècles, j'ai trouvé le temps de m'intéresser aux objets d'art ancien. Je travaille d'ailleurs dans une boutique d'objets antiques tibétains, bien que la plupart des choses que je vois passer ne vienne absolument pas du tibet, mais ça les clients ne sont pas obligés de le savoir. » Répondit notre hôte aux origines japonaises.

« Et tu te diras encore honnête après ça ? » Polémiqua mon demi-frère.

« Nolahn, ne recommence pas ! »

« Mais tu vois bien que c'est un escroc ce gars-là Mahé !»

Je soupirai mais ne répondis rien car il ne servait à rien de le contredire sur ce point, Akihiko était bel et bien un escroc.

« Bon, allons essayer cette merveille. » S'exclama le japonais en brandissant l'arc et se dirigeant vers les jardins.

« Comme si tu allais pouvoir tirer avec. » Grommela Nolahn, sarcastique.

Passant à côté de Nolahn, Akihiko lui souffla :

« Ne me traite pas d'escroc, je sais très bien ce que tu t'apprête à faire, tu es aussi traitre que moi. »

Cette phrase, qui ne m'était pas destinée et que je n'aurais certainement pas dû entendre, m'intrigua au plus haut point.

Qu'est-ce qu'ils nous cachent bon sang.

Une fois dehors, Akihiko nous mena jusqu'à une petite colline avant de mettre l'arc entre les mains de Nolahn et de dire :

« Tu n'as qu'à essayer toi, puisque tu te crois meilleur que moi. »

Nolahn lui lança un regard noir avant de déclarer :

« Comment veux-tu que j'y arrive, je suis en partie émissaire de l'Enfer je te rappelle. »

« Comme c'est décevant. »

Je secouais la tête, ne supportant plus leurs caprices et passais l'arc à Orphée.

« Tu devrais pouvoir l'utiliser, tu as le cœur pur, après tout tu es un ange non ? »

Il me fut un faible sourire.

« J'ai été déchu Mahé, si tu pouvais voir mon aura, tu verrais comme elle est ternie. »

« Je... Orphée, l'autre jour, j'ai enlevé le talisman que tu m'avais offert et je les ai vu, je voyais les auras, je ne savais pas ce que c'était mais c'était les auras et... il y avait aussi toutes sortes de créatures noires et dégoutantes rampant au sol. »

« Tu as vu tout cela ? » S'hébéta Orphée.

« Ouais, mais juste pendant un petit moment après avoir retiré le talisman. »

« Tu as le don de de voir à travers les strates de la réalité, Tu es un point de rencontre, d'inflexion, pour les différents modes qui se chevauchent simultanément. C'est ce que l'on appelle la vision dissemblable, tu arrives à distinguer les éléments des autres mondes tout en restant dans ton monde à toi. »

« Peut-être que je pourrais essayer de trouver une personne à l'aura pure pour tirer une flèche. Il y en a surement une à l'internat, parmi les gens que nous connaissons. »

« Non, l'aura humaine la plus pure que je n'ai jamais vu était la tienne. »

« Oui mais depuis j'ai été damné. »

« Je sais cela mais il faut quand même que tu essayes. On n'a pas d'autre choix. Chercher quelqu'un et le convaincre serait trop long car même si tu ne le sens pas grâce au talisman, la marque des damnés d'affaiblis et tu pourrais sombrer à tout moment, surtout que de ce que m'as dit, le talisman réprime tes capacités, tu devrais donc le retirer pour chercher et ceci est trop dangereux. »

« Mais comment veux-tu que je parvienne à tirer une flèche avec ce machin-là, il est trop grand pour moi, il fait deux fois ma taille. »

« Il faut dire, Crevette, que tu n'es pas bien grand. »

Désespéré par ma propre taille, je ne dis rien, me contentant de baisser la tête pour masquer mes joues qui rosissaient, de honte surement.

Je pris l'arc et une des flèches, tous deux étaient incroyablement sobre, dénues d'ornements, presque dépouillés mais singulièrement élégants. D'une beauté pure et mystérieuse, angélique. Tant bien que mal, je mis l'arc verticalement devant moi, la flèche encochée sur la corde.

Risible, cingla ma conscience, ce qui doit être vrai, vu de l'extérieur, cela doit être très comique.

Je senti Orphée se placer derrière moi, les mains sur ma taille, pour orienter correctement mes hanches, me soufflant des instructions pour placer mes mains convenablement. Au moment où il se détacha de moi, je pris une grande inspiration, me concentrant, ouvrant mon esprit. Je senti alors les sensations se démultiplier et s'affiner. Je sentais le bois rugueux sous ma paume, la corde de crins légèrement rêche entre mes doigts, le vent frai dans mes cheveux et la fragrance des pins derrière nous. Le soleil vespéral colorait le ciel de teinte zinzolines. Il ferait bientôt entièrement nuit. Priant intérieurement pour que cela marche, je tentais de bander l'arc, et contre tout attentes, j'y parvint sans difficultés, presque trop facilement pour que ce soit normal. Je fermais les yeux et retint ma respiration le temps d'un instant et lâchais la flèche qui partit vers le ciel en un sifflement aigu puis disparut dans l'éther constellé des premières étoiles.

Nous restâmes tous un moment interdit, dans l'expectative d'un signe quelconque.

Nous avons l'air fins, tous à regarder le ciel en attendant nous ne savons quoi, croyant qu'une flèche lancée à l'aveugle allait nous mener quelque part. Au moins maintenant c'est clair, je ne suis pas la personne qu'il faut pour manier cet arc, en même temps, comment ai-je pu y croire ne serait-ce qu'une minute ?

Soudain, un mal de tête intense me frappa et ma blessure à la hanche se mit à me brûler, je fus comme projeté en arrière par une force invisible, atterrissant contre le tronc d'un pin avant de glisser au sol, sonné. La seconde d'après Orphée était à mes côtés. Je pouvais le sentir mais je ne le voyais pas. Tout ce que je percevais était des couleurs floues, des images changeantes, j'y voyait un jeune homme blond et souriant, ou peut-être était-ce une jeune femme ? Je ne sais pas. Je voyais aussi quelque chose ressemblant à un panneau d'entrée de ville mais je ne pus lire ce qui y était inscrit. Et il y avait cette voix dans ma tête qui susurrait qu'elle arrivait, qu'elle venait à moi. Puis, à l'extérieur, j'entendais indistinctement Orphée qui accusait Akihiko de m'avoir mis en danger, Nolahn qui appuyait les propos d'Orphée en traitant le japonais d'inconscient.

Il aurait été étrange qu'il ne soit pas contre Akihiko celui-là.

Akihiko répliqua :

« Je ne savais pas que ça allait se passer comme cela ! Comment l'aurais-je su ? Je te rappelle que je ne peux pas tirer avec cet arc, j'ai été déchu moi aussi, je ne suis plus pur et de plus une partie de moi est devenue Yōkai alors jamais je n'aurais pu savoir ce que cela faisait d'utiliser Shitsumon-sha ! Et puis c'est toi qui l'a poussé à essayer, sachant qu'il était damné, il est normal que Seikaiju l'ai rejeté puisque la valeur principale du shintoïsme est la pureté. »

« Et tu n'aurais pas pu le dire avant ça ! »

Il fallait que je les arrête sinon ils seraient capables de s'entre-tuer. Le problème c'est que je n'arrive toujours pas à faire le moindre mouvement, j'ignore même si mes yeux sont ouverts ou fermés, tout ce que j'arrivais à voir étant des images incohérentes sans rapport les unes avec les autres et des flashs colorés m'aveuglant.

Tout à coup un cri retenti, c'était la voix qui me parlait dans ma tête mais elle semblait plus forte, plus proche. Et tout à coup, la vue me revint et je pris une grande inspiration, comme si je sortais la tête de l'eau après plusieurs minutes d'apnée. La première chose que je vis fut le visage inquiet d'Orphée au-dessus de moi puis un peu plus loin, le jeune homme blond de ma... vision. C'était lui, il était celui que nous cherchions, Tirésias. Il semblait dans un était similaire au mien, légèrement désorienté. Puis je vis, horrifié, que la flèche que j'avais tiré était plantée dans son épaule. Akihiko et Nolahn l'aidèrent à se lever, sans se quereller pour une fois et Orphée me souleva pour que nous retournions à l'intérieur.

« Mon dieu ! Akihiko qu'as-tu encore fait ? Pour quoi ce pauvre garçon a une flèche dans l'épaule ? » S'exclama Helory au moment où il entrait dans le salon où Akihiko nous avait laissé, Tirésias et moi, le temps qu'il aille, avec Orphée et Nolahn, chercher de quoi soigner les blessures du blond.

« C'est Mahé qui lui a tiré dessus. » Se justifia Akihiko en revenant, ne saluant même pas le nouvel arrivant qui ne sembla pas s'en formaliser.

« Quoi ? Non, ce n'est pas vrai ! Enfin si, mais je ne voulais pas. Je ne savais pas que la flèche allait le transpercer, comment l'aurais-je su ? » M'écriais-je, les joues cramoisies.

Helory prit les bandages et le désinfectant des mains d'Akihiko, soupirant, et s'agenouilla en face du blond qui ne devait pas comprendre ce qu'il se passait. Je me sentais terriblement mal pour lui.

« C'est grave ? » Demandais-je à Helory, d'une petite voix en désignant la blessure de jeune garçon blond.

« Je n'en sais rien, il faut que je regarde cela et je n'ai fait qu'une prépa médecine avant d'aller en psycho alors mes connaissances sont un peu limitées. »

« Tu es trop modeste Helory, tu étais le meilleur de ta prépa et tous tes profs ont été déçu que tu ailles en psycho et que tu ne continues pas en médecine générale, ils t'avaient même conseillé de faire chirurgie après. » Assura Akihiko.

« Ouais mais il se trouve que j'ai choisi psycho et que par le fait je ne suis pas en mesure de faire un diagnostic précis comme le ferait un médecin. » Renchérit Helory.

Je regardais le petit blond sur le canapé, il comatait et ne semblait pas se rendre compte de ce qu'il se passait autour de lui. Helory découpa sa chemise avec des ciseaux à bouts ronds avant d'inspecter les abords de la blessure.

« Ça n'a pas l'air très profond. A quelle distance étais-tu quand tu lui as tiré dessus ? »

« Heu je... je n'en sais rien. » Répondis-je, le rose aux joues.

« Non mais approximativement ? » Insista Helory.

« C'est compliqué à dire puis que l'on ne l'a pas vu au moment où il s'est pris la flèche. » Expliqua Akihiko, ce qui nous valut un regard interloqué de la part d'Helory.

Avant même de le voir, je senti Orphée m'approcher puis, il me demanda, soufflant à mon oreille :

« Et toi, tu vas bien ? »

« Oui, ne t'inquiètes pas, je vais bien. »

Il resserra son emprise sur ma taille, posant son nez dans mon cou avant de continuer :

« Ne me ment pas, je sens bien que tu es chaud et que ta plaie te fait souffrir. »

« Ça va je te dis. »

« Viens à côté, que je jette un œil. » Insista-t-il.

« Non, c'est bon. »

« S'il te plait Mahé. »

Son ton suppliant eut raison de moi et je le suivis, à contre-cœur.

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Je sais le chapitre arrive un peu tard aujourd'hui, veuillez m'en excuser.

Avec amour et dévotion,

ParadoxalementParadoxale.

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