Chapitre sans titre 2

          Igniacius regarde autour de lui, et plutôt que de s'abandonner au sommeil, il se met à visiter les parties non verrouillées de la structure. Il tombe sur des salles de classe, qu'il distingue à travers le verre habillant le centre des portes, justement là où le vent s'engouffre.

Il reste de longs instants à regarder ce trou, sans pouvoir rien faire pour corriger cette aberration à ses yeux. Poursuivant son chemin un peu plus loin en longeant le couloir, il tombe sur une salle ouverte, où se trouvent les sanitaires. En remontant au nord il bifurque sur la droite et observe à travers une porte en verre, une cour imposante, dont les pointes acérées juchées au sommet des tiges d'acier défendent quiconque d'entrer... ou de sortir de l'endroit.

Le petit vagabond revient sur ses pas, remonte davantage au nord, et remarque un escalier. Il jette un œil discret, mais décide qu'il l'empruntera plus tard, une fois sa reconnaissance du rez de chaussée opérée. Ainsi il repart vers l'ouest, où sur sa gauche il découvre une salle de laquelle il ne peut rien voir. Sur sa droite, un symbole étrange captive son attention. Il s'arrête, se place droit devant l'objet, et l'examine.

Il s'agit d'une bougie, au sommet d'une tige de fer, et dont l'autre extrémité est une pointe de fer. « Intéressant », se dit-il.
« Je me demande ce que ça symbolise... »
Igniacius essaye de toucher la pièce de fer, mais il est trop petit. Alors, après avoir brièvement enragé, il jette un coup d'œil et remarque qu'au fond du couloir, il y a la porte qu'il a empruntée à son arrivée dans ce lieu. Le jeune observateur mémorise la configuration du rez-de-chaussée, et continue sa route jusqu'à atteindre un second escalier, identique au premier. Toujours sur la gauche, une salle est interdite d'accès, mais des odeurs de nourriture émanent de celle-ci, aussi le petit espion déduit-il immédiatement qu'il s'agit du réfectoire.

          Au sommet de l'escalier, de la lumière irradie le mur. Le petit meurtrier reconnaît la voix du charmant propriétaire des lieux.
« Mais le vieux c'est une vraie chouette ! », pense-t-il non sans une certaine virulence. Sans attendre de tomber sur le gardien à demi assoupi, il retourne aussi rapidement et discrètement que possible à sa paillasse, et fait mine d'être endormi. Après quelques instants, la lumière vient illuminer son corps, et repart presque aussitôt. Igniacius grelotte, maudit son sort, cet endroit, ses géniteurs... mais finit tout de même par gagner un sommeil relatif, agité, confus, mais un sommeil tout de même.

Au petit matin, une voix profonde et rocailleuse réveille le petit. Il ne la reconnaît pas tout de suite, troublé par l'assurance dont le vieillard jouit, si tôt le jour levé.

          « Allez gamin, réveille-toi.

          _ Mais... mais où sont tous les autres ? Vous me disiez qu'il y avait beaucoup d'autres enfants... Est-ce que vous parlez de fantômes ?

          _ Je te trouve bien en forme pour quelqu'un qui a perdu son père.

Igniacius réalise qu'il agit hors des normes du commun des gens. Il se laisse une seconde de réflexion, et répond.

          _ C'est parce que je ne réalise pas encore... _

          _ Hum... Bref un inspecteur de la couronne va passer. Il a quelques questions à te poser, mais pour l'heure je vais de montrer comment ça marche ici. Nous avons des règles strictes, et personne n'est autorisé à les transgresser.

          _ Soit, allez-y, parlez.

          _ Personne n'est autorisé à quitter l'orphelinat plus d'une fois tous les dix jours, soit quatre fois par quaratine. Tu seras averti le moment venu.

          _ Pourquoi ?

          _ Tu n'as pas à poser les questions.

          _ Je...

          _ Ensuite tu dois impérativement prendre part aux tâches quotidiennes. Ce lieu est un endroit qui doit être entretenu.

          _ Vous êtes sérieux ? Vous avez vu l'état du sol ?

          _ Ne me coupe pas la parole ! hurle le vieillard en giflant le gamin.

          _ Vous... Igniacius cligne des yeux, longuement, en se tenant la bouche, avant de plonger son regard droit dans les yeux du régisseur, et d'articuler très lentement. Vous le regretterez.

          _ Je suis mon propre régisseur ici ! Tu es chez moi ! Et tu ne parleras que lorsque tu y seras invité ! Tu n'es qu'un misérable ! Tu n'as pas de famille ! Ton nom ne signifie rien ! Tu ne porte pas la parole du prophète, mais celle de la misère la plus insupportable ! »

          Pas une larme ne se mit à couler des yeux du petit martyrisé. Il resta crispé, les yeux tels que la foudre aurait pu en sortir pour damner le propriétaire de cet enfer aux allures de salut. Mais la scène fut désamorcé par trois coups portés à la très lourde porte.

          « Reste ici, et ne bouge pas. Je n'en ai pas fini avec toi !

Le courroucé régisseur s'en alla voir de quoi il en retournait, et Igniacius prêta l'oreille.

          _ Je ne vous attendais pas si tôt !

          _ Allez-vous m'ouvrir ou rester là à crier votre surprise ?

          _ Certes, juste un instant.

Le vicieux vieillard changea ses manières à la vue de ce représentant d'une autorité bien supérieure à la sienne, même dans sa propre « maison ».

          _ Est-ce qu'il est là ?

          _ Oui, il est levé. Je lui énonçais justement les règles de l'établissement.

          _ A-t-il mangé ?

          _ Non, pas encore.

          _ J'exige que vous le nourrissiez dès que j'en aurai terminé.

          _ Soit, selon votre bon vouloir. »

          Un homme d'apparence très élégante se présenta devant le petit Igniacius. Il portait une très longue veste de cuir noir, ainsi que des lanières couvertes d'or. Une moustache impeccablement entretenue épousait parfaitement l'espace entre le haut de sa bouche et le bas de son nez, comme s'il ne pouvait pas en être autrement, et ses cheveux laqués finissaient de donner une impression étrange à celui qui s'attardait, un instant, sur l'aspect assuré de cet homme de haut rang.

          « Bonjour petit homme. Je suis l'inspecteur Elinan Percy. J'imagine, comme tu es un petit être très intelligent, que tu as déjà deviné la raison de ma présence ici...

          _ C'est... c'est pour mon père n'est-ce pas ? Je... je...

Des larmes abondantes coulent des yeux de l'orphelin.

          _ Effectivement. Sais-tu quoi que ce soit sur les circonstances de l'incendie ?

          _ Non... 

          _ Sais-tu si ton père avait des ennuis avec qui que ce soit ?

          _ Non...

          _ Avais-tu des liens conflictuels avec ton père ?

Igniacius porte sa langue à son palais pour formuler une nouvelle fois sa négation, mais il hésite une seconde.

          _ Non, finit-il pas lâcher.

          _ Hum... tu en es bien sûr ?

          _ Il n'était pas facile à vivre, mais c'était mon père !

          _ Je vois... articule lentement l'inspecteur, désarçonné par la profondeur du regard du petit.

          _ Je l'aimais !

          _ Et que faisais-tu tout seul dehors à une heure aussi tardive ?

          _ Je... je me nettoyais.

          _ Tu te nettoyais ?

          _ On m'a... Je me nettoyais.

          _ On t'a quoi ?

          _ Non, ça n'a pas d'importance.

          _ Il faut que tu sois honnête avec moi si tu veux que je puisse t'aider mon garçon.

          _ Je le suis, mais c'est un élément qui ne vous apporterait rien. Je me nettoyais. J'ai enlevé ma chemise que j'ai posée sur une chaise, malgré la petit vent frais du soir, mais avant de finir j'ai été alerté par des flammes derrière moi.

          _ Hum... je vois... ta chemise a donc brûlé ?

          _ Oui, je le crains.

          _ C'est étrange, parce que je l'ai retrouvée, à côté de la mare...

          _ Ah bon ? Peut-être que je l'ai retirée près de la mare. Je suis désolé, tout est très confus... j'ai perdu mon père par les divins !

Igniacius est désarçonné par l'adresse de l'inspecteur. C'est un homme qui voit au delà des apparences, un adversaire bien plus difficile à manipuler que quiconque.

          _ Je vois... répète-t-il, non sans faire naître une once d'agacement dans les traits du petit acteur.

          _ Monsieur je meurs de faim. On a fini ?

          _ Pour le moment oui. Je reviendrai vers toi si j'en apprends plus. déclare-t-il, avec un sourire convaincant. »

          « Vous allez nourrir le petit immédiatement », impose l'inspecteur avant de prendre congé. Le vieux régisseur raccompagne son prestigieux visiteur à l'entrée, le salue, et adresse un regard enragé à l'orphelin. Il s'avance, toujours en fixant d'un air agacé ce qu'il considérait comme un trop grand fardeau, et lui fait signe de le suivre. Ensuite il déverrouille l'accès au réfectoire, attrape des céréales qu'il remplit dans un bol.
« On a pas de lait ici », explique-t-il avant de disparaître en direction des étages.
« C'est vraiment un asile de fou ici, et ce détective, il va être une véritable épine à mon pied... Il faut que je réfléchisse, que j'élabore un plan... alors seulement je partirai d'ici. » 

          Un groupe d'une dizaine d'enfants rejoint Igniacius, et le trouble dans sa réflexion. Ils prennent de quoi manger à leur tour, sans faire attention au nouvel arrivant, et se versent du lait.

          « Mais... il m'a dit qu'il n'y avait pas de lait !

          _ Qui ça ? Le vieux Clédo ? C'est une teigne, t'inquiète pas. explique l'un des membres.

          _ C'est qu'un vieux rabougri qui n'aime personne. précise une autre.

          _ Comment vous vous appelez ?

          _ Moi c'est Alto.

          _ Et moi c'est Serana.

          _ Je suis Igniacius.

          _ Enchantée Igniacius.

          _ Moi de même. Mais dis-nous... pourquoi t'es là ?

          _ Ma ferme a pris feu... et mon père a brûlé avec elle.

          _ Tu n'as pas d'autre famille ?

          _ Ma mère s'est suicidée, et je n'ai ni oncle ni tante, ni même grands-parents.

          _ Arrêtez de dire du mal du maître ! s'offusque un autre.

          _ Et toi, qui tu es ? T'es vachement grand pour ton âge !

          _ Oui, c'est ce que mon nom veut dire il paraît. Je suis Magnus.

          _ Nous ne parlons pas en mal du maître, tu dois toi aussi reconnaître que parfois il est injuste...

          _ Non Alto, je ne reconnais rien du tout. Le maître est bon avec nous, alors on ne doit pas lui manquer de respect.

          _ Vous savez bien qu'il déteste qu'on dise du mal du vieux Clédo. On ne peut rien en tirer de toutes façons, il finit toujours pas tout balancer au vieux. déclare une autre fille.

          _ Et qui es-tu toi ?

          _ Aucune importance, je ne compte pas m'éterniser ici. »

          Igniacius resta un moment à regarder cette fille, au caractère bien affirmé de ce qu'il vient d'en entendre, avant d'évaluer chacun des individus devant lui. Certains n'ont pas pris la parole, préférant manger en silence, rester distants de cette histoire. Il évalue ceux de qui il devra se méfier et ceux en qui il pourra avoir une confiance relative.

Tous les enfants se mettent à nettoyer le lieu après leur passage. Certains font la vaisselle, d'autres passent le balais, et d'autres enfin débarrassent la table. Au bout d'un moment, le vieux Clédo revient, et prend la parole :

          « Combien de fois par jour doit-on exécuter les tâches ménagères ?

          _ En tout temps ! Répondent les enfants.

          _ Combien de fois par quaratine peut-on aller librement dans les rues ?

          _ Une seule fois ! Hurlent de nouveau les pensionnaires.

          _ Que dois-je faire s'il y a le moindre problème ?

          _ Venir en parler au régisseur.

          _ Très bien... et qui est le régisseur ?

          _ C'est vous, Monseigneur Clédo !

          _ Pourquoi doit-on toujours respecter les tâches ménagères ?

          _ Parce qu'elles reflètent ce que nous sommes !

          _ Et pourquoi est-il important de bien étudier quand les précepteurs viennent faire la leçon ?

          _ Car un enfant bien éduqué trouvera plus facilement une famille qui voudra de lui ! »

          A cette dernière affirmation le regard d'Igniacius change. Il regarde le maître des lieux, les enfants, puis ses yeux s'agitent sans trouver de point sur lequel s'apaiser.
« Là voilà ma solution ! » pense-t-il.

          « Je vous présente Igniacius Sella. C'est un enfant qui a perdu sa famille, tout comme vous. Je compte sur vous pour lui montrer nos... manières... comme il se doit.

          _ Maître Clédo ! s'empresse de lancer Magnus.

          _ Qui a-t-il ? Igniacius lance un regard si noir et si profond au garçon de son âge que celui-ci se ravise presque instantanément.

          _ Allons, j'attends Magnus, qui a-t-il ?

          _ Nous... manquons de céréales maître Clédo, peut-être devriez-vous envoyer quelqu'un refaire les stocks.

          _ J'y penserai, merci Magnus. Alto ! Serana ! Montrez au nouveau sa nouvelle chambre, ainsi que le déroulement d'une journée classique.

          _ Oui maître Clédo !

          _ Bien maître Clédo ! »

          Clédo Kaliste se retire, et prend la direction de la sortie. Igniacius suit ses deux nouveaux amis, en empruntant l'escalier à l'extrémité ouest de l'orphelinat. Ils n'échangent pas un mot, mais le petit meurtrier ne reste pas passif pour autant.
Il observe tous les détails, mémorise chaque couloir emprunté, chaque chambre et qui y sommeille, quand Alto et Serana lui font l'énumération des occupants. Alors cette dernière brise le silence :

          « J'en reviens pas !

          _ De quoi ?

          _ Tu as fait fermé sa grande gueule à Magnus !

          _ Et alors ?

          _ Et alors c'est jamais arrivé avec personne avant toi. explique Alto.

          _ Je comprends pas...

          _ Tu sais ça fait des années qu'on attend ici que quelqu'un vienne. Des fois ça arrive, mais c'est très rare qu'une famille reparte avec l'un d'entre nous.

          _ Le vieux dit que c'est parce qu'on est « pas assez éduqués », et du coup on se prend généralement une rouste parce que ses cotas sont mauvais.

          _ Ses cotas ?

          _ Oui... tu sais c'est pas le seul orphelinat de l'île. De ce que j'ai compris, c'est un milieu très fermé, et les familles les plus fortunées de l'île se réfèrent à des cotas que les maîtres d'établissement doivent tenir exacts.

          _ Mais ils peuvent tricher...

          _ Oh non... ils ne peuvent pas. Il y a des inspecteurs qui y veillent.

          _ J'ai rencontré l'un d'eux oui... ça explique pourquoi il avait l'air si sévère...

          _ Tu as vu un inspecteur ?

          _ Mais quand ça ?

          _ Ce matin, quand tout le monde dormait.

          _ Tu sais pour quoi il venait ?

          _ Pour moi.

          _ Pour toi ?

          _ Oui, en rapport avec mon père...

          _ Mais... _ Je ne veux pas en parler pour le moment.

          _ On comprend... Quelques instants passent, et les trois compères semblent réfléchir chacun de leur côté. Igniacius rompt le silence à son tour.

          _ Vous voulez partir d'ici ou pas ?

          _ Mais tout le monde n'a qu'une idée en tête Igni. Je peux t'appeler comme ça ? Je trouve que c'est plus cool et plus mignon...

          _ Bien sûr... Sera... Igniacius n'était pas prêt à recevoir la moindre affection de la part de quiconque, ce qui explique son malaise.

          _ Bon comme je le disais, personne n'est content de sa vie entre ces murs. Tu as vu les grilles ? Tu as vu les pointes qui gardent l'entrée ou la sortie du bâtiment ?

          _ J'ai vu ça oui.

          _ Personnellement je préfère une vie que je connais et que je maîtrise à une vie faite d'inconnus et de mystères... tempère Alto.

          _ Mais on a déjà dix ans Alto ! Tu crois qu'on va faire notre vie ici ? Quand on va arriver à seize... on sera mis dehors pour travailler... ou mendier !

          _ J'ai besoin de vous.

          _ Pour quoi faire ?

          _ J'ai un plan pour nous faire sortir d'ici. Ce sera long, ce sera dur, mais je vous promets qu'on sortira d'ici.

          _ Très bien... mais tu attends quoi de nous.

          _ Je vais faire en sorte que le vieux remplisse ses cotas. On va faire de cette endroit le mot que tous ces richous auront à la bouche dès qu'ils voudront parler d'adoptions.

          _ Et donc ?

          _ Et donc j'aurai besoin de vous pour convaincre les autres de faire tout ce que je leur demanderai...

          _ Je n'aime pas le ton que tu prends tout d'un coup.

          _ J'aurais peut-être besoin de vous pour autre chose aussi... de plus personnel... une vengeance...

          _ Tu en demandes beaucoup Igni... tu débarques à peine et tu promets monts et merveilles...

          _ Je débarque à peine et tu me donnes déjà un surnom. Croyez-moi je ne suis pas si ouvert à la discussion d'habitude, alors estimez-vous heureux. Sachez aussi que je ne promets jamais rien que je ne tiendrai pas. »

          Les deux enfants les plus vieux se regardent, un mélange de surprise, d'excitation mais aussi de crainte derrière les yeux. Finalement, ils acquiescent, d'un mouvement franc de la tête. Après tout, de quoi pouvait donc être capable ce petit être ? Celui-là même qui avait fait taire le grand Magnus d'un simple petit regard...

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