PROLOGUE - SYREL ET LOMION
Une petite voix tremblait dans le silence. Syrel, deuxième fille du roi Agor et de la reine Éyana, pleurait. Sa tête d'enfant enfouie sous les draps, elle gémissait faiblement lorsqu'un oiseau traversa la pièce en huissant.
Timidement, la fillette souleva le drap afin d'apercevoir l'âme sœur qui venait d'entrer dans sa chambre.
— Ah ! Lómi ! s'écria-t-elle en reconnaissant son faucon pèlerin. Tu es là !
L'enfant se jeta aussitôt au cou du rapace qui s'était posé sur son lit. Tandis qu'elle l'enlaçait, les longues plumes bleutées de l'oiseau lui chatouillaient le visage. Lómion se serra plus encore contre le cœur de son Oiselière et leur étreinte réveilla le puissant lien qui unissait leurs âmes...
Alors, Lómion pensa : « Je suis là ! Tout va bien ! Ne pleure plus... » et Syrel entendit : « Je suis là ! Tout va bien ! Ne pleure plus... »
Syrel et Lómion étaient reliés l'un à l'autre. Ils ne formaient qu'un. Tel était le pouvoir des Oiseliers et de leurs oiseaux de magie.
— Je suis triste ! déclara la petite fille entre deux sanglots. Maman ne m'aime pas !
Le faucon caressa doucement l'épaule de la princesse d'une de ses ailes.
— Mais non ! Que dis-tu ? Pourquoi est-ce qu'elle ne t'aimerait pas ?
— Elle a dit des choses si méchantes...
— Lesquelles ?
— Que... Que Kétari, à mon âge, elle parlait déjà avec son âme sœur à distance... Et que moi non... Que je ne savais rien faire de mes pouvoirs... Elle préfère ma sœur, j'en suis sûre !
— Elle était peut-être contrariée par autre chose ? proposa-t-il pour la consoler.
— Non ! Maman me déteste ! Je dois absolument réussir à t'entendre sans te toucher, sinon elle ne m'aimera jamais ! se lamenta la fillette.
— D'accord ! Nous allons le faire. Maintenant, calme-toi, s'il te plaît.
Lómion était né le même jour que son Oiselière, mais l'esprit des âmes sœurs se forgeait dès leur apparition et seule leur magie grandissait au fil des ans. Ainsi, le faucon veillait sur la petite princesse depuis déjà presque sept ans, même s'il n'avait pas encore atteint sa taille définitive.
— Ne t'en fais pas, nous allons nous entraîner et parvenir à nous lier sans contact. Et ensuite nous irons montrer à ta mère que nous sommes aussi forts que Kétari, d'accord ?
Syrel s'essuya le nez d'un revers de manche en reniflant et acquiesça d'un léger mouvement de tête. Elle voulait réussir aussi bien que sa grande sœur, Kétari.
Et plus que tout, elle voulait gagner l'affection de sa mère...
— Si on allait voir Maître Toras ?
— Je crois qu'on n'a pas le droit... et il me fait un peu peur à moi, protesta l'enfant.
— C'est le seul qui pourrait nous aider. Suis-moi !
Syrel fit une moue dubitative. Quand elle s'élança à son tour vers les couloirs du château, Lómion était déjà loin. Le faucon pèlerin volait, ses ailes bleu-gris déployées avec majesté. Derrière lui, Syrel courait, ses bras étendus de chaque côté pour imiter son ami. Parfois, la petite fille regrettait de ne pas être un oiseau de magie comme son âme sœur. Mais, dans ce cas, elle aurait eu un Oiselier et n'aurait plus été liée à Lómion...
Et cela était impensable ! Jamais Syrel ne pourrait exister sans lui. Jamais.
Alors qu'ils longeaient l'aile ouest du palais, les gardes du roi restaient parfaitement immobiles. En les observant, la fillette songea qu'ils ne devaient pas beaucoup s'amuser. Ni eux ni leur âme sœur postée sur leur épaule aussi imperturbable que des statues. Elle se demandait aussi à quoi servaient ces sentinelles puisque rien ne les menaçait...
La princesse faisait toujours semblant de voler en poussant des petits cris de rapace. Sa chevelure d'or et de feu flottait dans son dos.
En chemin, l'Oiselière s'arrêta brusquement devant une fenêtre. Depuis les hauteurs de la tour du palais, elle embrassa d'un regard la cité d'Alahan en contrebas. Elle admira les nids immenses qui dormaient sur les toits lointains et tous les volatiles qui surplombaient la ville semblable à un nuage sombre. Comme son âme sœur s'impatientait, Syrel dut quitter le promontoire et se remettre en route. Cependant, dès qu'ils passèrent devant les cuisines, l'odeur du repas à venir fit ralentir à nouveau la fillette. Elle aurait bien aimé se faufiler entre les plats pour dérober un morceau de dessert.
Cette fois, le faucon ne la laissa pas faire : il attrapa les pans de sa robe bouffante dans ses serres et la tira dans la bonne direction.
— S'il te plait, Lómi ! Rien qu'un petit bout de gâteau ! Sois gentil !
Le rapace refusa. Malgré ses protestations, Syrel fut contrainte de le suivre hors du château où ils traversèrent la cour et rejoignirent les appartements du Maître Lieur.
C'était lui qui apprenait aux jeunes Oiseliers à maîtriser leur lien de magie avec leur âme sœur. Autrefois, il avait fait partie des Ailes du roi et avait combattu aux côtés des Lames. Sur les champs de bataille, les premiers utilisaient les pouvoirs de leur oiseau quand les seconds se servaient de leurs armes. À la mort de l'ancien Maître Lieur, Toras avait été choisi pour lui succéder.
Syrel toqua doucement. Sa petite main tremblait un peu. Elle n'avait pas vraiment le droit d'être là.
Soudain, une tête apparut dans l'entrebâillement de la porte en chêne.
— Oui ?
La voix rauque qui s'échappa de l'intérieur de la grande demeure la fit frissonner. Syrel regrettait d'être venue. Pourquoi son faucon avait-il eu cette idée stupide ?
L'homme à la mine sévère qui avait ouvert fixait un visage invisible devant lui. Après quelques instants, les sourcils entortillés de Toras se froncèrent en même temps que ses yeux descendirent jusqu'à la petite fille et son oiseau.
— Princesse Syrel ? Mais que faites-vous là, par Tauron ? s'exclama-t-il avec étonnement.
Le faucon pèlerin, posé sur l'épaulière en cuir de Syrel, observa le Maître Lieur d'un œil puis de l'autre.
— Je... Enfin... je suis là pour que vous m'aidiez à parler avec Lómion.
— Comment ?
Toras secoua vivement la tête. Sa longue barbe argentée trembla en rythme.
— Non ! C'est impossible. Je n'ai pas le droit de vous aider à établir un lien de pensée permanent avec votre âme soeur, princesse. Je n'enseigne les arcanes de la magie qu'aux Oiseliers ne faisant déjà qu'un avec leur oiseau.
— Mais j'ai besoin de vous ! gémit Syrel. Si je n'arrive pas à communiquer avec Lómi, maman ne m'aimera jamais... Kétari, elle, y est parvenue avant ses sept ans... Et je vais bientôt avoir sept ans...
Le vieux Toras lissa sa barbe à plusieurs reprises en détaillant la fillette sous tous les angles.
— Bien... Bien... grommela-t-il. Entrez.
— Bravo ! souffla Lómion.
L'enfant se précipita à l'intérieur. Elle fut alors surprise de découvrir une pièce envahie de plumes de mille et une couleurs. La bouche ouverte, la princesse laissa son regard voyager de plume en plume.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Ce sont toutes les plumes des Oiseliers que j'ai tu... enfin vaincus... bredouilla le Maître Lieur mal à l'aise.
Syrel le dévisagea avec horreur. Des images épouvantables défilèrent devant ses yeux tandis qu'elle songeait au poids des paroles du Maître Lieur.
— Des Oiseliers ennemis, bien sûr... Des traîtres bannis dans les montagnes d'Ezra, se reprit Toras.
— Il en a de la ressource, le vieux ! commenta Lómion pour distraire Syrel.
Heureusement, Toras ne pouvait pas entendre ce qu'une âme sœur murmurait à l'esprit de son Oiselier.
Malheureusement, Lómion n'avait pas remarqué la présence d'Anline, l'imposante chouette perchée en haut d'une armoire...
Et les paroles silencieuses du rapace ne lui avaient manifestement pas échappé, car elle ne tarda pas à rejoindre l'épaule de son maître d'un preste battement d'ailes et à tourner son énorme tête vers lui en hululant. Syrel et Lómion échangèrent un bref regard complice : ils imaginaient sans peine le contenu de cet échange muet entre Anline et Toras.
Le Maître Lieur souffla bruyamment et la petite fille crut un instant que sa chouette cendrée allait les chasser à coups de serres, mais il n'en fut rien. Le vieil homme se contenta de déclarer d'un ton calme :
— Princesse, si vous désirez communiquer avec votre oiseau sans que vous n'ayez à vous toucher, vous devez parvenir à sentir le lien de plumes qui vous unit. Les âmes sœurs et leurs Oiseliers naissent ensemble et ne forment qu'un grâce aux plumes jumelles qui les relient. Ces deux plumes de magie vous rendent inséparables, vous et votre faucon. Quand vous êtes en contact, vos plumes jumelles se touchent, ce qui crée une connexion entre vos esprits. Pour reproduire cette même alchimie à distance, vous devez visualiser la plume jumelle que porte Lómion et sentir celle qui vibre en vous. De son côté, votre oiseau doit faire de même. Ensuite, vous devez ériger ensemble un fil de magie entre vos plumes. Est-ce que vous comprenez ?
Le regard pesant de Toras la scrutait. Syrel se sentit rougir et murmura :
— Je crois.
— Alors essayez. Mais n'oubliez pas : Lómion est l'expression vivante de votre magie. Il fait partie de vous. Vous n'êtes jamais réellement séparés.
La princesse acquiesça alors que son compagnon s'élançait déjà dans la chambre. Il se posa sur l'armoire où Anline trônait quelques battements d'ailes plus tôt.
Ils tentèrent alors de suivre les conseils du Maître Lieur : Syrel chercha à percevoir la plume jumelle dissimulée dans le corps de son âme sœur et Lómion chercha à distinguer la plume jumelle enfermée dans le corps de son Oiselière... Sans y parvenir. Les plumes qui les unissaient pour la vie restaient invisibles.
Loin l'un de l'autre, le faucon et la petite fille ne pouvaient plus mélanger leur esprit. Chacun se retrouvait seul.
Toras et sa chouette cendrée les observaient, silencieux. Il était difficile de dire qui de l'Oiselier ou de son âme sœur était le plus impatient d'en finir. Finalement, le vieil homme trancha :
— Il y avait peu de chance pour que vous réussissiez. La symbiose entre Oiselier et âme sœur ne s'apprend pas, elle vient naturellement, ou ne vient pas...
— S'il vous plaît ! le supplia encore la fillette. Ne m'abandonnez pas ! Je dois y arriver !
Lómion rejoignit la princesse en quelques battements d'ailes. Dès qu'il se posa sur son épaulière, elle entendit à nouveau sa voix au creux de son esprit :
— Ce n'est pas grave, nous pouvons encore nous entraîner seuls ! Il nous reste du temps avant tes sept ans.
— Je ne peux rien faire, reprit Toras. Même si vous avez un faucon pèlerin comme oiseau de magie, ce n'est pas une âme sœur aussi puissante que...
— L'aigle harpie de ma sœur... lâcha-t-elle d'un ton mauvais.
— Oui. Vous ne serez jamais aussi douée que Kétari pour la maîtrise des plumes. L'aigle harpie est le rapace des monarques. Comme Uralos pour Sa Majesté Agor. Vous ne pouvez rien faire si votre sœur a hérité de ce même pouvoir et pas vous...
Dans un élan de rage, la princesse fit volte-face et quitta les appartements du Maître Lieur. Son faucon pèlerin se jeta aussitôt à sa poursuite, impuissant. Syrel ne pouvait pas l'entendre...
Toras, lui, n'essaya pas de la retenir ni de la suivre. Il se contenta de fermer la porte.
La petite fille courait sans avoir de direction et chacune de ses pensées augmentait sa fureur.
Jamais elle ne serait aussi belle et forte que Kétari. Jamais elle n'arriverait à sa hauteur. Et jamais sa mère ne l'aimerait...
Lómion n'était pas un aigle harpie, lui.
Alors Syrel ne serait jamais reine d'Avéria.
Elle ne serait rien de plus que la deuxième fille du roi Agor et de la reine Éyana. Rien de plus que la fille mal aimée...
Syrel s'était arrêté et pleurait.
Doucement, Lómion vint se blottir contre elle. La fillette l'enlaça et serra entre ses petites paumes d'enfant les longues plumes bleu nuit du faucon pèlerin.
Les longues plumes de magie de son âme soeur...
Aussitôt, l'oiseau au plumage sombre s'embrasa, ses pennes incandescentes se détachèrent de ses ailes et tombèrent sur le sol comme des flèches de feu. En un instant, l'incendie dévora toute la prairie et gagna la bâtisse la plus proche. Les flammes en colère recouvrirent d'or tous les jardins du palais.
Seul un petit cercle d'herbe fut épargné par les braises, avec en son cœur Syrel et Lómion.
Le Maître Lieur Toras le leur avait dit : les âmes sœurs étaient l'expression vivante de la magie des Oiseliers.
Et Syrel avait décidé de laisser sa douleur se répandre sur le monde ; alors Lómion lui avait prêté ses plumes...
La vie du faucon pèlerin était vouée à celle de la princesse.
Sa magie était sienne.
Pour toujours...
Soudain, une voix déchira le terrible incendie :
— Par Tauron, c'est impossible ! Brigal, va prévenir les sentinelles du palais !
Le geai bleu s'enfuit en direction du palais tandis que les pas rapides de l'adolescent se dirigeaient déjà vers Syrel, sans toutefois pouvoir franchir le lit de flammes.
Bientôt, Oiseliers et âmes sœurs entourèrent avec effroi la mer incandescente qu'avait allumée la colère de la princesse. Les oiseaux, aigles harpies, hérons cendrés, faucons, grands-ducs, éperviers, givres, étourneaux, merles, moineaux et mésanges, se précipitèrent pour éteindre le feu destructeur.
Ainsi, le roi et la reine retrouvèrent le corps de leur enfant et de son faucon étendus au cœur des cendres de l'incendie, inconscients.
Pourtant, le souverain Agor arborait une mine sinistre, et l'homme à ses côtés plus encore. Drénal était la Première Aile du roi et son plus vieil ami. La demeure qui avait brûlé était la sienne...
Alors que le monarque prenait Syrel dans ses bras, Drénal courut vers son foyer. Quand il en ressortit, son visage était blême. Dans sa main, il tenait une plume : la plume jumelle de sa femme Malénis.
— Elle est... morte...
Drénal s'effondra sur le sol, ses doigts serrant avec force la plume de cigogne appartenant à sa bien-aimée. Puis, un cri inhumain s'échappa de sa gorge.
Les âmes sœurs aux alentours s'envolèrent.
— Je suis tellement désolé... murmura le roi en s'approchant de l'Oiselier frappé par le deuil.
Agor était effondré. Il avait grandi avec Drénal et l'aimait comme un frère.
Quelques jours plus tôt, Malénis et son âme sœur étaient revenus blessés d'un affrontement contre les Oiseliers des montagnes. Affaiblie, elle n'avait pas pu se sauver des flammes. Quant à sa cigogne, elle avait perdu tout son plumage et sa magie... Elle se trouvait avec ses semblables, dans un nid de la volière, loin de son Oiselière...
D'une main tremblante, le roi voulut serrer l'épaule de son ami, mais Drénal se déroba et se redressa brutalement.
— C'est elle la responsable ! cracha-t-il en désignant Syrel du doigt. Elle a tué ma femme !
— Calme-toi, mon ami. C'est un accident. Un terrible accident... mais Syrel ne peut pas être tenu responsable à son âge.
— Ma femme est morte, Agor ! Tu m'entends, elle est morte ! Si tu es bien le roi que tu prétends être, alors applique la loi et punis-la !
Les propos de Drénal durcirent le cœur du souverain.
— Il est hors de question que je bannisse ma fille. Le chagrin t'aveugle ! Ce n'est qu'une enfant.
Drénal le défiait du regard quand la reine Éyana intervint d'une voix affolée :
— Et ta fille ? Où est-elle ? Où est Méra ?
— Elle jouait dans les jardins, bredouilla l'adolescent qui avait découvert l'incendie, des larmes dans les yeux.
Aussitôt, la Première Aile se précipita à la recherche de sa fille qu'il ne pouvait pas croire morte, elle aussi, prisonnière des flammes...
Le roi posa son regard sur Syrel et soupira.
Jamais elle ne devrait savoir qu'elle avait causé la mort de Malénis et de Méra...
***
Coucou les amis !
Suite à plusieurs retours qui reprochaient à notre histoire de démarrer un peu trop vite dans l'action, sans laisser le temps de bien cerner les personnages et notre univers, Elodie et moi avons décidé de rajouter ce prologue avant le chapitre 1 !
On attend avec impatience votre avis ! Est-ce qu'il vous plait ? Est-ce que vous trouvez l'entrée dans notre univers plus facile avec cet ajout ? Est-ce que vous accrochez aux personnages ? Est-ce que ce qui se passe dans ce prologue vous intrigue et vous intéresse ? On veut tout savoir comme on l'a écrit spécialement suite à vos commentaires et ressentis ! Donc 100% grâce à vous, merci mille fois ! <3
Nous allons également très légèrement modifier notre chapitre 1 pour adoucir l'entrée dans l'action...
On espère que ces changements vous plairont et vous ferons aimer notre histoire encore plus !
A très vite !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top