Partie unique

Jimin, je m'apprête enfin à donner ce soir mon tout premier concert.

Ce concert fait partie d'une des choses que tu avais toujours souhaité pour moi et je t'en suis tellement reconnaissant.
C'est grâce à toi et ta bienveillance que je suis arrivé jusqu'ici.

Mon corps s'anime sous l'effet néfaste de mon stress au fur et à mesure que le temps s'écoule.

Quel heure est-il ? Je ne sais plus trop.

L'audience que j'aperçois assise plus loin sur les sièges en velours rouge de la salle m'effraie un peu.
J'aurais grandement besoin d'être apaisé sauf que je me retrouve affreusement seul face à l'inconnu.

Le bonheur est parfois caché dans l'inconnu.
Quoi qu'on puisse en dire, je n'en douterais jamais.
Tu l'as été, cet étranger.

Vu mon état de panique intempestif, mes musiciens ont tenté maintes et maintes fois de me rassurer mais je dois dire que leurs techniques ne fonctionnent pas très bien sur moi.

J'ai beau être le chef d'orchestre de cette joyeuse compagnie, je ne peux m'empêcher de ressentir cette étrange impression de n'avoir le contrôle sur rien.
Ça me tétanise.

Et pourtant, tout doit être parfait.
Je ne peux pas me permettre un seul faux pas.

Le spectacle va débuter dans quelques petites minutes.

Toi qui connaît assez bien mon niveau d'anxiété, tu peux facilement imaginer l'état dans lequel je me trouve aujourd'hui.
Mes jambes n'arrêtent pas de trembler.

J'ai peur Jimin.

Mon inquiétude ne cesse de d'augmenter.
Je sais très bien que je ne dois décevoir personne.
Surtout pas toi.

Ce concert va être une réussite.
Je le sens.
Dans mes tripes, mon coeur, c'est brûlant et renversant.

Ça ne peut que bien se dérouler de toute manière.

Alors pour relâcher la pression, je pense à toi, à nous.

Je me rappelle de cette matinée brumeuse de juin où tout a commencé.
Tu sifflotais une douce mélodie connue, assis sur le vieux tas de ferrailles qui te servait de vélo.
Moi, je ne faisais pas attention où je mettais les pieds et je t'ai barré la route.
L'inattention est l'un de mes nombreux défaut où j'ai toujours brillamment excellé.
Que j'ai ri de te voir tomber à la renverse sous l'effet de surprise !
Je gloussais comme une gamine de 14 ans.

J'avais bien vu que tu n'étais pas blessé, Jimin...

- "Non ce n'est pas possible ! Tu as réduit mon bébé en bouillie !"
- "Oh, ça va... Il était vieux et abîmé de toute façon. Je vais t'acheter un nouveau vélo et on en reparlera plus."

Bougonnant, tu avais poliment accepté mon offre, tout en oubliant pas de me remercier.
Tu m'avais fait part de tes petites exigences dont une qui m'a particulièrement marquée : tu mourrais d'envie d'avoir un nouveau vélo blanc. 

J'avais sans doute dû me moquer de toi pour cette directive si ridicule au premier abord, mais je l'ai quand même acceptée.

Parce qu'au fond avec ta gueule d'ange, je n'aurais jamais rien pu te refuser.

Alors que tout était si beau, un hic important de ma vie dont j'avais presque réussi à oublier l'existence en te regardant s'imposa à moi.

Je n'ai pas su te l'acheter, cette putain de connerie.

J'ai seulement pu te prendre le moins cher disponible en magasin. Un bleu électrique.
Le seule bolide que j'avais suffisamment les moyens de t'offrir.

Tu n'as pas bronché et je jurais de t'en offrir un plus décent un jour ou l'autre.
Tu m'as souri et nous n'avons pas voulu nous quitter tout de suite.

Je ne suis que neige au soleil devant un tel sourire.

Mes problèmes d'argents, ma solitude, mon rêve un peu fou de devenir un chef d'orchestre connu du monde entier, mes envies de gueuler sur cette société qui n'acceptait pas l'homosexualité ; tu avais tout appris de mon caractère et de mes projets autour d'un chocolat chaud bien mérité tant ce froid inhabituel pour un mois de juin nous frigorifiait.
J'espérais que ta tasse de chocolat fumante ne se finisse jamais et que tu sois obligé de rester avec moi pour l'éternité. 

J'ai moi-même appris à connaître la formidable personne que tu es.

Nous avons longuement discuté de ton engagement vis-à-vis de l'écologie. Bien sûr, tu n'avais pas l'impression de changer quelque chose à l'avenir, mais tu n'avais pas l'intention de baisser les bras. Si chacun de nous commençait par de petits gestes quotidiens, nous ferions déjà un grand pas.
C'est pour cela que tu ne lâchais jamais ton vélo selon tes dires.

Tu m'as aussi encouragé à poursuivre mes rêves. Rien n'est fou selon toi. Tout est réalisable. 

- "Tu sais Hoseok, tout peut arriver à n'importe quel moment. On ne sait pas ce que la vie nous réserve."

Ce jour-là, je me suis pris l'une des plus grosses claques de ma vie.
J'ai eu conscience que je me bloquais moi-même dans l'avancement de mes propres rêves et objectifs.
Je m'imposais des barrières invisibles qui n'avaient pas lieu d'être.

Grâce à toi, je me suis rendu compte de tant de choses.

Et les barrières sont devenues lumières.

En ce qui concerne l'homosexualité, tu me comprenais totalement.
J'ai su ensuite que tu étais dans la même situation que moi.
Tu avais été harcelé, frappé et insulté de toute part, mais tu n'avais jamais abandonné. Personne ne pouvait changer qui tu étais.

Bon sang, ce que j'étais soulagé de te voir si heureux après tout ce que tu avais été forcé de subir.

J'avais l'envie folle de te serrer dans mes bras. Bien que nous ne nous connaissions seulement que depuis quelques heures, je me suis lancé et tu n'as rien dit. Tu ne m'as pas repoussé.
Tu t'es contenté de serrer derrière moi tes petites mains fragiles, presque gêné par mon geste se voulant affectueux.

Mon cœur et mon corps ont implosé.
Tes légers soupirs d'extase m'ont fait chavirer.
Il me semble que tu grelottais et que mes deux bras qui se voulaient protecteurs pour te réchauffer te firent du bien.

Tu ne voulais pas que je te lâche.
Et moi non plus d'ailleurs.

Nous sommes encore restés collés quelque temps.
Cinq, dix ou vingt minutes ? Mes souvenirs me font parfois défaut.

Ensemble, nous débutions l'écriture d'une symphonie qui allait, inconsciemment et doucement, nous prendre aux tripes.
Celle d'un amour naissant, d'un sentiment nouveau.

Au départ, nous ne nous voyions pas très souvent et j'en souffrais beaucoup. La mélodie exaltée que mon cœur me jouait en ta présence s'affaiblissait petit à petit. Tu étais très pris par ton travail et tu m'avais promis que nous nous reverrions prochainement.

Jimin, quand tu n'es pas là, je sens notre symphonie me filer entre les doigts.

Ta présence m'était devenue indispensable et je pense que la mienne t'étais aussi vitale.

Dès que nous en avions eu l'occasion, nous nous sommes revus.

Au fil du temps, nous sommes tombés follement amoureux l'un de l'autre.

Nous étions comme des adolescents en rébellion.
Nous donnions corps et âmes pour des causes qui étaient presque impossible à combattre. Les prémices de notre amour furent passionnées et torturées.
Peut-être que tout cela était un peu précipité, mais nous ne nous quittions jamais.

Ensemble, nous aimions.
Ensemble, nous pleurions.
Nous n'étions qu'à deux dans notre bulle confortable de bonheur et rien ne pouvait nous atteindre.

Le temps passait, s'évaporait, se condensait à travers l'ambre de tes yeux.




Il y eut un soir où je trouvais le temps plus long que d'habitude en t'attendant revenir du boulot.

Ça ne te ressemblait pas.

D'abord, j'ai pensé que tu avais sans doute beaucoup plus de travail à terminer que d'habitude.
J'ai voulu entamer la préparation du dîner que je nous concoctais patiemment dans notre nid d'amour.

Tu ne revenais pas.

Mon cœur s'affolait. Il produisait une mélodie stridente qui ne me plaisait pas du tout.
Je m'inquiétais terriblement et décidait de t'appeler pour prendre de tes nouvelles.

La sonnerie de ton téléphone ne s'arrêtait pas, laissant à mes oreilles ce son répétitif qui me terrifie encore aujourd'hui.

Lorsque j'ai aperçu par la fenêtre quelques dizaines de minutes plus tard des sirènes de police tournoyer rapidement devant notre chez nous, mon cœur s'est subitement arrêté.
Je n'ai eu besoin de rien d'autre pour comprendre ce qu'il venait de se produire.



Un accident de la route.



Tu es parti comme ça, sans avoir l'occasion de dire au revoir.
On t'a ôté cette chose précieuse qu'était la vie que tu devais mener encore pendant de nombreuses années.

Nous avions l'avenir devant nous et nous touchions nos rêves du bout des doigts.
Le destin tragique ne t'a pas laissé profiter de cette chance.

J'aurais tellement espéré me marier et finir mes vieux jours en ta compagnie.

Je n'ai même pas pu voir ton paisible visage endormi.
On me l'a interdit.
Je voulais cueillir tes lèvres au moins une dernière fois.
C'était impossible.

J'ai eu du mal à m'en remettre. Je devais faire mon deuil. J'en avais horriblement besoin.

Un matin de novembre, je me suis mis en tête de repeindre ton vieux vélo en blanc.

J'ai roulé avec jusqu'à l'endroit exact où tu m'avais quitté quelques mois auparavant et je l'ai accroché sur un piquet avoisinant.

De cette façon, personne ne pourrait t'oublier.


Aujourd'hui, je lutte encore contre ce douloureux souvenir, mais je ne peux l'oublier.
T'effacer de ma mémoire est tout simplement impossible.

Au fil des mois, je me suis adouci. J'ai tenté de reprendre la vie en main pour toi, pour moi.

J'ai souvent craint que notre symphonie ne disparaisse à tout jamais, maintenant que tu n'étais plus avec moi.
Je ne devais pas l'égarer comme je t'avais perdu toi.
Quand la vieillesse me ferait oublier certains des instants merveilleux à tes côtés, je voulais me souvenir de ta présence à tout jamais.

J'ai décidé de retranscrire cette symphonie dont nous avions débuté l'écriture ensemble.
Cette partition de la vie, de notre quotidien ensemble et de l'amour que j'ai ressenti chaque jour de mon existence à tes côtés.
Je l'ai achevée seul pour que cette mélodie n'obtienne pas cette fin abrupte à laquelle elle avait été destinée.
Cet enchaînement qui tisse mes moments de joie, de peine, de colère et de solitude, fera renaître la vie dans les cœurs trop écorchés. Du moins, je l'espère.
À l'intérieur de ce doux mélange te représentant si bien, j'ai semé des milliers de baisers destinés aux espoirs et ambitions que nous avions partagés.
J'ai tenté de me mettre complètement à nu, mais je n'ai pas débloqué la serrure de mon cœur.

La clé t'appartient pour l'éternité.

--

Il est l'heure Jimin.

La représentation démarre et je me lance.
Les gens présents dans la salle sont au courant de notre histoire et je sens les regards admiratifs posés sur moi depuis mon arrivée.
Je ne dois pas me dégonfler.

--

Jimin...

Ça a fonctionné.

La mélodie est exquise.

Délicieuse, malicieuse, rêveuse,
elle te ressemble
et
me ressemble.

Les gens derrière moi applaudissent et je me retourne pour les saluer. Ils sont nombreux et je me perds à essayer de tous les observer un par un.

Ne divaguerais-je pas un tout petit peu ?

Je t'aperçois parmi cette foule conquise aux yeux pétillants.

Tout s'efface autour de moi. Je ne remarque que ton doux visage posé sur moi.

Tu me regardes. Tes yeux m'aiment et je devine qu'ils me remercient.

Les larmes coulent sur tes joues mais ne tombent pas.

Je souris.


Ce soir, j'ai enfin retrouvé cette symphonie qui t'unit à moi pour la vie.

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