Nouvelle vie

Richard s'était rapidement accommodé à sa nouvelle vie. D'un commun accord avec Sean, ils avaient choisi de passer l'hiver à Galway. Le duc logeait trois semaines chez son amant puis retournait deux semaines dans sa demeure où l'Irlandais lui rendait visite tous les trois jours. S'ils n'avaient pas à se méfier des domestiques de Sean qui connaissaient les inclinations des deux hommes, ils devaient se montrer plus prudents avec les employés de Richard. Ce dernier n'aimait pas rester seul dans sa maison mais il ne pouvait prendre aucun risque. Cependant l'excuse du travail pour expliquer ses séjours dans la propriété de l'Irlandais et les visites de celui-ci fonctionnait à la perfection. Les domestiques se montraient même admiratifs et ne cessaient de vanter l'ardeur de leur maître à défendre les plus faibles.

Debout devant l'imposante cheminée du salon de la maison de Sean, Richard était perdu dans ses pensées. Son compagnon, qui l'observait depuis un moment, l'interpella :

— Vous semblez triste.

— Non, je réfléchissais.

Il se retourna et désigna une masse sombre non loin de lui :

— Pourquoi avoir fait venir ce piano d'Inagh manor ?

— C'est celui de ma mère.

L'Irlandais se leva et s'installa face à l'instrument. Il effleura les touches de ses doigts, indécis.

— Sean ?

— Ma mère m'a appris à en jouer, contre l'avis de mon père. Il estimait que ce n'était pas un passe-temps de gentleman.

— Pourtant, si ma mémoire est bonne, les plus grands compositeurs des siècles passés sont des hommes.

— En effet. Et j'ai poursuivi mon apprentissage en cachette de mon père.

— Mais vous n'avez jamais joué devant moi.

— J'ai arrêté à la mort de ma mère. Nous avions débuté l'écriture ensemble d'une symphonie. Elle l'avait nommée « Symphonie irlandaise » tout simplement. Penser à la musique m'évoque son souvenir.

— Je comprends. Ne vous forcez pas, Sean.

L'Irlandais observait toujours les touches noires et blanches, l'œil brillant d'émotion. Puis, il se tourna vers son amant :

— J'aimerais vous faire cette faveur.

Richard s'approcha et embrassa son compagnon avec tendresse. Puis, il se recula de quelques pas tandis que les premières notes envahissaient le salon. Le duc frissonna. La mélodie était mélancolique mais d'une beauté extraordinaire. Sean possédait un talent indéniable. Il joua trois morceaux avant de s'arrêter, vaincu par l'émotion.

Les jours suivants, c'est avec moins d'appréhension qu'il se réinstalla sur le tabouret face au piano. Richard appréciait ces moments emplis de douceur. Jamais il ne forçait son amant à jouer. Mais, très vite, Sean instaura ce rituel pour clôturer leur soirée. La musique le libérait et lui permettait d'exprimer ses sentiments. Il recommença également à travailler sur la composition inachevée de sa mère.

À la fin du mois de décembre, alors que le couple préparait leurs derniers arguments pour un futur procès dans lequel Oswald Bradenham devrait faire face aux méfaits de son père, une tempête de neige sévit pendant dix jours. Les deux hommes se trouvaient dans la maison de Sean, située à l'extérieur de Galway et Richard prolongea son séjour de trois semaines.

Un matin, alors que le soleil illuminait le fleuve Corrib de ses rayons, le duc proposa à son compagnon une longue promenade à cheval dans la campagne. Le vent s'était calmé et, malgré les températures glaciales, les deux hommes apprécièrent d'enfin pouvoir sortir. À nouveau, la beauté sauvage de l'Irlande émut le duc. Ils traversèrent des champs recouverts d'un épais et immaculé manteau blanc et s'arrêtèrent au bord du lac Corrib. Le panorama y était à couper le souffle. Richard contempla la lande avec des yeux émerveillés. Il n'y avait rien de plus enchanteur que la poésie d'un paysage enneigé. En tournant légèrement la tête, il sourit en découvrant son amant lui aussi perdu dans la contemplation des lieux.

Il ne regrettait pas sa décision et encore moins son départ de Londres. La région sauvage et presque inhospitalière était devenue son havre de paix. Même s'il pleuvait souvent et même si le brouillard était omniprésent. Ici, il était libre et partageait la vie de l'homme qu'il aimait. Il ne désirait rien de plus.

Après avoir attaché leurs chevaux à un arbre, le couple marcha dans la poudreuse le long de la berge du lac.

Richard se sentait nerveux. Il n'ignorait pas que Sean s'imaginait toujours qu'il finirait par retourner à Londres, lassé de ne pouvoir fréquenter la haute société anglaise et ses glorieuses réceptions. Pourtant, il ne cessait de le rassurer, de lui répéter avec force à quel point il l'aimait. Mais l'Irlandais ne parvenait pas à oublier ses angoisses.

Alors, le duc avait réfléchi et la solution s'était imposée d'elle-même. Sur le moment, l'idée lui avait paru parfaite. À présent, il se sentait fébrile. Il s'apprêtait à commettre une véritable folie. Tel l'imbécile qu'il était, il n'avait même pas songé que son amant pourrait ne pas comprendre sa démarche.

Sean le remarqua et pressa un peu plus les mains de son compagnon :

— Richard ? Vous sentez-vous mal ?

Pour toute réponse le duc secoua la tête, augmenta la panique de l'Irlandais.

— Dieu du ciel Richard, vous êtes plus pâle qu'un mort. Avez-vous froid ? Je savais que cette promenade n'était peut-être pas idéale.

Enfin, après une poignée de secondes, le concerné réussit à retrouver l'usage de la parole. Il répondit, d'une voix rauque :

— Je vais bien. Sean, chaque jour je constate dans vos yeux une angoisse qui me fend le cœur. Nous sommes deux hors-la-loi et pourtant, auprès de vous je me sens à ma place. Jamais il ne me sera permis de rendre public les sentiments que je vous porte mais sachez qu'ils sont puissants. S'il m'avait été accordé la possibilité de vous courtiser, je peux vous assurer que je l'aurais fait sans aucune hésitation. Sachez que je ne regrette en rien d'avoir quitté Londres.

Puis, sous le regard interloqué de l'Irlandais, Richard posa un genou dans la neige, tout en tenant fermement les mains de son compagnon. Ce dernier blêmit, les battements de son cœur s'emballèrent et ses jambes se mirent à trembler.

— Richard...

— Sean, je vous aime. Je vous aime plus que tout. Je ne désire rien d'autre dans ma vie que vous. Même si notre société ne nous autorise aucun acte officiel, je ne pouvais envisager de ne pas me déclarer devant vous. Sean Kilkavran, acceptez-vous de m'épouser ?

L'Irlandais hoqueta et sa respiration devint chaotique. Il n'arrivait pas à croire à ce geste fou. Il désirait cet homme depuis si longtemps. Les joues rougies par l'émotion, à moins que ce ne soit le froid, les yeux brillants, il n'osait croire à son bonheur. Il savait qu'ils prenaient un risque énorme à s'engager ainsi l'un envers l'autre. Mais pour l'amour de Richard, Sean était prêt à tout.

Les larmes aux yeux, il parvint à esquisser un sourire face à l'air angoissé du duc qui désespérait d'obtenir une réponse à sa demande.

— Oui, Richard. Oh oui !


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Et voilà, c'est terminé. Oui, déjà ! Forcément, 15 chapitres ça va vite. Trop vite, je sais.  

Je suis contente d'avoir créé cette petite histoire. Mais, pour évacuer la frustration de devoir me cantonner à si peu de chapitres, j'ai prévu de transformer cette nouvelle en un roman afin d'apporter plus de détails. Ainsi, l'évolution de l'histoire sera nettement moins rapide. Je posterai alors un nouveau book avec les nouveaux chapitres. Ceux qui existent seront,  forcément revus. Alors, oui évidemment, vous connaîtrez déjà la fin mais cela vous permettra de mieux comprendre les différentes intrigues.

Merci de m'avoir suivie jusqu'ici. Merci aux rares lecteurs qui ont posté des commentaires. Je suis ravie que cette petite histoire sans prétention vous ait plu ! 

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