Confidences

Richard s'étrangla. Sean éclata de rire :

— Cette femme est surprenante, vous ne trouvez pas ?

— Un peu trop surprenante à mon goût.

Puis, d'un ton peu assuré, il interrogea l'Irlandais sur ce qui le tracassait le plus :

— Vous m'avez indiqué que vous aviez une dette envers moi. Mais j'ignore de quoi il s'agit.

— Eton. Vous aviez quatorze ans. Vous étiez grand pour votre âge. Moi, j'étais un gringalet. À quinze ans, je ressemblais encore à un garçonnet de dix ans. Vous avez reçu une récompense, vous vous rappelez ?

— Oui, je...c'était VOUS ?

— C'était moi. J'étais le souffre-douleur du collège.

— La bande de ce détestable Hugh D'Armscot. Oui. Mon dieu, je les haïssais.

— Je me suis juré de vous remercier lorsque j'en aurais l'occasion.

— Votre dette est largement effacée, Sean.

Richard ferma les yeux brièvement. Oui, il se souvenait à présent de ce garçon chétif, moqué pour sa petite taille et son air maladif. Jamais il n'aurait pu deviner que cet élève et l'homme bien bâti assis face à lui, étaient une seule et même personne.

Il songea ensuite qu'il allait se retrouver seul avec l'Irlandais pour une durée encore indéterminée. Le duc frissonna. Il ne pouvait nier que Sean était un bel homme. Très plaisant à regarder et d'une assurance déconcertante. Bien loin de l'adolescent effacé dont il s'en souvenait.

L'Irlandais était un inverti. Mais il était blond. Richard détestait les blonds. Il avait conscience que cette aversion était stupide car elle était liée à sa première, et douloureuse, expérience sexuelle avec un autre homme. Cependant, il n'arrivait pas à s'en défaire.

Le duc soupira. Se retrouver loin de Londres avait des avantages. Sean n'avait-il pas laisser entendre que l'endroit où ils logeraient se situait au beau milieu de la campagne ? Non, il ne pouvait laisser son esprit divaguer. Et il restait encore de nombreuses zones d'ombre à éclaircir.

Richard décida d'interroger l'Irlandais sur leur futur immédiat :

— Comment comptez-vous procéder à présent ?

— Nous serons chez moi dans une semaine environ. J'ai transmis à David toutes les informations nécessaires pour élaborer un solide dossier d'accusation. Il m'a promis de m'envoyer ses conclusions d'ici une quinzaine de jours. De mon côté, je vais reprendre contact avec certains amis de mon père. J'ai besoin d'avoir plus d'informations au sujet des pressions d'Edmond Bradenham. Mais, comme ce dernier est décédé, il sera très compliqué de l'inculper de quoi que ce soit. Dans un mois j'espère pouvoir être fixé sur nos chances de remporter un procès contre son fils. Lady Swinsdale va faire jouer ses relations pour obtenir plusieurs témoins capables d'apporter des preuves de la culpabilité du marquis de Glaslyn.

— Vous avez tout planifié...

— Vous savez, Richard, même si mon père est toujours vivant, il n'est plus que l'ombre de lui-même. Les Bradenham nous ont ruiné. J'ai travaillé comme un forcené pour récupérer la fortune familiale. J'ai même réussi à augmenter nos revenus. Mais mon père y a laissé sa santé. Je l'ai vu dépérir petit à petit. Depuis la mort de ma mère, il ne quitte plus sa chambre. Il passe la journée assis dans un fauteuil à fixer le vide. Il mange à peine et ne parle plus. Ni à moi ni aux domestiques. Je ne suis pas certain de le retrouver vivant.

— Ne dites pas cela !

— Je suis réaliste, Richard. Mon père ne vivra plus des semaines. Il se laisse mourir. Il aimait sincèrement ma mère.

— Comment est-elle...non, veuillez m'excuser. Ma question est inconvenante.

— Elle a été renversée par un fiacre. Un acte délibéré. Je suis parvenu à retrouver tous les témoins de la scène. Ils ont tous été approchés par Oswald Bradenham et ont reçu des menaces s'ils témoignaient que le véhicule avait foncé intentionnellement sur elle et son amie. Je n'ai pas encore réussi à les convaincre de revoir leur position.

— Nous y parviendrons, j'en suis convaincu.

— Nous ?

— J'ai l'intention de vous aider, Sean. Je crois que c'est la moindre des choses. Où logerons-nous exactement ?

— Chez moi. Depuis la mort de ma mère, j'ai insisté pour que mon père demeure à mes côtés. J'ai revendu le domaine familial. Je ne voyais pas l'intérêt d'entretenir deux vastes propriétés. Je ne reçois jamais, j'ai pris la peine de ne pas révéler l'endroit exact où je vis. Et puis, c'est tellement isolé que je ne risque pas de recevoir des visites importunes. La ville de Galway est à quarante miles. Mais cela ne signifie rien pour vous, vous ne connaissez rien de l'Irlande. Inagh Manor est situé au cœur d'une immense vallée. Nous sommes entourés de lacs, de landes, de tourbières et d'imposantes montagnes. J'espère que vous aimez la vie à la campagne !

— Beaucoup. En vérité, je déteste mes séjours londoniens. Je tentais toujours de négocier avec mon père lorsque nous quittions l'une de nos résidences pour venir à Berkeley Street. J'aimais particulièrement notre château du Suffolk. Nous étions situés au milieu des champs et des bois. C'était magnifique. Comment organisez-vous la vie domestique si votre domaine est si isolé ?

— Nous vivons pratiquement en autarcie. Il y a quelques petits villages établis aux alentours sur des terres qui nous appartiennent. Cela nous permet de bénéficier de revenus financiers directs, de quoi nous nourrir et nous vêtir. Je ne vis pas dans le luxe comme à Londres, mes habits ne sont sans doute pas les plus raffinés et cela m'est égal. J'aime les choses simples. Comme mon père.

— N'avez-vous pas eu peur de le laisser seul durant votre absence ?

— J'ai engagé un médecin qui loge au manoir pour s'occuper de lui. Je dois vous prévenir que je dispose de peu de domestiques. Mon valet de chambre sera le vôtre également.

— Cela ne me gêne pas.

— Vous n'avez rien à craindre de lui. Brian...oh et bien, Lady Swinsdale n'est pas la seule à adopter une conduite peu conventionnelle.

Le ton amusé de Sean surprit Richard. Il n'était pas certain d'avoir saisi le trait d'humour de son vis-à-vis :

— Que voulez-vous dire ?

— Brian a évité la pendaison, grâce à moi. Toute sa famille, ainsi que celle de son amant, travaille pour moi. Leurs parents ne sont pas très heureux mais ils ont vite compris que disposer d'un emploi bien payé et de ma protection valaient mieux que de perdre leur fils. Bien entendu, mon père l'ignore. Je ne tiens pas à précipiter son trépas. Ni à ce qu'il apprenne que son nom s'éteindra avec moi. J'aurais aimé avoir un frère mais je suis un miracle. Mon père avait quinze ans de plus que ma mère. Ils ont perdu plusieurs enfants en bas-âge avant ma naissance. Puis je suis arrivé et ils ont décidé de ne plus prendre le moindre risque pour la santé de ma mère.

Richard apprécia les confidences de Sean. S'il appréhendait toujours son séjour sur les terres de L'Irlandais, il était ravi d'en apprendre un peu plus sur l'homme qu'il avait sauvé d'une mort certaine, quatorze années auparavant. 

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Voilà, en réalité, Richard connait Sean depuis des années ! 

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