Aveu

Sean et Richard arrivèrent à Inagh manor en début de matinée, neuf jours après leur fuite de Londres. Si le voyage avait été l'occasion de faire plus ample connaissance, il avait aussi augmenté le trouble chez le duc dont l'estime pour l'Irlandais ne cessait de croître.

Lorsqu'il quitta le fiacre, Richard ne put retenir une exclamation de surprise en découvrant l'imposante bâtisse de pierres qui lui faisait face. Sean se plaça à ses côtés en souriant :

— Le manoir semble austère, même lugubre, j'en conviens. Mais je peux vous assurer que vous bénéficierez d'un grand confort.

— Il s'intègre parfaitement dans le paysage. Tout autre construction aurait été déplacée.

— Souhaiteriez-vous découvrir une partie du domaine ? J'aimerais marcher un peu, le voyage a été long.

— Avec plaisir.

Les deux hommes se dirigèrent vers un parc admirablement bien entretenu. Par-delà les vastes pelouses, ils contournèrent un étang avant de se retrouver dans un paysage fait de murs de pierres, de tourbières, d'étendues de landes désolées et de prairies vallonées à perte de vue. Pourtant si différent de la campagne boisée du Suffolk, ce lieu à la beauté sauvage émut Richard. Le ciel sombre accentuait plus encore l'aura envoûtante de la vallée. Le jeune homme songea que cette région était l'exact reflet de la personnalité de Sean Kilkavran. Ce dernier observa le duc avec intérêt :

— C'est assez rustique comparé à Berkeley Street, n'est-ce pas ?

— Mais très plaisant.

— Mon père possédait une petite maison de campagne non loin d'ici. J'y ai passé de nombreux étés avant qu'elle ne doit détruite par un incendie. J'aime cette région. Ici, je suis loin de l'agitation de la ville. Je peux être moi-même. Loin des règles, de l'étiquette, des réceptions, des dîners ennuyeux.

— Je comprends. Cet endroit est magnifique. Stupéfiant. Vous devez pouvoir effectuer de charmantes promenades à cheval ?

— En effet. Et je serais ravi de vous servir de guide.

Les deux hommes échangèrent un regard complice. Richard tressaillit. Leur amitié naissante, après leur improbable rencontre à Londres, le perturbait. La veille, ils s'étaient arrêtés dans une auberge pour s'y restaurer et dormir avant de rejoindre Inagh manor. Ils avaient conversé comme de vieux amis. Entre les sourires de connivence et les anecdotes au sujet de la vie mondaine, il y avait eu aussi de longs silences et des regards déroutants. Comme autant d'inavouables pensées.

— Comment avez-vous su que ma vie était en danger à Eton ?

Richard sortit de ses pensées et détailla à nouveau l'Irlandais :

— J'ai entendu Hugh D'Armscot en parler à ses amis. Ils cherchaient le meilleur moyen de faire passer leur...leur crime en accident.

— Un accident ? Ils avaient prévu de m'étouffer dans mon lit ! Comment auraient-ils pu prétendre que c'était un accident ?

— Leurs familles auraient offert de l'argent au collège pour que l'affaire ne s'ébruite pas.

— Sans doute.

Les yeux de Richard s'attardèrent sur la lande face à lui et son regard se voila :

— Je les surveillais depuis plusieurs jours. Je savais qu'ils comptaient s'en prendre à vous. Mais j'ignorais où et comment. Lorsque Hugh a quitté notre dortoir, je n'ai pas réfléchi, je l'ai suivi. J'aurais été incapable de me dévisager dans un miroir si je les avais laissés s'en prendre à vous.

— Cela ne m'étonne pas. Je me rappelle de ces élèves que vous aidez dans leurs études. Vous ne supportiez pas de voir un autre garçon en difficulté. Vous apparteniez à l'une des familles les plus influentes de Londres et pourtant, vous fréquentiez des élèves de classe inférieure. J'ai tout de suite compris que vous étiez différent.

Tandis qu'ils parlaient, ils continuaient d'avancer dans la vallée. Sean s'appuya contre un muret de pierres et fixa l'horizon d'un air triste. Sans regarder Richard, il poursuivit son récit :

— Vous étiez l'un des garçons les plus appréciés du collège et pourtant si discret. Jamais vous ne tentiez de vous faire remarquer, contrairement à Hugh D'Armscot et ses compagnons. Moi, j'étais jeune et tristement naïf à cette époque. Je ne souhaitais qu'une chose : me rapprocher des cercles les plus élitistes de Londres. Hugh était l'héritier d'un duc, tout comme vous. Sa répartie, son assurance me fascinaient. Je n'ai compris que bien trop tard à quel point je m'étais fourvoyé à son sujet. Puis, il y a eu l'incident. Je n'ai jamais pu oublier votre regard ce soir-là. Votre colère également. J'ai cru qu'ensuite, j'existerais à vos yeux. Mais les choses ont changé après cette nuit, n'est-ce pas ?

— Mon père était furieux. Même si le collège avait souligné mon acte de bravoure, je venais de briser les relations cordiales que ma famille entretenait avec celles d'Hugh et de ses trois amis.

— Et sans doute de réduire à néant la possibilité de conclure plusieurs unions ?

— En effet. À contre-cœur, j'ai obéi à mon père. Je me suis concentré sur mes études et non plus sur les autres élèves. Je reconnais que je vous ai oublié, d'une certaine manière. Même si je n'ai jamais effacé l'incident de ma mémoire. Qu'avez-vous fait après Eton ?

— J'ai poursuivi mes études en Écosse, à Saint Andrews. Mon père voulait m'éloigner de Londres et de mes tortionnaires. Je lui en suis reconnaissant. Même si je n'ai pas réussi à vous oublier.

La voix rauque de Sean alerta Richard. Et la douleur contenue dans son regard l'effraya. L'Irlandais observa encore quelques minutes le paysage en silence avant de se tourner vers le duc :

— J'ai compris très tôt, à quatorze ans je crois, que mes penchants n'étaient pas ceux que souhaitait mon père. Je ne m'imaginais pas courtiser une jeune femme. Il m'a fallu du temps pour l'admettre. Ma première expérience a eu lieu en Écosse. J'ai cru pouvoir vous oublier lorsque je suis arrivé à Saint Andrews mais j'ai échoué. Puis à la fin de mes études, j'ai découvert le club de Lady Swinsdale. Le choc a été intense lorsque je vous y ai aperçu la première fois. Comme à Eton, j'espérais que vous me remarqueriez. Mais vous choisissiez vos amants parmi les hommes possédant une chevelure brune. Jamais vous ne prêtiez attention aux autres. Jamais vous n'avez eu un regard vers moi. Alors que je ne voyais que vous.

Richard crut que son cœur allait arrêter de battre. Incapable d'articuler le moindre mot, son regard accrocha celui de l'Irlandais. Ce dernier se rapprocha du jeune homme et murmura, d'un ton désespéré :

— Je suis épris de vous, Richard, depuis Eton. Je suis épris de vous.

Le duc, tétanisé, eut le souffle coupé durant quelques instants. Il tenta de remettre de l'ordre dans son esprit avec comme seule conséquence d'être plus perdu que jamais.

Ce n'est que lorsque Sean fit un pas en arrière, les épaules affaissées, qu'il reprit pied dans la réalité. Richard l'empêcha alors de reculer. Il saisit l'arrière de sa nuque et s'empara des lèvres de l'Irlandais.

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Oui, je sais, ça va trop vite ! lol

Sinon, qu'en pensez-vous ?

Voici qques photos pour vous permettre d'imaginer le manoir (il faut le voir un peu plus petit que sur la photo) et les environs.

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