45 - Eva et Cosmos
Nos confections terminées, nous allâmes les suspendre aux écuries par le moyen de ficelles. Symphonie comprit tout de suite ce que renfermaient les bouteilles et se mit à donner des coups de museau dedans avant même que j'ai assuré le nœud autour d'une poutre. Sacha accourut à la rescousse.
- Je vais t'aider, dit-il en éloignant la boîte à friandises de Symphonie le temps de parfaire la boucle.
- C'est gentil d'avoir pensé aux chevaux, retentit une voix familière.
Nous nous retournâmes pour voir Eva s'avancer vers Cosmos, un licol à la main.
- Je vois que vous vous amusez bien, ajouta-t-elle en examinant de plus près l'un des dispositifs que nous venions d'installer.
Je ne parvenais pas à déterminer si elle était sincère ou si sa phrase dissimulait un sarcasme. Eva ne nous avait pas ignorés, mais elle n'avait pas non plus l'air de vouloir discuter avec nous. Après son commentaire sur nos guirlandes, elle s'était concentrée sur son licol dont elle avait empoigné la boucle, pressée d'en faire usage. Je me risquai à ajouter quelques mots :
- Cosmos ne m'a pas laissé le temps de bien accrocher sa bouteille.
Quand je m'étais approché, il m'avait tout de suite fait comprendre que ma présence était indésirable et, craignant de prendre un mauvais coup, je n'avais pu attacher correctement le jouet. Après avoir donné plusieurs coups de dents rageurs qui ne lui avaient rapporté qu'un pauvre trognon, le cheval était parti bouder au fond de son box. Sa bouche pincée et ses oreilles fâchées le rendaient malgré lui hautement comique.
- Je vais lui changer les idées, dit Eva en ouvrant la porte du box.
Je me plantai à deux mètres, impatient de voir comment elle allait s'en tirer avec cet énergumène. Je ne pouvais pas m'empêcher d'espérer au fond de moi – et je n'en étais pas fier –, qu'elle aurait à batailler un peu.
Cosmos manifesta effectivement sa mauvaise humeur. Toutefois, la jeune femme lui passa fermement le licol et le mena sans peine jusqu'à une piste circulaire. Comme nous avions terminé de suspendre toutes les bouteilles et les guirlandes, Sacha et moi les suivîmes, à bonne distance des sabots de Cosmos.
- Je fais des exercices avec lui pour travailler son comportement, nous expliqua Eva en nous voyant nous accouder à la barrière de bois, curieux.
Les problèmes de Cosmos étaient bien réels. Pourtant, à le voir se tenir calmement au côté d'Eva, quoiqu'un peu contrarié, il n'avait aucunement l'air d'un cheval dangereux. La jeune femme détacha même sa longe, le laissant complètement libre dans le rond sablé. Elle le laissa un moment renifler l'environnement et gratter le sol, nous plongeant dans l'expectative. Enfin, pointant une sorte de longue cravache, elle lui indiqua de se mettre en marche autour d'elle.
Alors, le cheval plaqua ses oreilles en arrière et releva brusquement la tête. Eva insista. Il se mit enfin au pas, de mauvaise grâce. Elle lui fit faire plusieurs tours durant lesquels il s'acharna à montrer son désaccord, décrivant des cercles de plus en plus serrés, venant presque lui marcher dessus. Agitant sa baguette entre eux, la jeune femme le força à reprendre de la distance. Cosmos dut se plier à sa volonté mais, mécontent, partit dans un trot excité, sa queue fouettant l'air nerveusement. Eva s'avança vers sa tête, elle-même très énergique. Tentant de la fuir, le cheval accéléra. Réactive, la jeune femme traversa en courant le cercle de la piste, le prenant de vitesse pour lui couper la route. Je compris qu'elle cherchait à le faire changer de sens en voyant son bras ouvert dans une direction et sa baguette dressée comme une barrière. Cosmos aussi avait bien saisi le message et, après avoir essayé de forcer le passage par tous les moyens, il se résigna à tourner, non sans lancer une ruade de colère.
La main de Sacha se referma sur mon bras, me communiquant le sursaut qu'il avait eu. Nous nous écartâmes légèrement de la barrière, secoués par le spectacle, mais captivés. Un instant, nous nous demandâmes si Eva allait lui faire comprendre à coups de cravache que ce genre de comportements n'était pas admis. La main de Sacha serra plus fort mon poignet.
Cependant, la baguette était retombée dès que Cosmos avait accepté de tourner. La ruade n'avait pas impressionné Eva qui recommença plusieurs fois l'exercice et, petit à petit, obtint une certaine fluidité dans le mouvement. Cosmos se calma, son expression n'était plus aussi menaçante qu'en début de séance. De même, je sentis Sacha se relâcher, entraîné par le manège hypnotique du corps d'Eva et de celui de Cosmos.
- Comment elle fait pour le diriger alors qu'elle le tient même pas en laisse ?
- En longe, chéri. On dit "en longe".
Ce fut tout ce que je trouvai à répondre. Je voyais bien que la baguette et les divers gestes d'Eva jouaient un rôle, mais tout était trop mystérieux pour que je sois en mesure d'expliquer les mécanismes à l'œuvre.
- Y a vraiment des gens qui ont du talent, chuchota Sacha, profondément admiratif.
Eva avait permis à Cosmos de quitter la piste et de revenir s'arrêter près d'elle, au centre de l'espace. Je réalisai à quel point elle était petite à côté de lui. Elle avait semblé plus grande pendant tout le temps du travail où elle s'était montrée intransigeante. Intransigeante, mais bienveillante. À présent, elle félicitait le cheval comme un instructeur récompense son élève, me remémorant la douceur dont elle avait fait preuve en caressant Symphonie. Cependant, Cosmos, lui, ne voulait pas se laisser cajoler. Respectant son choix, Eva lui tendit simplement sa paume ouverte à flairer en lui parlant d'une voix apaisante semblable à un petit oiseau. Elle rattacha ensuite la longe au licol pour le ramener dans son box.
- Attends-là, soufflai-je à Sacha.
Il me regarda sans comprendre mais resta tout de même où il était tandis que je rattrapais Eva à la sortie de la piste d'entraînement. Nous échangeâmes quelques mots en jetant des coups d'œil à Sacha qui, du bout de sa chaussure, remuait le sable sous la barrière. Il releva le nez et cligna des yeux quand je revins vers lui. J'usai de toutes mes ressources pour me contenir et faire durer un peu le suspens. Je ne tins pas bien longtemps. L'annonce fusa, rayonnante :
- Tu commences demain !
- Je commence quoi ? s'étonna-t-il.
- À ton avis ?
Ses sourcils se raidirent au-dessus de ses yeux :
- T'aurais pu me le demander, mon avis !
- Ça te plaît pas ? T'es pas obligé, tu sais.
- De quoi ? Dresser un cheval ?
Je pouffai.
- Peut-être pas directement. Mais tu pourrais apprendre, si ça te tente.
Une lueur éclaira le visage de Sacha. Cependant, il n'osait plus rien dire, effrayé tout autant qu'attiré par l'opportunité que j'étais allé quérir. Il ne réalisait pas. Comme un roc, je me redressai de toute ma hauteur et mes pupilles lui adressèrent, depuis leurs meurtrières, un éclair vif. Il déglutit.
- Et toi, Martin ? Tu vas apprendre aussi ?
- Moi, le seul étalon que je veux dompter... c'est toi.
Il croisa les bras et tout le poids de son corps glissa sur une seule jambe, jusqu'à sa bouche qui se tordit d'un côté en une moue exaspérée.
J'eus soudain envie de m'enfouir dans une taupinière et de ne pas en ressortir avant le jugement dernier. Il fallait vraiment que j'arrête avec ces gestes et ces remarques stupides...
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