Chapitre 7 : Rencontre


Ma rencontre avec Ava a soulevé trop de questions.

Beaucoup trop.


J'ai besoin de marcher un peu pour m'éclaircir les idées et décide donc de rentrer chez moi à pied. Le soleil s'élève au bout de l'avenue. Il dore de ses rayons orangés les immeubles et les quelques voitures roulant dans le quartier. Le voisinage s'éveille à peine dans cette fausse quiétude propre au jour nouveau. Cette paix éphémère.


Même si tout est calme autour de moi, mon sang bouillonne dans mes veines et mon esprit s'affole comme un oiseau pris au piège. J'essaie de passer en revue toutes les prophéties dont j'ai connaissance, mais aucune n'évoque la guerre que préparent ma mère et ses armées. Mes pensées volent d'une théorie à une autre, délaissant sans scrupule l'une pour s'attarder sur l'autre. Et, bien malgré moi, elles me conduisent toutes à mon père, Lucifer. Sa clémence inattendue tourbillonne dans mon cerveau. Pourquoi a-t-il interdit à ses démons de blesser celle que j'aime ? Pour quelle raison déciderait-il cela ? ELLE est la cause de ma désertion. Je ne comprends pas, il devrait avoir envie de se venger, pourtant.


Tout à mes pensées, je n'ai pas réalisé le chemin parcouru. Je me trouve déjà dans notre petite rue. Celle où je vis parce qu'ELLE habite là. La rue qui me fait croire que je fais partie de sa vie, même si je ne suis qu'un courant d'air qui enlace l'empreinte de ses pas.


Soudain, une odeur désagréable atteint mes narines. Une fragrance que je ne reconnais que trop bien, celle d'un démon dont l'aura empeste le meurtre. J'aperçois celui-ci à l'entrée d'une bâtisse. Il a l'apparence de n'importe quel humain, ce n'est donc pas un petit diable de seconde zone, qui ne sait pas se camoufler. L'illusion de son humanité est parfaite, ce qui me fait craindre le pire. D'autant plus que c'est la porte de son immeuble à ELLE qu'il pousse.


Je ne peux pas me téléporter. Le matin a enfin réveillé la cité et je ne veux même pas imaginer la tête de la grand-mère en bigoudis, sortant promener son caniche, qui me verrait apparaître sur son palier. Non, c'est inconcevable. Il m'est impossible de prendre un tel risque. Haiaiel en ferait une syncope !


Je cours donc jusqu'à l'entrée du bâtiment, espérant le rattraper avant qu'il ne LA trouve, car je n'ai plus aucun doute à ce sujet : il LA cherche. L'écho des paroles d'Ava résonne encore à mes oreilles : « Certains démons supérieurs digèrent mal ta trahison. Tu devrais te méfier. »


Je suis bien conscient qu'il ne pourra pas pénétrer dans son appartement sans y avoir été invité. Les Archanges ont jeté un sort sur les lieux de vie des hommes, il y a très longtemps. Tellement longtemps qu'à cette époque, ces derniers habitaient des grottes. Les démons sont les seuls à percevoir l'effet de l'enchantement, qui agit comme une barrière invisible autour de l'endroit qu'un être humain considère comme son foyer. C'est un sortilège de protection très ancien et efficace. Une sorte de magie primitive.


Malheureusement, tous les prétextes sont bons pour se faire inviter chez quelqu'un. L'intelligence démoniaque n'est pas sans ressource.


J'en sais quelque chose.


Lorsque j'arrive à son étage, je sens qu'ELLE est tout près. Je perçois presque son parfum dans la pénombre du couloir. Ou est-ce mon imagination ? J'appuie sur l'interrupteur et la lumière éblouit le démon, qui s'apprêtait à frapper à la porte de son appartement. Avant qu'il n'ait l'occasion de réagir, je l'attrape et le colle avec violence contre le mur opposé, serrant sa trachée de ma main gauche. Si je m'écoutais, je le tuerais aussitôt pour avoir eu l'impudence de s'approcher si près d'ELLE. Toutefois, je dois d'abord lui soutirer des informations.


Il a pâli et son regard effrayé cherche en vain une sortie de secours. Il est vrai que je sens la colère embraser mon âme et mon aspect doit être terrifiant. Je relâche un peu mon étreinte, avant de lui demander d'un ton impérieux :


— Qui t'envoie ?


L'hésitation fait cligner ses paupières. Je ne lui laisse pas le temps d'échafauder un mensonge et reprends sur le même ton :


— Tu sais qui je suis et ce que je peux te faire subir. Ton seul espoir de survie est de me livrer le nom de ton maître. Maintenant !


Le démon, déjà pâle, devient livide. Il n'a pas l'air très courageux, ni très loyal. Une chance pour moi !


— C'est Azazel ! Ne me tuez pas, s'il vous plaît, mon Prince ! Je peux vous servir ! Je serai votre espion !

— Je ne suis plus ton Prince.


Après lui avoir jeté un regard méprisant, j'aspire son énergie vitale. Je l'extermine comme cela, sans états d'âme et sans « adieu ». De toute façon, pourquoi dire « adieu » ? Dieu n'a rien à voir dans cette histoire. Quoique... Il est sans doute le seul à savoir ce que devient l'essence d'un démon après sa mort.


Je lui ai fait croire que j'allais l'épargner, mais c'était hors de question. Je ne ressens aucune pitié envers ce genre de créatures. Le genre qui laisse sa peur guider sa loyauté. Et puis, je ne pouvais pas courir le risque qu'Azazel découvre que je l'ai démasqué.


Azazel.


Ava m'a conseillé de me méfier de mes vieux amis. Pourtant, je n'aurais jamais pu soupçonner qu'il me voulait du mal. Le souvenir de son rire moqueur jaillit dans mon esprit. Mon plus vieil ami...


Alors que j'époussette mon jean pour éradiquer les traces que le démon a laissées derrière lui, j'entends un bruit de clef dans une serrure. Je me retourne et...


Je tombe nez à nez avec ELLE.


ELLE.


Mon cœur manque un battement et je crois bien que je suis en apnée. Je n'ai pas été aussi près d'ELLE depuis des années. Je tatoue chaque détail dans ma mémoire, conscient de la rareté de l'instant. La courbe de ses pommettes, ses yeux verts, ses longs cheveux châtain clair relevés en un chignon lâche, son maintien de danseuse, son odeur de fleur d'oranger, le rythme de sa respiration...


Elle me fixe, surprise de trouver un inconnu sur le pas de sa porte et ouvre la bouche pour me saluer.


— Maël ! Tu es là ! Tu t'es trompé d'étage ! s'exclame Haiaiel, rompant la magie de cet instant.


Il se tient à l'autre bout du couloir et me fait de grands signes. J'hésite l'espace d'une seconde. L'occasion est trop belle ! Qui sait quand je pourrai lui adresser la parole de nouveau ? Mais je suis bien conscient que les représailles de l'ange seraient terribles. À contrecœur, je jette donc un dernier regard à la jeune femme, avant de m'avancer vers lui.


Abandonnant un bout de mon âme derrière moi.


Elle observe l'ange et un goût amer prend possession de ma bouche. Elle ne m'a accordé qu'un simple coup d'œil de surprise polie, tandis qu'elle l'examine d'une façon tout à fait différente. Elle contemple Haiaiel avec une admiration qui me comprime les entrailles. Je sais que je ne devrais pas être jaloux. Étant donné leur lien, c'est une réaction normale.


Alors pourquoi ai-je l'impression qu'une main de fer compresse ma poitrine ?


L'ange attrape mon bras et m'entraîne sans attendre vers un coin sombre de l'escalier. Puis il nous téléporte jusqu'à mon appartement. À peine arrivés à destination, je le repousse et colle aussitôt mon nez à la fenêtre, mon poste d'observation habituel, pour LA voir passer en bas de l'immeuble.


— Maël ! Je peux savoir ce qui t'a pris ? explose enfin Haiaiel.


Sa fureur est presque palpable, rendant l'atmosphère de la pièce très désagréable. Cependant, je l'ignore et attends que sa silhouette ait tourné au coin de la rue pour lui faire face.


— Où sont les anges censés la protéger ? Si je n'avais pas été là, qui sait ce qui aurait pu se passer ? Ce démon allait sonner chez elle ! Il n'aurait jamais dû s'approcher autant !


Ma voix froide et tranchante a atteint son but. Haiaiel n'est plus en colère, seul l'embarras se lit sur son visage fatigué.


— Je sais que je ne dois pas m'approcher d'elle ! Je me souviens bien du pacte que j'ai passé avec toi, il y a vingt-sept ans. Mais si tu n'es pas capable d'assurer sa protection, alors que c'est ton rôle, je m'en chargerai ! Qu'est-ce que tu foutais, Haiaiel ? C'est TON rôle de veiller sur ELLE !


Je réalise que je me suis mis à hurler sur l'ange. Je tremble encore à l'idée de ce qui aurait pu lui arriver, si je n'avais pas été là. Haiaiel baisse la tête, sans doute blessé par ma remarque, avant de me répondre :


— Il y a trop d'attaques démoniaques ces derniers temps. Nous ne sommes plus assez nombreux pour protéger nos humains. C'est pour cela que personne n'était de garde pour la surveiller. Après t'avoir envoyé vers ce démon supérieur, il y a eu d'autres alertes dans le quartier et...

— C'était une stratégie d'Azazel pour laisser la voie libre à l'un de ses sbires !


L'ange en reste bouche bée, ce qui n'arrive pas si souvent. Il en faut beaucoup pour le surprendre. J'en profite pour poursuivre :


— Le démon supérieur de tout à l'heure, c'était Ava. Elle m'a appris un tas de trucs qui nous concernent tous...

— Attends, me coupe-t-il, avant que tu m'expliques tout ça, il faut qu'on règle quelque chose !


Son air déterminé ne laisse rien présager de bon. Il déploie ses grandes ailes blanches, qu'il garde scellées en temps normal quand il se trouve sur Terre, et me tend la main.


— Jure-moi sur ton âme que tu n'essaieras plus d'entrer en contact avec elle.


Et me voilà transporté vingt-sept ans en arrière, à l'époque où il m'avait arraché exactement la même promesse.

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