Chapitre 2
- Tu ferais mieux de surveiller tes arrières, Karysta !
Le tintement des haches et des épées résonnait dans toute la zone d'entraînement. À chaque coup de fer que Karysta donnait, Mæglin frappait de sa hachette deux fois plus fort, rendant le combat encore plus intense. Les regards assassins que les deux jeunes femmes se lançaient auraient pu faire croire à un combat réel, mais il en était tout autre. En réalité, les jeunes tobórines profitaient de leur dernier entraînement pour affiner leurs compétences avant les grandes épreuves de tests, qui leur permettront de finaliser leur éducation.
— C'est celle qui a trois ans de retard sur son parcours éducatif qui dis ça, laisse-moi rire !
— Ce n'est pas parce que j'ai commencé l'entrainement trois années plus tard que toi que je suis moins compétente. Regarde, même avec trois ans de moins je réussis à te battre à plates coutures.
À ces mots, Mæglin abattit lourdement son arme sur celle de son adversaire, la forçant à relâcher sa prise et à perdre son épée. Continuant dans son élan, la jeune guerrière asséna un coup de pied d'une violence mesurée dans l'abdomen de sa camarade, la projetant définitivement au sol.
Karysta se releva d'un mouvement sec et posa sur Mæglin des yeux qui en disaient long sur ce qu'elle aurait aimé lui faire subir en retour. Elle n'eut pas le temps de dire quoique ce soit qu'enfin, une voix calme et posée les interpellait :
— Allons, mesdemoiselles. Ne vous fatiguez pas trop avant les Grandes Épreuves.
Les deux jeunes femmes ne dirent mot, par respect pour leur cheffe, Tanaïs. Cela faisait maintenant plus de vingt ans qu'elle guidait le peuple tobórin sur le droit chemin. Depuis aussi longtemps que Mæglin pouvait s'en souvenir, nul n'avait réussi à la battre. La légende racontait qu'alors qu'elle s'appliquait à modeler et créer la prochaine génération de tobórines, la déesse Alalà avait volontairement ajouté un peu plus de ses capacités combattives dans le corps de Tanaïs, pour que le monde entier se souvienne qu'elle était redoutable.
Déjà vêtue de sa tunique de cérémonie immaculée, la grande cheffe notifia à ses jeunes apprenties qu'il était temps qu'elles aillent se revêtir de leur tenue cérémoniale. Mæglin soupira imperceptiblement : jamais elle n'avait rêvé de cet accoutrement festif, au grand dam de la plupart de ses sœurs, qui elles n'avaient attendu que ça depuis leurs premières années de vie.
Remettant docilement leurs armes sur les portants à cet usage, les jeunes femmes partirent chacune de leur côté, accompagnées par d'autres tobórines censées les aider à s'habiller.
Lorsque ses pupilles sombres se posèrent sur la pièce principale de sa tenue, la lassitude de Mæglin ne fit que s'accroître. Les créatrices avaient décidé d'assortir la robe de la jeune guerrière à la couleur de ses yeux. Ainsi, une magnifique – mais ridiculement trop détaillée – robe rouge sombre aux bretelles asymétriques se retrouvait là, face à elle. Mæglin n'était pas certaine que l'appellation ''robe'' fût adaptée, puisque le vêtement nétait constitué que d'un tissu ultra léger ouvert sur tout le long des jambes et resserré au niveau de la taille par une ceinture de soie. Normalement, celle-ci se devait d'être beige pour aller avec les couleurs généralement claires des robes. Cependant, afin de correspondre à la teinte de sa tunique bien plus sombre que la normale, les créatrices avaient opté pour une ceinture de soie noire. Pour cacher chaque couture, une délicate dentelle de la même couleur que le ceinturon avait été accrochée, ornée de part et d'autre de quelques petits diamants charbonneux également.
Déjà, elle s'imaginait faire sa prière dans la grotte sacrée de Tobóris, vêtue de cette longue robe à l'allure bien trop féminine à son goût. La jeune femme se voyait déjà tenter de faire ses enchaînements de combat en essayant tant bien que mal d'éviter de s'emmêler les pieds avec les pans de sa tunique. Heureusement pour elle, un petit short en coton noir recouvrait le haut de ses cuisses, amoindrissant tout de même sa gêne. Doucement, elle vint caresser de ses doigts fins le tissu frais et soyeux. Ajoutée à cela, une couronne de fleurs mélangeant à la fois la pureté des pétales de roses rouges et la dureté des branches d'un jeune arbuste ornerait sa longue chevelure brune.
D'un mouvement fluide et précis, les deux femmes qui avaient accompagnées la jeune guerrière se mirent à lui retirer chacun de ses vêtements. L'air chaud vint caresser sa peau de nature brûlante, lui procurant de légers frissons sur tout le long de ses bras. Sa carnation, presque aussi claire que la vive lumière du jour, semblait se refléter sur la terre aride de la région.
Au même moment, Karysta se laissait docilement apprêter par les deux aides tout en imaginant quelle pouvait être la meilleure façon de battre sa rivale tout en la ridiculisant devant l'Assemblée. Rien que d'imaginer son adversaire numéro un se vautrer juste aux pieds de Tanaïs lui décocha un sourire espiègle.
Quelques instants plus tard, les deux guerrières sortirent à nouveau sous le soleil brûlant de Tobóris, pour retrouver le reste des jeunes apprenties combattantes sur la zone de regroupement. Toutes étaient vêtues de leur habillement de cérémonie. Placée au centre, la robe aux tons sombres de Mæglin fusionnait à la perfection avec les nuances presque pastel de ses camarades. Vu du ciel, les oiseaux pourraient confondre la troupe avec l'iris d'un magnifique œil.
À chaque nouvelle cérémonie, les tests se déroulaient dans la zone d'Arkaley, là où la grotte sacrée se trouvait et où la cheffe de clan ainsi que Mæglin résidaient. La légère brise matinale faisait doucement bouger la couronne végétale de la jeune femme. De courtes minutes passèrent, avant que, finalement, la corne sonnant le début des festivités se fit entendre.
Enfin, Mæglin pourrait faire ses preuves devant leur grande cheffe ; enfin, elle pourrait montrer au peuple entier qu'elle était digne. Parce que oui, même si, pour une raison qui lui échappait encore, elle n'avait pas la force innée des tobórines, elle s'était tout de même entrainée bien plus fort et bien plus dur que toutes les autres pour arriver à un tel niveau. Bientôt, Karysta et le reste la regarderaient comme une tobórine normale, qui n'a pas été victime d'une omission de la part de leur déesse lorsqu'elle les a confectionnés avec la roche sacrée de sa grotte. On la regarderait comme une tobórine forte, à l'intérieur comme à l'extérieur.
Excitée, mais à la fois tout à fait nerveuse, la brunette gonfla ses poumons de l'air chaud de la région. Elle était prête à en découdre mais d'abord, il fallait se rendre dans la grotte Alàlà afin d'y faire son processus cérémonial. Là-bas, il lui faudrait poser sa paume sur la main de la statue de leur Déesse afin qu'elle approuve sa volonté de combattre avec ses sœurs. À la suite de cela, le groupe entier formerait un large cercle en se tenant la main, pour finalement prier une dernière fois leur Déesse, avant de commencer les épreuves.
D'un même pas, le groupe de jeunes guerrières s'avança à allure cadencée vers l'entrée de la grotte, devancé de quelques pas par Tanaïs. La femme d'âge mûr qui se tenait devant elles renvoyait une aura pleine de courage, de force et d'espoir. Depuis sa plus tendre enfance, elle avait été l'exemple à suivre de Mæglin, lui apportant à la fois la tendresse qu'il lui fallait à cet âge, et l'autorité dont elle avait eu besoin en grandissant.
Sous le soleil brulant du jour, toutes se mirent en file indienne, attendant plus ou moins patiemment leur tour pour toucher pour la première fois de leur vie la peau divine de leur Déesse protectrice. La plupart de ses camarades semblaient éprises d'une extase sans nom au moment de toucher la statue céleste. Quelques mètres devant elle, Karysta semblait rencontrer des difficultés à contenir son excitation et pressait les jeunes filles qui se trouvaient devant elle d'aller plus vite. Avec les grands gestes d'enthousiasme qu'elle faisait, sa robe vert pastel bougeaient dans tous les sens, et sa chevelure rousse virevoltait tout autour de sa tête. Malgré la légère animosité qui liait les deux jeunes femmes, Mæglin ne put empêcher un sourire d'amusement de venir s'installer sur son visage. Aujourd'hui plus que n'importe quel autre jour, le temps était aux sourires et aux éclats de rire.
Depuis sa plus tendre enfance, les plus beaux souvenirs que Mæglin avait créés s'étaient produits ici-même, avec ses sœurs. Toute sa vie, elle n'avait qu'appris l'art du combat, la beauté des enchainements, le terrassement d'ennemis et surtout le dépassement de soi. Toute son éducation ne s'était limitée qu'à cet essentiel. Et aujourd'hui sonnait l'achèvement d'une connaissance, l'avènement d'un chapitre.
Une fois que les tests auraient réellement débutés, elle n'aurait qu'une seule chose à faire pour convaincre Tanaïs de ses capacités : faire comme d'habitude. Le dépassement de soi, ça la connaissait, elle le faisait tous les jours depuis le début de sa vie.
Elle jubilait. Bientôt, son tour viendrait. Elle ne pouvait donner un nom exact au sentiment intense qu'elle éprouvait, un mélange étrange de joie, d'excitation et d'appréhension. En les regardant passer devant la statue sacrée, elle en venait même à jalouser ces jeunes filles qui étaient déjà bénies.
Chacune leur tour, les jeunes guerrières se pavanaient avec fierté devant leurs sœurs en brandissant haut et fort leur paume de main où résidait désormais la marque sacrée d'Alàlà : un simple cercle brillant et doré. C'était à la fois un symbole de force et de courage, mais également un moyen pour les tobórines de se reconnaître entre elles dans les autres régions de Sympàn. Il fut arrivé que quelques âmes culottées aient tenté de reproduire la figure pour diverses raisons, seulement, lorsque la Déesse Alàlà décidait de vous marquer d'un symbole divin, il était impossible pour quelqu'un d'autre de le falsifier. La raison n'était pas sa complexité, mais la brûlure en laquelle se transformait la vaine reproduction. Le cercle doré n'était peut-être pas compliqué, mais il était sacré.
Une dizaine de minute d'attente et quelques mètres plus tard, Mæglin se trouvait au centre de la grotte, face à la statue magnifique de leur Déesse. Le moment était arrivé, son tour était venu. Ses yeux rencontrèrent ceux de Tanaïs, dans lesquels elle pouvait y lire toute la fierté et la compassion que sa cheffe essayait de lui transmettre. Au milieu de tous ces sentiments, elle y décela l'ombre d'une chose qu'elle ne pût identifier.
Rapidement, elle détourna le regard en direction de Karysta, chez qui elle décela pour la toute première fois une étincelle inhabituelle, comme si elle l'incitait sans un mot à procéder à la bénédiction. Et c'était vrai puisque, derrière ce regard encourageant à l'égard de sa sœur, Karysta ne souhaitait qu'une chose : pouvoir continuer à se battre contre sa meilleure adversaire.
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