Deux pour le prix d'un
Une silhouette dévala un éboulis de pierres moites. Syrah plissa les paupières : la jeune femme avait hérité la stature et la chevelure de son père. Une soie brune et abondante descendait en cascade ondulée jusqu'à sa taille. Sa musculature imposante était soulignée de nombreux tatouages et son visage fin à la peau hâlée faisait ressortir l'émeraude et le citrin de ses yeux vairons. Il dégageait d'elle un mélange de beauté et de force qui impressionna beaucoup Syrah.
Syrah n'eut pas l'occasion de la détailler plus longtemps, car la jeune femme l'engloutit dans une étreinte qui coupa le souffle à la porteuse d'âmes.
- Je suis si heureuse de te connaître ! Je suis Tuihana !
Les accolades semblaient être de famille, et Syrah tenta de conserver sa dignité en lissant sa tunique encore trempée.
- Enchantée, euh, je suis Syrah. Je suis euh la porteuse... d'âmes.
- La porteuse d'âmes ! C'est extraordinaire ! Le prêtre Sylkaïa nous a tellement parlé de toi ! J'ai si hâte de commencer notre aventure ! Néant ! Néant ! Viens vite !
Syrah resta un peu désemparée, c'était la première fois qu'elle rencontrait une âme multiple si enthousiaste. Quant au fameux Néant, elle ne savait pas trop à quoi s'attendre de la part d'une personne au nom si énigmatique.
Tuihana avait entrepris de serrer dans ses bras l'ensemble de la troupe et Syrah ne put s'empêcher de sourire devant la mine perturbée d'Adrast et Pryham que la jeune femme dépassait de plusieurs centimètres.
Un contour se découpa enfin du fond de la grotte, un corps à l'allure élancée et souple. Mais très vite, Syrah vit que, derrière elle, un profil imposant se détachait, elle sentit son cœur s'accélérer et porta instinctivement sa main à son arme.
La silhouette se précisa et un jeune homme noir aux longues dreadlocks lui sourit d'un air incertain, une paume ouverte devant lui :
- Ne sois pas effrayée, Diana est une de mes anim'âmes, c'est un gorille, elle est inoffensive.
Syrah relâcha son épée, effectivement derrière lui l'ombre s'était muée en un singe impressionnant au pelage marron foncé, qui se déplaçait sur de monumentaux poings très semblables à ceux d'un être humain.
Une sensation de calme se dégageait de la haute stature du jeune homme, Syrah nota alors un détail qu'elle n'avait pas remarqué : à partir du coude, son bras droit était sectionné. Une cicatrice boursoufflée fermait l'endroit où il avait été attaché son avant-bras il y a fort longtemps.
- Ne sois pas attristée pour moi, je ne m'en rappelle pas. Je ne me souviens de rien de ma vie d'avant. Mon premier souvenir c'est de m'être réveillé sur un radeau et d'avoir été secouru par la famille de Tuihana.
Syrah détourna rapidement les yeux, gênée que son regard ait été surpris par le jeune homme.
- Je, enfin je ne suis pas... triste, enfin je veux dire, je ne voulais pas...
Le sourire de Néant s'élargit :
- Ce n'est rien, c'est moi qui suis particulièrement... perspicace.
- Tu es l'Empathique ! S'exclama Hestia qui se trouvait juste derrière Syrah.
- L'Empa... quoi ? demanda Tuihana.
- L'empathique et donc toi tu es forcément la Forte ! Reprit Hestia.
- La forte ? Dis-m'en plus s'il te plait ! S'enthousiasma Tuihana.
- Vous aurez tout le temps d'en discuter plus tard ! s'impatienta Sylkaïa. Les lords prédateurs n'en resteront pas là ! Rassemblez vos affaires et quittez cet endroit ! Tuihana, tu connais le chemin à travers la grotte.
Le père de Tuihana s'approcha de sa fille et la serra contre lui avec tendresse, puis il la repoussa doucement pour mieux la regarder :
- Ma fille, tu es le portrait de ta mère, puisse Gaïa veiller sur elle. Je ne saurais être plus comblé de t'avoir pour descendance. Le sang de notre clan coule dans tes veines, ne l'oublie jamais.
Tuihana hocha gravement la tête :
- Je saurai te faire honneur, père.
Maui se tourna ensuite vers Néant :
- Je ne suis pas certain que le nom que tu t'es choisi soit le plus approprié... Cependant bien que tu ne te souviennes pas de ton ancienne vie, sache que tu pourras toujours nous considérer comme ta famille.
Néant, dégluti avec un peu de difficulté, la gorge visiblement serrée. Il fit quelques pas en arrière.
- Je ne pensais pas que vous... Enfin, les sentiments que vous... Merci.
Syrah observa le jeune homme puis le puissant prédateur. Elle remarqua les yeux brillants de l'un comme de l'autre. Elle se demanda lequel déteignait sur l'autre.
- Par les vestiges de l'ancien temps ! Les Hakaris peuvent revenir d'un instant à l'autre ! Fuyez à présent, les interrompit Sylkaïa.
- Le prêtre a raison. Tangata, Sobek, en route ! L'oiseau qui les avait accueillis s'engouffra dans une faille au fond de la grotte. Une mare peu profonde que Syrah n'avait pas remarquée se mit soudain à bouillonner et une créature reptilienne en sortit. Le regard de Syrah s'attarda sur sa mâchoire acérée qui dépassait de sa gueule allongée et son corps trapu recouvert d'écailles épaisses que supportaient des pattes courtes et arquées. Elle eut un mouvement de recul quand ses yeux fendus jaunes se posèrent sur elle.
- C'est un crocodile marin. Une espèce quasiment disparue au moment de la grande vengeance, l'informa Tuihana.
- Je n'ai jamais rien vu de tel. Murmura Syrah.
- Je n'avais jamais rencontré de porteuse d'âmes non plus, et pourtant te voilà. Répondit Tuihana avec un clin d'œil.
- Wolfgang ! Appela Néant, nous partons !
Un animal ressemblant à un grand blaireau s'approcha d'eux, un poisson déchiqueté dans la gueule.
Syrah plissa le nez devant l'odeur puissante de chair en décomposition.
- Navré, s'excusa Néant. Wolfgang est gourmand comme un chat. Il semble que nous ayons cela en commun.
Syrah esquissa un sourire devant l'expression désuète.
– Et quel est cet animal si vorace ? demanda-t-elle.
– On appelle cela un ratel, répondit Néant.
Tuihana les interrompit et leur fit signe du fond de la grotte :
- Allons-y !
Le groupe lui emboita le pas vers les profondeurs de la falaise, Hestia et Tuihana commencèrent à discuter sur un ton enjoué. Svalantia suivait, arc à la main, tandis que Fahën marchait à côté de Sobek, son regard anxieux posé sur l'anim'âme. Alors qu'ils allaient s'engouffrer dans une anfractuosité, Syrah se retourna une dernière fois :
Le clan des orques au grand complet agitait la main dans leur direction tandis que le prêtre Sylkaïa les incitait à se presser à grand renfort de gestes insistants. Syrah crut apercevoir Maui s'essuyer le coin des yeux du bout des doigts.
Elle se faufila dans le mince interstice et la pénombre l'enveloppa, elle plissa les paupières pour tenter de distinguer les contours des parois rocheuses. Elle posa sa paume sur les surfaces glissantes et avança à tâtons avec prudence. Elle allait faire appel à la vue de ses anim'âmes pour s'aider quand elle percuta quelqu'un.
- Aïe ! pardon, j'étais en train de...
Ses yeux nouvellement empruntés à Vagha s'adaptèrent enfin à l'obscurité ambiante et elle reconnut Argo qui se tenait toujours de dos.
- Argo ? Qu'est-ce que tu fais, nom de Gaïa ? S'impatienta-t-elle
Le jeune homme ne répondit rien, mais se retourna lentement vers elle.
Ses sens accrus devinèrent des gouttes de sueur qui perlaient autour de la lèvre supérieure d'Argo et remarquèrent sa soudaine pâleur.
Syrah se rendit compte qu'il était pétrifié.
- Attendez ! Argo a un problème, s'écria-t-elle à l'intention des autres.
La rumeur de la conversation en tête de groupe se tut.
- Qu'arrive-t-il ? demanda la voix d'Adrast
Syrah reporta son attention sur Argo qui, toujours immobile, ne disait pas un mot.
La terreur se peignait sur son visage et son seul œil valide semblait chercher désespérément une échappatoire :
- Argo, parle-moi. L'enjoignit-elle.
- Syrah, répéta Adrast. L'accès est trop étroit pour nous permettre de rebrousser tous chemin. Que se passe-t-il ?
Syrah fit craquer ses doigts, elle qui esquivait Argo du mieux qu'elle pouvait, elle aurait préféré éviter cet épisode.
D'un autre côté, le visage bouleversé du jeune homme faisait remonter à la surface des vagues d'émotions contradictoires. Sans y réfléchir, elle posa la main sur son avant-bras. Argo sursauta :
- Je... C'est étrange... Mais les murs... C'est comme s'ils se rapprochaient de moi.
- Merveilleux, il ne manquait plus qu'un accès de claustrophobie.
Pryham qui fermait la marche avait rebroussé chemin et se tenait derrière Argo, il poursuivit :
- Ma mère... Il jeta un coup d'œil vers Adrast, elle en souffrait... Enfin, elle en souffre. C'est une peur irrationnelle, dans les espaces confinés.
- Je n'ai jamais été... claustrophobe. Répondit Argo qui faisait visiblement un effort pour articuler le moindre son.
- Un effet inattendu de ton retour probablement, avança Pryham. Tu vas mettre ta main sur mon épaule et Syrah restera derrière toi. Garde ton autre main sur les parois pour ne pas trébucher.
- Ou emprunte la vision de Dagueria... si tu accèdes facilement à ta Symbiose, ajouta Syrah à mi-mots.
Syrah se prenait parfois à oublier que Pryham, Svalantia et Fahën ne partageaient pas leurs talents en termes de Symbiose. Son regard s'attarda sur la paume de Pryham posé sur la roche, elle surprit son rictus quand elle prononça cette phrase.
- Oui, ça aussi... Grommela Pryham. En tous les cas, il vaut mieux presser le pas, le meilleur moyen de mettre fin à cela est encore de sortir d'ici.
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