2. Olivia
Angie
La curiosité mal placée ne me vient pas juste lorsqu'il s'agit de prendre des photos.
Ma mère m'ordonnait sans cesse d'arrêter de faire ça. Et part ça, elle entendait bien sûr de me mêler de tout et de n'importe quoi, en utilisant sans cesse cette manie de tout figer.
Si j'avais l'impression que ça m'aidait, ce n'était pas son cas. En appuyant dans toutes les situations, je rendais les choses plus concrètes qu'il ne fallait. Ces sentiments que j'avais peur d'oublier, elle était obnubilée à l'idée de s'en débarrasser. Que j'en garde une preuve avait pour contrainte de l'en empêcher.
Si j'avais écouté ces sermons, si j'avais pu stopper ce qui devenait pour moi une obsession, si je n'étais pas si passionnée par la vérité et ce qu'elle peut engendrer, je ne serais sans doute pas ici, à l'heure qu'il est.
Dans ce couloir. Devant ce bureau.
L'oreille collée à la porte dans l'espoir d'en entendre davantage.
J'ignore pourquoi je ne fais pas demi-tour. Pour quelles raisons mon esprit me pousse à aller jusqu'au bout. Mais je revois le regard d'Henry Neil, je ressens cette atmosphère autour de lui, anxieuse et agitée, et je ne peux me résoudre à laisser tomber.
Un petit indice.
Rien qu'une minuscule chose qui me mettra sur la piste de la vraie cause qui a incité à la venue de ces policiers, et enfin, je pourrais reprendre le cours de ma vie. Parce que je suis parano. Voilà ce qui est réel. J'aurais dû étudier le journalisme, plutôt que la photographie, et utiliser mon don de détective à bon escient.
Je fais taire mes pensées solitaires en appuyant mon attention sur cette porte. Et derrière, la voix du doyen s'élève :
— Je ne sais pas quoi vous dire. Olivia est une jeune fille absolument adorable. Elle a d'excellentes notes et beaucoup d'amis, ici.
— Les gamins cachent parfois bien leur détresse, de nos jours.
— Je suis certain qu'elle reviendra.
— C'est possible, mais nous n'écartons aucune théorie, monsieur Neil.
— Vous voulez-dire que ça pourrait être criminel ?
— Toute hypothèse est encore bonne à prendre, à ce stade. Vous avez sûrement raison et ce n'est sans doute qu'une fugue, mais nous avons pour devoir de s'en assurer.
Je me redresse un peu alors que le flic reprend :
— Si vous avez la moindre information, n'hésitez pas. Ça pourrait nous être très utile.
— Bien sûr, Shane.
J'écoute à peine le doyen achever la conversation que je me recule déjà pour faire demi-tour. La peur de me faire surprendre paraît bien infime, par rapport à ce que mon cerveau met en place dans ma boîte crânienne.
Olivia a disparu.
Et au fond de moi, ce que j'éprouve me fait croire que ça concerne bien plus qu'une simple fugue. Je file à travers les couloirs pour regagner le cours que j'ai quitté en prétextant une envie pressante. Mais face à la porte, je ne peux me décider à entrer. Je me plante devant, le regard fixe, l'estomac noué de tout ce que je ne parviens pas à avouer, la gorge sèche des mots que je n'ose prononcer.
Je glisse le long du mur jusqu'à me retrouver assise sur le sol. Là, mes pensées m'assaillent, mettant en avant mes souvenirs.
Olivia Devos a disparu. Elle a fugué, peut-être. Ou pire.
Ma curiosité se met d'instinct en mode off. Je ne dois pas me mêler de ça. Je ne dois m'immiscer en rien, en ce qui la concerne. Je dois juste me relever, entrer dans cette salle, et faire comme si je n'avais rien entendu.
Je prends mon courage à deux mains, puis me redresse, frotte mon jean et hausse le menton. J'ouvre la porte avec la ferme intention d'oublier cette histoire, mais c'est pourtant avec le sentiment contraire que je retrouve ma place et que je m'y assieds, la boule au ventre.
***
— Tout va bien ? T'as pas l'air dans ton assiette.
Le jeu de mots est bien trouvé, mais la situation pas assez pour que je me laisse tenter à en rire. Je repousse la mienne pour marquer de manière officielle la fin de mon repas.
— Ouais, réponds-je en haussant les épaules.
— Tu crois que Monsieur Neil a fait quelque chose de grave ? questionne Ali qui relève à peine la tête vers moi.
— Je l'ignore.
— Après tout, c'est une grosse tête et pas seulement à Trinity. Il pourrait être impliqué dans une affaire sordide, de meurtre, de viol ou que sais-je d'autre...
Elle pointe son index dans mon ventre, lâchant un rire qui montre qu'elle ne prend rien de tout ça au sérieux.
— Arrête, Ali.
Ma voix sèche la fait redresser le visage pour de bon. Elle fronce les sourcils, puis balance :
— OK... Toi, tu ne me dis pas tout.
Je soupire, fatiguée de paraître si transparente, tout le temps. J'aimerais savoir dissimuler mon mal-être et les choses qui me torturent. Mais il n'y a rien à faire, je fais partie de ceux qu'on lit en un regard. Ce que je pense ne traverse pas que mon crâne, ça sillonne aussi mes yeux.
— Olivia a disparu.
J'ai avoué ça comme ça, juste avant de reprendre la contemplation de la table d'en face et faisant semblant de ne pas voir les traits décomposés de ma copine assise à côté de moi.
— Oli...
— Via. Oui, elle a disparu. J'ai entendu la discussion entre ces policiers et Neil. Ils pensent à une fugue, mais ils n'en sont pas encore sûrs.
— Oh...
Ali baisse les yeux sur le reste de son plateau. Olivia n'a jamais été une de nos amies. Mais elle n'a jamais été une ennemie, non plus. C'est juste une fille lambda, une cheerleader associée à un sportif et qui écoule une vie tout à fait normale.
Du moins, en apparence.
— Qu'est-ce que tu en penses, toi ?
La question d'Alison me fait douter un instant. Je hausse un sourcil et elle explique :
— Je vois bien ce qui passe dans tes yeux. Tu réfléchis. Alors, vas-y, dis-moi. Qu'est-ce que tu crois de tout ça ?
Je déglutis. Si je voulais être honnête avec elle et envers moi-même, j'avouerais ce qui me hante depuis que j'ai entendu cette conversation.
L'inquiétude. La peine.
La peur, également.
Mais être franche supposerait de me trahir, et peut-être de tromper Olivia, aussi. Je suis une femme d'honneur, un serment est un serment. C'est pourquoi je mens :
— Je n'en ai aucune idée.
Mon amie hausse les épaules, pas rassurée, mais pas convaincue, non plus. Puis, nous quittons la cafétéria. Elle, avec une moue anxieuse, et moi, avec tout ce que ça engage de se sentir impliqué.
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