1. Trinity High School


Angie


— Pardon ! Je suis désolée, excusez-moi ! Attention !

Les grognements qui poursuivent ma course effrénée ne m'arrêtent pas. Sur le campus, c'est la bataille entre les habitués et les autres. Les sportifs traînent, provoquent des bouchons dans les couloirs, tandis que les autres s'empressent de rejoindre leurs premiers cours de cette nouvelle semaine.

Pour ma part et en dépit du fait que je connaisse Trinity comme ma poche, je traverse l'allée de casiers en galopant, poussant tous ceux qui se trouvent sur mon passage.

— Pardon, j'ai dit !

L'équipe de cheerleaders s'écarte, non sans me hurler à la figure. Au loin, les basketteurs se marrent.

— Qu'est-ce qui t'arrive Doherty, t'as le feu au cul ?

J'ignore Carter après lui avoir envoyé mon plus beau doigt d'honneur en guise de bonjour. Deux minutes plus tard et je me plante devant la salle qui m'intéresse et qui contient absolument toute ma vie. J'entre en glissant la clé dans la serrure, essoufflée, pour découvrir l'ensemble de la pièce qui me vole le plus clair de mon temps.

Et là, sur la petite table, je le retrouve enfin.

— Je suis tellement désolée, dis-je en m'agrippant à l'objet que je me réapproprie pour de bon.

Mon appareil photo est dans le même état que je l'avais laissé la veille du week-end. OK, le terme oublié serait plus juste dans ces conditions. J'ignore comment ça a pu arriver. En revanche, je sais que ces deux jours loin de lui m'ont fait rater à peu près l'équivalent de la moitié de mon quotidien.

— Je t'avais bien dit qu'il était en sécurité, ici.

Je souffle pour de bon en me retournant. Rody me dévisage en souriant, comme toujours. Il secoue la tête, les mains dans les poches de son pantalon beige classique, pour finalement marquer un pas dans ma direction.

— Tu t'inquiètes toujours trop, Angie.

Je pince les lèvres pour empêcher les mots de sortir. Ce que cet appareil contient, c'est bien plus que des clichés. C'est ma vie, mon passé. Les moments les meilleurs comme les plus durs.

Il y a certaines choses qu'on ne peut pas se résoudre à oublier. D'autres, qu'on ne peut tout simplement pas supprimer. Rody peut sans doute tout comprendre, tout m'apprendre, aussi, mais pas comment se détacher des souvenirs qu'on se crée.

Alors que je demeure silencieuse, il recule.

— Tu devrais te dépêcher, si tu ne veux pas être en retard. Ton premier cours commence bientôt.

— Pourtant, le prof est encore ici.

— C'est vrai, mais pas pour longtemps.

Et il tourne les talons pour quitter le minuscule endroit qui nous est réservé. Je prends soin de fermer à double tour avant de me rendre en classe, mettant mon appareil en lieu sûr dans mon sac à dos. Resler démarre à peine ai-je posé mes fesses sur la chaise. Assis en rond, nous faisons la tournée de nos week-ends et comme il en est coutume dans ce cours, des photographies qui ont marqué ces moments.

Mes yeux se perdent sur tous ces décors, si différents les uns des autres. Je m'efforce de travailler sur moi-même et sur ce que je ressens, mais rien n'est facile. Les clichés en famille m'attristent. Ceux entre amis me hantent. Et lorsqu'il s'agit de paysages, banals ou au contraire, paradisiaques, je ne fais plus la part des choses.

Je me revois sans cesse, dans cette maison, dans cette chambre, avec ces autres êtres humains. M'imaginant une vie joyeuse et paisible, tout en me rappelant combien la mienne ne l'a jamais été.



***



— Celle-ci est très réussie. J'aime beaucoup ce qui s'en dégage.

J'acquiesce, avant d'allumer l'ordinateur de la bibliothèque. Ali me tend l'appareil que je viens brancher pour en transférer le contenu.

— Rodolpho Resler nous dévisage encore. Ce type me file une frousse internationale.

Je ricane et relève à peine les yeux sur mon professeur, assis au fond de la salle.

— Si tu arrêtais d'avoir peur de ton ombre, tu pourrais t'apercevoir qu'il est sympa.

— C'est notre prof, Angie. Tu n'as pas à le trouver « sympa ».

Je souris en secouant la tête.

— Sérieux ! s'exclame-t-elle, ahurie. Tu l'appelles Rody et tu passes la moitié de ton temps avec lui.

— C'est un ami.

— C'est surtout très bizarre.

Je la dévisage en riant pour de bon. Ses cheveux bruns sont attachés en un chignon malmené et relevé sur le dessus de son crâne, qu'elle agite pour me réprimander. Elle plisse les yeux sous ses lunettes rondes et je me concentre à nouveau sur le travail. Je transfère les images sur mon drive avant de débrancher l'appareil et de le ranger, toujours sous son regard spectateur. Alison n'étudie pas la photographie, en revanche, elle est toujours présente pour m'assister.

Nous quittons la bibliothèque après ça, puis regagnons les couloirs qui n'ont pas désempli de monde, bien au contraire. Au loin, la masse d'étudiants paraît impressionnante et surréaliste. Le brouhaha s'élève quand je rejoins mon casier.

— Au fait, tu savais que Carter est en lice pour devenir capitaine de son équipe ?

— Non, je l'ignorais, affirmé-je. Mais tu me vois ravie de l'apprendre.

— Tu le détestes, hein.

— Je ne le déteste pas... la contré-je.

Puis je relève les yeux vers elle pour au final admettre :

— Je le hais.

Un sourire malin traverse mes lèvres alors qu'elle soupire à mes côtés.

— Ceci dit, reprends-je, je respecte quand même ton choix en termes de mec nul. Je t'apporte mon écoute et tout mon soutien.

— Mais ? devine-t-elle.

— Mais je pense que tu fais une erreur.

— Donc, tu ne me supportes pas vraiment.

— Si, pesté-je. Mais enfin, regarde-le !

Elle s'exécute pour se tourner vers son nouveau mec. Et dans ses yeux, je réalise qu'elle n'y est pas du tout. À la place du dégout qui emplit les miens, c'est la douceur, qui les illumine.

— Il est... c'est... je n'en sais rien.

— Qu'est-ce qui te dérange, chez lui ? Le fait que c'est un sportif, ou bien qu'il soit premier de la classe ? me reproche-t-elle.

— Il est premier de la classe ?

Elle hoche la tête, fière. Je referme mon casier.

— L'important, de toute façon, ce n'est pas ce que je pense, mais ce que toi, tu crois.

— Il est sexy, rétorque-t-elle en haussant les épaules. Et intelligent. Et vraiment doué au lit. Est-ce que ça te suffit ?

Sans doute pas. Ça ne devrait pas être un critère requis pour vouloir rester avec un type qu'on n'aime même pas. Néanmoins, j'adhère :

— Absolument.

Au loin, notre attention est soudain attirée en même temps vers des cris près de l'entrée. Sans qu'on ne s'y attende, des policiers pénètrent dans l'établissement et arrachent la contemplation intéressée des cheerleaders, et celle, outrée, du reste de la population.

Au-delà de leurs visages respectifs, je remarque leurs tenues. Ils sont en service, et ce n'est pas bon signe, si j'en crois la personne qu'ils rejoignent.

— Monsieur Neil ?

Le doyen hoche la tête, formel, quand ces hommes le retrouvent.

— Pourrions-nous discuter, je vous prie ?

Henry ne se fait pas implorer, et invite les cinq flics à pénétrer dans son bureau. Il referme la porte après nous avoir ordonné à tous de reprendre le cours de nos activités. Et si la plupart obtempèrent sans rien dire, moi, je les ai vus, dans son regard.

L'inquiétude... et la responsabilité.


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