15. Revanche

Quand Chan ouvrit les yeux, il tomba nez-à-nez avec un délicat visage de poupée.

Il battit longuement des paupières, abasourdi. Puis, à mesure qu'il prenait conscience de la proximité qu'il avait avec l'adolescent blond, la chaleur colora ses joues de rouge.

Son attention se porta brièvement sur les lèvres pulpeuses de Felix. Son souffle se coupa, alors que le souvenir véhément de leurs baisers rejaillissait en lui.

Embarrassé, le Prince referma sèchement les yeux et expira lentement.

Les jambes du blond étaient entremêlées avec les siennes. Il pouvait sentir la douceur de sa peau glabre alors qu'il gigotait doucement pour échapper à son malaise grandissant.

Chan inspira profondément pour se donner du courage et ouvrit lentement les paupières à nouveau. Il s'efforça néanmoins de les détourner du magnifique minois de son vis-à-vis.

Les mains de Felix étaient passées sous sa tunique et effleuraient délicieusement sa peau. Cela le fit déglutir.

Le jeune Prince de Malyeog, en suivant ses propres bras du regard, constata enfin qu'il serrait les hanches étroites de l'androgyne contre lui. Il s'empourpra de plus belle, surtout en remarquant que plus de la moitié de son torse était dévoilé.

Ses pensées s'enflammèrent. Il ne put y résister, même si elles brûlaient d'indécence. Ses mains grimpèrent lentement dans le dos dénudé de son cadet, ses doigts effleurant chaque parcelle de sa peau avec une douceur que personne ne lui connaissait.

L'expression de Felix sembla changer ; un éclat subtil teignit sa mine paisible d'une once de sensualité. Ou n'était-ce que l'œuvre de l'imagination débridée de Chan ?

La lumière de fin d'après-midi qui se frayait un passage dans les quartiers royaux éclaboussait le visage de l'androgyne de taches de lumière orangée, comme si elle désirait que le Prince avise enfin sa véritable beauté.

Celui-ci était plus que fasciné. Tout retenait son attention chez son cadet : son petit nez rond qui se retroussait parfois dans son sommeil, la peau miellée de ses pommettes, ses cils noirs et épais, ses sourcils parfaitement dessinés... Mais par-dessus tout, ses belles lèvres roses faisaient naître une chaleur inextinguible dans le creux de son ventre.

Les mouchetures dorées qui saupoudraient ses joues le rendaient encore plus magnifique. Il donnait l'impression qu'une fée s'était amusée à y disséminer des paillettes, et que ces dernières s'étaient imprimées à l'encre indélébile sur sa peau comme de petites étoiles ardentes.

L'aîné porta une main au visage du blondinet et la glissa dans sa chevelure soyeuse. Elle était douce et brillait d'une couleur semblable au trésor du roi.

Une mèche dorée retomba sur son front, et Chan s'empressa de la repositionner derrière son oreille. Il caressa délicatement sa joue stellaire de son pouce, le regard hésitant. Il osait à peine le toucher, effrayé de briser cet être de porcelaine.

Felix ouvrit les yeux à ce moment précis, telles deux améthystes scintillantes au milieu d'une statue d'ivoire. Chan n'osa plus bouger, de peur que son cadet ne se moque de son initiative irréfléchie.

Son cadet le considéra d'un air confus, son regard voilé par le sommeil se rivant dans le sien. Puis, un éclair brillant illumina ses iris, et il sourit. Sa petite main se posa sur celle de son époux qui se trouvait toujours sur son visage, et leurs doigts s'entremêlèrent doucement.

— Chan..., souffla Felix, la tendresse venant animer sa voix infiniment rauque.

Le Prince perdit l'usage de la parole. Malgré ce qu'il avait pu penser, ce son grave faisait vibrer son cœur et coupait sa respiration. Il détourna timidement le regard, un vif embarras venant lui étreindre la gorge.

L'androgyne pouffa doucement, avant de se rapprocher davantage de lui.

Le visage de Chan parut s'adoucir un bref instant, comme si ses précédentes craintes s'étaient envolées. Son regard parcourut lentement le faciès du blond, ses sourcils se plissant sous la concentration.

Felix cligna des yeux un instant, avant qu'un large sourire ne vienne les faire pétiller. Il s'esclaffa.

— Tu comptes mes taches de rousseur ?

L'aîné retira immédiatement sa main et chercha à quitter l'étreinte de son époux. Tout à coup, elle lui semblait aussi chaleureuse qu'un étau de glace se resserrant autour de son cou. Le blondinet le retint aussitôt, comme s'il s'était attendu à une telle réaction de sa part.

Il gratifia Chan d'un sourire en coin. Celui-ci n'osait plus bouger, malgré l'embarras intense qu'il ressentait. Mais finalement, sa curiosité prit le dessus. Avec hésitation, il tendit un doigt afin d'effleurer la multitude d'étoiles qui parsemaient ses joues.

— Je... Je n'avais jamais vu cela auparavant...

Le sourire de Felix s'agrandit davantage.

— C'est vrai ? souffla-t-il quelques tons plus bas.

Honteux, le Prince baissa vivement la tête. Le plus jeune plaça aussitôt sa petite main sous son menton pour la relever et planta un regard brillant d'affection dans le sien.

— C'est adorable, ne t'en fais pas.

Chan passa sa langue sur ses lèvres sèches, un peu déboussolé.

— Tu n'es pas roux, pourtant...

L'androgyne pouffa doucement et se laissa tomber contre lui. L'aîné resta paralysé quelques instants, ne sachant comment réagir. Mais ainsi, il put remarquer que les petites taches s'étendaient également sur ses oreilles et ses épaules, mais qu'elles y étaient moins nombreuses et moins définies.

Il avait l'impression qu'une nuée de petites comètes dorées s'était échouée sur sa peau couleur de miel. Sa beauté exquise lui évoquait des attraits exotiques particulièrement envoûtants.

La main du blond se posa soudainement sur son torse, et son souffle s'accéléra. Lentement, ses doigts tracèrent un chemin sur le ventre de Chan. Surpris, ce dernier s'écarta tellement vite qu'il tomba du lit, une exclamation étouffée franchissant ses lèvres.

— Je... Je vais aller me changer..., bredouilla-t-il en se relevant prestement.

Ses oreilles chauffaient horriblement. En sentant le regard de Felix s'y poser, il tira un peu plus sur les mèches raides de ses cheveux pour les dissimuler.

Embarrassé par la chaleur enflammée émanant de ses yeux violets, il se saisit d'une tunique, d'un pantalon et d'une redingote au hasard et se précipita derrière le paravent.

Le blondinet se redressa dans le lit avec un rire rauque. Il ne se serait jamais attendu à une facette aussi adorable de la part de Chan. Un sourire s'étendit sur ses lèvres et refusa de s'effacer. Il se traîna alors hors du lit et se rendit dans le salon.

Le Prince de Malyeog prit le temps de recouvrer son sang-froid et de respirer profondément avant de quitter le paravent. Il s'avança timidement à nouveau dans la pièce, perdu dans ses pensées, et sursauta lorsqu'il remarqua la présence d'une jeune femme aux longs cheveux auburn qui venait de pénétrer dans les appartements.

Yuqi lui adressa aussitôt une révérence avec une expression contrite. Elle s'essuya nerveusement les mains sur sa robe anthracite.

— Bonsoir, sire..., balbutia-t-elle. Pardonnez-moi, je ne voulais point vous effrayer.

Chan opina sans piper mot. Il suivit la brune du regard alors qu'elle s'empressait de débarrasser le plat froid qu'il n'avait pas touché et qu'elle le remplaçait par un souper. Il ne put que constater que ses mains étaient secouées de tremblements nerveux.

Un peu hésitant, il se mordit durement la lèvre inférieure, le goût cuivré du sang envahissant sa bouche. Puis finalement, la culpabilité prit le dessus sur le reste et délia sa langue.

— Euh... Yuqi, c'est cela ? murmura-t-il lentement.

La domestique se retourna, l'air tracassé. Son regard s'assombrit de peur. Le Prince déglutit, un sentiment étrange le poignardant dans le dos comme l'aurait fait un poison inséré à petites gouttes.

— J'aimerais m'excuser... pour... le mal que je vous ai fait.

La jeune femme cligna plusieurs fois des paupières, ahurie. Puis, ses yeux s'écarquillèrent au fur et à mesure qu'elle prenait conscience de ses mots.

Chan baissa les yeux en soufflant. Il glissa sa main dans ses cheveux incarnats, un soupir se faufilant entre ses lèvres gercées.

— Vous n'avez pas besoin de vous sentir désolé pour moi, sire..., stipula Yuqi d'une voix froide et parfaitement contrôlée.

Ses yeux marron examinaient le souper du couple royal avec attention, mais ses gestes flageolants trahissaient une nervosité grandissante. Elle se tenait sur ses gardes, et sa posture crispée l'attestait.

L'audace qu'elle avait acquis, due aux contacts fréquents avec Felix, rendit le Prince d'autant plus mal à l'aise. Celui-ci sentit une tension sourde le submerger. Il peinait à comprendre la raison pour laquelle il avait autant de difficulté à exprimer ouvertement ce qu'il ressentait. Sans doute la muraille glacée emmurant son cœur l'avait-elle isolé de ses émotions, mais comment se pouvait-il qu'il ne parvienne plus à y creuser de brèche ?

— Je...

Chan frotta ses paumes moites l'une contre l'autre, à la recherche de mots, à la recherche d'une vague émotionnelle, à la recherche d'une once de bravoure dont il se saisirait pour retranscrire la culpabilité qui l'habitait et nourrissait son mal-être.

Les remords l'assaillirent. Il regrettait beaucoup plus de choses que ce dont il avait toujours pensé et il en prenait conscience avec une brutalité bien trop suffocante.

Il regrettait les actes qu'il avait commis dans le seul but de se sentir important et d'étancher sa soif d'insubordination : ceux envers les jeunes demoiselles qui vaquaient simplement à leurs occupations quotidiennes.

Il regrettait les paroles qu'il avait parfois laissé échapper sous l'influence du pouvoir, des paroles qui ne demandaient qu'à fuser de ses pensées les plus interdites.

Il regrettait le désir prohibé qu'il ressentait pour une Princesse qui n'en était pas une.

Il regrettait le mur fragile autour de son cœur dont il ne parvenait pourtant pas à se défaire. Un mur qui le maintenait en vie, tout en le faisant sombrer toujours plus profondément dans les affres de la noirceur.

Il regrettait son impuissance face au mauvais traitement qu'il subissait parfois.

Il regrettait la brûlure honteuse des larmes qui avaient trop souvent dévalé ses joues.

Et tout cela, lentement mais sûrement, broyait la dernière poussière de fierté qui lui permettait de rester debout.

Il lui semblait avoir fait preuve de trop de compassion, mais de pas assez, tout cela simultanément. Un sentiment conflictuel qui l'amenait à avoir des pensées confuses.

Chan exhala un nouveau soupir et secoua la tête pour chasser les larmes qui avaient commencé à s'accumuler au coin de ses yeux pâles.

— Sachez seulement que je suis désolé, déclara-t-il sur un ton neutre. Si vous ne me croyez pas ou ne voulez pas de mes excuses, cela m'est égal.

Il ne le pensait pas vraiment.

La domestique le dévisagea comme s'il avait changé de visage — peut-être était-ce le cas ? — et poussa un soupir.

— Hmm, acquiesça-t-elle avec suspicion. J'accepte vos excuses, sire.

Elle détourna aussitôt le regard et posa le plat froid sur son plateau d'un geste sec.

En sentant ses épaules se détendre enfin, Chan expira profondément. La tension s'évapora d'un seul coup de son corps. Mais ses jambes chancelantes, seule séquelle de ce sentiment, le trahissaient. Il s'assit lourdement sur le lit et plongea son visage entre ses mains avec lassitude. Il n'avouerait probablement jamais que ces quelques mots l'avaient soulagé d'un énorme poids.

— Yuqi ? fit alors une voix rauque.

— Oui, sire ? répondit aussitôt la servante sur un ton bien plus amène que celui avec lequel elle s'adressait au Prince de Malyeog.

Une douceur affective vibrait dans ses mots, et Chan s'en mordit la lèvre inférieure. Une sensation brûlante comme du venin s'immisça dans son soulagement. Il lui fallut un effort surhumain pour se maîtriser.

— Pourriez-vous m'aider ? demanda Felix en pénétrant dans la pièce.

— Certainement.

Le Prince déglutit et garda son regard baissé. Il faisait déjà face à sa honte, alors il était absolument hors de question qu'il se confronte également à son époux.

Le souvenir ardent de leurs ébats l'épuisait davantage encore. Il tentait vainement de se persuader que son désir n'avait été que le résultat de son chagrin. Après tout, il n'avait pas vraiment été lui-même à ce moment-là. Peut-être le manque l'avait-il poussé à...

— Chan !

Absorbé par ses pensées, le concerné sursauta lorsqu'une main se posa soudainement sur son épaule, l'arrachant ainsi à son état apathique.

Il releva la tête en direction de Felix et croisa ses yeux violets soulignés de khôl noir. Sa chevelure blonde émaillée de petites perles était nattée avec des rubans multicolores qui retombaient dans son dos.

Chan constata avec stupéfaction qu'il portait une tunique d'un blanc crémeux, un pantalon de velours et des bottes de cuir.

Cela lui paraissait inhabituel. Très étrange, à vrai dire. Mais cela lui permit d'enfin remarquer que ses traits n'étaient pas complètement féminins, malgré le maquillage. Maquillage qui d'ailleurs, lui allait bien mieux qu'à certaines femmes de son entourage.

— Oh.

Yuqi et l'androgyne sourirent en même temps face à son interjection plate mais non dénuée d'admiration.

— Tout va bien ? s'enquit Felix en lui prenant la main sans autre.

— Hmm.

Le Prince scruta le sol à ses pieds sans remarquer que la domestique échangeait des regards complices avec le blond. Ce dernier lui adressa un clin d'œil, et elle opina avant de s'éclipser.

— Viens, souffla l'androgyne en entremêlant ses doigts avec ceux de Chan. Il faut que tu manges.

L'aîné se laissa docilement entraîner, l'esprit aussi vide qu'une page blanche. L'expression qui façonnait son visage était superficielle et démunie d'émotions. Mais la profondeur de ses sentiments teintait son regard d'un bleu sombre débordant de gravité, et cela, Felix l'avait bien remarqué.

Ils prirent place l'un en face de l'autre à la table basse. Chan se saisit machinalement de sa cuillère et avala le bouillon et le pain sans réfléchir, effrayé par la perspective que son époux lui vienne en aide.

Une aide dont il aurait besoin, certes, mais dont il préférait se passer.

Il considéra longuement son repas avec un intérêt bien trop excessif pour que cela n'attire pas l'attention du blondinet. Mais celui-ci avait bel et bien remarqué qu'il évitait soigneusement son regard, et cela le fit sourire.

« Pourquoi ne porte-t-il pas de robe ? » se demanda soudainement le Prince de Malyeog.

Il se rendit alors compte de l'absurdité de cette question. Il allait se réprimander intérieurement, quand le rire de son cadet parvint à ses oreilles. Ses yeux s'étrécirent en comprenant qu'il avait à nouveau formulé sa pensée à voix haute sans le vouloir.

— Je n'ai rien dit, lâcha-t-il sèchement en baissant la tête.

La main du blond se posa doucement sur la sienne, le faisant sursauter. Une force incoercible le poussa à croiser son regard lilas qui se riva dans le sien. Un éclat impénétrable tressautait au fond de ses iris.

— Tu m'as avoué que tu peinais à comprendre qui j'étais vraiment à cause de toutes ces illusions dont on m'étoffe, expliqua l'androgyne sans se départir de son sourire narquois.

Chan se mordit la langue pour s'empêcher de rétorquer et hocha la tête en comprenant où il voulait en venir.

— Hmm, laissa-t-il échapper.

Il retira sa main de l'emprise de son époux et engouffra le restant de son souper sous le regard chargé de sollicitude de Felix.

— Durant la dernière épreuve, j'ai dû survivre dans les bois. On a placé un lapin sur ma route pour me servir de guide. Mais dès que je l'ai soigné et que j'ai trouvé la bonne direction, il est reparti dans la forêt.

— Alors comment cela se fait-il qu'il se trouve ici ? s'enquit Chan en s'asseyant en tailleur sur la moquette.

Ses jambes frôlèrent celles, filiformes, de l'androgyne. Ce dernier caressait doucement le petit animal confortablement allongé sur ses cuisses.

— Hmm... Mes amis soldats l'ont retrouvé et me l'ont confié.

— Amis ?

Le Prince exhala un soupir. Felix s'était fait bien plus d'alliés qu'il ne l'aurait cru, et cela, de la part d'un membre d'une famille royale, était un immense avantage.

Il posa son regard sur le minois délicat du blond ; dû à l'attention qu'il portait à Nacarat, ses yeux zinzolin foncé étaient légèrement plissés, son nez retroussé, et la pointe de sa langue ressortait d'entre ses lèvres ourlées de lustre. Quelques mèches argentées retombaient devant son visage constellé de ces petites étoiles qu'il nommait « taches de rousseur ».

Il semblait si fragile et inoffensif... Chan se promit qu'il ne le sous-estimerait plus jamais, maintenant qu'il le savait dangereux. Autant perfide que magnifique, il avait parfaitement conscience des atouts que lui conférait sa beauté.

« Que m'arrive-t-il ? » s'inquiéta alors l'aîné. Depuis quand trouvait-il son apparence androgyne plaisante à regarder ?

Mais malgré son malaise, il ne parvenait plus du tout à le haïr, ni même à éprouver un sentiment de dégoût. Cela le rendit profondément anxieux.

— Chan.

Le timbre grave de la voix de son interlocuteur fit sursauter le Prince.

— O-Oui ? bredouilla-t-il en reprenant difficilement contenance.

Felix lui jeta une œillade partagée entre l'hésitation et l'amusement. Chan en ressentit un besoin urgent de s'éloigner, mais le regard pénétrant de son cadet arrêta son geste.

— Je suis conscient qu'il ne s'agit pas là d'une requête habituelle, mais... pourrais-tu continuer à m'appeler « Princesse » ?

Interloqué, l'aîné fixa son vis-à-vis de ses yeux écarquillés. Un éclair furibond traversa son regard qui se changea en un bleu glacial.

— Pardon ? se rebiffa-t-il en s'écartant de lui. Tout ce dont tu souhaites, c'est te moquer de moi, n'est-ce pas ?

— Non ! s'exclama aussitôt le blond. C'est juste que... je me suis attaché à ce sobriquet.

— Tu veux que je t'affuble d'un titre princier qui ne te correspond même pas ? C'est insensé et plus que risible !

— Ce ne serait pas un titre dans ce cas-là, mais uniquement un surnom.

Chan roula des yeux et se leva brutalement.

— Il n'en est pas question. Je me sens déjà suffisamment ridicule ainsi.

— Chan...

— Je vais prendre l'air.

Felix ne tenta pas de l'arrêter, mais une petite moue vint orner ses lèvres alors qu'il quittait leurs quartiers. Il poussa un profond soupir en caressant les longues oreilles de son lapin.

— Pourquoi est-ce aussi difficile de le convaincre que je ne suis pas si méchant que cela, Nacarat ? souffla-t-il d'un air désespéré.

L'animal se contenta de faire frétiller son museau. Il quitta les jambes du jeune homme pour faire quelques sauts paresseux dans la pièce.

— Je devrais le suivre, tu penses ? s'enquit-il.

Il secoua la tête avec un petit sourire. De toute façon, il ne comptait pas abandonner, mais l'épuisement commençait à le gagner.

Felix se leva et rattrapa Nacarat, avant de l'installer dans sa cage.

— Qui ne tente rien n'a rien, après tout, songea-t-il à voix haute.

Il baissa les yeux sur sa tenue et expira lentement. « Tant pis », décida-t-il en se rendant aux portes de sortie.

Il les poussa et déboucha sur le long couloir royal. Il porta un regard désintéressé sur les guéridons onéreux, les tableaux dépeignant la vie des souverains et les candélabres dispendieux. Les murs, ponctués de portes semblables à celles qu'il venait d'ouvrir, étaient recouverts de papier peint d'un bleu très pâle, ornementé d'or et ourlé de somptueuses décorations.

Certains de tous ses appartements ne serviraient sans doute jamais, puisque très peu d'invités royaux se rendaient à Malyeog, et encore moins à sa capitale, très éloignée des frontières.

L'androgyne avait bien évidemment pu goûter au luxe de ce pays plutôt riche. Il n'avait rien à y redire, si ce n'était le manque de jovialité palpable entre la froideur des pierres de ce château.

Felix comprit à quel point le palais dans lequel il avait grandi lui était cher. La bravoure de sa sœur, la débonnaireté de son frère, les remarques cinglantes des serviteurs lorsqu'il volait les affaires de Laïa, l'expression lasse de sa mère ainsi que la lueur de raillerie qui tressautait en permanence dans son regard, tout cela lui manquait cruellement.

Un semblant de sourire nostalgique naquit sur ses lèvres. Il secoua la tête avec un soupir. Sa vie était à Malyeog, désormais. Songer à son passé ne le mènerait nulle part.

Le jeune homme traversa le couloir et descendit à l'étage inférieur, avant de quitter le palais. Il aboutit sur la grande cour baignée par la lumière orangée du crépuscule.

Il promena rapidement son regard aux alentours, mais n'aperçut aucune trace de son époux.

— Où est-il passé ? murmura-t-il pour lui-même.

— Tiens, tiens, la Princesse aurait-elle égaré sa robe ?

Felix riva vivement son regard sur la personne qui se tenait dans l'ombre de la muraille. L'inquiétude déferla en lui comme une vague, chassant ainsi sa récente assurance. Ses yeux semblèrent lancer des éclairs.

— Du calme, Princesse, continua la voix railleuse en appuyant sur son prétendu titre. Ce n'est que le soldat des ténèbres.

Le blondinet se détendit avec un léger rire.

— Vous m'avez fait peur, sire Changbin, souffla-t-il en changeant habilement son timbre de voix.

— Hmm.

— Vous n'êtes pas avec sire Jisung ?

— Il dort.

Sa réponse détachée fit à nouveau rire l'androgyne.

— Que faites-vous ici, dans ce cas ? demanda ce dernier en se rapprochant.

— Et bien... J'étais à votre recherche, figurez-vous.

— Ah oui ?

— Vous m'aviez promis une revanche, Princesse, lui rappela Changbin avec un sourire en coin. Je désire donc vous provoquer en duel.

Felix opina du chef en sentant une détermination inextinguible poindre en lui.

— Tenez, fit le noiraud. Je crois me souvenir que vous préférez les flamberges aux épées traditionnelles.

— Très juste.

Le blond se saisit de l'arme que le soldat lui tendait et sautilla pour s'échauffer.

— Vos beaux vêtements risquent bien de ne pas s'en sortir indemnes, nota le fantassin en l'examinant.

— À condition que vous parveniez à me toucher, rectifia Felix, un sourire mutin s'étirant sur ses lèvres.

Changbin arqua un sourcil face à son impudence inattendue.

— Vous êtes quelqu'un de particulier... Tant mieux. Cela rendra notre combat bien plus intéressant. Au fait, où se trouve votre époux ?

— Je l'ignore. Il a quitté nos quartiers après que je lui ai demandé de me surnommer « Princesse ».

— Cela ne m'étonne pas outre mesure, ricana le soldat.

— D'ailleurs sire... comment l'avez-vous appris ?

— Quoi donc ?

La voix railleuse du noiraud fit soupirer l'androgyne qui abandonna la partie.

— Faisons ainsi, déclara Changbin avec un regard étincelant de défi. Si vous remportez ce duel, je répondrai à votre question. En revanche, si je gagne... ce sera à vous de me faire une faveur. Marché conclu ?

— Marché conclu.

Le soldat était revêtu de braies et d'une tunique légère, ce qui conforta Felix dans l'idée qu'il préconisait les combats loyaux, puisqu'il savait sûrement que lui n'avait aucune armure en sa possession.

— Je préfère ainsi, renchérit le noiraud comme s'il avait lu dans ses pensées. Cela rend le combat plus amical, et puis, j'ai une plus grande liberté de mouvements. Prêt ?

Le blond acquiesça tandis que Changbin dégainait son épée.

Leurs lames s'entrechoquèrent alors violemment, mais les sourires amusés dessinés sur leurs visages témoignaient du plaisir qu'ils prenaient à s'affronter.

Felix trouva aussitôt l'ambiance de cet affrontement bien meilleur que le premier. La clarté pourpre de la fin d'après-midi rendait l'atmosphère plus magique, et de surcroît, la bonne humeur du noiraud changeait considérablement la donne. Pas qu'il soit plus doux dans ses estocades, non. Mais ses gestes étaient bien plus réfléchis, contrairement à la fois où la rage de vaincre avait pris possession de sa raison.

Le noiraud était fasciné par la façon de combattre du plus jeune. Il tournoyait autour de lui avec la légèreté et la grâce du papillon. Il évitait souplement ses coups et ripostait avec tant de vélocité qu'il craignait parfois qu'il soit trop rapide pour ses yeux.

Il se reprocha de ne pas avoir fait plus attention à cela lors de l'épreuve. Il se promit que plus jamais il ne se laisserait aveugler par son orgueil.

— Une flamberge vous sied bien mieux qu'un éventail, en tout cas, se moqua Changbin.

Le souvenir de l'arme qu'il n'avait aucunement maîtrisé fit rire aux éclats le blondinet. Étrangement, cela ne le déconcentra aucunement. Il para la charge du soldat en virevoltant une fois encore pour l'empêcher de le toucher.

— Votre rire est particulièrement rauque pour une Princesse, commenta le noiraud après une série d'estocs particulièrement impétueux.

Un petit sourire éclata sur le visage de Felix alors qu'une idée germait dans son esprit. Il multiplia les parades et les feintes pour se rapprocher au maximum du fantassin aguerri.

Ses charges soudainement plus belliqueuses surprirent Changbin, dont la mine façonnée par l'amusement s'estompa pour se transformer en une expression concentrée.

— Rauque ? Vous en êtes certain ? souffla alors l'androgyne, laissant sa voix naturelle venir frémir à ses oreilles.

Désarçonné, le noiraud ralentit en écarquillant les yeux. Felix, sans lui laisser le temps de se remettre de sa stupéfaction, tourbillonna à nouveau sur lui-même afin de prendre de l'élan. Son pied atterrit en plein dans la poitrine de Changbin qui se recula, étourdi.

Ce dernier eut à peine le temps de relever la tête que la lame du blond se posa contre la peau fine de son cou. Le métal froid s'appuya durement sur sa pomme d'Adam.

Le noiraud s'immobilisa, sa poitrine se soulevant et s'abaissant au rythme de sa respiration effrénée.

Les deux jeunes hommes se jaugèrent du regard pendant quelques secondes. Celui du plus jeune était un amalgame de fierté et d'amusement, ce qui contrastait avec la dureté de son expression.

Le sourcil gauche du soldat s'arqua avec étonnement. Dans ses iris brillait une lueur d'admiration qui n'échappa pas au blondinet.

— Me feriez-vous l'honneur de me laisser entendre votre voix enchanteresse une deuxième fois ? souffla Changbin avec un soupçon de raillerie.

— Pourquoi pas ? Je n'ai plus rien à cacher.

— Vous êtes vraiment très intéressant... Ne préfériez-vous pas vous enrôler dans l'armée, plutôt que de passer une existence oisive dans le palais ?

— Hmm... On ne me laisserait pas, et vous savez aussi bien que moi. Mais je tâcherai de songer à cette idée, promit l'androgyne.

— Bien. Mais vous feriez mieux de vous entraîner davantage avant de prendre votre décision.

— Que voulez-vous dire ?

Changbin sourit. Une ombre traversa son regard.

— Première leçon pour vous : la distraction est souvent source d'échec.

Avant que Felix ne puisse réagir, il lui saisit violemment le poignet et le tordit. Le Prince laissa filer un léger cri mêlant douleur et surprise, et sa flamberge lui échappa des mains. Le noiraud plaqua alors son dos contre lui, le coinçant ainsi entre son torse et son épée affûtée appuyée sur son cou. Lorsque celui-ci tenta de se défaire de sa poigne, il lui agrippa solidement le bras.

— Dommage, ricana-t-il.

— Bien joué, sire Binnie. Je ne m'étais pas attendu à tant de vélocité de votre part, railla son cadet.

— Moquez-vous si vous le souhaitez, mais en attendant, c'est moi qui remporte ce duel, Princesse.

— Vous êtes vraiment fourbe.

Changbin pouffa en secouant la tête.

— Chevronné, Princesse, pas fourbe.

— Très bien, vous gagnez... pour cette fois, fit le blond en se démenant pour qu'il le lâche.

Le noiraud éclata de rire en le libérant.

— Soit. La prochaine fois, une autre revanche s'imposera.

Felix acquiesça avec un sourire malgré la douleur lancinante de son poignet qui remontait dans son avant-bras. L'expression allègre du fantassin s'effaça brusquement pour laisser place à un regard inquiet.

— Êtes-vous sérieusement blessé ? demanda-t-il aussitôt.

— Non, je vais bien, ne vous en faites pas.

Le Prince s'efforça d'arborer un sourire, mais il ne put dissimuler la grimace qui déformait ses traits.

— Venez, je vous accompagne jusqu'aux cuisines. Là-bas, une servante sera sûrement en mesure de vous apporter de l'aide.

Le plus jeune hocha vivement la tête. Mais soudain, le regard de Changbin se porta derrière le plus jeune, et son expression se décomposa à nouveau. Une antipathie virulente fit étinceler ses yeux de mépris.

Avant que le blond n'ait pu lui demander ce qui se passait, une voix s'éleva dans son dos, aussi glaciale que la brise.

— Laïa.

Des frissons se glissèrent comme un serpent le long de l'échine de Felix.

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