09. Appréhensions

Yuqi se tenait devant les doubles portes menant aux appartements privés de la Princesse Laïa, son déjeuner entre les mains.

Sachant que Felix était rentré complètement éreinté la veille au soir, elle hésitait à le réveiller, même si le soleil s'était levé depuis deux heures déjà.

La belle jeune femme déposa le plateau de nourriture sur un guéridon, et se tritura nerveusement les doigts. En tant que domestique, il était de son devoir de prendre soin des personnes auxquelles elle était assignée, tout en respectant leur intimité. Mais le Prince l'avait déjà invitée moult fois à partager son repas, comme si elle était son égale.

Elle lui en était profondément reconnaissante de voir plus que la servante en elle, mais désormais, elle était en proie à la honte la plus absolue.

La brune regrettait d'avoir révélé le plus lourd secret du blond à Chan, même si elle n'avait pas eu le choix. Heureusement, elle était parvenue à se sauver avant qu'il n'ait pu lui arracher davantage d'informations.

« Les domestiques sont tenus de garder le silence et d'être d'une servilité exemplaire. C'est ainsi que l'on peut leur faire confiance », songea Yuqi, peinée.

Elle s'était répété ces mots au moins une dizaine de fois depuis l'aube. Mais cela ne parvenait pas à effacer son terrible sentiment de culpabilité exacerbé, ni le fait qu'elle avait parlé.

Un châtiment l'attendait probablement, et la jeune femme ne protesterait pas lorsque la sentence tomberait. La seule chose qu'elle craignait, c'était que Chan soit promis à Aisha par sa faute.

La brune aurait voulu repousser sa confrontation avec Felix à plus tard, mais elle avait déjà vaqué à toutes ses corvées quotidiennes avec une efficacité désarmante. Tout le reste de sa journée avait été libéré pour qu'elle soit en mesure de s'occuper correctement de l'aspirant.

Au moment de cette prise de décision, elle avait reçu à cœur joie cette mission. Mais là, alors qu'elle hésitait en face des quartiers du Prince, la servante se dit que sa patronne aurait mieux fait de choisir quelqu'un d'autre, quelqu'un qui savait tenir sa langue.

Yuqi exhala un profond soupir. En avisant sa jupe crème surmontée d'un tablier, elle l'ajusta correctement et lissa le tissu. Elle se devait de paraître présentable.

Elle décida de s'occuper de la lessive en premier lieu. Cela lui donnerait le temps d'organiser ses pensées et de réfréner ses émotions conflictuelles.

En faisant appel à la qualité de domestique qu'était la discrétion, la jeune femme glissa la clé dans la serrure et ouvrit les portes. Elle pénétra dans les quartiers de Felix à pas de loup en veillant à bien refermer derrière elle pour éviter que quelques curieux n'y jettent un coup œil.

Le jeune homme dormait sur le côté dans son lit à baldaquin, mais son sommeil avait dû être agité. La couette gisait sur le sol, abandonnée. Sa chevelure or reposait sur l'oreiller, telle une auréole enjolivant un visage angélique piqueté de petites taches mordorées.

« Il est vraiment beau... », ne put s'empêcher de penser Yuqi, émerveillée par ses traits d'une délicatesse indicible.

Aussitôt, elle sentit ses pommettes s'empourprer. Elle détourna la tête et s'empressa de rassembler les vêtements sales déposés sur le sol. Elle constata ainsi la présence d'une tunique et de braies, ce qui ne manqua pas de piquer sa curiosité.

Elle quitta les quartiers afin d'aller déposer les habits dans un panier à destination de la buanderie. « Je les laverai plus tard », décida-t-elle en retournant voir le Prince.

La brune emporta le repas à l'intérieur et le déposa sur la table basse. Toujours en silence, elle agrippa la couette et l'étala sur Felix en la remontant jusqu'à son menton.

Soudain, les yeux de ce dernier papillonnèrent. La servante recula précipitamment en se demandant s'il allait la réprimander d'être entrée sans sa permission.

Son regard d'un violet intense était voilé de confusion. Yuqi attendit patiemment qu'il prenne conscience de ce qui l'entourait.

— Yuqi ? bredouilla-t-il en fronçant les sourcils.

Sa voix rauque et éraillée fit sursauter la servante.

— J-Je suis désolée..., s'excusa-t-elle. Je n'aurais pas dû entrer comme ça...

— Non, ne vous inquiétez pas... Quelle heure est-il ?

— Il reste une heure et demie avant midi, sire.

Le Prince prit quelques secondes à emmagasiner l'information.

— Il est si tard ! Pourquoi ne m'avez-vous pas réveillé comme de coutume ?

— Je pensais que vous auriez besoin de repos... Pardonnez-moi..., bredouilla la jeune femme avec un air contrit.

Les événements de la veille revinrent alors en mémoire du blondinet.

— Non, je pense que vous avez bien fait... Je me sens revigoré.

Il ponctua ses propos par un sourire sincère qui rassura partiellement Yuqi.

— Néanmoins, pendant que je m'habille, cela vous dérangerait-il de vous retourner ?

— Oh...

Les joues de la servante virèrent au cramoisi. Elle s'empressa de faire face aux portes en se sermonnant intérieurement. Les charmes et la bienveillance de Felix commençaient à l'atteindre, elle aussi.

Le Gongdanien quitta ses draps dans un froissement de tissus, et alla fourrager parmi ses vêtements.

— Dites-moi, puisque vous ne m'avez pas réveillé avant, j'en déduis que le Roi n'a pas encore rendu son verdict ? s'enquit-il.

— C'est exact. J'ignore toutefois ce qui le retarde ainsi.

Le blond s'en réjouit. Si le monarque doutait, cela signifiait qu'il avait encore une chance de remporter les épreuves.

Il autorisa ensuite Yuqi à se retourner. Celle-ci ne se fit pas prier, car il était de son devoir de maquiller et coiffer le Prince.

Bientôt, celui-ci vit sa chevelure être soigneusement coiffée en une multitude de petites tresses retenues par des lanières, et ses cils être agrémentés de mascara. Yuqi colora ensuite ses paupières d'un mauve assorti à sa longue robe de soie pourpre brodée d'or.

— Vous êtes splendide, sire, le complimenta la domestique.

Et elle le pensait réellement, malgré son manque d'enthousiasme évident. L'androgyne perçut immédiatement la pointe de culpabilité que recelait sa voix tremblante.

— Tout va bien, Yuqi ? demanda-t-il avec inquiétude.

Elle opina, la mine basse. Felix la dévisagea en silence, attendant qu'elle veuille bien se livrer.

La jeune femme se pinça les lèvres.

— À vrai dire, il y a quelque chose que je dois vous dire, avoua-t-elle en baissant les yeux. C'est à propos de Chan...

— Chan ? Vous a-t-il à nouveau...?

— Non, ne vous inquiétez pas pour moi. Cela vous concerne, à vrai dire.

Le blond resta silencieux, un air de gravité s'emparant de son visage. Ses yeux lilas semblèrent s'assombrir. « Il ne peut pas déjà savoir, si ? » s'inquiéta Yuqi.

— Je... Je suis vraiment navrée, il..., bafouilla-t-elle entre ses expirations hachées.

— Yuqi, calmez-vous, voyons, l'arrêta gentiment l'androgyne en la sentant au bord des larmes. Dites-moi simplement de quoi il en retourne.

— Chan... Il m'a demandé qui vous étiez... Et je... J'ai dit que vous étiez le frère de Laïa...

Felix ferma les paupières, profondément angoissé.

— Je suis désolée ! s'affola la domestique. Je... J'accepterai le châtiment qui vous plaît, sire.

— Un châtiment ? s'étonna-t-il en rouvrant les yeux. Voyons, Yuqi, jamais je ne ferais une chose pareille.

— Vous... Vous ne m'en voulez pas ? À cause de moi, il sait.

— Il le savait déjà, Yuqi. Je n'ai pas été très prudent non plus...

La servante en ressentit un étrange mélange de soulagement et d'inquiétude. Elle venait de comprendre la raison de l'étrange apathie du jeune homme, ces derniers temps.

— Que s'est-il passé ? se risqua-t-elle à demander.

Le Prince laissa échapper un léger rire.

— La même chose qu'à vous... Mais la surprise ne lui a pas plu, on va dire.

— Je vois...

Felix scruta les deux bagues onéreuses qu'il portait, profondément songeur.

— Je m'en veux de susciter son dégoût, avoua-t-il avec un regard embué.

— Vous ne devriez pas, sire. Ce n'est pas de votre faute. Et puis, Chan est naturellement ainsi, à repousser ce qui lui déplaît de prime abord. Il est impossible de le changer.

Le blond opina, car il ne désirait pas poursuivre cette conversation qui ramenait de bien mauvais souvenirs à son esprit. Il alla s'asseoir à la table basse et se mit à manger sans afficher d'appétit. Sous un ordre silencieux de sa part, la jeune femme prit place sur une des bergères sans savoir quoi dire pour le réconforter.

« Impossible de le changer... Mais qu'en est-il de faire ressortir sa vraie personnalité ? » se surprit à penser Felix.

Accoudé à la rambarde de son balcon, Seoho embrassait du regard la forêt qui s'étalait à perte de vue devant lui. Ces mêmes bois d'où étaient sorties, l'une après l'autre, Aisha et Laïa.

Le résultat aurait dû être tout tracé. Après tout, les règles étaient les règles. Mais étrangement, l'héritier n'était pas convaincu.

Et c'était la raison pour laquelle il avait convaincu son père de remettre sa décision à plus tard.

Plusieurs choses le tracassaient, à vrai dire. La victoire d'Aisha alors qu'il avait expressément interdit à la Reine de s'en mêler n'était donc qu'une coïncidence ?

Un élément n'allait pas. Mais malgré tous ses efforts, Seoho ne parvenait pas à mettre le doigt dessus.

— Je savais que je te trouverais là, lança alors une voix bien moins confiante qu'à l'accoutumée.

— Channie, tu tombes bien. Approche.

Pour la première fois, celui-ci ne le reprit pas lorsqu'il l'appela par le sobriquet qu'il détestait.

L'héritier arqua un sourcil en le voyant approcher, car il ne pouvait voir nulle part la prestance royale qu'il s'efforçait pourtant toujours de conserver. Ses épaules étaient lâchées, son regard fixé en direction du marbre recouvrant une partie du balcon. Même sa démarche semblait moins imposante.

— Tout va bien ? questionna-t-il avec une profonde inquiétude.

Chan opina du chef en passant sa langue sur ses lèvres sèches. Seoho n'insista pas, même si son malaise était palpable.

— Qu'est-ce qui t'amène ? s'enquit-il plutôt.

— Je sais que tu t'isoles ici quand tu éprouves le besoin de réfléchir. Alors je me suis dit que...

Le jeune homme aux cheveux couleur de miel vit traverser, l'espace d'un instant, quelque chose qui ressemblait à de l'incertitude dans ses yeux pâles.

— ... Que j'allais te proposer mon aide, termina le plus jeune d'une voix qui flancha.

— Ah oui ? Ce serait bien la première fois. Ne serait-ce pas plutôt l'inverse ?

Chan garda le silence, car il avait vu juste. Mais cela l'embarrassait terriblement. Seoho sembla toutefois le remarquer.

— Il n'y aucune honte à avoir, le rassura-t-il en posant une main amicale sur son épaule. Si tu désires te confier, fais-le sans crainte, mon frère.

Celui-ci déglutit péniblement, tant sa gorge était nouée par un enchevêtrement d'émotions qu'il peinait à déceler. Tout était juste lourd, trop lourd à supporter.

Mais aussi à révéler.

Chan s'en sentit incapable, sa langue pâteuse et ses lèvres scellées par la honte ne lui obéissaient pas. Le poids de son effroi, de son incompréhension, de sa répulsion, de sa fureur et de sa peine formait un nœud qui, serré autour de son corps soudainement fragile, broyait ses entrailles et ses pensées.

Ses yeux se remplirent de larmes, mais une fois encore, il s'efforça de les chasser.

Seoho ne sut comment réagir face à la soudaine faiblesse de son frère, lui qui avait toujours refusé de laisser libre cours à ce qu'il ressentait véritablement. Il devina que cela devait être douloureux pour lui d'abaisser sa forteresse intérieure.

Alors, pour lui changer les idées, il décida de lui parler de son problème à lui, qu'il n'avait jamais révélé à quiconque.

Il se rapprocha de la balustrade et s'y accouda à nouveau. Son regard brillant d'une lueur désormais différente parcourut le Royaume qui lui appartiendrait un jour.

— Tu sais, Chan, il viendra des temps difficiles.

— Comment ça ? bredouilla son interlocuteur en retrouvant enfin l'usage de la parole.

— Lorsque ma formation pour devenir Roi se terminera enfin, père voudra certainement que je me marie, moi aussi. Et... ce sera terriblement difficile.

— Tu es amoureux d'une paysanne...

Seoho pouffa tristement. Sa perspicacité l'étonnerait toujours.

— C'est assez récent, à vrai dire. Tel que je te connais, tu n'ignores pas que j'essaie de me mêler au peuple le plus souvent que je peux, n'est-ce pas ?

— Je t'ai déjà vu quitter le palais à maintes reprises, une cape couleur de terre jetée sur tes épaules pour effacer toutes traces de royauté de ta personne, souffla Chan avec un demi-sourire.

— Je veux connaître ce qui est de mieux pour mon futur peuple. Je veux vivre les mêmes épreuves qu'eux et connaître leurs besoins. Quand le temps sera venu pour moi de les gouverner, je prendrai ainsi de meilleures décisions.

— Je ne peux qu'approuver ton initiative, mon frère. Tâche aussi de prendre cette demoiselle pour femme, si elle est digne de ta confiance. Ne laisse pas père te forcer à traverser les mêmes épreuves émotionnelles que moi.

— Je... J'essayerai. Mais tu sais, père ne veut que ton bonheur.

— Laisse-moi en douter. Il ne m'a jamais véritablement aimé.

— Chan...

— Non, écoute-moi, l'interrompit celui-ci. Nos parents ont donné naissance à un merveilleux fils qui remplit tous leurs critères pour devenir un jour un grand Roi. Ils n'ont pas besoin de moi.

— Alors, tout ce que tu as fait pour contrarier père, c'était pour prouver ta valeur et attirer son attention ?

Chan secoua la tête avec un soupir.

— Non. Je n'ai pas besoin de lui pour me sentir important, rétorqua-t-il sèchement.

Seoho opina en le scrutant en silence. Il n'avait jamais réellement compris les intérêts de son jeune frère, et apparemment, il ne les comprendrait pas de sitôt.

— Pourquoi père n'a-t-il pas encore annoncé ma future épouse ? demanda le jeune homme à la chevelure nacarat afin de changer de sujet.

— Je crains que cela soit à cause de moi.

— Explique-toi.

— Aisha est bel et bien arrivée en premier, mais... quelque chose ne va pas. Et cette histoire d'alliance avec notre mère... Non, il me faut découvrir toute la vérité avant de prendre une quelconque décision.

— De toute façon, cela doit être Aisha.

L'aîné arqua un sourcil.

— Pardon ? Et pourquoi cela ?

— Elle est la seule à réunir tous les critères de père.

Chan fixa l'horizon, le regard dans le vague.

— Que veux-tu dire ? persista l'héritier.

— Mon épouse doit être une femme, n'est-ce pas ? souffla son vis-à-vis d'une voix presque inaudible.

— Quelle étrange question... Évidemment.

Son frère se cramponna au parapet, comme s'il craignait de s'effondrer. Les jointures de ses mains prirent bientôt une teinte cireuse, semblable à son visage livide.

Seoho lui agrippa les bras et le fit pivoter vers lui. Il planta ses yeux dans les siens avec gravité.

— Pourquoi demandes-tu cela ? questionna-t-il, même s'il commençait à comprendre.

Chan détourna le regard avec circonspection.

— Tu sais très bien pourquoi. La Laïa qui participe aux épreuves n'est pas la vraie.

Sa voix s'était peut-être modelée sur un ton neutre, mais les tremblements qui la secouaient rendaient le tout bien trop factice pour que l'héritier n'y fasse fi.

— Tu en sais davantage, devina aussitôt ce dernier.

— Plus que ce j'aurais préféré... Une servante m'a révélé que son frère avait usurpé son identité.

Seoho éclata de rire à cette déclaration, ce qui désarçonna son interlocuteur.

— Un homme ? s'amusa-t-il. Mais où es-tu allé chercher une pareille accusation ?

Le concerné garda le silence, car il ne désirait pas partager sa deuxième preuve qui pourtant, corroborerait ses dires. L'héritier le dévisagea en silence.

— Mais Chan, peu importe ce qui te tourmente ainsi, tu dois savoir une chose importante, commença-t-il posément.

— Je ne suis pas sûr d'être prêt à entendre une autre nouvelle qui me chamboulerait, avoua aussitôt le plus jeune.

— Chan. Si je découvre qu'Aisha a fait preuve de tromperie, et que tout ceci n'est qu'un pacte crapuleux entre la Reine et ses parents... Il faudra que tu fasses preuve d'abnégation en acceptant d'épouser Laïa, peu importe qui elle peut être. C'est ton devoir, afin de protéger le Royaume.

— De la part d'un homme à qui on a reproché tout sa vie d'être incapable de mettre son propre intérêt de côté, je trouve cette remarque parfaitement déplacée, riposta aussitôt Chan sur un ton cinglant.

— Peut-être. Mais je sais faire la différence entre avoir le choix, ou non. Et là, Channie, tu es forcé de te marier. Alors c'est bien simple : ou tu prends Aisha comme épouse, et Malyeog forgera possiblement une dangereuse alliance avec Munhwi, ou Laïa devient ta femme.

— Laïa n'est pas une femme.

— Ne sois pas ridicule, rétorqua Seoho. Ne crois-tu pas que s'il s'agissait réellement d'un homme, nous l'aurions découvert bien avant ? Ne t'avise pas de répandre de fausses rumeurs qui pourraient détruire sa vie.

Sur ces entrefaites, le jeune homme s'engouffra dans ses appartements, laissant Chan seul sur son balcon. Ce dernier fixa la porte par laquelle s'était échappé son frère, comme s'il allait réapparaître et avouer qu'il s'était bel et bien trompé.

Il avait pu se confier, mais Seoho ne le croyait pas. Il s'en retrouvait d'autant plus secoué et profondément confus.

— Et si Laïa était véritablement une femme, et que tout cela était l'œuvre de mon imagination avinée ? se demanda-t-il à voix haute.

Saisi d'une profonde incertitude, il sentit ses yeux lui piquer.

— Cesse de pleurer à cause d'elle ! se reprocha-t-il vivement. C'est risible ! Tout cela est parfaitement risible !

La possibilité qu'il épouse la Princesse de Gongdan ne cessait de croître. Pourtant, Chan n'avait absolument aucun envie de se marier avec Aisha, que tout le monde au palais, y compris lui, haïssait. « Un homme ou une sorcière... », se désespéra-t-il.

Il plongea son visage entre ses mains dans l'espérance de dissimuler ses traits tirés et ses yeux chargés d'effroi. Si quelqu'un aurait pu le voir, il ne verrait qu'un adolescent effrayé à l'expression affligée. Le Prince à la prestance irréprochable, au regard d'acier et dont le cœur n'était qu'une étendue glacée par l'indifférence n'existait plus. Mais avait-il seulement réellement existé ? Comment pour tous les personnages royaux, il n'avait fait que porter un masque et s'entourer d'une muraille.

Le jeune homme poussa un cri, un cri recelant rage et impuissance. Il se rendit alors compte qu'il tremblait. Ses mains agitées de spasmes n'étaient que le résultat d'une faiblesse affichée au grand jour. Une ombre ténébreuse avait recouvert son cœur d'un voile obscur.

Chan avait peur pour son avenir, peur qu'une union avec une de ces Princesses le briderait et le forcerait à faire des actes dont il n'avait aucune envie. Il craignait Aisha parce qu'il la savait capable de la pire duplicité, et il craignait Laïa parce qu'il ne connaissait presque rien d'elle.

Hormis son infâme secret.

Il avait besoin de savoir, mais il n'avait aucune envie de se confronter à elle, ou plutôt à lui, une nouvelle fois.

Complètement vidé émotionnellement, le Prince leva des yeux fatigués sur le paysage. C'est alors qu'il fut témoin d'une scène qui l'ébranla profondément.

L'épée du jeune soldat fendait l'air avec une dextérité sans égal. Extérieurement, ses coups auraient pu sembler brutaux et irréfléchis, mais au contraire, ils étaient tous parfaitement calculés. La seule chose qu'il peinait à contrôler, c'était la force de son bras particulièrement musclé.

Le mannequin d'entraînement tremblait à chaque fois que la lame creusait une entaille dans le bois. Il ne résisterait probablement pas à la rancune et à l'amertume de Changbin.

Pour la première fois depuis de longues années, ses pensées étaient hantées par de vieux et douloureux souvenirs qu'il ne pouvait tout simplement pas oublier.

Son passé avait commencé à resurgir en lui dès qu'il avait posé les yeux sur la prétendue Princesse Laïa. Son visage et ses manières lui rappelaient une jeune femme qu'il avait jadis aimée de toute son âme.

Mais la raison principale de cette tourmente, c'étaient les sentiments nouveaux qui naissaient en lui. C'était son cœur qui s'embrasait lorsqu'il apercevait ce même regard pétillant, ce même sourire optimiste. C'étaient les papillons qui voltigeaient dans son ventre quand cette main se posait sur son épaule.

L'épée s'enfonça brutalement dans la partie empaillée du mannequin. Haletant, le noiraud la laissa en place et se laissa choir au sol.

Il sentait un étrange tourbillon conflictuel monter en lui, un mélange de douceur et de crainte. Lui, considéré comme le fantassin le plus farouche qui soit, n'avait pas le courage d'accepter ses sentiments, d'accepter d'aimer à nouveau.

Le jeune homme regretta aussitôt de ne pas avoir emporté son outre pour se rafraîchir, pour que l'eau s'écoule sur son visage et efface la plus subtile de ses émotions.

— Binnie ! s'exclama une voix en laissant traîner le deuxième « i » de manière exagérée.

Changbin tressaillit et leva les yeux sur son vis-à-vis.

— Ji' ? Qu'est-ce que tu fais ici ?

Le soldat en question ne portait pas son habituelle armure. Il avait revêtu une simple tunique, un pantalon de toile beige et ses éternelles bottes de cuir. Aucune arme ne pendait à sa ceinture, et quelques mèches de ses cheveux châtains lui retombaient sur les yeux.

— Nous n'avons pas encore de répit, soupira le noiraud en arquant un sourcil.

Toutefois, les légères incartades de son ami ne l'étonnaient plus vraiment.

— C'est vrai, mais j'avais chaud ! s'expliqua Jisung, un magnifique sourire se peignant sur son visage.

Il se rapprocha et s'assit aux côtés de son aîné, leurs épaules s'effleurant.

— C'est une excuse stupide, Ji'. Et tu le sais. La dernière fois, Lucas t'as sévèrement réprimandé.

— Avoue que ça t'a plu de le voir aussi rouge, ricana le châtain en lui administrant une claque amicale dans le dos.

Les lèvres de Changbin s'étirèrent en un petit sourire en coin. Évidemment qu'il avait apprécié voir l'autorité du commandant être contestée.

— Tu n'as pas répondu à ma question. Pourquoi es-tu là ?

— J'avais envie de retrouver mon asocial préféré, badina Jisung avec ce sourire malicieux qui flottait en permanence sur son visage.

Le noiraud leva les yeux au ciel en pouffant. « Il ne changera donc jamais... »

— Et toi ? Pourquoi as-tu traîné un mannequin jusqu'à la lisière de la forêt pour le massacrer, alors que tu as un fidèle compagnon parfaitement heureux de se faire démolir par tes beaux bras ?

— J'avais besoin d'être seul, c'est tout.

— Ah ha ! s'écria le châtain, le faisant sursauter. Je le savais ! Ton passé mystérieux remonte, pas vrai ?

— Comment tu le sais ? bredouilla Changbin, désarçonné par le brusque changement de ton de son ami.

— Tu n'as pas réagi à ma plaisanterie. C'est un signe !

Jisung se rapprocha encore un peu plus, jusqu'à complètement le coller, et passa un bras autour de sa taille. Le noiraud écarquilla les yeux, profondément secoué par leur proximité. Les doux cheveux du plus jeune lui chatouillaient le visage et caressaient sa peau.

— Alors, dis-moi tout, chuchota ce dernier.

— J-Je... Ne t'en fais pas pour moi, je me sens seulement un peu triste... Je vais m'en remettre.

Jisung porta sa main au visage cramoisi de son aîné et enfonça son doigt dans sa joue.

— Tu rougis ! gloussa-t-il.

Changbin tourna brutalement la tête dans sa direction pour se récrier, mais son regard rencontra les yeux noisette du châtain, et son souffle se coupa.

Sans un mot, Jisung vint glisser une de ses mèches d'ébène derrière son oreille avec un sourire tendre, avant de poser sa main sur sa pommette.

— Adorable..., souffla-t-il en laissant son regard retracer les traits marqués du noiraud.

Ce dernier n'osait plus du tout bouger. Il était comme coincé dans un rêve, dans un monde hors du temps. Ses tourments semblèrent s'alléger, sa poitrine se relâcha doucement et son corps se décrispa, alors que la chaleur corporelle du châtain se mêlait à sa peau et estompait ses regrets.

Encouragé par son absence de réaction, Jisung inclina lentement sa tête sur le côté et vint happer les lèvres de Changbin entre les siennes. Dans un cocon d'une douceur infinie, il lui offrit un délicat baiser au goût de miel.

Le noiraud ferma les paupières et y répondit aussitôt, malgré ce tourbillon en lui qui prenait les proportions d'un ouragan tumultueux. Sa main rejoignit celle du châtain posée sur son visage et entremêla leurs doigts.

Lorsqu'ils se détachèrent, ils s'observèrent longuement sans prononcer un seul mot. Puis Jisung se pencha à nouveau et alla chercher un bref baiser sur sa bouche.

— J'espère que je pourrais te faire oublier tous tes tourments, Binnie..., murmura-t-il sur un ton si doux qu'il semblait ne pas lui ressembler.

Soudain, il se leva et alla prendre place sur les cuisses de Changbin. Il enroula ses bras autour de sa nuque et planta son regard ardent dans le sien.

— Je t'aime, souffla-t-il.

La bouche du noiraud s'entrouvrit avec surprise.

— Je... Je pensais que ce n'était pas réciproque..., bredouilla-t-il timidement.

— Comment pourrais-je ne pas avoir de sentiments pour toi ? Tu es quelqu'un de magnifique, autant intérieurement qu'extérieurement. Tu mérites tellement d'être heureux, après tous ces rejets que tu as vécus...

Les yeux de Changbin se remplirent de larmes qui tracèrent aussitôt des sillons salés sur ses joues. Le châtain s'empressa de les essuyer avec un doux sourire.

— Ne pleure pas, Binnie. Je suis là, et je ne partirai jamais.

Jisung s'empara de ses lèvres et l'embrassa passionnément. Il frissonna lorsqu'il sentit les mains du noiraud se poser sur ses hanches et les caresser à travers leur étreinte de plus en plus fougueuse.

— Je t'aime tellement, Ji'..., murmura Changbin entre deux baisers.

Le concerné le renversa sur le sol et l'embrassa fiévreusement.

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