06. Acculé
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Hyunjin n'était pas tout à fait comme les autres gardes.
Ce soldat était animé par un puissant désir de charmer. Il aimait séduire autant les femmes que les hommes, avec une légère préférence pour ces derniers, car ils se montraient un peu plus récalcitrants à ses avances.
Ainsi, il avait déjà entretenu des dizaines d'aventures avec à peu près tout le monde.
Ce besoin impérieux de séduction était bien le seul point commun qu'il se trouvait avec Chan. Il n'avait pas une seule goutte de sang royal dans les veines, et pas même une notion de diplomatie. Et puis, il n'était pas contre l'idée de terminer son existence au bras d'une unique personne. Ce n'était pas de sa faute s'il n'avait pas encore déniché la perle rare.
Les soldats étant tous des hommes, Hyunjin s'adonnait à cœur joie à l'entraînement assidu qui lui permettait de s'enrôler dans l'armée. Il avait déjà exercé plusieurs petits métiers durant sa courte vie, mais celui de fantassin était de loin celui qu'il préférait.
Il n'était pas vraiment là pour se battre, mais plutôt pour faire tomber les gardes dans ses filets. Très vite, il avait acquis une solide réputation de suborneur.
Si un soldat le dévisageait avec dégoût durant ses séances d'escrime, il se retrouvait instantanément dans sa ligne de mire. Il éprouvait un plaisir incommensurable à partager le lit de ses hommes qui n'avaient eu d'yeux que pour les Damoiselles se déhanchant ostensiblement dans la cour.
Hyunjin était un grand adolescent au visage d'ange auréolé de longs cheveux pâles. Ses yeux rêveurs en amande et le perpétuel sourire en coin qui flottait sur ses lèvres pulpeuses ne cessaient de susciter des commentaires désireux.
Le fantassin ne s'était pas vraiment lié d'amitié avec qui que ce soit, mais il appréciait tout particulièrement la compagnie d'un très jeune soldat prénommé Jisung.
Ils étaient devenus amis après une nuit mouvementée à la suite d'une soirée un peu trop alcoolisée. Ni l'un ni l'autre ne regrettaient où les avait menés leur torpeur avinée, mais ils s'étaient promis de ne plus récidiver. De toute façon, le châtain réservait son cœur à quelqu'un d'autre.
Hyunjin était en plein tournoi amical lorsqu'un domestique arriva pour lui annoncer qu'il avait été convié par le souverain. Et il n'était pas le seul : deux autres gardes devaient également l'accompagner.
Bien qu'ahuri, l'adolescent n'eut pas d'autres choix que de se rendre dans le salon privé du Roi, malgré sa piètre allure à cause de la sueur résultant de l'effort physique.
Les soldats mirent un genou à terre et baissèrent la tête en signe de respect. Ils ne connaissaient pas entièrement le protocole, mais les règles à respecter lorsque l'on se retrouvait en face d'un monarque étaient cruciales.
Les ordres qu'ils reçurent alors furent ponctués par une offre alléchante. Hyunjin ne put refuser une pareille opportunité de remporter quelques statères supplémentaires.
Les domestiques les revêtirent de beaux vêtements, puis, ils se séparèrent. L'adolescent aux longs cheveux blonds ne tarda pas à repérer Nagyung dans le jardin royal, ce qui allait grandement lui faciliter la tâche. « Une proie facile... », se réjouit-il.
Sa tentative d'approche fonctionna remarquablement bien. Pour la mettre en confiance, il lui relata son existence en omettant quelques détails un peu trop intimes et personnels à son goût. Finalement, un peu hésitante, elle lui confia à son tour ses appréhensions.
« Elle craint que son hiver de solitude ne se termine jamais ? Intéressant... », songea Hyunjin sans cesser de lui offrir son magnifique sourire affriolant.
Il n'était pas sans savoir que cette jeune femme avait une réputation de charmeuse. Sa réserve l'empêchait évidemment d'avoir recours à ce talent la plupart du temps, mais le blond voyait briller dans son regard une lueur suborneuse qui le subjugua.
— Votre seul but est de remporter le titre de promise, n'est-ce pas ? demanda-t-il alors en feignant l'indifférence.
Il savait qu'il se risquait sur un terrain dangereux, mais cette Princesse lui plaisait beaucoup. Pour lui, elle s'apparentait à un serpent. Tout le monde l'appréciait en raison de son apparence tranquille et sublime sans se douter du danger qu'elle dissimulait. Lorsque ses crocs plus caustiques que le plus nocif des poisons se plantaient dans leur peau, il était déjà trop tard.
— Oui, répondit Nagyung sur un ton neutre. C'est l'unique manière pour moi de m'affranchir du joug draconien de mes parents.
— Êtes-vous vraiment certaine qu'il s'agit de votre seule opportunité ?
— Que voulez-vous dire ?
— Le Prince Chan est un insubordonné sans scrupules. Il joue avec les gens pour ensuite les écraser d'un coup de talon sous son implacable regard de glace. Si je puis me permettre, vous ne vous imposez pas suffisamment pour contrôler ses récurrentes incartades.
La jeune femme exhala un profond soupir de dépit.
— Peut-être bien. Mais je n'ai pas d'autres choix.
— Il vous forcera à agir selon sa volonté, insista Hyunjin. Êtes-vous sûre que c'est ce genre d'existence que vous souhaitez mener ?
— Cessez de tourner autour du pot, soldat, se rembrunit-elle.
La main du jeune homme glissa jusqu'à la sienne et effleura sa peau douce comme de la soie.
— Je pourrais vous offrir bien plus que cet homme sans cœur...
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Dès que son ventre se mit à crier famine, Felix soupira profondément et retourna s'asseoir sur une des bergères.
Il avait fouillé parmi la décoration, mais n'avait pourtant rien trouvé. Il commençait à désespérer, surtout qu'il était certain que la Reine allait trouver une excuse quant à sa disparition, et que les autres n'y verraient que du feu.
Son regard se tourna lentement en direction des murs, y étant irrésistiblement attiré. Il se redressa brusquement comme si une abeille l'avait piqué.
— Mais bien sûr !
Il se précipita en direction des innombrables peintures et les détacha les unes après les autres. Enfin, lorsqu'il tapota sur les lambris derrière une des plus grandes qui représentait les souverains dans toute leur gloire, ceux-ci sonnèrent creux.
Felix souffla de soulagement. « Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ? déplora-t-il. On construit souvent des passages secrets dans les antichambres pour la sécurité des monarques... »
Mais malgré tous ses efforts, les boiseries refusèrent de céder. « Le mécanisme qui permet d'y accéder se trouve donc ailleurs, raisonna-t-il. Espérons que cela soit à l'intérieur de la pièce... »
Le Prince tâta les chandeliers un par un. Le dernier qu'il toucha fut soldé d'un craquement sourd qui fit naître un sourire triomphant sur ses lèvres.
Il se saisit du tableau qu'il avait déplacé et se faufila dans le passage qui venait de s'ouvrir. Il était étroit et semblait descendre, ce qui indiqua au blondinet qu'il menait sûrement à l'étage inférieur. Il replaça la peinture du mieux qu'il put derrière lui, puis s'aventura dans l'obscurité.
Un demi-sourire se dessina sur son visage lorsqu'il songea à la tête que ferait Aisha lorsqu'elle le verrait les rejoindre pour le souper.
Il verrait à préparer minutieusement sa venue.
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Nagyung n'osait plus esquisser le moindre geste.
Les beaux yeux sombres du soldat s'étaient plantés dans les siens avec une douceur inaccoutumée qui l'ébranla profondément.
Devenir la fiancée de Chan lui assurerait évidemment un brillant avenir dans l'opulence. Elle ne manquerait de rien auprès de lui et passerait le restant de son existence à se prélasser dans un somptueux décor en se faisant dorloter par les domestiques.
Mais pourtant, une chose la faisait cruellement hésiter.
Comme tout le monde, elle rêvait d'un amour puissant et sincère. Pourtant, Nagyung savait qu'en tant que Princesse, elle n'aurait probablement jamais la chance de vivre une chose aussi magnifique. Son destin était d'épouser un Prince pour consolider une union et donner naissance à une demi-douzaine d'enfants afin d'assurer sa descendance. Toutefois, elle n'avait jamais cessé d'espérer.
D'espérer qu'un jour, elle puisse se défaire de cette coutume royale et se marier par amour et non par alliance.
Et ce fut probablement pour cette raison que, lorsque Hyunjin l'embrassa, elle se laissa faire, au mépris de ce que lui soufflait sa raison.
Lorsqu'il se détacha, elle parvint à s'arracher à sa transe et comprit qu'elle avait commis une grossière erreur.
Son étincelle d'espoir s'estompa comme la fragile flammèche d'une bougie.
Elle avait placé tous ses espoirs en un mirage.
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— « Ne devient pas Princesse qui en a envie : savoir se battre ne suffit pas. Plusieurs ingrédients sont nécessaires pour faire d'une femme un véritable membre de la royauté. Le quatrième est la loyauté. L'attrait du pouvoir est bien tentant, mais qu'en est-il de la corruption ? Une Princesse sait reconnaître les mauvaises intentions d'un cœur noir. »
Lorsque la voix du domestique s'éteignit dans le hall, Seoho dévisagea Nagyung sans aucun relent de pitié.
Celle-ci sentit ses épaules s'affaisser avec honte. Elle avait échoué, et ce, de la pire manière qui soit. La tentation, liée à ses désirs et à son désespoir, l'avait poussée à faire le mauvais choix.
Aisha la toisa d'un air condescendant. Bientôt, Chan serait à elle, et personne ne pourrait l'arrêter.
Hyunjin, assis parmi les deux autres soldats, arborait une mine morose. Son argent était une bien mince consolation, bien qu'il puisse l'envoyer à sa famille. Il n'avait jamais voulu éliminer la Princesse, mais le Roi n'avait apparemment pas jugé utile de lui mentionner les conséquences qui ensuivraient sa réussite.
Nagyung lui en voudrait certainement pour toujours, mais le soldat tenait au moins à lui présenter ses plus plates excuses dès que l'occasion se présenterait à lui. Il savait qu'il ne devait pas tarder, car bientôt, elle prendrait le chemin du retour en direction du Royaume de Daeyang, mais il ignorait comment l'approcher sans qu'elle ne prenne la fuite.
« Le souverain n'a décidément aucun remords... », songea amèrement Hyunjin qui peinait à imaginer un moyen de prouver sa bonne foi.
Lorsque Seoho termina sa litanie filandreuse au sujet de l'importance de savoir déjouer les pièges et de faire preuve d'abnégation, il fit signe aux fantassins de quitter les lieux. Le blond bondit en direction de la sortie avant qu'il ne puisse ajouter quelque chose à son sujet. Il culpabilisait déjà bien assez.
— Bien ! s'écria l'héritier lorsqu'ils eurent quitté le palais. Mangez et buvez, demain, l'ultime épreuve prendra place et déterminera la fiancée de mon frère !
Il se servit dans les différents plats avec un grand sourire. Chan et Nagyung firent de même avec beaucoup moins d'enthousiasme. Ni l'un ni l'autre ne ressentaient une seule once d'appétit. L'effroi et l'amertume consumait le peu d'envie qui leur restait.
Le Prince cadet mâcha méthodiquement ses aliments, le regard dans le vide. Il commençait sérieusement à avoir peur. Il n'avait plus vraiment le choix : il passerait le restant de ses jours avec la rouquine ou avec Laïa. Aucune ne l'attirait, même si elles étaient toutes les deux fort jolies.
Chan haïssait se sentir aussi impuissant. Malheureusement, il était dans l'incapacité de se soustraire à la décision des souverains.
Soudain, les portes du hall s'ouvrirent en claquant. Seoho se redressa vivement sur son siège, se tenant prêt à déblatérer contre l'indésirable qui venait de couper court au repas.
Mais à sa grande surprise, sur le seuil se tenait la Princesse de Gongdan, bien droite sur ses escarpins aux menus talons. Malgré son demi-sourire charmant, ses yeux violets irisaient de rancœur.
Aisha se raidit sur sa chaise, ce qui n'échappa pas au Prince cadet. D'ailleurs, comment cela se faisait-il que Laïa se présente aussi tard ? « La sorcière a-t-elle quelque chose à voir avec cela ? » se demanda-t-il.
— Vous me voyez navrée d'interrompre un pareil moment de convivialité, laissa tomber la blonde sur un ton moqueur.
— Où étiez-vous ? Ne savez-vous donc pas à quelle heure se tient le souper ? tonna l'héritier avec colère.
— J'ai eu un petit désagrément, voyez-vous. Vous ne pourrez pas m'en tenir rigueur, puisque je n'en suis pas l'auteure. N'est-ce pas, Aisha ?
La rouquine se mordit violemment la langue en dardant un regard chargé de mépris sur elle.
— Que signifie tout cela ? J'exige une explication ! continua de tempêter Seoho.
— Demandez-lui, répondit la Gongdanienne sans afficher d'impatience. Ou plutôt... demandez à Sa Majesté la Reine. Je suis sûre qu'elle aura beaucoup de choses à vous avouer.
La stupéfaction tomba sur l'assistance. L'androgyne profita de ce silence pour aller s'installer aux côtés de Nagyung, qui gardait la tête baissée en direction de son assiette. Il remplit la sienne en la dévisageant avec inquiétude, ne prêtant absolument aucune attention au visage ravagé par la rage d'Aisha.
Chan ne se sentait pas étonné outre mesure. Il avait toujours soupçonné sa mère d'avoir ajouté sa touche personnelle à toute cette ridicule histoire.
Lorsque Seoho fit un geste pour se lever et remettre en place l'attitude condescendante de Laïa, il posa sa main sur son bras pour l'en empêcher. D'un regard, il lui fit comprendre de continuer à manger sans plus se préoccuper des Princesses.
Bien à contrecœur, l'aîné obtempéra.
Le plus jeune Prince passa le restant du repas à scruter la blonde qui semblait souffler des mots d'encouragement à sa voisine dépitée tout en caressant son dos pour la rassurer.
En sentant une pensée pernicieuse lui effleurer l'esprit, il eut une prise de conscience brutale. « Sa compassion... Et si elle ne causerait pas sa perte ? Et si... Et si c'était cela, la clé pour remporter la victoire ? » s'effraya Chan en écarquillant les yeux.
Sans s'en rendre compte, il délaissa son assiette et enroula sa main décorée de bagues onéreuses autour de sa coupe de cristal ciselé. Il se mit à ingurgiter un verre de vin après l'autre dans l'espoir d'étancher sa soif vindicative de liberté.
En lui brûlait un terrible volcan qui n'attendait que le moment propice pour exploser. Peu à peu, l'alcool engourdit ses sens et sa peine, mais pas son courroux, ni sa terreur.
Le Prince avait peur. Car dès l'instant où il avait croisé Laïa dans les couloirs, il avait compris.
Il perdrait tout par sa faute.
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Felix raccompagna Nagyung à ses appartements et lui souhaita de passer une bonne nuit, avant de prendre congé à son tour. Il se changea à la hâte et alla s'enrouler dans sa couette.
Il était éreinté, autant physiquement que moralement, mais pourtant, il ne parvenait pas à trouver le sommeil. C'était comme si son corps vibrait toujours de l'adrénaline qui l'avait poussé à défier ouvertement Aisha.
Après deux heures à se tourner et à se retourner dans ses draps, le blond se décida à se lever. Sa bouche était affreusement pâteuse, et il ne rêvait que de l'instant où il pourrait se servir un grand verre d'eau fraîche.
Il traversa le long couloir de l'étage à pas de loup, à l'affût du moindre bruit. Tel un fantôme, il rejoignit les cuisines en contrebas et but de tout son soûl.
Soudain, Felix sentit un courant d'air courir le long de son dos. Il fit brusquement volte-face avec effarement.
Debout à quelques mètres de lui et caché sous le couvert de l'obscurité se tenait la silhouette imposante de Chan. Il portait toujours ses vêtements d'apparat, et le blond en déduisit qu'il n'était pas encore parti se coucher.
— Sire, que faites-vous ici ? demanda-t-il sur un ton très bas.
Le Prince ne lui répondit pas. Il fit un pas dans sa direction dans un silence étrangement oppressant.
Le Gongdanien sentit une peur indicible lui étreindre les tripes. Tandis que son épiderme se recouvrait de frissons, il se mit à reculer. Il esquissa plusieurs pas avant que son dos ne finisse par se heurter au vaisselier derrière lui.
Chan se rapprocha très lentement, son regard bleuté toujours planté dans celui de Felix. Il y brillait une étrange lueur un peu folle.
— S-Sire ? Tout va bien ? bafouilla le plus jeune en sentant sa respiration s'accélérer.
Ses mains crispées se cramponnèrent au meuble. Son vis-à-vis ne prononça pas un mot et continua de s'avancer d'une démarche légèrement titubante.
Bientôt, il s'arrêta à quelques centimètres à peine du visage du blond. Son souffle s'échoua contre lui, ce qui le fit plisser le nez de dégoût. Il pouvait y déceler les effluves singuliers de l'alcool.
— Avez-vous bu, mon Prince ?
— En voilà une question sotte, gronda Chan en le faisant sursauter. Vous vous apprêtez à détruire mon existence entière. Devrais-je sauter de joie, d'après vous ?
— Ce n'est en aucun cas mon attention, se défendit l'androgyne. Un mariage n'est pas une geôle, vous savez. Il s'agit d'une union, rien de plus.
— Vous semblez bien certaine de ce que vous avancez. Mais sachez que cela nous unira jusqu'à la mort et fera office de solides liens qui brideront ma liberté.
— Je ne suis pas prête à dire cela.
— Vous n'en savez rien, de toute évidence.
— Vous paraissez certain que vos jours se termineront à mes côtés.
Chan haussa nonchalamment les épaules.
— Elle ou vous, dans tous les cas, le résultat sera le même : je serai assujetti à jamais.
— Ne croyez-vous donc pas en l'amour ?
— L'amour ? siffla le Prince désabusé. Vous plaisantez, j'espère ? Ce n'est qu'une utopie infertile et fugace. Vous poursuivez une chimère, très chère.
Son visage se rapprocha davantage, si bien que Felix dut arc-bouter son dos vers l'arrière.
— Je préfère les relations charnelles, si vous voyez ce que je veux dire, souffla l'aîné sur un ton enjôleur.
Le blond déglutit nerveusement.
— Le vin vous fait divaguer, sire, rétorqua-t-il fermement. Vous devriez aller vous reposer. Vos idées ne sont pas très claires.
— Au contraire, elles sont on ne peut plus limpides.
Chan exhala un profond soupir alors que ses lèvres effleuraient la peau de porcelaine de l'androgyne qui se sentait acculé dans un piège.
— N'est-ce pas ce que vous recherchez aussi, dans le fond ? Il n'a jamais été question de mariage, uniquement de se faire plaisir mutuellement.
Avant que le Gongdanien n'ait pu riposter, il planta un long baiser sur sa bouche. Le blond ferma les paupières en se faisant violence pour ne pas y répondre.
Lorsqu'ils s'écartèrent, Felix remarqua que son regard s'était fait plus ardent. Sans piper mot, le jeune homme à la chevelure rouge clairsemée se jeta à nouveau sur lui et l'embrassa de plus en plus fiévreusement, jusqu'à lui arracher un gémissement de plaisir.
« Je ne dois pas... Je suis en nuisette... », se rappela tant bien que mal l'androgyne en sentant ses résistances céder.
Incapable de s'en empêcher, ses lèvres se murent à leur tour contre celles de Chan. Une chaleur incontrôlable avait pris possession de son ventre et le faisait frissonner de désir, malgré son esprit qui commençait à s'alarmer.
Les mains marbrées de l'aîné se posèrent sur sa taille fine et remontèrent vers le haut en lentes caresses. Elles atteignirent son torse et palpèrent sa tunique, ce qui secoua enfin Felix.
Chan s'arracha brutalement à l'étreinte avec un cri d'effroi. Ses yeux clairs baignaient d'incompréhension et de répulsion.
Le Gongdanien sentit son cœur se serrer, mais pas parce qu'il avait été découvert, non. Plutôt parce que cette démonstration d'amour n'avait eu lieu que par une attirance chimérique.
Le Prince cadet recula d'un pas chancelant, le souffle saccadé par la peur. Il tourna brusquement les talons et s'enfuit dans le couloir reliant les cuisines au hall.
Le blond tâcha de retrouver son sang-froid en le suivant du regard. Ses bras trémulaient tellement fort que le vaisselier en était secoué. Ses yeux lilas se remplirent alors de larmes qu'il chassa rageusement, les jugeant injustifiées.
« À quoi tu t'attendais ? se reprocha-t-il alors. Tu aurais être plus prudent et le repousser... »
Felix prit la décision de ne pas le poursuivre et se dirigea plutôt vers ses appartements en maîtrisant les tremblements douloureux de son cœur en pièces.
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La prétendue Princesse n'était pas la seule à peiner à trouver le sommeil.
Nagyung avait longuement sangloté sous ses draps de soie, avant de finalement sécher ses pleurs. Elle se sentait de plus en plus honteuse de ses actes, de son comportement, de ses désirs et de sa discrétion qui n'avait pas lieu d'être.
Peu à peu, le désespoir s'empara de son être tout entier. Il la rongeait au point qu'elle ne parvenait plus à fermer l'œil sans apercevoir la mine sévère de ses parents. Les remontrances qui l'attendaient lui donnèrent la chair de poule : elles seraient sans précédent.
La jeune femme finit par se lever et se rendit sur son balcon. Elle avait la cruelle impression d'étouffer à l'intérieur.
Le firmament étoilé qui avait pris la place du ciel vespéral depuis quelques heures déjà la charma immédiatement et allégea un peu le fardeau de sa peine. Il s'agissait d'un poids bien trop lourd à porter pour ses frêles épaules et ses prunelles éteintes.
Elle embrassa du regard le voile de la nuit, avant qu'elle ne jette un œil au jardin. Elle ne s'étonna pas d'y apercevoir la silhouette svelte du soldat qui l'avait séduite d'un simple sourire.
La Princesse resta profondément songeuse un long moment. Finalement, elle décida d'aller lui parler. Ses interrogations sans réponses la taraudaient bien trop et ne laissaient aucun répit à son esprit encombré.
« J'ai besoin de savoir », se convainquit-elle alors qu'elle quittait le palais, la jupe en dentelle de sa courte robe volant derrière elle.
Ses pieds nus foulèrent les dalles du chemin principal, avant qu'elle ne s'enfonce entre les quelques arbres du jardin. Précautionneusement, elle s'aventura dans ce décor naturel qui versa un baume à son âme tourmentée et endolorie.
Mais bientôt, l'obscurité l'empêcha de s'orienter, car elle ne voyait pas plus loin qu'un mètre devant elle.
Alors que Nagyung commençait à paniquer, une main s'enroula autour de son poignet. Une autre se posa immédiatement contre sa bouche, empêchant ainsi à un cri strident de s'en échapper.
— Détendez-vous, ce n'est que moi, chuchota alors Hyunjin près de son oreille.
Furibonde, la jeune femme se défit de lui et fit volte-face.
— Êtes-vous devenu fou ? Mon cœur a failli lâcher !
— Je vous fais ce genre d'effet, Princesse ? la taquina le soldat avec un grand sourire.
La brune gronda de mécontentement et tourna les talons afin de s'engager entre les fleurs bigarrées.
— Où allez-vous ? s'enquit le blond.
— Quelque part où vous ne serez pas.
— Attendez ! Je suis désolé, je ne voulais pas vous offenser.
Nagyung s'arrêta et prit une profonde inspiration, laissant ainsi le temps à Hyunjin de la rattraper.
— Je ne m'attendais pas à vous voir ici, laissa-t-il tomber.
— En réalité, je suis délibérément venue pour m'entretenir avec vous, avoua-t-elle.
Le jeune homme arqua un sourcil d'étonnement.
— Vraiment ? Alors, venez. Nous allons nous installer confortablement sur la balancelle.
Il lui prit la main et s'engagea d'un pas sûr dans les ténèbres.
— Comment savez-vous où aller ? questionna la Princesse avec suspicion.
— Je n'en suis pas à ma première insomnie, ma Damoiselle.
Sans insister davantage, la jeune femme le suivit. Quelques minutes plus tard, ils atteignirent la balançoire et y prirent place en silence.
Hyunjin expira en sentant sa culpabilité lui remonter en travers de la gorge.
— Je suis désolé, s'excusa-t-il alors. J'ignorais que tout cela signerait pour vous l'élimination...
— Comment pourrais-je vous croire ? rétorqua Nagyung sans afficher d'émotion. Vous m'avez menti. Et maintenant... il ne me reste plus qu'à subir le courroux de mes parents.
— Sa Majesté ne nous a rien dévoilé à propos de cela.
— Mais il vous a bien promis quelques statères en échange de vos services. J'imagine que cela ne change rien pour vous, désormais. Vous avez votre argent et c'est tout ce qui compte.
— Détrompez-vous. Même s'il est vrai que je me sens soulagé d'avoir acquis un peu plus d'argent, il n'est pas pour moi, mais pour ma famille.
— C'est-à-dire ?
— Ma mère est malade..., murmura le garde. Je... Je m'efforce de lui faire parvenir le plus de drachmes et de statères possibles, mais j'ignore si cela suffira à la maintenir en vie.
Il essuya discrètement la larme qui avait coulé sur son beau visage.
— Quoi qu'il en soit, je vous prie de m'accorder l'absolution, Princesse.
— Je vous la donne, Hyunjin, souffla la jeune femme sur un ton infiniment triste. Je n'éprouve de toute façon aucun amour pour le Prince Chan.
L'ombre d'un sourire parut sur les lèvres du blond. Il se pencha et échangea un doux baiser avec la Princesse.
— J'espère que je vous reverrai, Hyunjin. En attendant, puissiez-vous revoir le soleil demain.
— Bon retour chez vous, Nagyung.
Celle-ci opina du chef, la peine se lisant facilement dans ses yeux embués de larmes. Elle se leva et retourna au palais d'une démarche légère.
Le soldat ferma les paupières en sentant sa gorge se serrer. Des larmes s'en échappèrent douloureusement.
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