05. Piège
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Lorsque l'aube enrobait les contrées, des langues enflammées coloraient le firmament. L'astre du jour pointait à l'horizon, répandant une douce chaleur orangée sur les terres des six Royaumes qui peinaient à se réveiller.
Felix se tenait debout sur son balcon pour contempler ce spectacle. Il était bien le seul à être réveillé à une heure pareille, mais il adorait la quiétude du matin.
Il ferma les paupières en sentant les rayons du soleil lui caresser la peau. Cela faisait longtemps qu'il ne se s'était pas senti aussi bien.
Puisque Sa Majesté le Roi avait annoncé une journée de congé pour les aspirantes, le blond avait prévu de retrouver l'un des soldats contre lequel il s'était battu pour lui faire comprendre qu'il n'avait pas à se sentir mortifié par sa défaite. Cela n'allait évidemment pas être une mince affaire de le dénicher parmi tous ces gardes qui séjournaient dans le bâtiment attenant à celui du palais, mais il avait la journée entière pour le faire, alors il n'était pas pressé.
Le jeune homme remarqua alors la présence de Chan sur son propre balcon. Lui aussi semblait profiter du silence extérieur pour échapper à ses obligations. Felix savait mieux que quiconque à quel point la vie de Prince pouvait être éprouvante.
À vrai dire, malgré tout ce qu'il avait entendu au sujet de ce personnage royal, il ne le détestait pas. Au contraire, il s'était pris d'affection pour lui, même si ses manies dédaigneuses et son besoin impérieux de séduire l'irritaient profondément.
« Je me demande bien quelle sera sa réaction lorsqu'il saura que je ne suis pas Laïa », songea-t-il alors.
Il n'allait certainement pas le prendre bien, surtout qu'il préférait les femmes. Mais étrangement, le blond ne s'en inquiétait pas outre mesure.
« Cela ne sert à rien d'y penser maintenant. Je verrai bien le moment venu », décida-t-il.
Le visage de Chan était étonnement paisible. L'androgyne ne l'avait jamais vu aussi détendu. Sans son perpétuel masque froid et hermétique, il le trouva d'un seul coup bien plus séduisant. Il se surprit à souhaiter le voir s'afficher sans sa désinvolture et sa suffisance plus souvent.
« Tu n'es pas aussi éhonté que ce que tu essaies de faire croire, Chan. »
Le concerné se tourna brusquement dans sa direction et planta son regard céruléen dans le sien, le faisant tressaillir. Mais quelque chose ne tournait pas rond. Bien qu'ils soient séparés par plusieurs mètres, Felix remarqua immédiatement l'absence de fanfaronnade dans ses yeux.
L'impression récurrente que Chan lançaient des défis à ceux qui avaient l'audace de le dévisager avait totalement disparu, et cela le désarçonna profondément. Il pouvait même y déceler une pointe de douceur.
Ils s'examinèrent un long moment, avant que l'androgyne ne finisse par s'arracher à sa transe.
Il venait de se rappeler qu'il ne portait qu'une tunique sans rembourrage ni artifices. Il inclina la tête et s'engouffra dans ses quartiers à la hâte. Il y avait peu de chances que Chan l'ait remarqué, mais il ne voulait courir aucun risque inutile.
Le Gongdanien prit le temps de bien se vêtir, puis demanda à ce que son repas soit servi dans ses appartements.
Jamais il n'oublierait le regard doucereux du Prince, qui pourtant, était de coutume d'une froideur à faire blêmir.
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Felix avait revêtu une robe vaporeuse couleur aurore dont le haut était rehaussé de diamants. Du mascara blanc et du fard rosacé avaient été appliqués sur ses yeux, et ses mèches ondulées encadraient de grandes créoles.
D'un pas vif mais feutré pour ne pas attirer l'attention, il quitta le palais et piqua en direction de l'aile construite pour héberger les soldats.
L'entrée n'était pas gardée, fort heureusement, car le jeune homme ne souhaitait pas devoir s'imposer. Au rez-de-chaussée, il pouvait entendre quelques éclats de voix en provenance de derrière une porte. « Une taverne », devina-t-il alors. Il décida alors qu'il y jetterait un œil s'il ne dénichait pas le garde dans les dortoirs.
Le blond gravit les marches de l'escalier, croisant ainsi quelques soldats qui lui décochèrent des regards ahuris. Ce n'était pas tous les jours qu'une Princesse pénétrait dans leur antre.
Lorsqu'il arriva au premier étage, un homme de forte carrure et aux cheveux sombres vint à sa rencontre. Il posa les mains sur ses hanches et le toisa de haut.
— Ravissante jeune dame, vous êtes-vous égarée ?
— Pas du tout, le contredit Felix. C'est bien ici que je désirais me rendre. Je cherche quelqu'un.
— Je me ferais un plaisir de vous aider, dans ce cas. Je suis Lucas, le commandant de l'armée de Sa Majesté.
— Et moi, la Princesse Laïa. Ravie de faire votre connaissance.
— Une Princesse ? Pardonnez mon manque de courtoisie, s'excusa-t-il aussitôt.
— Ne vous en faites pas pour cela.
— Vous êtes donc à la recherche d'un de mes soldats ?
— En effet. Deux d'entre eux se sont confrontés à moi, hier. L'un avait un regard dur et des cheveux noirs.
— Je pense que je sais de qui vous parlez, le coupa vivement Lucas avec un sourire amusé. Il s'agit de l'une de mes recrues les plus farouches, Changbin. Peu importe ce que vous lui voulez, il ne vous écoutera pas.
— Il m'a donné l'impression d'être outragé par sa défaite, exposa l'androgyne en faisant taire son impatience. Je veux simplement lui faire comprendre qu'il n'a nul besoin de se sentir ainsi.
— Cela risque de vous prendre du temps, Princesse. Changbin est quelqu'un de terriblement fier. Il n'admettra jamais que quelqu'un l'ait vaincu. Il est ainsi, et je ne puis que vous conseiller de faire attention. Il pourrait très bien vous défier en duel.
— Me croyez-vous incapable de me défendre ?
Le commandant poussa un soupir, irrité par son effronterie.
— Soit. À cette heure-ci, vous le trouverez généralement soit dans la cour à s'entraîner, soit au bar.
— Merci.
Le Prince tourna les talons et redescendit. « Je ne suis même pas une femme, alors pourquoi est-ce que je me sens aussi contrarié ? » se demanda-t-il avec exaspération.
Sans réfléchir, il poussa la porte de la taverne et y pénétra. Les conversations s'arrêtèrent aussitôt, et tous les regards se braquèrent sur lui.
Felix déglutit nerveusement, intimidé par tous ces hommes musclés en tenue de soldat qui le dévisageaient avec lubricité. Il se racla la gorge, ses doigts se mettant à triturer le tissu dispendieux de sa jupe.
— Changbin se trouve-t-il ici ?
Sur ces entrefaites, la clochette qui annonçait les entrées et sorties des clients résonna dans la pièce.
— C'est moi que vous cherchez, Princesse ? s'enquit une voix bourrue.
Le blondinet fit volte-face et se retrouva nez-à-nez avec le garde qu'il avait affronté la veille. Mâchoire marquée, yeux plus noirs que l'obscurité, mèches d'ébène qui lui obstruaient la vue, il n'y avait aucun doute possible sur son identité.
Sans plus de façon, celui-ci coupa court à sa contemplation en lui agrippant violemment le poignet afin de le tirer à sa suite. Il alla s'asseoir à une table libre et indiqua la chaise devant lui à l'androgyne.
— Il n'y a plus rien à voir, gronda Changbin sur un ton incisif.
Tous les soldats libidineux recommencèrent instantanément à discuter entre eux, car tous savaient de quoi le petit noiraud était capable.
Felix prit place en face du garde en frottant son avant-bras rougi par sa poigne d'acier. Il ouvrit la bouche, mais une voix moqueuse derrière lui l'interrompit.
— Mais tiens donc ! Ne serait-ce pas la charmante Damoiselle qui nous a vaincus la veille ?
— Ferme-la, Ji', persifla le vis-à-vis du blond sans même lever les yeux.
Un adolescent un peu plus jeune que Changbin vint s'installer à ses côtés. Son épaisse tignasse châtain était complètement en bataille, et ses yeux noisette brillaient d'espièglerie.
— Excusez-le, il est d'un naturel morose, poursuivit celui-ci avec un sourire candide. C'est un plaisir de vous revoir.
— Moi de même, répondit courtoisement le Prince. Je suis Laïa.
— Moi, c'est Jisung, ou Ji'. Et lui, c'est Changbin, ou B...
— Ose seulement prononcer ce sobriquet ridicule et je t'arrache la langue, compris ? le coupa le noiraud.
Le châtain adressa un sourire goguenard à Felix avec un air faussement désolé.
— Dites-moi, qu'est-ce qu'une ravissante Damoiselle comme vous fabrique dans cet endroit d'enfer ? questionna-t-il alors.
Changbin leva les yeux au ciel et intercepta un serveur qui passait par là.
— Deux bières, je vous prie.
— Trois, rectifia le blondinet.
Le domestique arqua un sourcil, mais s'empressa d'acquiescer. Le noiraud grinça des dents en plongeant son regard d'acier dans celui de l'androgyne qui réprimait de son mieux un sourire amusé.
— Tu sais très bien pourquoi elle est là, maugréa ensuite Changbin en réponse à l'interrogation de son ami.
— Ah, notre cuisante défaite ? railla ce dernier. Fais pas cette tête, on a connus pire.
— Je ne te demande pas ton avis, Ji'.
— Mais la Princesse est venue nous rendre visite dans notre habitat naturel juste pour cela. Essaie de faire un effort.
— Elle n'a rien à faire là.
— Si je puis me permettre, s'interposa Felix, j'ai décidé de me rendre dans l'aile des gardes pour avoir une franche discussion avec sire Changbin.
— Sire ? ricana celui-ci. Je ne suis pas Chevalier, je ne suis qu'un soldat.
— Pour une fois qu'on se montre révérencieux envers toi, tu ne vas quand même pas t'en plaindre ? ironisa Jisung.
— Je déteste ce genre de cérémonie.
— Mais tu refuses que je t'appelle Bi...
Le noiraud lui sauta dessus et lui couvrit la bouche avec sa main.
— La prochaine fois, je t'arracherai la langue et je te la ferai avaler, se promit-il avec un rictus sadique.
Le Prince poussa un profond soupir de découragement en les observant se quereller. Heureusement, le serveur les interrompit en déposant trois chopes de bière sur la table. Il s'éclipsa rapidement, de crainte de s'attirer les foudres de Changbin.
— Vous avez l'air d'avoir mauvaise réputation, laissa tomber le blond.
Le concerné prit une gorgée de sa boisson alcoolisée avant de répondre.
— Je me suis simplement imposé, Princesse. C'est ainsi que l'on survit, ici.
— Le commandant vous a décrit comme « farouche », pourtant.
Le demi-sourire du noiraud s'effaça.
— Ne l'écoutez pas, grommela-t-il. Lucas n'est qu'un félon qui s'est attiré les bonnes grâces de la Reine.
— Il n'a sûrement pas tort, en tout cas, lui signala le châtain sur un ton moqueur.
— Si tu ne la fermes pas bientôt, on retrouvera ton cadavre dans le puits.
Jisung ouvrit la bouche pour riposter, mais Felix s'empressa de l'interrompre pour éviter une énième dispute.
— Je veux seulement vous faire comprendre que vous n'avez pas à vous sentir offensé, indiqua-t-il. Si je vous ai vaincus, c'est uniquement parce que je ne désirais pas me faire éliminer.
Changbin vida son bock d'un trait. Lorsqu'il le reposa sur la table, il darda un regard dur dans celui du Prince.
— De toute évidence, vous n'avez pas l'air de comprendre, commença-t-il.
— Alors, expliquez-moi. J'ai tout mon temps.
Le noiraud s'adossa contre le dossier de sa chaise en bois en s'efforçant de cacher son déplaisir. Mais néanmoins, il ne dit rien. Felix scruta tous ses faits et gestes en sirotant sa bière bien plus amère que les vins raffinés du palais.
— Vous n'aimez pas perdre, n'est-ce pas ? Pourtant, cela peut arriver à tout le monde, même au meilleur.
— Je vous saurais gré de ne pas analyser mes sentiments, l'arrêta aussitôt Changbin sur un ton glacial.
Il se leva d'un geste brusque et quitta la taverne à grandes enjambées. Le blondinet voulut se lever pour se précipiter à sa suite, mais le châtain lui fit signe de rester assis.
— Laissez-le refroidir un moment.
— J'ignore vraiment quoi faire pour qu'il ne soit plus en colère contre moi, se désola le Prince.
— Vous n'y pouvez rien. Cela lui prendra certainement quelques jours pour digérer cette défaite.
— Je ne voulais pas mettre son honneur en péril...
— Je sais. Ne vous en faites pas pour lui. Je le laisserai gagner nos prochains tournois pour l'amadouer.
Jisung lui fit un clin d'œil et porta sa chope à ses lèvres.
— Entre nous, vous méritez largement cette victoire. Je n'avais jamais vu quelqu'un se battre autant bien en étant coincé dans une robe.
« Cela n'a pas été une mince affaire », songea l'androgyne avec un soupir.
— C'est très gentil, merci. Dites-moi, sire Jisung, serais-je indiscrète si je vous demandais de me relater vos vies dans les grandes lignes ?
— Vous aimerez en savoir davantage sur moi ? railla le châtain en haussant les sourcils de manière suggestive.
Felix pouffa et secoua la tête.
— Je désire seulement apprendre pourquoi sire Changbin m'en veut autant. Mais si vous ne voulez pas, je comprendrais tout à fait.
— Je vous fais confiance, affirma Jisung. Je suis né à Hoemhan il y a dix-sept printemps. Puisque mes parents sont des domestiques de la famille royale, j'ai grandi dans un château. Tous les matins, je m'appuyais contre les murailles et j'observais par les créneaux les soldats qui s'entraînaient à l'épée dans un tumulte de lames se heurtant les unes aux autres. J'étais véritablement fasciné, mais lorsque j'ai fait part à mes parents de mon désir de moi aussi apprendre cet art, ils s'y sont vertement opposés.
— Vous vous êtes donc ligué contre eux ?
— Pas tout à fait. Quand j'ai clamé que je voulais vouer ma vie à protéger mon peuple, ils ont changé d'avis. Leur amour de la patrie était bien plus fort que leur rêve. Alors, dès que j'ai été en âge de le faire, je me suis mêlé aux recrues. J'ai appris à manier diverses armes, mais ma favorite reste le glaive. Il y a quelques mois, puisque je ne voulais plus vivre aux crochets de mes parents, je me suis enrôlé dans l'armée de Malyeog. Et me voilà !
Un sourire amusé se dessina sur les lèvres du blond.
— Comment avez-vous rencontré sire Changbin ?
— J'ai remarqué qu'il refusait de socialiser, alors je l'ai forcé à devenir mon ami.
Le Prince dut se pincer les lèvres pour s'empêcher d'éclater de rire.
— Pour Binnie... C'est différent. Je ne sais que ce qu'il a bien voulu me révéler. Il a vu le jour à Gongdan dans une famille opulente et très conservatrice. Ses parents ont exigé que leurs enfants suivent leur trace, car ils étaient les plus proches conseillers de la Reine. Sa sœur y excelle, mais lui n'a jamais éprouvé de passion pour la diplomatie ou l'économie. Il a dû se battre pour prouver sa valeur, puis, puisque ses parents le traitaient comme un moins que rien, il a fugué en dérobant quelques drachmes. Il a trouvé refuge chez un maître d'armes qui lui a enseigné tout ce qu'il savait, puis il s'est rendu à Malyeog pour offrir ses services au Roi.
Felix n'avait jadis entretenu aucun lien avec les conseillers de sa mère, alors il n'en avait jamais entendu parler. « Une vie difficile, donc, comprit-il. C'est bien ce que je m'imaginais... »
— C'est pour cela qu'il n'a pas supporté être vaincu, supposa-t-il.
— En effet. Il a probablement d'autres obscurs secrets, mais il ne les révélera jamais à qui que ce soit.
Le blond opina du chef et finit sa bière.
— De toute façon, on a tous nos petits secrets, pas vrai ? fit alors Jisung en plongeant son regard pétillant dans le sien.
— Certainement, répondit son vis-à-vis en dissimulant habilement son anxiété.
Le châtain lui adressa un sourire narquois.
— Binnie n'a pas supporté qu'une fille le vainc. Alors à mon humble avis, il ne restera pas fâché bien longtemps.
Le Prince ne sut que rétorquer.
— Puis-je payer ma part ? demanda-t-il à la place.
— Pas la peine. Binnie l'a déjà fait.
— Oh... Je ferai mieux d'y aller, dans ce cas. On m'attend certainement pour le repas.
— J'espère qu'on se reverra, alors. Ne dites pas à Binnie que je vous ai raconté sa vie, sinon, il me tuera.
À sa grande surprise, Jisung lui fit ensuite un baisemain et le raccompagna jusqu'à la porte.
— Au fait, cette robe vous sied à merveille.
Felix s'empourpra furieusement et détourna rapidement la tête pour masquer son embarras. Il prit congé du garde et quitta le bâtiment. Il était profondément songeur, et à vrai dire, un peu angoissé à l'idée que ce soldat ait peut-être compris qui il était.
— La prochaine fois que l'on se croisera, laissez-moi vous défier en duel, lança alors Changbin derrière lui.
Le blondinet se retourna pour faire face au soldat qui posa ses mains sur ses hanches.
— Avec plaisir, sire Changbin.
— Et cessez de me nommer ainsi, ronchonna celui-ci. Je ne suis qu'un garde.
— Si vous préférez, dit son vis-à-vis en haussant les épaules. Je voulais m'excuser de vous avoir blessé.
— Les blessures font parties du métier, Princesse. Un combat sans écorchures n'est qu'une petite querelle. Et je dois dire que vous savez vous défendre.
— Dites-moi, vous sentez-vous offensé par votre défaite parce qu'une femme vous a vaincu ?
Le noiraud soupira profondément.
— Pas totalement. C'est aussi parce que vous me rappelez quelqu'un qui s'est joué de moi par le passé.
L'androgyne arqua un sourcil.
— Je croyais que vous ne comptiez rien me dévoiler.
— Ouais, mais c'est de l'histoire ancienne. Et Ji' affirme que vous avez une belle aura qui inspire confiance. Je le crois, même si je ne parviens pas à totalement vous cerner. J'ai l'impression que vous cachez quelque chose.
Felix jugea préférable de ne pas répliquer.
— On se reverra, poursuivit Changbin. Et si je gagne le duel, vous me révélerez votre secret. Ji' refuse obstinément de m'en faire part, et ça m'agace profondément.
— Entendu, répondit le Prince en réprimant un sourire.
— Ah et, une dernière chose. Méfiez-vous de la Reine.
Le noiraud s'éclipsa sans attendre que le blond puisse lui faire part de l'interrogation qui le taraudait.
Il avait l'impression que le voile qu'il s'efforçait de conserver pour cacher son identité tombait peu à peu, et qu'il ne pouvait rien faire pour y changer quoi que ce soit.
« Il faut que les épreuves se terminent rapidement », comprit-il.
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Après avoir dégusté un copieux repas dans ses appartements en compagnie de Yuqi, Felix se mit à déambuler dans les somptueux couloirs du château. Au début, il admira la richesse des lieux, mais il finit par s'en lasser.
Exaspéré par son oisiveté, il se décida à retrouver Chan pour s'amuser un peu. Il passa le palais au crible, mais devant son manque de succès évident, il finit par se dire que le Prince se trouvait sûrement dans ses quartiers.
Le blondinet fourragea ensuite dans ses affaires et s'extasia devant les sublimes vêtements qui s'y trouvaient. Il n'aurait probablement jamais l'occasion de tous les porter, mais au moins, il pouvait s'émerveiller devant leur beauté.
En fin d'après-midi, une servante l'aborda alors qu'il se promenait dans le jardin royal.
— La Reine demande à vous voir, bafouilla-t-elle en fixant le sol.
Elle semblait profondément effrayée, ce qui lui mit la puce à l'oreille. Mais elle disparut si vite qu'il ne put qu'acquiescer.
Felix gravit donc les escaliers pour monter au troisième étage et pénétra dans l'antichambre réservé aux audiences privées.
La pièce n'était pas très grande, mais elle irradiait d'une vive opulence. Le plancher carrelé était d'une propreté impeccable, et les murs recouverts de papier peint aux différentes nuances de bleu. De sublimes tableaux y étaient accrochés, la plupart représentant les monarques ayant précédé les souverains actuels. Les boiseries au revêtement d'or étaient sublimes, tout comme les meubles de la pièce, décorés de galons colorés.
Au moment où Felix allait s'asseoir sur une des bergères capitonnées, les portes se refermèrent sèchement derrière lui. Il secoua vivement les poignées, mais elles refusèrent de lui obéir.
Il fronça les sourcils avec inquiétude. Puis, une voix nasillarde se fit entendre et lui glaça le sang.
— Vous ne gagnerez pas, Laïa ! Chan est à moi, elle me l'a promis !
— Espèce de vile sorcière ! cria le blondinet, hors de lui. Laissez-moi sortir !
— Jamais. Que cela vous serve de leçon. Désormais, plus rien ne m'empêchera de m'éprendre du Prince ! Je suis la seule qui le mérite !
Aisha lâcha un horrible ricanement qui donna la chair de poule à l'androgyne. Les claquements récurrents qui s'ensuivirent lui firent comprendre qu'elle s'éloignait.
Felix sentit une rage indicible se propager dans ses veines. Il tambourina contre les portes en hurlant, mais personne ne vint lui répondre.
Il baissa les mains en tremblant de tous ses membres. Il refusait de croire qu'il s'était laissé duper aussi facilement par cette mystificatrice.
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Nagyung lisait sur la balancelle du jardin royal. La veille ayant été une journée intense, elle désirait se reposer et reprendre son sang-froid. Tous ses muscles la faisaient souffrir. À vrai dire, elle n'avait pas l'habitude de se battre, malgré sa victoire.
Elle avait décidé dès le début qu'elle n'aurait aucune interaction avec les autres Princesses. Et depuis qu'elle avait eu un avant-goût de la méchanceté pernicieuse d'Aisha, elle était plus convaincue que jamais qu'elle prenait la bonne décision en s'isolant.
La jeune femme était persuadée qu'elle finirait par remporter les épreuves, car elle avait remarqué très rapidement que la rouquine et Laïa avaient constamment le sang en ébullition. Impulsives et compétitives, elles avaient tendance à sauter directement à l'eau sans même vérifier au préalable si elle n'était pas trop froide. Nagyung était convaincue que se précipiter la tête baissée dans la mêlée n'apportait que le goût amer de la déception.
La prudence avait toujours été un atout majeur pour elle. Elle veillait à avoir toutes les chances de son côté avant de se risquer à faire quoi que ce soit. Mais si une occasion se présentait à elle, elle n'hésitait pas à montrer de quoi elle était capable.
Sa discrétion et son caractère réservé avait toujours été une source d'irritation pour ses parents, les souverains de Daeyang. Bien qu'elle sache se montrer entreprenante, elle était d'un naturel effacé qui la mettait sans arrêt en arrière-plan.
Les monarques n'avaient cessé de lui répéter qu'une Princesse devait briller comme mille joyaux et attirer l'attention sur elle. Les regards devaient converger dans sa direction, des murmures devaient suivre son passage.
Mais tout cela était bien le problème. La jeune femme abhorrait plus que tout être le centre de l'attention, même si elle était capable de s'enfermer dans une bulle pour se couper du monde extérieur.
Pour Nagyung, ces épreuves et cette promesse de devenir la fiancée de Chan représentait enfin une occasion de prouver sa valeur à ses parents. Elle avait comme l'impression qu'il s'agissait de son unique échappatoire dans sa solitude sans fin...
— Ma Damoiselle ?
La Princesse tourna vivement son visage hâlé en direction de la voix qui appartenait à un jeune homme plutôt grand. Son corps était élancé, presque félin, et son visage, d'une grande beauté. Ses cheveux blond vénitien s'arrêtaient juste au-dessus de ses épaules.
Il lui adressa un sourire charmeur, et la jeune femme ressentit alors une véhémente chaleur s'éprendre d'elle.
— Puis-je prendre place ? demanda-t-il. Je me prénomme Hyunjin.
Nagyung jeta un bref coup d'œil derrière lui, comme si elle voulait s'assurer que c'était bien à elle qu'il s'adressait.
— O-Oh... Oui ! Oui, bien sûr...
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Felix avait commencé par défouler sa furie sur les portes, mais il se heurta à un silence pour le moins déconcertant. Alors, il tâcha de se maîtriser et tendit l'oreille.
Il en vint rapidement à l'évidence qu'il n'y avait pas un seul son à l'extérieur. C'était comme si tous les domestiques avaient déserté les lieux.
Le Prince poussa un cri de rage. Il tourna en rond dans la pièce comme un lion en cage en grondant de mécontentement.
Il prit de grandes inspirations pour se calmer. Il était crucial que ses idées redeviennent claires.
— Je vais sortir de là, essaya-t-il de se persuader. Ce n'est qu'une question de temps...
Le blondinet se laissa tomber dans une des bergères en lâchant des soupirs de plus en plus appuyés. Il promena son regard sur la somptueuse pièce. Une unique fenêtre était percée dans le mur, mais elle donnait sur la forêt adjacente au château. « Je suis perché à plusieurs mètres du sol », se découragea Felix en examinant le vide vertigineux qui le séparait de la liberté.
C'était bien la première fois qu'il se retrouvait confiné dans une salle. Même lorsque sa mère avait sévi pour ses comportements aberrants, elle n'avait jamais poussé la punition aussi loin.
— Il est absolument hors de question que je reste coincé ici... Mais que pourrais-je faire ?
« Elle me l'a promis ! »
« Méfiez-vous de la Reine. »
— Si Sa Majesté est mêlée à cette histoire de piège, je suis vraiment dans l'impossibilité de trouver une sortie...
Affligé par son sort, Felix se mit à cogiter intensément. Peut-être pourrait-il éventuellement en venir à élaborer un plan, ou même, à comprendre celui d'Aisha...
Il se redressa brusquement sur son siège.
— Elle nous dupe tous ! Si la Reine lui fournit tous les renseignements nécessaires, ce n'est ni plus ni moins de la tromperie.
Mais comment pourrait-il le prouver au Roi ? Une conversation avec un soldat ne suffisait pas, et il en était de même pour les quelques mots de la rouquine.
— Ne vends pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué, se reprocha aussitôt le Prince. Pour commencer, la sortie.
Il se leva et alla examiner les dizaines de bibelots précieux déposés sur les guéridons.
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