03. Alliance
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Felix se sentait vidé de toute émotion. L'insinuation de Chan et son rictus perfide continuaient de le hanter.
Il était déjà tard, comme en attestait le silence qui avait enrobé le château. Mais pourtant, le petit Prince ne dormait pas. Il s'était assis à même le sol, le dos adossé contre le châlit. Les évènements de la journée repassaient dans son esprit et ne cessaient de le tourmenter.
Il avait sous-estimé Chan.
« Il est bien plus retors que ce que j'avais imaginé de prime abord », soupira-t-il. Son plan consistant à le rallier à sa cause était tombé à l'eau. « Je vais devoir m'y prendre autrement... », maugréa-t-il intérieurement.
Mais le souvenir de son air ébahi quand il avait deviné celles qui le rebutaient fit fleurir un sourire satisfait sur ses lèvres. « Il sait désormais que je suis plus futé que j'en ai l'air. »
— Et s'il avait deviné que je n'étais pas Laïa ? s'alarma-t-il soudainement.
En espérant que cela ne soit pas le cas, Felix se leva et s'étira. Afin d'éviter de fabuler davantage, il décida d'aller se coucher. Peut-être que la nuit lui porterait conseil. « Au moins, maintenant, j'ai attiré son attention », se consola-t-il.
Il retira son maquillage et sa robe, avant d'enfiler une longue tunique de nuit. Au moment où il allait se glisser sous ses couvertures, il lui sembla entendre des murmures presque inaudibles.
Le Gongdanien fronça les sourcils et se rapprocha des portes qui donnaient sur le couloir. Il identifia alors la voix comme étant des pleurs.
Incapable de résister à ses pulsions de compassion, il ouvrit sans réfléchir.
— Yuqi ? s'étonna-t-il en apercevant la brune qui transportait un panier de linges sales.
Celle-ci sursauta violemment.
— M-Ma Damoiselle..., articula-t-elle en s'essuyant promptement les yeux. Pardonnez-moi d'avoir troublé votre sommeil...
— Je ne dormais pas, Yuqi. Mais dites-moi, que faites-vous ici aussi tard ?
— J'ai pris du retard sur mes besognes.
— Vous devriez aller vous coucher pour vous reposer. Vous tenez à peine sur vos jambes.
La domestique secoua négativement la tête, même si elle tremblait.
— Ma patronne ne tolère aucun retard, même le plus infime, expliqua-t-elle. Elle ne fera preuve d'aucune clémence envers moi.
— Alors dites-lui que je vous ai retenue, offrit spontanément Felix.
La servante écarquilla les yeux.
— Je n'oserai pas..., souffla-t-elle. Si elle découvre que ce n'est pas la vérité, je ne donnerai pas cher de ma peau. Et en outre, je refuse d'abuser ainsi de votre bonté.
Le jeune homme réfléchit un instant. Il jeta un œil dans le couloir : il était complètement désert.
— Entrez, l'invita-t-il. Venez d'abord m'expliquer pourquoi vous pleuriez.
— Princesse, ce n'est pas raisonnable, protesta faiblement Yuqi. Votre mère souhaite que j'évite le plus possible d'avoir de contacts avec vous.
— Mais elle n'est pas là.
— Je ne suis qu'une servante...
— Votre rang m'importe peu, l'interrompit le blond. Votre détresse est palpable, tout comme votre éreintement. Je ne vous ferai rien, si c'est ce que vous craignez.
— Vous êtes trop bonne..., balbutia la domestique.
— Je pense qu'une conversation entre... filles... vous fera le plus grand bien.
Le Prince indiqua ses quartiers avec un sourire rassurant. La brune s'y engagea alors avec hésitation.
Felix scruta une dernière fois le couloir, puis referma les portes derrière lui, persuadé que personne ne s'y était trouvé.
Mais pourtant, il y avait bel et bien quelqu'un. Au détour du couloir se tenait un jeune homme à la chevelure couleur cinabre qui avait observé toute la scène.
— Intéressant, se contenta-t-il de souffler avant de s'effacer dans l'ombre.
℘
Puisque Yuqi refusait opiniâtrement de s'asseoir sur le lit, tous les deux s'installèrent sur les bergères. Elle proposa d'aller chercher du thé, ce que Felix approuva. Elle se dépêcha donc de parcourir l'étage pour remplir une théière d'eau chaude, puis revint avec deux tasses qu'elle déposa sur le guéridon.
En avisant la tenue légère de la Princesse, la brune s'en voulut aussitôt d'interférer dans sa vie privée.
— Pardonnez-moi de vous importuner ainsi, murmura-t-elle, repentante.
— Yuqi, c'est moi qui vous ai invitée, riposta aussitôt le Prince. Cessez de vous comporter comme une esclave. Vous pouvez parler librement, cette nuit.
— Je ne suis pas sûre que ce soit très décent...
— Alors, c'est moi qui vous l'ordonne. Expliquez-moi pourquoi vous pleuriez.
Le Gongdanien versa l'eau chaude et le sachet de thé dans les tasses, puis porta la sienne à ses lèvres.
— Je ne le répéterai à personne, promit-il en distinguant l'hésitation sur son visage.
— Ce n'est pas que je n'ai pas confiance en vous, ma Damoiselle, mais la réputation de quelqu'un d'important en découle... Ainsi que la mienne, ce qui fera de moi la risée de mes compatriotes, déplora la domestique.
— Chan ?
Elle tressaillit, ce qui fit rire son vis-à-vis.
— Il a déjà mauvaise réputation, vous savez, indiqua le blond avec amusement. Vous ne risquez rien en vous confiant à moi. De toute façon, je n'ai pas d'alliés dans ce château.
Soudain, son expression se décomposa de façon radicale.
— A-t-il abusé de vous ? s'alarma-t-il.
Yuqi baissa la tête, penaude.
— J'ai essayé de lui faire comprendre que je ne voulais pas de lui, mais... il m'a quand même embrassée et touchée.
Elle se mordit la lèvre inférieure en réprimant ses larmes.
— Je suis vraiment navré, Yuqi..., s'affligea Felix en posant une main compatissante sur son épaule.
— Ne vous inquiétez pas pour moi, Princesse. Faites plutôt attention à vous, car j'ignore s'il n'a pas quelques sombres desseins en réserve. Sa Majesté est un suborneur sans scrupules, il convoite sûrement les plus belles d'entre les aspirantes.
— Ne vous en faites pas. Je prendrai d'extrêmes précautions.
« Surtout qu'il risquerait d'avoir une très mauvaise surprise... », songea le Gongdanien avec amusement.
— J'espère vraiment que ce mariage tant attendu réfrénera enfin ses ardeurs, laissa tomber la servante en relevant la tête.
— Il faut que ce soit moi...
La brune questionna son interlocuteur du regard.
— Je ne comprends pas pourquoi, avoua-t-elle. Il est revêche, et de surcroît, son cœur est plus aride qu'un désert.
Elle baissa aussitôt les yeux, de crainte que Felix ne la réprimande de donner une opinion péjorative sur le Prince. Mais celui-ci n'en fit rien, car il pensait à exactement la même chose.
— À mon avis, ce comportement insubordonné cache quelque chose, prononça-t-il. Peut-être refuse-t-il d'admettre une faiblesse.
— Ne préférez-vous tout de même pas le laisser à une autre prétendante ?
— Non, je suis persuadé de pouvoir le changer tout en le contentant. Et puis, il est particulièrement beau et intéressant.
Le blond se garda bien de lui avouer qu'il n'avait pas le choix, car il ne pouvait plus retourner dans son Royaume natal.
— Alors, je vous souhaite de réussir, ma Damoiselle, le soutint-elle.
L'esquisse d'un sourire parut sur le visage morose du Gongdanien qui avait recommencé à sombrer dans ses mauvais souvenirs.
Yuqi sirota le contenu de sa tasse en respectant le silence soudain du membre royal. En l'observant à la dérobée, une volée de questions l'assaillit.
Felix finit par sentir le poids de son regard sur lui, et il leva vivement la tête vers elle.
La domestique risquait de se faire punir pour son audace, mais l'expression bienveillante de son vis-à-vis l'encouragea à exprimer le fond de sa pensée.
— Vous... Vous n'êtes pas Laïa, n'est-ce pas ?
Le Prince ouvrit la bouche, mais il fut incapable d'émettre le moindre son. Il cligna des yeux avec ahurissement pendant de longues secondes.
— Comment l'avez-vous appris...? finit-il par demander une fois qu'il eut retrouvé l'usage de ses cordes vocales.
— Je... Vous ne vous comportez pas tout à fait comme une vraie Princesse, expliqua timidement la jeune femme.
Elle entremêla nerveusement ses doigts en silence.
— Vous ne voulez pas savoir pourquoi ? s'étonna le blond.
— Vous avez pour sûr titillé ma curiosité, admit-elle, mais je ne puis me permettre de pousser ma hardiesse plus loin... Vous n'êtes pas obligée de m'en faire part, vous savez.
— J'y tiens, tout de même. De toute manière, vous finirez par l'apprendre tôt ou tard.
Felix prit une nouvelle gorgée de sa boisson pour se donner du courage.
— En réalité, je ne suis pas Laïa, mais un de ses frères, indiqua-t-il alors.
La stupéfaction se peignit sur le visage de Yuqi.
— V-Vraiment ? bredouilla-t-elle, dubitative.
— Oui.
— Vous... Excusez-moi si je vous parais irrévérencieuse, mais vous n'avez pas du tout l'air d'un homme...
Au lieu de s'en offenser, le Gongdanien éclata de rire, ce qui la prit au dépourvu.
— Je sais bien, s'amusa-t-il. C'est bien pour cela que ma mère m'a forcé à me faire passer pour ma sœur.
— Je ne suis pas certaine de tout saisir, fit la domestique qui, face au comportement ouvert du Prince, se sentait plus détendue.
— Ma sœur refuse depuis toujours de se plier au protocole des Princesses. Quant à moi, je suis le premier en lice pour la couronne de Gongdan. Mais je dois avouer avoir une nette préférence pour les hommes.
— Je vois...
— Comptez-vous me dénoncer ?
— Oh, non ! J'apprécie bien trop votre comportement amène envers moi pour faire une chose pareille... Et puis, de toute façon, je n'ai aucun pouvoir, ici. Personne ne me croirait.
Puis, elle sourit avec une pointe de malice qui n'échappa pas au blond.
— J'espère vraiment que vous remporterez le titre de promise du Prince Chan, sire.
— Je n'ai pas vraiment le choix, de toute façon.
— Donnez-lui une bonne leçon.
Felix réprima difficilement un rictus espiègle.
— Je verrai ce que je peux faire, ricana-t-il.
Yuqi bavarda encore une dizaine de minutes avec lui, avant de finalement prendre congé. Elle le remercia à profusion de lui avoir remonté le moral, puis lui souhaita de passer une bonne nuit.
En refermant les portes, l'androgyne ne put que se réjouir d'avoir gagné une alliée.
℘
Le lendemain matin, après une brève toilette dans la bassine d'eau chaude et un copieux repas en compagnie de ses rivales, le blondinet était fin prêt pour la deuxième épreuve.
« Ne devient pas Princesse qui en a envie : porter une belle robe ne suffit pas. Plusieurs ingrédients sont nécessaires pour faire d'une femme un véritable membre de la royauté.
En apparence, le deuxième a l'air d'une simplicité infantile, mais méfiez-vous. À la justesse et à la précision, il vous faut ajouter une pincée d'originalité.
Une Princesse sait faire preuve d'adresse et de célérité pour impressionner son entourage. »
En jetant un œil à l'unique fenêtre des appartements où il séjournait, il aperçut que des bottes de foin, des mannequins de bois et des cibles avaient été installés dans la grande cour à intervalles réguliers.
Un sentiment d'excitation submergea aussitôt le jeune homme qui ne put réprimer un sourire ravi. Nul doute ne subsistait dans son esprit quant au fait qu'il réussirait cette épreuve haut la main.
Certaines Princesses ne partagèrent pas du tout son allégresse, en particulier les plus jeunes, n'ayant pas suffisamment d'expérience en matière de tir à l'arc pour s'y risquer.
Felix se vit alors forcé de revêtir une énième robe, ce qui lui déplut fortement.
— Le protocole vestimentaire féminin est ainsi fait, sire, lui expliqua Yuqi en avisant son mécontentement.
Le Prince finit par se résigner. Il choisit donc une tenue courte et évasée pour que ses mouvements ne soient pas entravés par le tissu, et coiffa ses cheveux en une petite queue de cheval qu'il attacha avec un ruban. Il appliqua un léger mascara sur ses cils et un lustre brillant sur ses lèvres, puis quitta ses quartiers la tête haute, chaussé de ses escarpins qui étaient lacés jusqu'à ses chevilles.
En s'engageant dans la grande cour, le blond eut l'impression de pénétrer dans un véritable four. Il y régnait une chaleur plus qu'oppressante qui le fit instantanément grimacer.
Une servante vint spontanément lui tendre un éventail pour qu'il puisse se rafraîchir. Il la remercia et alla s'asseoir parmi les autres concurrentes, à l'ombre.
En sentant la sueur perler de ses tempes, Felix se mit à regretter la fraîcheur de Gongdan. Ses territoires boisés propageaient une humidité qui empêchait les fortes canicules.
Nagyung, originaire d'une contrée torride, ne semblait pas être indisposée outre mesure. Aisha, Yijeon et Bora, bien plus sensibles, possédaient des ombrelles afin de protéger leur peau diaphane des coups de soleil.
Le Prince refusa qu'on lui amène ce parasol portatif, et se contenta d'agiter l'éventail devant son visage pour chasser l'air dans sa direction. « Cela va être difficile, dans ces conditions », soupira-t-il.
Chan était visible nulle part, ce qui le fit tiquer. Mais il n'eut pas le temps d'y songer davantage, car Seoho s'était avancé vers eux, un sourire chaleureux sur les lèvres. Il avait remonté les manches de sa chemise et déboutonné le premier bouton, ce qui le fit arquer un sourcil.
— C'est le moment de nous montrer vos talents cachés, mes Damoiselles, déclara l'héritier de sa voix enjouée. Ne laissez pas la chaleur environnante vous déstabiliser, et tout se passera bien ! Yijeon, je vous prierai de bien vouloir commencer.
Celle que Felix avait surnommé « la poupée » se leva gracieusement. Une domestique vint lui apporter un arc et un carquois bourré de flèches. Elle quitta l'ombre des arbres pour se diriger vers le centre de la cour, ses longs cheveux de jais aussi fin que de la soie volant derrière elle.
En constatant qu'elle était vêtue d'une robe en dentelle et d'un corset serré, le blond se demanda si elle survivrait à cette journée sans succomber à la canicule.
La Princesse de Sanyun décocha une première flèche qui se planta dans la cible, mais pas au centre. Ce ne fut qu'après de nombreux essais qu'elle y parvint.
À la grande surprise de l'auditoire, un palefrenier lui amena ensuite un destrier alezan déjà harnaché.
— Montez et tirez, ordonna le Prince à la chevelure caramel. Votre but est d'y arriver en étant simplement assise sur le cheval, puis lorsqu'il se met au trot, et enfin, au galop.
La mine effrayée de Yijeon n'échappa pas au Gongdanien. Elle se saisit de la bride et plaça un pied dans l'étrier afin de se hisser maladroitement sur l'animal. Elle plaça ses jambes du même côté, ce qui rappela à Felix que les femmes ne montaient pas de la même manière que les hommes en raison de leurs vêtements.
Tremblant de tous ses membres, la Princesse se crispa sur la selle. Heureusement pour elle, le destrier était docile. Il ne bougea pas d'une oreille, même lorsqu'elle laissa partir une nouvelle flèche qui se ficha dans la cible.
Au trot, elle parvint au même résultat. Mais lorsque l'étalon se mit à galoper de long en large, son visage fut transcendé par la terreur.
Aisha et Nagyung n'hésitèrent pas à se moquer, mais Felix la fixa avec de grands yeux effrayés.
En remarquant que sa compassion remontait à la surface, il s'efforça d'effacer toute expression de son faciès.
Finalement, Yijeon encocha une flèche qui se planta dans une motte de foin.
— Bien ! l'applaudit Seoho. Vous n'avez pas atteint le centre de toutes vos cibles, mais cela reste un résultat suffisant. Aisha, c'est à vous.
Celle-ci se leva et adressa un sourire railleur à la Princesse de Sanyun.
— Alors ? On a peur d'un petit poney ? ironisa-t-elle en passant à côté d'elle.
La noiraude serra les poings mais ne répliqua pas. Elle déposa brutalement l'arc dans les mains fines de la rouquine et retourna s'asseoir à l'ombre.
Pendant que les serviteurs s'affairaient à lui apporter d'autres flèches, elle mesura la force de son bras en tirant sur la corde.
Sa longue robe de soie bleu vif, rehaussée d'un corset aux reflets dorés, traînait sur le sol. Sa chevelure rousse descendait un peu plus bas que ses épaules en formant de douces vagues.
« Elles sont toutes habituées aux robes », comprit enfin Felix. Lui-même n'aurait pas supporté le corset. Il l'aurait probablement fait suffoquer.
Aisha ménagea ses efforts : elle tira au centre de la cible du premier coup.
Malgré sa robe contraignante, elle monta le destrier avec agilité, et eut autant de succès avec ses tirs que pied à terre.
L'androgyne avait enfin repéré Chan. Il se tenait sur son balcon personnel, à l'abri du soleil et de la chaleur. « Le veinard... »
— Laïa !
Cette fois-ci, le blond avait retenu la leçon : il sauta sur ses pieds et alla à la rencontre de la Princesse de Munhwi.
Celle-ci lui tendit l'arc sans pouvoir se départir de son rictus de vainqueur.
— Essayez donc de faire mieux, la défia-t-elle d'un air dédaigneux.
— Ouvrez grands vos yeux, très chère, répliqua le jeune homme avec un sourire impénétrable. Votre talent n'égale pas le mien.
La confiance qui émanait du Gongdanien irrita profondément la rouquine. En déposant l'arme dans ses mains, elle lui griffa la peau au passage.
— C'est ce qu'on verra, siffla-t-elle en poursuivant son chemin.
Felix baissa les yeux sur l'égratignure : elle était superficielle, mais elle avait commencé à saigner.
En réprimant un juron, il attacha les courroies du carquois autour de ses hanches et y soutira une flèche qu'il encocha sur l'arc en utilisant trois doigts : l'index au-dessus, le majeur et l'annulaire en dessous.
D'un seul mouvement fluide, il la laissa partir. En sifflant, elle fendit en deux celle d'Aisha.
Des murmures étonnés parcoururent l'assistance.
Le blond ne put réprimer un petit sourire en coin. Il n'allait certainement pas se gêner de faire l'étalage de ses talents.
Le tir à l'arc était réservé aux femmes dans la royauté, mais sa mère avait tout de même insisté pour qu'il l'apprenne. « Avait-elle prévu mon départ depuis tout ce temps ? » se demanda-t-il. Malheureusement, ses interrogations restèrent sans réponse.
Le jeune homme se hissa sur le destrier avec aisance. Il tenta de s'asseoir à l'instar des Princesses, mais il n'arriva à rien.
« Je n'ai pas le choix », se résigna-t-il. Même s'il risquait d'attirer l'attention, il plaça ses jambes de part et d'autre de sa monture.
Felix se surprit à regretter que l'animal ne se montre pas plus récalcitrant. Sa docilité était vraiment lassante.
Sans attendre que l'assemblée se mette à récriminer, il décocha une nouvelle flèche qui fendit en deux celle qu'il avait tirée auparavant.
Mais un mot ne cessait de le tourmenter. La lettre avait spécifié qu'il devait faire preuve d'originalité...
Le cheval se mit au trot, la flèche partit et se ficha au milieu des deux yeux d'un mannequin.
Ce fut en encochant la dernière que le blond eut une idée.
Il fit mine de viser une autre cible, mais au dernier moment, tourna l'arc en direction d'un des balcons, et tira.
Avant que qui ce soit n'ait pu crier d'effroi, la flèche sifflante se planta dans le fruit que le Prince Chan était en train de déguster et le cloua au mur.
Le jeune homme en question, incrédule, posa successivement les yeux sur Laïa, puis sur sa pêche.
Ses grandes mains se crispèrent sur la balustrade. Il décocha son regard le plus meurtrier à la blonde, qui, au milieu de la cour, lui soufflait un baiser du bout des doigts.
D'un air mutin, elle se détourna et retourna s'asseoir auprès des Princesses en se déhanchant divinement.
« Cela ne se passera pas comme ça ! » ragea Chan. Parfaitement immobile, il étudia la démarche ostensible de la jeune femme en fulminant intérieurement.
Après avoir servi un sourire triomphant à Aisha qui était dans le même état furibond que le Prince, Felix tendit l'arc à Bora.
Étant la plus jeune d'entre les prétendantes, elle n'avait certainement pas l'expérience requise pour cette épreuve. Le Gongdanien pouvait déjà déceler l'appréhension dans ses yeux mordorés. « Elle a l'âge de ma petite sœur », songea-t-il en la voyant partir en direction de la cour.
La position de la Princesse de Hoemhan lui fit aussitôt comprendre qu'elle était une néophyte en la matière. La flèche lui glissa des mains à maintes reprises, avant qu'elle ne parvienne à l'encocher. Elle dut s'y prendre à plusieurs fois pour que finalement, elle se fiche dans la motte de foin.
Une fois qu'elle fut sur le cheval, les choses s'aggravèrent considérablement. Bora trémulait tellement qui lui était difficile de tirer. Sa peau fut éraflée par la corde qu'elle ne tendait pas correctement.
Quand elle atteignit enfin le mannequin de bois, du sang perlait de ses doigts.
Le blond jeta un coup d'œil du côté de Seoho, mais celui-ci ne semblait pas du tout être enclin à vouloir l'aider.
Le cri de la jeune Princesse vêtue de rose le fit vivement tourner la tête dans sa direction. Le destrier était parti au trot sans crier gare, et elle avait glissé de la selle.
Elle chut brutalement sur le sol, effrayant ainsi sa monture qui fit un brusque écart pour l'éviter. Sous un ordre sec de la part de l'héritier du trône, un palefrenier se précipita pour maîtriser l'animal.
Poussé par un élan de commisération, Felix se précipita dans sa direction, malgré ses escarpins qui l'empêchaient de courir aussi vite qu'il l'aurait voulu.
— Bora ? Vous allez bien ?
L'adolescente gémit de douleur, mais acquiesça. Sans attendre les servantes, le jeune homme lui saisit les mains pour l'aider à se relever.
— Vous n'avez rien de cassé, je crois, déclara-t-il en l'examinant rapidement.
— Mais ma cheville me fait mal..., bredouilla-t-elle en reniflant.
— Elle est gonflée, en effet. Vous l'avez sûrement foulée. Si je puis vous donner un conseil, réprimer vos pleurs tant que vous vous trouvez en public. C'est une question d'honneur.
Bora ouvrit la bouche pour rétorquer, mais à ce moment précis, les domestiques débarquèrent pour la prendre en charge.
— Vous êtes éliminée, Princesse Bora, lâcha Seoho sur un ton détaché.
Celle-ci opina du chef et détourna le regard, car elle avait senti ses yeux se remplir de larmes.
Felix, profondément songeur, la regarda claudiquer en direction du palais, soutenue par des servantes. Il fit de son mieux pour ne pas laisser transparaître la tristesse qui l'avait envahi.
« Elle était la seule qui n'était pas superficielle et égocentrique, regretta-t-il. Elle faisait preuve d'une droiture si spontanée... »
Tout s'était déroulé tellement vite que son cerveau avait du mal à tout assimiler.
— Laïa, je vous prierai de retourner vous asseoir auprès de vos rivales, retentit soudainement la voix du dauphin. L'épreuve n'est pas encore terminée.
Comme un automate, l'androgyne obtempéra, le regard dans le vague.
℘
Lorsque tous rentrèrent au château pour le repas du soir, le blond croisa Bora dans les couloirs. Malgré ses yeux rouges, elle avait meilleure mine.
— Laïa... J-Je voudrais vous remercier pour vous être précipitée à ma rescousse, dit-elle d'une voix cassée.
— C'est le moins que je puisse faire. Je vous souhaite un bon retour chez vous, Bora.
Celle-ci acquiesça avec un sourire maussade. Incapable de prononcer un seul mot de plus, elle retourna à ses appartements.
Felix trouva ce jeu bien cruel, d'un seul coup. Ce fut avec une humeur morose qu'il prit son repas en compagnie des trois Princesses restantes, qui elles, ne manifestaient pas le moindre chagrin.
Quelques chaises plus loin, Chan scrutait les faits et gestes de la Gongdanienne, incapable de comprendre la profondeur de l'émotion qu'il percevait sur son beau visage.
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