01. Rivalités
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Cela faisait près d'une journée que Felix se trouvait dans la calèche qui l'amenait à Malyeog. Quelques gardes montaient des destriers et trottinaient à ses côtés, veillant à sa sécurité. Une servante était assise sur le banc opposé au sien, entièrement à sa disposition s'il avait besoin de quoi que ce soit.
Le blond s'ennuyait affreusement. Par la fenêtre, il regardait défiler le paysage du Royaume de Daeyang qui se résumait à du sable doré et à des cocotiers. La mer n'était qu'à quelques kilomètres de là, puisque cette contrée se situait à l'extrême sud du continent.
La géographie n'était pas vraiment son point fort, mais il savait tout de même où se trouvait chacun des six Royaumes.
Sanyun était une région quasiment désertique, étant la plus septentrionale. Il y neigeait toute l'année, d'après les rumeurs.
Les terres de Gongdan étaient recouvertes de denses forêts, tandis que Malyeog était un large territoire regroupant prairies, lacs et collines.
Hoemhan n'était que montagnes et à-pics escarpés, et Munhwi, le plus petit Royaume, ressemblait davantage à Malyeog.
Pour se rendre à leur destination, les voyageurs devaient d'abord traverser Hoemhan et Daeyang. Felix savait avec désespoir que cela nécessiterait encore quelques heures de route.
Il poussa un soupir en laissant tomber sa tête vers l'arrière. Il porta sa main à son visage et l'agita légèrement, cherchant à produire de la fraîcheur pour contrer la chaleur atroce de ce climat.
— Au lieu de rechigner, vous pourriez commencer à vous préparer, mon Prince, lâcha sèchement sa domestique.
— Je ne vous permets pas de me parler sur ce ton.
— Vous, non, mais votre mère, oui.
Le blond ravala un commentaire désobligeant et détourna le regard.
— Je me dois de vous apprendre les rudiments du code vestimentaire féminin, insista la servante.
Il serra les dents.
— Soit.
Sans protester davantage, il se déshabilla et accepta de revêtir la robe légère que lui tendait la femme. La jupe en tulle dorée lui plut bien, mais ce ne fut pas le cas du corset.
— Je ne porterai pas ça, refusa-t-il en esquissant une légère grimace.
Puisque ses exhortations n'eurent pas l'effet escompté, la domestique abandonna à contrecœur. Elle lui montra comment rembourrer son bustier et lui enseigna à coiffer ses cheveux de diverses manières.
— N'est-ce pas le rôle des serviteurs de nous coiffer ? s'enquit Felix avec un soupir.
— Il n'est pas question qu'ils vous approchent, sire. Ils découvriront facilement qui vous êtes.
— Si vous le dites...
— Sa Majesté affirme que vous savez vous maquiller, modifier votre voix et vous tenir correctement. Je pense donc qu'il est inutile d'insister là-dessus.
Puis, la servante indiqua les bagages d'un geste de la main.
— Là-dedans, vous trouverez de quoi vous vêtir, vous maquiller, vous coiffer, et quelques bijoux. Tâchez de faire bonne figure. Vous arriverez dans deux heures, alors faites de votre mieux pour vous détendre. Vos mains trémulent.
Felix saisit le tissu de sa robe entre ses doigts pour cacher ses tremblements nerveux. « Tout ira bien », essaya-t-il de se convaincre.
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Chan, du haut de son balcon personnel, observait les calèches se défiler dans la cour du château avec indifférence. D'où il était, il ne parvenait pas à distinguer les visages des jeunes femmes qui en sortaient, escortées par des gardes de Malyeog, mais il s'en fichait. De toute évidence, chacun des Royaumes avait sa propre représentante.
« Ce n'est pas prudent, songea alors le jeune homme. Les Princesses éliminées risqueraient de se plaindre auprès de leurs parents, et tout ce que l'on gagnera, ce sera un incident diplomatique. »
— Je sais à quoi tu penses, Channie.
— Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler ainsi, grommela le concerné.
— Les parents des Princesses éliminées se diront simplement qu'elles n'étaient pas assez biens pour toi, poursuivit Seoho en s'appuyant contre la rambarde. Je ne pense pas que cela ira jusqu'à causer des tensions entre les Royaumes.
— Tu m'en vois bien sceptique...
— Aie confiance, mon frère. Père m'a chargé de t'informer qu'un banquet aura lieu dans une heure. Tu y feras la connaissance des Princesses.
— Génial...
— Ne sois pas en retard, insista l'aîné. Tu sais à quel point père déteste cela.
Chan opina du chef en cachant habilement son irritation. Son frère lui administra une claque amicale sur l'épaule pour l'encourager, avant de s'engouffrer à l'intérieur de l'édifice.
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Felix pénétra dans le château avec appréhension. Il était bien plus vaste et riche que celui dans lequel il avait grandi. Les étages étaient à peu près divisés de la même manière, mais il ignorait où se trouvaient précisément chacune des salles.
Les murs étaient tapissés de papier peint bleuté où l'on pouvait contempler des dessins abstraits d'une teinte légèrement plus foncée. Les lambris mouchetés d'or et les vases précieux rehaussaient la beauté des lieux.
Le fait que la domestique insolente et les gardes de sa mère soient partis lui avait fait comprendre que la Reine de Gongdan ne plaisantait pas. Elle comptait bel et bien lui fermer les portes de son Royaume.
« Je dois gagner à tout prix... Pourvu qu'il soit séduisant », espéra le blond en s'efforçant de sourire avec ravissement à ceux qu'il croisait.
Une servante l'intercepta et le salua en faisant mille courbettes. Elle le convia à la suivre jusqu'à ses appartements, et Felix lui emboîta promptement le pas. Il parvint aisément à marcher avec les escarpins qu'il chaussait. Les talons n'étaient hauts que de quelques centimètres, ce qui lui facilitait grandement la tâche.
La femme le conduisit au deuxième étage, réservé aux invités, à travers de longs couloirs jalonnés de portes azur, la couleur du Royaume. Le blond s'empressa d'en mémoriser chaque détail pour retrouver son chemin.
— Voici vos appartements, ma Damoiselle. Je vous souhaite un agréable séjour.
« Décidément, les domestiques de Malyeog sont bien plus déférents », apprécia Felix.
— Je vous en remercie.
— Sa Majesté le Roi vous convie à un banquet dans une heure. Faites-moi signe si vous avez besoin de quoi que ce soit. Je reviendrai pour vous indiquer le chemin.
Elle se courba ensuite très bas pour lui témoigner du respect. « Je vais devoir me débrouiller tout seul à partir de maintenant », raisonna le Prince en la voyant disparaître au fond du couloir.
Il poussa les portes doubles et pénétra dans une vaste pièce contenant un lit à baldaquin, deux bergères, une armoire, une commode et une coiffeuse surmontée d'un miroir. Un feu crépitait dans l'âtre d'une cheminée, diffusant une agréable chaleur. Les murs étaient habillés de belles tapisseries dont les décors contaient des légendes séculaires. Les draps en soie étaient d'un bleu très pâle, assortis au lustre de cristal qui, pendu au plafond, réfléchissait la lumière du soleil et projetait des éclaboussures blanches dans la pièce.
Felix ouvrit l'armoire de bois d'ébène et y plaça les vêtements contenus dans les bagages précédemment déposés dans la pièce par des serviteurs. Il alla mettre les bijoux et les palettes de maquillage sur la commode, sachant que personne n'y toucherait. Les domestiques se présentaient seulement pour faire le ménage, et ils étaient d'une servilité exemplaire. Ils obéissaient sans poser de questions.
Le Prince alla s'asseoir sur le lit en songeant à cette étrange aventure dans laquelle il s'était embarqué. Puisqu'il n'avait pas accès aux bains, en raison de sa double identité, il n'avait aucun moyen de se détendre avant le repas.
Les enfants de la Reine de Gongdan étaient tous différents. Felix n'avait jamais exprimé de désir pour l'éducation qu'on lui réservait en tant que dauphin. On lui avait, bien sûr, enseigné le maniement des armes et à monter à cheval, mais ce n'était pas ce qui lui plaisait. Il aspirait à la musique, à chanter et à danser. De surcroît, il aimait les vêtements décidément féminins. Il avait pris pour habitude de porter les casaquins et les chainses qu'il empruntait à sa sœur cadette, tandis qu'elle aimait se vêtir de ses braies et de ses tuniques d'apparat.
« On aurait dû s'échanger les rôles bien plus souvent », se dit-il avec amusement.
Le blond n'avait pas eu souvent l'occasion de porter les robes et les souliers de Laïa, car les domestiques l'avaient étroitement surveillé pour l'en empêcher.
« Et maintenant que je peux, je suis forcé me faire passer pour une Princesse », soupira-t-il intérieurement. Ce n'était pas ainsi qu'il avait imaginé sa vie.
Felix ne savait pas vraiment comment il se sentait présentement. Bien, parce qu'il pouvait porter des robes ? Mal, parce qu'il ne voulait pas se marier et qu'il devait prendre l'identité de sa sœur ?
« De toute façon, je n'ai pas le choix. Ça ira, je n'ai qu'une semaine à tenir », s'encouragea-t-il.
Son frère, que la Reine de Malyeog voyait déjà sur le trône, était l'exemple parfait d'un Prince. Affable et serviable en toutes circonstances, sa générosité frôlait la débonnaireté. Le blond comprenait le choix de sa mère, mais était-elle vraiment obligée de se débarrasser de lui pour le couronner Roi ?
Laïa préférait largement porter des vêtements d'hommes et s'exercer à l'épée. En réalité, Felix avait l'impression qu'ils avaient échangé leurs identités respectives. Seulement, il ne désirait pas se faire passer pour elle, et sa sœur était très bien dans sa peau.
Le peuple mettait leurs comportements sur le compte de l'absence d'un père, mais le Prince savait fort bien qu'il n'y était pour rien. « Pourquoi ne peuvent-ils pas réfléchir comme Seungmin ? » se demanda-t-il.
Felix chassa toutes ses mauvaises pensées et médita un instant sur son sort. Il se devait de montrer le meilleur de lui-même lors du banquet. « Ne pense pas à ton avenir ici, pour le moment, se dit-il à lui-même. Commence déjà par faire bonne impression à ce repas. »
Puisqu'il n'avait rien d'autres à faire, il entreprit de commencer à se préparer pour être certain de tout maîtriser. Il ôta alors la robe courte qu'il avait portée durant le voyage pour être à l'aise, et fourragea dans l'armoire.
Il finit par en dénicher une plus longue qui ferait parfaitement l'affaire. Puisqu'elle était cintrée au niveau du haut du corps et évasée à partir de la taille, il avait la maîtrise de tous ses mouvements. Le tissu léger de la jupe était dépourvu de tout motif, mais ce n'était pas le cas des manches amples, ornées de dentelles. Le Prince l'avait choisie en partie pour sa couleur immaculée, afin de témoigner de ses bonnes intentions.
« La richesse ne fait pas tout, Felix. Il faut aussi savoir montrer son humilité et sa sapience. »
Les paroles de sa mère le firent hésiter sur les accessoires. Finalement, il choisit de ne pas en porter. Il s'installa devant le miroir accroché au mur en face de la coiffeuse, et entreprit de tresser ses cheveux.
Ce ne fut pas une mince affaire pour lui, surtout qu'il n'avait jamais vraiment pris soin de sa chevelure, mais il refusa d'abandonner, même lorsque les mèches bouclées glissaient entre ses petits doigts.
Sa détermination porta ses fruits. Le blond enroula les tresses sur le sommet de son crâne pour former une sorte de chignon, puis trouva un bandeau qu'il noua autour de son front. Finalement, il appliqua un léger fard foncé sur ses paupières.
Il s'admira un moment dans la psyché, et se déclara prêt pour sa première entrevue avec ses rivales et la famille royale.
Il lui restait une bonne vingtaine de minutes avant le repas. Felix choisit de quitter ses appartements, étant donné qu'il n'avait plus rien à y faire, et déboucha dans le couloir. « Devrais-je fermer ? » se demanda-t-il en constatant la présence d'une clé dans la serrure.
Encore une fois, les paroles de sa mère retentirent dans son esprit.
« Surveille tes arrières et méfie-toi de tout le monde. »
Le Prince ferma donc et fourra la clé dans le bustier qui contenait le rembourrage par son décolleté. « Il faut bien que ça serve à quelque chose », ricana-t-il intérieurement. Il réprima difficilement un rictus rieur. « C'est vraiment n'importe quoi... »
Puisqu'il lui restait passablement de temps, il décida d'explorer un peu le palais. « Mieux je connaîtrai les lieux, plus je me sentirai en sécurité », songea-t-il.
Felix comprit que le château était doté de trois étages, et était, par conséquent, bien plus vaste que ce qu'il avait cru. Le premier réunissait la salle des audiences, l'armurerie, les cuisines, le hall central, la buanderie, les appartements des domestiques et les bains. Le deuxième contenait les appartements des invités et la bibliothèque, et le troisième divisait son espace entre les appartements royaux et l'antichambre du Roi.
En s'aventurant à l'étage où il séjournait, le jeune homme remarqua la présence d'autres quartiers occupés. Il en compta quatre. « Quatre rivales, soupira-t-il, et je n'ai même pas la motivation de gagner... »
Lorsqu'il descendit les escaliers, son épaule percuta un corps. Felix leva vivement la tête, prêt à s'excuser auprès d'une éventuelle servante, mais il se heurta à un regard de glace qui le paralysa sur place.
Il faisait face à un jeune homme qui portait une chemise blanche, ainsi qu'un pantalon de cuir noir et des bottes. Sa chevelure écarlate aussi raide que de la paille retombait juste en-dessous de son menton. Ses étranges iris formaient un dégradé : ils passaient du bleu très clair au céruléen en s'éloignant des pupilles.
Ce qui convainquit le blond qu'il s'agissait bien d'un membre de la royauté, ce fut sa peau blême et sans imperfections, mais également le fait qu'il le dévisage sans sourciller.
— Sire ! s'exclama-t-il aussitôt en reprenant contenance. Veuillez pardonner ma maladresse, j'étais complètement perdue dans mes pensées...
Un éclair d'agacement traversa les yeux surréels de son vis-à-vis, mais ne transparut aucunement sur son visage hermétique.
Sans le laisser renchérir, il passa devant lui et gravit les marches de l'étage supérieur.
« Il est vraiment de mauvais poil, maugréa Felix. Mais si c'est lui Chan, alors il faut absolument que je gagne. »
Sa beauté était unique, presque éthérée. Et ses yeux... « Ils mêlent à la fois le bleu du ciel et le bleu de l'océan... », s'émerveilla-t-il.
L'adolescent secoua la tête pour s'arracher à sa rêverie. Il n'avait aucun moyen d'être certain qu'il s'agissait bel et bien du Prince Chan.
Il poursuivit son chemin et se rendit en contrebas pour pousser son exploration plus loin.
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Une quinzaine de minutes plus tard, Felix tomba sur une domestique qui s'empressa de lui indiquer le chemin du hall pour le repas qu'il partagerait en présence de la famille royale et des autres Princesses. Il s'exécuta docilement, tâchant de se montrer agréable avec tout le monde, même s'il bouillonnait intérieurement.
Déjà qu'il détestait la vie de Prince, celle de Princesse était bien pire. Il savait pertinemment qu'elles étaient censées se montrer affables envers tout le monde, mais les sourires factices qu'il pouvait déceler sur les visages des femmes réunies autour de la table le dégoûtaient. Il n'osait même pas imaginer à quel point son expression devait être facilement lisible pour elles, habituées à jouer la comédie.
Le blond prit place sur une chaise aux côtés d'une adolescente qui semblait plus jeune que lui. Ses cheveux fuchsia étaient attachés en deux couettes enfantines et retenus par des tas de barrettes de la même couleur criarde. Sa longue tunique magenta et évasée était parsemée de motifs floraux qui firent soupirer le Prince. Tout chez elle était bien trop rose pour lui, même ses escarpins.
Elle tourna son visage infantile dans sa direction et lui sourit. Ses grands yeux mordorés pétillaient de curiosité.
— Bonjour ! s'exclama-t-elle joyeusement d'une voix aiguë.
Felix se contenta de forcer un sourire et d'incliner légèrement la tête pour la saluer. Aucun son ne s'échappa d'entre ses lèvres, alors qu'il regrettait de plus en plus d'avoir accepté de se rendre à Malyeog.
Le Roi en personne arriva peu après, suivi par ses deux fils et talonné par des gardes. La Reine était visiblement absente.
Le blond promena son regard sur l'assemblée en se composant une mine neutre. La première règle d'un membre royal était bien évidemment de feindre l'indifférence. Les émotions étaient un signe de faiblesse que tous tâchaient d'abolir.
Les Princesses et Felix baissèrent tous la tête en signe de respect pour le souverain. Ce dernier se plaça au bout de la table, alors qu'un sourire plus que faux ornait ses lèvres fines.
— C'est un honneur pour moi de vous accueillir dans mon humble demeure, déclara-t-il alors.
Le Gongdanien se retint de lever les yeux au ciel.
— Je suis le Roi de Malyeog, et voici mes deux fils.
Le premier aux cheveux couleur de miel et au regard bienveillant se présenta en tant que Seoho, héritier de la couronne. L'autre lâcha d'un ton sec :
— Chan.
Le blond réprima un sourire de vainqueur. Le Prince était bien plus beau qu'il ne l'avait pensé, et son comportement réservé lui semblait plus qu'intéressant. Il était décidément conquis.
Pendant que les serviteurs déposaient les plats sur la table, le monarque demanda à chacun de se présenter.
— Je suis Bora de Hoemhan, indiqua aussitôt la voix enjouée de l'adolescente vêtue de rose.
Tous les regards se braquèrent ensuite vers Felix, et celui-ci ancra ses yeux violets dans ceux de Chan avec effronterie.
— Laïa, Princesse de Gongdan.
Sa voix rauque fit grimacer plusieurs personnes autour de la table. Mais pas le Prince cadet de Malyeog, qui soutint son regard pendant de longues secondes sans ciller.
Le Gongdanien esquissa un sourire en coin que l'on pourrait sans doute qualifier de charmeur, puis tourna la tête vers sa voisine de droite.
Il s'agissait d'une femme à la peau mate et aux yeux ambrés, vêtue d'une courte robe à franges sur laquelle étaient cousues de petites perles de couleurs chaudes. Sa chevelure auburn, parsemée de bijoux sertis de diamant, était tressée en une natte qui lui atteignait le milieu du dos. Un léger maquillage orangé recouvrait ses paupières.
— Je m'appelle Nagyung de Daeyang, se présenta-t-elle d'une voix douce comme la brise.
Chan ne lui accorda qu'un regard désintéressé. S'il daignait dévisager les Princesses, c'était uniquement pour mémoriser leurs noms et leurs visages respectifs.
La suivante se prénommait Yijeon et provenait du Royaume enneigé de Sanyun, comme en attestait sa peau de porcelaine. Son visage poupin et maquillé à outrance était encadré d'une longue chevelure de jais aux reflets bleuâtres. Ses yeux en amandes chatoyaient d'un azur très pâle, presque translucide.
Elle devait probablement souffrir de la chaleur environnante, car sa tunique de velours était recouverte de fourrure, tout comme ses bottes. Pourtant, elle ne laissait rien paraître. Ses doigts fuselés étaient élégamment croisés devant elle.
Contrairement à l'insolence dont avait fait preuve Felix, elle se contenta de jeter un rapide coup d'œil au Prince cadet de Malyeog.
— Je suis la Princesse Aisha de Munhwi, déclara la dernière des femmes sur un ton altier.
« Elle a l'air d'avoir souffert du fait qu'elle provient de la plus petite contrée », se dit Felix en remarquant qu'elle se tenait bien droite sur sa chaise.
Comme si elle avait entendu ses pensées, la Princesse lui jeta un regard haineux qui le fit arquer un sourcil. « Elle ose me provoquer, en plus ? » s'amusa-t-il sans toutefois lui rendre ouvertement son aversion.
La chevelure rousse d'Aisha coulait sur ses épaules en formant de douces vagues. Un diadème serti de pierres précieuses était posé sur le sommet de sa tête. Ses iris plus bleus que des saphirs brillaient de dédain et s'étaient dardés sans aucune gêne sur le blond.
Ce dernier tiqua en remarquant que la femme portait une robe noire très ajustée qui laissait deviner ses courbes aguichantes et sa poitrine opulente. Des fils dorés étaient lacés le long de ses avant-bras nus.
Felix n'en ressentit rien du tout, il se raidit sur sa chaise. Il tourna la tête en direction de Chan et fut soulagé de constater qu'il n'avait absolument aucune réaction. Il avait plus l'air de se sentir indisposé qu'autre chose, car ses poings serrés étaient crispés.
— Vous me voyez ravi d'enfin faire votre connaissance, décréta le monarque en souriant toujours aussi faussement.
Le blond serra les dents pour s'empêcher de répliquer des paroles peu flatteuses. « Il n'a pas l'air content de nous voir, alors que c'est lui qui nous a invités, songea-t-il. À moins que la Reine y soit pour quelque chose... »
Felix n'écouta pas un seul traître mot du discours de bienvenu du Roi. À la place, il baissa les yeux sur les innombrables plats déposés sur la table avec impatience. Il brûlait d'envie de se sustenter après cette longue journée de voyage, mais à son plus grand désespoir, le souverain ne semblait pas vouloir se servir. Le protocole voulait que les invités commencent à manger seulement après que le dirigeant eut pris la première bouchée, alors le Prince tâcha de se maîtriser.
Enfin, le Roi daigna planter sa dague dans un morceau de pain. Le blond attendit encore que ses fils se soient servis de pommes de terre et de rôti de bœuf, avant de remplir son assiette à son tour.
Autour de lui, les Princesses échangeaient quelques paroles, uniquement par politesse. Seule Bora semblait réellement vouloir converser, mais personne n'était disposé à la contenter. Toutes l'écoutaient d'une oreille distraite, bien trop préoccupées par leur propre personne.
L'androgyne observa Chan à la dérobée, tandis que celui-ci tentait de se soustraire à son frère aîné un peu trop loquace à son goût.
Soudain, le monarque se pencha pour murmurer quelques mots à l'oreille de son fils cadet. Le déplaisir transparut clairement sur le visage de celui-ci, mais il ne rétorqua pas. Il enfouit un morceau de rôti dans sa bouche et but le contenu de sa coupe de vin d'un trait.
Le repas se poursuivit dans une étrange atmosphère sur le qui-vive, exsudant de duplicité. Felix en connaissait pertinemment la raison. Désormais, les quatre Princesses et lui-même étaient rivaux, et l'objet de leur convoitise commun n'avait pas l'air ravi de la tournure des évènements.
L'alcool finit par délier la langue du Roi.
— Il y aura cinq épreuves. Elles tâcheront de déterminer si vous possédez les qualités et compétences requises pour devenir la promise de mon fils, indiqua-t-il alors. Le procédé sera éliminatoire. À mesure que le temps passera, il y aura de moins en moins de concurrentes.
Le Gongdanien ne put réprimer un petit sourire satisfait. Ainsi, il avait de grandes chances d'être débarrassé d'Aisha, en qui il voyait le potentiel d'une dangereuse adversaire.
À partir de cette révélation, le temps fila beaucoup plus rapidement. Le souverain finit par exprimer son désir d'aller se coucher, et les serviteurs passèrent donc débarrasser. Les adolescents quittèrent le hall pour se rendre à leurs quartiers respectifs.
En s'avançant le dernier, Felix se fit brutalement plaqué contre le mur. Le minois suffisant de la Princesse de Munhwi apparut à quelques centimètres de son visage.
— Chan est à moi, siffla-t-elle entre ses dents, tâchez de vous en souvenir. Je vous conseille vivement de ne pas me mettre des bâtons dans les roues.
La rouquine le poussa violemment hors de son chemin et poursuivit sa route en se déhanchant exagérément.
Le Prince serra les lèvres pour contrôler son ire. « Je ne laisserai pas Chan tomber entre les griffes d'une sorcière », se promit-il en feignant que tout allait bien.
En passant devant la famille royale, il courba légèrement l'échine en leur souhaitant de passer une bonne nuit, puis se dirigea à l'étage supérieur.
Felix était remonté à bloc. Désormais, il ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour gagner, et il ne laisserait certainement pas Aisha l'en empêcher.
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