5

*corrigé le 30/01/18*

Les concurrents se succèdent les uns après les autres dans un mouvement régulier. Mon anxiété augmente à chaque nouveau passage. Bientôt, nous serons entrés dans le village créé pour cette saison. Bientôt, nous entrerons dans ce jeu où nous allons tous mourir, parfois rapidement, parfois dans d'atroces souffrances.

Je crois que le pire dans cette histoire, est de savoir que nous ne sommes pas maîtres de notre avenir. Certes, si nous avons de la chance, nous pouvons survivre jusque la fin, mais notre vie repose sur un fil fin et fragile, que n'importe qui pourrait couper ou casser au moindre mouvement. Et l'idée que mon fil puisse être l'un des premiers à se briser me fait peur, terriblement peur.

Les adolescents qui défilent devant mes yeux utilisent tous des méthodes différentes pour être appréciés du public. Certains d'entre eux parviennent à leurs fins, tandis que d'autres échouent lamentablement. Il y en a vraiment pour tous les goûts. Parmi ces personnes qui ont su se faire apprécier, il y a Jecka, qui est installée à quelques chaises de moi, un sourire charmeur posé sur ses lèvres. Elle a séduit le public grâce à ses atouts féminins, grâce à sa voix rendue plus sensuelle pour l'occasion. Si il y a bien quelqu'un qui s'est créé un rôle à mille lieux de ce que l'on aurait pu imaginer, c'est bien elle. Comme sa soeur, elle semble cacher quelque chose que je n'arrive pas à comprendre.

Anna chuchote quelques phrases de temps à autre. Ce qui me permet de constater que, effectivement, les deux jumelles ne s'entendent pas vraiment. Voir même pas du tout. Cette information pourrait m'être très utile si un jour j'ai besoin d'éliminer l'une des deux. Il suffirait de prétendre une dispute entre sœurs et personne ne me soupçonnerait moi, la pauvre Éléna qui essayait de les aider. Si je me rapproche de Jeckatarina, ce sera elle la plus simple à éliminer. Et pour le moment, c'est elle qui me parait la plus dangereuse. C'est elle qu'il faut surveiller.

Peter et Éthan passent seulement à la toute fin de ce "reportage". Les hurlements hystériques du public féminin les accueillent en un brouhaha assourdissant. Pour une raison qui m'échappe, ils entrent en même temps et effectuent une interview ensemble tout en lançant des regards chaleureux et attirants aux femmes qui hurlent leurs prénoms. Je n'arrive pas à les lâcher du regard, comme subjuguée par l'aura qu'ils dégagent. Ils sont incroyables, l'un comme l'autre. Mon coeur s'emballe et virevolte dans ma poitrine lorsque je croise les yeux bleus électriques d'Éthan, qui sourit d'un air sincère et admiratif. En les regardant, je me sens incroyablement triste et nostalgique. Comme si l'on venait de m'arracher quelque chose de précieux. Je me sens toute chose et j'ai envie de m'enterrer dix pieds sous terre juste pour me cacher de tous ces sentiments qui affluent jusqu'au plus profond de mon âme.

Mon regard se dirige alors vers Jöakim, espérant remplacer ces pensées par une colère incontrôlable. Mais ce qui m'envahit n'est pas ce que j'espérais. Pire encore, c'est tout le contraire : j'ai l'irrépressible envie de le prendre dans mes bras. Je me gifle mentalement pour me ressaisir et essaye de penser définitivement à autre chose. Je ne peux pas me permettre d'être affective envers quelqu'un d'autre que moi-même. Et encore moins envers lui. Lui qui finira peut-être par me tuer, lui qui n'est absolument personne pour moi, hormis un moyen de distraction à mes heures perdues. Quoi qu'il arrive, ici, je ne connais personne de mon ancienne vie. Je ne dois me préoccuper que de ma survie et de rien d'autre.

Le temps passe et je finis par apprendre, comme tout le reste des personnes présentes, qu'Éthan et Peter se détestent depuis leur plus jeune âge et ce pour une raison qu'ils refusent de divulguer. Cependant, dans l'optique de gagner, ils ont décidé de mettre leur différent de côté, bien qu'une certaine tension compétitive semble régner entre eux. Je me demande bien qu'est-ce qui les a poussés à se détester comme ça. Une chose est sûre, s'ils ne l'avaient pas dit, je ne l'aurais pas remarquer. Lorsqu'ils parlent de mettre leur différent de côté, ils ne rigolent absolument pas.

Quelques minutes plus tard, alors que Jöakim interview toujours les deux adolescents devant un public en admiration, une douleur sourde et incontrôlable se propage dans la tête, pire qu'un mal de tête, pire qu'une migraine. C'est une douleur indescriptible et destructrice. Impossible d'ignorer sa présence. Impossible de l'oublier.

Dans un mouvement nerveux mes mains se posent sur mes tempes, mes doigts attrapent mes cheveux et je les tire violemment en retenant le hurlement qui monte dans ma gorge. Je ne peux pas me montrer faible, je dois rester forte, plus forte que ça. Je tombe au sol sous les hurlements du public, incapable de contenir une seconde de plus la douleur qui m'envahit. Ma tête me lance. Des hurlements de douleurs s'échappent enfin de ma gorge et deviennent presque ininterrompus.

Des pas et des voix résonnent tout autour de moi, mon prénom est même prononcé plusieurs fois, mais je suis incapable de reconnaître le détenteur de telle ou telle voix. La violence de cette migraine m'assourdit. J'ai l'impression de nager dans un brouillard de souffrance, de me noyer dans un océan d'agonie.

Tout à coup, une image de moi courant vers un garçon un peu plus âgé s'immisce dans mon esprit. À nouveau, je me sens nostalgique malgré cette torture qui ne cesse de me vriller la tête. Je me vois dans ses bras, rassurée par le doux regard de ses yeux verts émeraudes, des yeux aussi verts que les miens. Le rire de ce garçon remplit ma tête au moment où une nouvelle décharge me pousse à hurler encore. Cette image me semble si familière, si réelle...

Une autre douleur, un endroit bien different, le creux de mon bras. Cette nouvelle affliction me force à rouvrir les yeux. Quelqu'un me plante une aiguille dans le bras et m'injecte un liquide transparent sans que je ne puisse protester. Des gens sont autour de moi, ils ont l'air inquiet, vraiment inquiet. Leurs visage sont flous, pourtant, je suis persuadée de voir Jöakim penché vers moi, une moue affolée sur le visage.

Et soudain, la douleur disparait et mes idées redeviennent mystérieusement plus claire. Je sens mon esprit devenir plus léger, comme si une part de moi s'en allait. L'image qui m'était apparue comme par enchantement, disparait aussi vite qu'elle était arrivée. Et lorsque j'essaye de la visualiser à nouveau, ma tête est incroyablement vide. Elle n'est qu'un souvenir inexistant, impossible de se rappeler ce qu'elle représentait. C'est à se demander si ce n'était qu'un rêve.

Machinalement, mon corps se redresse et je constate avec une boule aux ventres que plusieurs paires d'œil sont braqués sur moi. Le silence qui accompagne cette situation est beaucoup trop lourd, beaucoup trop pesant.

« Que s'est-il passé ? ma petite voix résonne au travers de cette pièce qui me paraît maintenant bien trop grande.

— Tu ne te rappelles de rien ? »

Peter me regarde, attendant une réponse à sa question. De quoi devrais-je donc me souvenir ? Plus j'y réfléchis, plus j'ai l'impression d'oublier quelque chose d'important. C'est pitoyable.

« Elle a dû faire une crise de panique voilà tout. Pas la peine d'en faire tout un plat, ce n'est pas comme si elle n'avait pas assez attiré l'attention sur elle. »

Cette remarque est cinglante et déchire l'air comme du papier, Jöakim est cruel. Il s'amuse encore de mon sort avec un plaisir trop malsain. Pourtant, son regard exprime une mélancolie un peu difficile à cerner.

Avant que je n'ai le temps de comprendre, Éthan m'attrape par les aisselles et me redresse doucement pour me faire asseoir. Ses gestes sont doux, protecteurs et terriblement réfléchis. Trop fatiguée pour le repousser, je le laisse faire. La flamme qui brûle en moi s'est réduite à l'état de braise et je suis exténuée de devoir tenir encore longtemps debout. Je ne sais pas ce qu'il vient de m'arriver, mais j'ai vraiment envie de dormir pour des siècles et des siècles s'il le faut. Éthan est bien trop attentionné avec moi. Je ne veux pas de sa compassion, je ne veux pas que certaines personnes s'attachent à moi, et moi-même je ne veux tenir à personne de ce jeu. L'amour, l'amitié, l'envie, la pitié, la compassion, la fraternité... Tous ces sentiments nous rendent faible et nous affaiblissent. Voilà pourquoi je ne veux pas les laisser s'immiscer dans mon cœur. Je veux rester forte.

Quelques secondes plus tard, le présentateur de ce jeu reprend son discours comme si de rien n'était. Il apaise les tensions, l'agacement et les inquiétudes du public avec quelques paroles inutiles. Je sens leurs yeux me brûler le dos, je sais que l'audience entière me regarde de tout mon long. Je déteste ça. Je dois me faire discrète, un tel revirement de situation ne peux pas jouer en ma faveur si je décide de me faire à nouveau remarquer. Il faut savoir rester parfois à sa place.

Malgré les maigres explications de Jöakim, je ne parviens pas à faire taire mes pensées. Ou plutôt je n'arrive pas à ignorer la question qui tourne en boucle dans ma tête : que s'est-il réellement passé ?

« Nous allons partir, tu te sens prête à marcher ? me demande Éthan, fidèlement resté près de moi.

— Ça va aller ne t'en fais pas »

Je lui assure en repoussant doucement son aide. J'avance lentement pas peur de m'écrouler de fatigue. Je me dirige en silence vers de nouvelles portes en bois, celles de la dernière route. Ensuite, nous serons transportés vers un autre endroit, vers ce que l'ont nommé le village. Le trajet n'est pas fait pour durer longtemps, il sera juste assez long pour nous éloigner de toute civilisation. Les monstres que nous sommes ne doivent pas les mettre en danger. Les adolescents me dépassent tous et je me retrouve en fin de file, près de Jöakim. Lui aussi vient avec nous, son rôle ne s'arrête pas là. Il sera présent jusque là fin, jusqu'à ce que les véritables survivants gagnent le jeu.

« Tu as fais peur à tout le monde, tu le sais ça ? il chuchote fébrilement, tant et si bien que je mets quelques secondes à comprendre ce qu'il me dit.

— J'aime me rendre intéressante.

— Ça on avait cru comprendre. »

Je jette un œil sans sa direction et constate qu'il me regarde sans aucune animosité. Il a l'air serein, apaisé et totalement dans son élément. Il n'est peut-être pas si horrible que ça, finalement. Même s'il traîne derrière lui un nombre de morts inquiétant, sous cet air tranquille, il semble presque humain.

« Au fait...

— Oui ?

— Tu devrais essayer de rester en vie, pendant longtemps je veux dire. Tu pourrais aller loin. Et le public t'aime bien, tu es divertissante.

— C'est un compliment ? je lui demande en ralentissant encore ma marche pas sûre d'avoir réellement compris le sens de ses mots.

— Non. Tu nous aides à faire grimper les audiences, c'est tout. »

Il conclut avec un sourire en coin et j'ai envie de lui arracher les lèvres pour le faire taire. Comment peut-il avoir des propos si déroutants et si contradictoires ?

Sous la pression, je reprends du poil de la bête et commence à avancer beaucoup plus vite pour semer cet homme trop perturbant. Par réflexe, je me place près de Peter qui est en pleine discutions avec Jecka sur je ne sais quel sujet qu'ils jugent intéressant.

Jöakim est tellement étrange. Je n'arrive ni à le comprendre ni à le cerner. Il est capable d'être gentil et cinglant dans le même temps. Son comportement m'a l'air familier et pourtant si inconnu. C'est un mélange que je n'avais jusque là jamais connu. Mais depuis que je connais Peter, Éthan et ce sadique présentateur, j'ai l'impression de me sentir souvent nostalgique et mélancolique, comme si j'avais oublié quelque chose de vraiment important. Je voudrais tellement pouvoir comprendre tout ce qu'il m'arrive.

Finalement, mes pensées sont interrompues lorsque je remarque que nous passons enfin cette grande porte, maculée de faux sang. De nouveaux camions bien alignés nous attendent, moteurs déjà en marche.

C'est maintenant que tout commence...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top