33
" -Éléna ! Ouvre moi ! C'est Anna ! "
Bien qu'enfermée dans la salle de bain, la voix de mon amie résonne si fort et si nettement que j'en sursaute de peur. D'un mouvement aussi agile que celui d'un chat, je range à nouveaux le téléphone dans sa cachette, le coeur brûlant d'angoisse et d'adrénaline. Si je n'avais pas penser a tout fermer, j'aurais été découverte.
Lorsque la porte s'ouvre, elle s'engouffre dans ma chambre un timide sourire posé sur ses lèvres roses et légèrement gonflés. Ses joues rougies la rendent plus adorables qu'elle ne l'ai déjà et elle s'assoit sur mon lit alors que je referme la porte. Anna est éblouissante aujourd'hui, elle donne l'impression de briller de joie, mais pourquoi ? Après l'horreur que j'ai créé, comment croire que le bonheur puisse encore exister ?
« -Qu'est-ce qu'il se passe, Anna ? »
Ma voix sonne plus froide que ce que j'aurais voulu. Honnêtement, après ce que je lui ai fais ce matin, je pensais ne plus l'a revoir, je croyais qu'elle ne voudrais plus me voir, ni même me
parler. Heureusement, elle ne semble pas m'en tenir rigueur et elle tapote la place à côté d'elle avec espièglerie. Et lorsque je la rejoint, elle pose une main chaude sur mon genoux avant de prendre une grande inspiration.
« -Tu vas mieux ?
-Je crois oui.
-Dans ce cas, parlons de choses un peu plus joyeuse !
-Comme quoi ? je lui demande sceptique quant à l'existence de la joie.
-Jayke m'a embrassé... »
Aussitôt ses joues deviennent plus rouges qu'elles ne l'étaient déjà et elle détourne le regard, gêné par cette révélation. Mes yeux s'agrandissent et je sens un sourire pointé le bout de son nez sur mes lèvres sèches. Cela devait bien finir par arriver entre eux. Ils se cherchaient beaucoup trop pour qu'une attirance n'existe pas. Malgré tout, constater que les choses évolue autour de moi m'afflige d'un drôle de sentiment. J'ai l'impression d'être la seule adolescente incapable d'aller de l'avant, celle qui reste coincée dans son passé et qui ne se concentre que sur les mauvaises choses, au point d'en oublier que la vie peut parfois être jolie. Ou du mon, celle des autres peut être jolie. En ce qui concerne la mienne, je n'y crois pas trop.
« -Contente de voir que vous avez passé un cap tous les deux. dis-je en souriant.
-Moi aussi je suis contente... Mais j'avais peur que tu m'en veuille...
-Pourquoi ?
-Parce que je ne veux pas que tu te sente délaisser, ou que tu soit en colère contre moi par rapport à ce début de quelque chose... Tu sais bien, parce que toi et Éthan ça va pas trop en ce moment... »
L'évocation de ma relation fige aussitôt mon sourire en une moue glacial. Encore une fois, elle vient de me rappeler à quel point ma vie est triste et morose. Pourtant, cette fichu fierté me pousse à répondre avant que je n'ai le temps de comprendre :
« -Tout va parfaitement bien Anna. »
Une rafale de vent fait craquer le bois de ma maison et son petit corps sursaute, consciente du poids de ses mots.
« -Excuse moi, c'est pas ce que je voulais dire...
-Mais tu l'as dis. Enfin bref, passons à autre chose. Je ne t'en veux pas Anna. je m'empresse de rajouter avec un sourire forcé sur le visage, ne voulant pas la rendre triste. »
La rendre triste, c'est bien la dernière chose dont j'ai envie. Si elle supporte encore ma présence, avec tout ce que je lui fais, et tout ce que j'ai fais aux autres, je me dois de chérir sa présence.
Un silence pensant s'installe entre nous, silence seulement perturbée par les voix d'adolescente, qui résonnent derrière la porte. Je m'en veux d'avoir encore une fois gâcher l'humeur d'Anna, de lui avoir enlever son plaisir qu'elle voulait partager avec moi. Décidément, il est clair que, soit ce n'est vraiment pas mon jour, soit quelque chose a définitivement changer en moi. Et j'ai bien peur que la seconde option soit la bonne.
D'un geste de la main, je lui intime de continuer son histoire que j'écoute d'une oreille distraite. Retrouvant sa joie et sa bonne humeur, elle n'oublie aucun détail, mais reste tout de même plutôt vague quand à ce baiser en lui même. Et heureusement d'ailleurs.
Mais soudain, elle arrête son monologue et plonge son regard bleu dans le mien, plein de curiosité et de suspicion.
« -Je viens de penser à quelque chose... Pourquoi étais tu enfermé ? »
Son regard est dur et sa voix est froide. Elle semble me reprocher une faute qu'elle ne connaît pas encore et j'en viens à me demander si je dois vraiment lui en parler. L'épreuve d'hier me fait comme qui dirait, perdre la confiance que j'accordais a mes amis et celle que je m'accordais à moi même. Et puis sa réaction me fait peur. Comment réagirait-elle ? Et si elle ne partageait pas mes idées, pire encore, et si elle me dénonçait ?
Une coulée du sueur froide court le long de mon dos, accompagnée d'un frisson peu agréable. Dois-je le lui dire, ou ferais-je mieux de lui mentir ?
Pas très sûr de moi, je me racle la gorge, espérant secrètement qu'elle détourne le regard. Ce qu'elle ne fait évidemment pas. Alors, prise de panique, sans trop savoir si mentir ou non serait la bonne solution, je laisse échapper la première chose qui me vient à l'esprit :
« -Je regardais mes sous vêtements.
-Donc tu as aussi fermé tes rideaux ? demande-t-elle sceptique. »
Je pousse un soupir faussement résigné, dans le but d'appuyer mes propos et reprend :
« -Tu sais comment sont les garçons... Trop couleurs pour être ignorés. Si l'un d'eux m'avaient vus avec des sous vêtements dans mes mains... ça aurait été horriblement gênant. »
Son visage se ferme plus encore qu'il ne l'était et je la regarde avec conviction, essayant de me persuader moi même que ce mensonge est bien réel. Même s'il ne tient pas debout.
Finalement, un sourire faux et hypocrite se pose sur ses lèvres et elle m'affirme qu'elle comprends. Et ce sourire qu'elle arbore confirme mes peurs : elle ne me croit pas. Et dans le fond, elle a bien raison. Elle est juste trop polie pour me mettre au pied du mur, et silencieusement, je l'à remercie pour ça. Je ne veux pas le lui dire. Pas avant d'être sûr de sa réponse. Pas avant d'être sur que ses convictions ne sont pas contraires aux miennes. Certes, mon horrible franchise est un vrai inconvénient quant il s'agit de mentir à une amie qui l'est chère, mais je n'ai pas le choix.
Une alarme retentit soudainement dans tout le village, me sortant de mes pensées. Cette alarme... celle qui nous appelle pour nous réunir, le plus généralement pour éliminer un adolescent de ce village. Non, je ne peux pas y croire. Ils ne peuvent tout de même pas nous demander de désigner quelqu'un après le carnage qui vient d'avoir eu lieu, pas après la journée d'hier ! Je ne supporterais pas de devoir choisir une nouvelle fois. Je n'en peux plus. Je ne veux plus sentir ce poids sur mes épaules, je ne veux plus choisir le destin d'une personne, c'est trop injuste. La mort d'une personne ne devrait pas dépendre de quelqu'un d'autre. Je refuse de continuer.
Anna m'attrape la main, le regard compatissant. Elle me comprend. Elle sait ce que je ressens et à cet instant, je me sens coupable de lui avoir menti. Peut être qu'après tout, je me fais juste des idées ? Peut être qu'elle me comprendrait ?
Nous sortons alors de ma petite maison, main dans la main. Au loin, j'aperçois Éthan et Jayke, assis sur deux rondins de bois bien distinct. Il semble être en pleine conversation et je sens mon coeur se vider un peu plus. En voyant mes amis, je ne ressens aucune chaleur, aucune animosité. Je me sens juste de trop dans ce monde où personne ne semble comprendre que la mort plane au dessus de nous tous.
Pourtant, Anna nous guide vers eux et nous nous asseyons avec ces deux garçons. Je prend soins de garder une certaine distance entre eux et moi, par peur de les blesser, ce qu'Ethan ne manque pas de remarquer.
Dans le fond, je crois que ce n'est pas un manque de sentiment que j'ai envers eux. Non. Inconsciemment, je dresse des barrières autour de mon coeur, comme avant, comme lorsque j'étais petite. Ces barrières... Elles sont là pour les protéger. Je ne veux plus les blesser... Je ne veux plus blesser personne. Et surtout pas eux.
Jayke me lance un regard triste et je lui répond par un sourire qui se veut rassurant. Mais le regard qu'ils me jettent tous les trois ne ment pas. Ils sont inquiets pour moi. Sans parler des autres adolescents si s'éloignent de moi comme si j'avais la peste, qui me regardent comme si je risquais de leur arracher leurs souffle de vie d'une seconde à l'autre. Voilà comment les autres me voient : comme un monstre assoiffé de sang.
Jöakim finit enfin par arriver, sont horrible sourire supérieur fièrement posé sur ses lèvres. Il se place au centre du cercle d'adolescent et pose sur nous un regard amusé comme seul lui en a le secret. Beaucoup de place sont désormais vide dans ce cercle. Beaucoup de personnes sont déjà partis dans un monde que j'espère être meilleur.
Personne ne parle. Le silence et de plomb et les regards sont mornes et ternes. La fatigue se ressent. La peur a finit par en dévorer certains, chuchotant inlassablement des mots que seuls eux peuvent comprendre et parfois, un supplice chuchoter un peu trop fort résonne. Tout le monde a peur et personne ne veut partir. Inconsciemment, pour oublier tous ces bruits que je déteste, j'essaye de me raccrocher à une pensée heureuse, quelque chose qui me maintiendrais ici sans pour autant me dévorer de l'intérieur. Mais tout ce qu'il me vient en tête, c'est le visage décomposé de Jeckatarina, celui de Dan et celui d'Hector. Est-ce vraiment ça, ce qui fait mon bonheur ?
« -Cher téléspectateurs, cher joueurs, je vous souhaite bonjour. dit Jöakim d'une voix enjouée, me sortant de ma drôle de transe. »
Encore une fois, ou plutôt, comme d'habitude, des caméras tournent autour de nous, elles scrutent nos visages torturés, cherchant la moindre parcelle d'émotion dans nos traits fatigués. Avec le temps, on finit par en oublier leurs présences et surtout, on finit par oublier qu'un public nous regarde, observe nos moindres fais et gestes et se prend d'affection pour nous.
« -Rassurez vous, aujourd'hui, personne ne vous demandera de désigner une future victime. Aujourd'hui, nous nous contenterons de vous résumer à tous et à toutes la situation. »
Là silence est pesant. J'entends une voix pester nerveusement contre mon frère, chuchotant que la situation est simple : certain sont mort et d'autre non. Et je suis affreusement d'accord avec lui. Mais Jöakim ne l'entend pas de cette oreille et reprend d'une voix lourde de suspense :
« -Vous n'êtes plus que quinze joueurs, maintenant. Et la bonne nouvelle, c'est que ce soir vous pourrez dormir un peu plus sereinement, un chasseur est mort hier. »
Poussé par une énergie nouvelle, comme l'espoir d'une meilleur fin, les adolescents explosent de joie, et hypocritement, les chasseurs et moi les imitons, sachant parfaitement que tout le monde scrute la réaction et le regard de tout le monde. Même Kyle, fou de rage face à Moi, feint d'être envahit de joie. Je crois qu'il me déteste encore plus depuis que je lui ai enlevé son seul et unique ami. Enfin, il me semble qu'Hector était le seul.
En transe, une fille, à qui je n'ai jamais réellement prêté attention se redresse, poing levé vers le ciel, hurlant à plein poumons :
« -On peut le faire ! Ils ne sont plus que quatre ! Tremblez chasseurs, on va vous avoir ! »
De nouveaux cris de joie lui répondent, beaucoup moins convaincus cette fois ci. Quatre inconnus partis quinze, c'est encore beaucoup trop lié au hasard pour que l'ont puisse trembler. Et certains adolescents en sont bien conscients.
Au même moment, je peine à retenir le sourire qui menace de naître sur mes lèvres. Apparement, ils ne savent pas encore qu'un loups a rejoint le mauvais côté de ce jeu. Ils ne savent pas que ce jeu est entièrement fait pour nous laisser gagner nous, les chasseurs. Et Jöakim, conscient du poids de ces mots semble savourer ce secret. Je sais qu'il va leurs dire. Il ne peut que leurs dire, juste pour les briser un peu plus, les anéantir plus profondément.
« -Attendez ce n'est pas tout, j'ai une autre bonne nouvelle pour vous... un changement de dernière minutes a été effectué il y a peu. Un loup a été promu au titre de chasseur. N'est-ce pas magnifique ? »
Si je ne devais pas garder un masque parfaitement pire et colérique, je rirais pleinement à cet instant. Ils sont tous pris à leurs propres piège, enfermé dans cette roue infernale qui finira par avoir raison de leurs pauvres vie et de leurs pauvres âmes. Je n'ai pas envie de réagir, de tenir tête à Jöakim. Mais c'est le rôle que je me suis accordé dès le début, non ? Alors il faut que je le fasse. Mais après tout, une entorse à la règle, en raison de mon trouble psychologique de la journée, ne serait-elle pas une bonne excuse ?
Anna me regard lassé du monologue de mon frère. Silencieusement elle m'intime de ne rien faire. Elle a sûrement raison. J'ai assez attiré l'attention hier, il faut que je me fasse oublier au moins une journée. Surtout lorsque je vois le regard emplit de défis des adolescents. Il est clair que si je ne fais rien, je risque d'être la prochaine.
Lasse et fatiguée, je cesse d'écouter son monologue et lorsqu'il nous dit enfin au revoir à tous, je suis mes amis comme un robot en mode automatique. Personne ne semble m'en tenir rigueur et j'entends Anna dire à un adolescent trop curieux dire que j'ai du mal à me remettre de ma journée d'hier. Ce qui est totalement vrai.
Et cette absence psychologique dure jusqu'au moment où je m'allonge dans mon lit, seule. Sans personne avec qui parler et sans prendre la peine de me changer. Je suis fatiguée, et je n'ai certainement pas besoin du regard effrayé d'un Éthan qui n'oserait pas me toucher pendant son sommeil. Et de toute façon, ce n'est pas comme ci sa présence était désiré ici.
Mais aussi fatiguée que je puisse être, le sommeil ne semble pas vouloir de moi. J'ai l'impression d'oublier quelque chose. Et allonger sur le dos, les yeux rivés sur mon plafond humide, je n'arrive pas à me rappeler quoi.
Je me tourne sur le ventre, espérant trouver enfin une position confortable, mais quelque chose s'enfonce dans ma poitrine, l'arrachant une grimace de douleur alors que je me redresse. Bien sûr... voilà ce que j'avais oublié !
Le téléphone.
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