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*Corrigé le 12/03/18*

La nuit est finalement tombée sur notre village si peu accueillant. Il m'a encore fallu attendre quelques longues et interminables minutes, afin d'être sûre que tout le monde soit bien tombé dans les bras de Morphée. Désormais, je vais enfin pouvoir sortir comme il se doit. Cette fois-ci, je suis déterminée, je ne perdrais plus la face.

J'ai donc enfilé une combinaison noire et moulante, toujours vêtu d'un sweat à capuche, dont j'ai retroussé les manches. Le pire, c'est que je ne sais même plus d'où me vient cette habitude.

Après une dernière vérification vestimentaire, je me fais mon injection, un grognement de mécontentement s'échappant de mes lèvres lorsque l'aiguille s'enfonce dans mon bras. Ensuite, je sors enfin de ma petite maison, espérant que tout se passera bien ce soir.

Le plus silencieusement possible, je cours vers la chambre d'Éthan. J'ai du mal à croire ce que nous sommes en train de faire. Nous n'avons techniquement pas le droit de faire rentrer Éthan au sein de notre équipe. Et pourtant, nous le faisons quand même, comme des adolescents capricieux. Doucement, j'entrouvre la porte de son logement et me faufile à l'intérieur, sur la pointe de pieds, par peur de faire un bruit qui pourrait attirer l'attention de quelqu'un.

« C'est toi Éléna ? »

Plongée dans le noir, j'avance doucement, les bras tendu devant moi et lui répond positivement. N'aurait-il pas pu allumer ne serait-ce qu'une lampe de poche ?

Éthan avance aussi vers moi, je le sens, j'entends ses pas faire craquer le bois de son sol avec un manque évident de discrétion. Ses doigts effleurent les miens dans la pénombre et je saisit sa main, ignorant la chaleur qui crépite au bout de ses derniers et le frisson qui me parcourt l'échine.

« On y va ? »

Sa main presse la mienne et je le guide jusqu'au lieu de rendez-vous, sans oser le regarder. Pourquoi ai-je l'impression d'avoir aussi chaud à cause de son simple touché ? Je ne pense pas que de tels réactions, en aussi peu de temps, soient normales.

Jöakim se tient droit devant le feu qui éclaire le centre du village. Tous les chasseurs sont déjà présents, comme la dernière fois. Mais je n'y prête pas attention, trop occupée à défier du regard le présentateur, qui semble ne pas apprécier la présence d'Éthan, qui s'assoit timidement à côté d'Hector. Jöakim se détourne de moi et observe le nouveau venu d'un œil sombre et agacé. Dans la nuit, les cheveux de mon coéquipier paraissent plus noirs qu'ils ne l'ont jamais été et ses yeux ne ressemblent qu'à deux billes noires entourées de blancs.

« Éthan, ta présence n'est pas autorisée ici.

— Il est avec nous. dit Anna sans lui laisser le temps d'ajouter quoi que ce soit.

— Vous n'êtes pas habilités à prendre ce genre de décision. Votre rôle est de tuer, pas d'essayer de changer les règles de ce jeu. Alors Éthan va tranquillement rentrer chez lui et nous n'en reparlerons plus.

— En fait, tu n'as pas ton mot à dire Jöakim. j'accentue avec dégoût son prénom pour mettre en avant le manque de respect que j'essaye de lui donner. J'ai décidé qu'il allait nous aider, alors il nous aidera. Tu n'es qu'un présentateur de pacotille, pas un organisateur. Et en tant que pion du gouvernement, je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi. Si les organisateurs ne viennent pas me dire que je n'ai pas le droit de faire ce choix, alors je verrais. Mais toi, jamais je ne t'écouterais. Espèce de...

— Je te demande pardon ? il me coupe en plein élan en s'approchant dangereusement de moi, un aura machiavélique flottant tout autour de son corps. Éléna, c'est la dernière fois que je te mets en garde. »

Par réflexe, je me redresse, prête à agir s'il le faut. J'entends les grincements des caméras qui se braquent sur nous, visant différents angles de vues. Si le public veut du spectacle, avec moi, il sera servi tout au long de l'émission.

Soudain, il s'arrête à quelques centimètres de moi et pose une main sur son oreille, le regard contrarié. Je n'avais absolument pas remarqué, ni même pensé, qu'il pouvait porter une oreillette. La porte-t-il souvent ? Toujours ? Ou seulement à quelques occasions comme celle-ci ?

« Très bien. Tu as gagné Éléna, j'espère que tu es contente. »

Il marque une pause, scrutant la moindre de mes réactions avec une curiosité mal dissimulée par ses traits haineux. Face à moi, les airs qu'il se donne m'apparaissent soudainement faux, comme s'il portait un masque, comme s'il souhaitait me cacher quelque chose, à moi tout particulièrement.

« Les organisateurs acceptent ta demande. il reprend devant mon silence qu'il doit prendre pour de l'incompréhension. Cependant, manque moi de respect encore une fois, rien qu'une petite fois, et je te promets que je te donnerais de nouvelles raisons de me haïr. »

Aussitôt, Anna m'agrippe le bras et me force à m'asseoir, m'empêchant ainsi de dépasser la limite que cet homme vient de tracer.

Pourtant, malgré toute la colère qui émane de moi lorsque j'entends ce présentateur rire, satisfait de son pouvoir, je ne bouge pas d'un pouce et me contente de serrer les poings sur mes genoux. Cette fois-ci, nous sommes ex- æquo. Mais la prochaine fois, je ne perdrais pas. Je l'écraserais jusqu'à ce qu'il me supplie d'arrêter.

Le silence tombe tout autour de nous et Jöakim demande lentement qui nous souhaitons éliminer cette nuit. Contrairement à moi, qui commence à peine à reprendre le contrôle de mes sentiments, lui semble déjà avoir oublié notre querelle. Je ne sais pas comment il fait pour passer si vite à autre chose, mais moi, je n'y parviens pas.

« Je veux tuer ma soeur. »

La voix d'Anna me sors de mes pensées en prononçant cette phrase fatidique que je redoutais tant. Elle me donne l'impression de frapper le sol autour de moi pour mieux me déstabiliser, pour me montrer que si je ne réagis pas vite, je perdrais toute mes chances de connaître la vérité, si tant est qu'il y en ait une. Je ne peux pas nier que son idée me plait, mais c'est trop tôt. J'ai encore besoin d'elle. J'ai besoin d'obtenir des réponses sur certaines choses encore trop floues pour moi. C'est donc pour cela que je décide de la contredire :

« Plus tard Anna. J'ai besoin d'elle en vie pour le moment.

— Pourquoi ça ? demande Kyle, suspicieux.

— Je vous ai déjà dit ce que je pensais tout à l'heure. J'ai besoin de savoir quel produit elle m'a donné. Je suis sûre que tout est en rapport direct avec mes maux de tête. Alors, j'ai besoin d'elle vivante pour le moment. Une fois que j'aurais obtenu d'elle ce que je cherche, je me ferais un plaisir de la tuer de mes propres mains s'il le faut. »

Je marque une pause, en jetant un regard vers Jöakim. Peut-être qu'il sait quelque chose ? Non. Même s'il connaissait la situation, jamais il n'accepterait de me l'expliquer. C'est perdue d'avance, autant ne pas perdre plus de temps.

« Reste à savoir qui choisir. je conclus en sachant parfaitement qu'ils approuvent ma décision.

— Pourquoi pas Peter ? »

Éthan pose cette question avec une voix faussement innocente. Je ne suis pas sûre que cela soit en accord avec ce qu'il disait au début de cette aventure, je dirais plutôt qu'il a même décidé de ne plus « mettre ses différents de côtés ».

Sa proposition me fait un drôle de pincement au cœur, que je cache derrière un sourire crispé. Son idée ne m'enchante vraiment pas. Si Peter reste avec Jeckatarina, peut-être que lui aussi sait quelque chose. J'aimerais comprendre pourquoi mes souvenirs sont toujours flous, pourquoi je peine à me rappeler de mon passé. Je me rappelle avoir eu une cousine... Et ensuite ? Tout est si flous, rien ne me revient. J'ai l'impression de perdre la tête et de me débattre dans un océan de souvenir que je n'arrive pas à saisir. Je suis pathétique.

Malgré tout, je sais aussi que Peter devra mourir un jour, mais pas maintenant. D'autant plus que mourir le premier, dans un jeu comme celui-ci, est l'un des choses les plus humiliantes qu'il puisse exister dans nos misérables vies.

« Non, répond Jayke, si Éléna à des soupçons sur Jecka, nous devons le laisser envie, ils ne doivent pas comprendre que nous avons des doutes sur eux et sur leurs agissements. Sinon, Éléna ne parviendra jamais à obtenir les réponses qu'elle cherche. »

Je sens Éthan se raidir de colère à quelques mètres de moi. Pourtant il ne dit rien et hoche la tête de haut en bas, avant de me regarder, comme les autres. Sans trop savoir pourquoi, je sais qu'ils attendent une idée de ma part. Comme s'ils avaient décidé que j'étais l'exemple à suivre et la personne à écouter. Ils ne devraient pas vouloir se reposer autant sur moi, je ne cherche qu'à gagner. Je n'essaye même pas de les protéger, je n'ai pas encore assez confiance pour cela, même si je dois bien avouer que ce sentiment s'installe peu à peu, plus ou moins fort selon les personnes. Avec Anna notamment.

Prenant mon courage à deux mains, je propose alors le prénom de Laurianne. Je sais qu'elle ne mérite pas de mourir et à vrai dire, personne ne le mérite vraiment, mais il faut bien commencer quelque part. C'est avec ces mêmes mots que je justifie ma nomination, puisque pour le moment, le temps de jeu nous ne permet pas encore de savoir de qui nous devons nous séparer. Jeckatarina et Peter mit à part.

Ils ne prennent que quelques courtes secondes de réflexions, avant de me donner leurs accords. J'ai du mal à cacher mon sourire de jubilation. Je ne pensais pas qu'il serait si simple de les convaincre.

« Si tel est votre choix, Laurianne mourra. À vous de choisir comment. Cher téléspectateur, bonne soirée. Et surtout, profitez bien du spectacle. »

Sans nous adresser le moindre regard, cet homme qui m'horripile fait demi tour et se dirige vers chez lui, là où il pourra aller dormir dans ses draps, alors que nous, nous devrons encore travailler quelques points avant d'avoir l'occasion d'aller nous allonger. À bien y repenser, le rôle du présentateur est assez minime en fin de compte, il n'est pas énormément mit en valeur. Même si moi, je le trouve tout sauf transparent. C'est peut être même un de mes punching-ball préféré.

« Je pense qu'on devrait marquer les esprit.

— À quoi tu penses, Hector ? demande Anna d'une voix curieuse.

— Et bien je ne sais pas... En fait, je pensais que ma proposition vous donnerai des idées. Je ne suis pas très doué pour prendre des décisions. Mais peut-être que si Éléna me donnais un coup de main, je serai plus inspiré...reprend-il en me lançant un regard empli de perversité.

— Si un coup de main te suffit, tu peux utiliser la tienne tu sais ? Moi, je passe mon tour. »

Je ne cherche même pas à dissimuler la froideur de ma voix, pas intéressée par ses avance mal cachée. Cet homme ne m'intéresse absolument pas. Je ne suis même pas sûre qu'il m'aurait intéressé, d'un point de vue amical, si nous avions été dans des camps différents.

« Je crois que j'ai une idée... »

Je tourne mon regard vers Anna et attend ses explications, qu'elle finit par nous donner a un rythme exagérément lent. Je dois bien avouer que son idée est loin d'être mauvaise. Elle est même très bonne. Seul Éthan semble être un peu perdue au milieu de nos phrases apocalyptiques. C'est un loup, il n'est pas fait pour être ici, mais c'est notre choix. Le faire devenir chasseur est le seul moyen que nous ayons pour le protéger de Peter et de Jecka. Après tout, si l'un d'eux me veut vraiment du mal, il est possible qu'ils veulent aussi en faire à Éthan. À l'inverse de cette personnalité faible qu'il possède, j'ai tout de même parfois l'impression qu'il cache quelque chose de sombre, quelque chose d'inavouable.

Je pose alors ma main sur la sienne, comme par réflexe et il me sourit timidement, comme gêné par mon geste.

Une dizaine de minutes plus tard, nous décidons finalement de mettre fin à notre entretient, qui a été plus que fructueux. Hector, après un long débat, a décidé qu'il s'occuperait de mettre en place le plan d'Anna, à mon plus grand bonheur. Même si je suis un chasseur, je ne suis pas sûre d'être capable d'accomplir ce qu il s'apprête à faire. Pas pour l'instant en tout cas.

Éthan est le premier à partir. Suivit de près par Anna et par Kyle. Mais lorsque je me redresse pour partir moi aussi, Jayke m'emboîte le pas en m'annonçant qu'il me raccompagne. Ce n'est pas comme si je risque véritablement quelque chose, personne n'est debout. À part nous. Pourtant, sa présence me rassure indéniablement.

« Tu sais, je pense que tu devrais arrêter ton traitement. J'ai un mauvais pressentiment là-dessus.

— À quoi tu penses exactement ?

— J'en sais rien... T'as l'air perdue à chaque nouvelle injection. Enfin je sais pas... Tu te rappelle de ton passé, avant de venir ici ?

— Un peu... »

Il me jette un regard en coin, entre amusement et étonnement.

« Okay c'est vrai, je ne m'en rappelle pas très bien. Mais c'est à peu près pareil pour tout le monde, non ? »

Je sais parfaitement que je ne suis qu'une exception. Mais j'ai besoin de poser cette question, comme pour me rassurer, me dire que tout ça n'est que le fruit de mon imagination.

« Non Éléna, ce n'est pas normal. Tu devrais être capable de nous parler de ta vie d'avant. chuchote-t-il lorsque nous nous arrêtons devant ma porte. Ce n'est qu'une intuition, mais si tu es autant perdue à cause de ça, c'est peut-être que ça a un rapport direct avec tes souvenirs ?

— Donc tu voudrais que j'arrête ce traitement ?

— Ce n'est qu'un conseil. rétorque-t-il en haussant les épaules, mains dans les poches.

— J'y réfléchirais.

— Dans ce cas, bonne nuit jolie princesse. »

Sa voix n'est qu'un doux murmure lorsqu'il s'approche de moi, pour déposer ses lèvres sur mon front dans un geste affectif. Sans un mot de plus, il me sourit timidement et fait demi tour pour retourner chez lui, l'air totalement désinvolte.

Sans m'en rendre compte, mes doigts frôlent mon front avec légèreté et je sens mes joues rougir très fortement. Personne ne m'a jamais embrassé comme ça. Ou du moins je ne m'en souviens pas. Mais je suis sûre de ne jamais avoir reçu une marque d'affection dénuée de tout sous-entendus, juste avec bienveillance. Comme un frère embrasserait et veillerait sur sa sœur. Et c'est loin d'être désagréable.

Le hurlement de douleur de Lauriane me ramène sur terre et je m'engouffre dans ma chambre avec une rapidité exagérée. La peur de cette fille se répercute dans toute mon âme et je ferme les yeux très fort lorsque je m'allonge après m'être changée. Une larme solitaire coule le long de ma joue et je m'essuie d'une main rageuse. J'aimerais tant vivre dans un autre monde, avoir une autre vie où je n'aurais pas peur de mourir à chaque seconde de ma pauvre vie. Tout serait alors tellement plus simple...

Doucement, mes yeux se ferment sur mes pensées et j'en viens à me dire que demain sera une nouvelle journée. Et peut être que celle là sera aussi riche en émotion que les autres.

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