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*corrigé le 23/01/18*
Une alarme. Du bruit. Tout semble décuplé autour de moi. Ma tête est posée sur quelque chose de froid, humide et dur, tandis que mon corps est allongé sur une surface plane et pas très agréable.
L'alarme retentit de plus belle et je tente de bouger mon corps en espérant que cette machine infernale cesse de faire autant de bruit. C'est si fort que j'ai l'impression qu'elle n'est pas autour de moi, mais plutôt en moi. Elle résonne dans ma tête et me vrille les tympans douloureusement. Et dans le même temps, j'ai l'impression que cette sonnerie est floue, comme si je me contentais de l'entendre la tête plongée sous l'eau d'un océan de sentiments, sous des vagues de désespoir. Un danger approche, je le sens. J'hésite à ouvrir les yeux. Je ne me souviens de rien. Où suis-je, qui suis-je ?
Les bruits aux alentours se font plus clairs et je parviens à distinguer des voix différentes, mais impossible de savoir combien il y en a, le brouhaha est tel que même si je le voulais, je ne pourrais pas y arriver. Des oiseaux chantent, accompagnés par une douce brise légère. Et, tandis que l'alarme sonne encore, je sens une main se poser sur mon bras nu pour me secouer légèrement.
« Les gars, en voilà une autre qui se réveille. hurle une voix près de moi. Tu crois que tu peux ouvrir les yeux ? Voilà, comme ça, doucement. »
Cette voix, douce et ensorcelante, aux tons graves et pourtant si calme m'oblige à papillonner des yeux, comme si mon corps lui-même n'obéissait plus qu'à cet homme. Et lorsque qu'ils s'ouvrent enfin, la lumière extérieure jaillit de part et d'autre de mon champ de vision, faisant monter de pauvres et prétentieuses larmes aux bords de mes paupières. Je cligne des yeux, une, deux, trois fois, jusqu'à ce que mes pupilles finissent par s'habituer à leur environnement.
Tout autour de moi n'est que verdure à perte de vue. Les arbres aux alentours semblent danser au gré du vent accompagnés par un doux gazouillis d'oiseaux. Et le bleu du ciel s'harmonise de manière indescriptible avec le paysage doux et innocent. L'herbe sous mon corps me nargue et chatouille le bout de mes doigts dans un mouvement doux et réguliers au moment où une brise légère passe sur mon visage et me nettoie de toute ma crasse invisible. Ce zéphyr contourne mon nez, caresse mes joues, souffle sur mes paupières un voile propre et je me sens aussitôt un peu plus calme, comme apaisée par cette bouffée d'air frais.
La voix du jeune homme continue de me parler, mais je ne l'écoute que d'une oreille, trop occupée à observer le monde autour de moi. Il est si beau. Mais je dois me redresser, sa voix me le dit, elle me force à la faire.
Et c'est en me redressant que tout me revient en mémoire.
La course-poursuite, les arches, la sélection, le jeu...
Sentant la panique me gagner, je me lève, manquant de m'écrouler lorsque ma tête se met à tourner violemment. Combien de temps suis-je restée inconsciente ? Depuis quand suis-je arrivée ici ? Et comment m'ont-ils emmenée ?
Je veux m'enfuir d'ici, partir loin et à toute vitesse pour changer de vie, échapper à la réalité de cet horrible monde, mais c'est impossible. Je suis bloquée dans cet endroit jusqu'à ce que la mort m'emporte dans ses bras. Je suis vouée à mourir dans d'atroces circonstances et peut-être même dans d'atroces souffrances. Ou alors, peut-être que j'aurais la chance de survivre. Mais à quel prix ? Aux prix de vies innocentes.
Observant les alentours, je me rends compte que nous sommes environ une cinquantaine d'adolescents et comme chaque année, la plupart d'entre eux semblent abattus de se retrouver ici. Comme s'il pouvait en être autrement. Personne ne souhaite participer, personne n'a envie de se mettre autant en danger. Certains dorment encore paisiblement, d'autres s'agitent en tentant désespérément de comprendre la situation, ils aimeraient croire que tout ça n'est qu'un rêve. Mais ce n'en est pas un, c'est la triste réalité de notre vie. Ce n'est pourtant pas si compliqué à comprendre, nous sommes tous détenteurs d'un don, c'est ce qui à motiver notre présence ici. Pire encore, nos dons intéressent le Créateur. Mais une question reste tout de même en suspens : à quoi devrons-nous faire face cette année, pour le plaisir de cet homme ?
Les minutes passent, presque éternelles, tandis que le soleil indique maintenant que nous venons d'entamer l'après-midi. Et ce n'est que lorsque les derniers endormis se réveillent que je remarque à quel point certains d'entre nous n'ont aucune chance de survivre à l'épreuve de sélection, quelle qu'elle soit.
La taille et les muscles ne font pas tout dans la vie. Généralement, pour la première épreuve, il vaut mieux être habile, agile et réfléchi. Les réflexes sont souvent décisifs dans la première épreuve éliminatoire de cette course contre-la-montre. Notre survie dépend de toutes nos capacités. Voilà pourquoi être musclé ne suffit pas toujours.
Soudain, le sol se met à trembler tandis que le paysage s'estompe rapidement, comme une illusion que s'effilocherait jusqu'à disparaître dans le néant, le monde devient plus sombre, moins ensoleillé et je comprends alors que tout n'était qu'illusion. Désormais, les arbres sont morts, l'herbe est sèche et le vent me paraît si chaud qu'il me brûle la peau. Voilà le vrai monde qui m'entoure, un monde de désolation, un monde détruit par le temps qui passe.
Une vague de panique et de peur se répand parmi nous tous alors qu'un silence de mort s'installe. Instinctivement, nos corps se rapprochent tous les uns des autres afin de ne former qu'une masse épaisse d'adolescents apeurés. Notre groupe est si mince et si compact qu'il ressemble à un seul corps, unique et tremblant. Le silence devient un peu plus oppressant et me glace le sang. Je suis figée sur place. J'ai peur, vraiment peur.
Face à nous, trois parcours apparaissent. Posé sur un sol en béton, de nombreux obstacles nous font désormais face et, placé tout au bout, un sol plat, parsemé de fleurs en tout genre et d'arbres fruitiers. À croire que les créateurs de ce jeu immonde se moquent de nous avec leurs stupides illusions. La nature qu'ils créent rigole de notre sort. D'ici quelques minutes, l'apocalypse même ne rivalisera pas avec la tragédie qui aura lieu. Et ça, les organisateurs le savent très bien.
« Jeunes gens, bienvenue. »
Une voix résonne presque comme un écho autour de nous, tandis que nous nous resserrons un peu plus, comme si cela suffisait à tous nous rassurer. Nous chassons l'air qui sépare nos pauvres et frêles enveloppes charnelles. Dans cette situation, la chaleur humaine est l'unique chose à laquelle nous pouvons encore nous accrocher pour ne pas perdre la tête face à notre peur.
Tout à coup, un homme âgé d'une vingtaine d'années environ, tout au plus, s'avance vers nous. Ses yeux verts me rappellent étrangement quelque chose tandis que ses cheveux aussi châtains que les miens, sont dirigés vers le ciel en un désordre harmonieux. Sa corpulence suffit à nous faire taire, il est terrifiant. Beaucoup trop musclé pour que je ne le remarque pas. Il ne ressemble pas à un body builder, mais il est bien plus formé qu'un homme de son âge ne devrait l'être. Un sentiment de haine s'empare de moi lorsque je comprends qu'il n'est autre que le "présentateur" de ce stupide jeu. Celui qui nous observera de l'intérieur jour et nuit et qui fera de notre vie un véritable enfer si nous ne restons pas dans les rangs.
Des murmures plaintifs résonnent autour de moi. Les autres semblent ne pas vouloir croire à cette situation. Et pourtant, moi, je sais que tout est bien réel. Nous sommes bien dans ce jeu de survie, exposés à mille et un dangers. Et s'ils veulent vivre, il va falloir qu'ils intègrent très vite cette idée dans leurs esprits aveuglés par la peur.
« Mesdemoiselles, messieurs, bienvenue dans notre jeu. dit-il accompagné d'un sourire carnassier. Et bien sûr, bonjour à tous nos chers téléspectateurs qui découvrent en même temps que moi, la belle petite brochette d'adolescents qui participera à notre jeu. »
Une caméra se place alors devant nous, scrutant chacune de nos réactions, chacun de nos gestes. Ils veulent lire la peur dans notre regard, la panique dans nos tremblements. Mais je ne leur montrerai rien de tout ça. Je ne montrerai aucune expression. Et c'est en armant mon visage d'un air froid et indifférent que je fais un pas en avant, un seul et unique pas, ce qui ne manque pas de m'attirer les foudres des autres jeunes qui me chuchotent d'arrêter. Il faut marquer le public dès le début pour mieux se faire une place ensuite.
« Aurions-nous une tête brûlée cette année ? Bref, continue-t-il avant de se tourner vers une nouvelle caméra. Laissez moi me présenter. Je suis Jöakim et je serais votre humble serviteur cette année. Tout d'abord, accordez-moi l'honneur de vous expliquer un peu l'épreuve de cette nouvelle saison. »
Ce fameux Jöakim se tourne vers nous, avant que, pour une raison qui m'échappe, chaque personne présente se retrouve propulser à divers endroits de la plateforme sur laquelle nous nous trouvons. Ce n'est pas lui qui vient de causer cet écartement soudain, je le sais, je le sens, je le vois dans ses yeux. Il ne possède pas de dons. Et même si je ne venais pas de voir les signes de son incompétence, je suis persuadée jusqu'au plus profond de mon âme qu'il n'en possède pas. Tous écartés comme nous le sommes, personne ne peut plus se cacher, tout le monde est à découvert. Nous ne sommes plus que de pauvres biches placées devant un loup assoiffé de sang, un loup prêt à bondir sur sa proie à n'importe quel moment. Les caméras profitent de ce moment pour se rapprocher encore plus de nous afin de nous scruter de plus près.
« Comme chaque année depuis la sauvegarde de l'humanité, notre cher seigneur sélectionne cinquante jeunes enfants, tous âgés de dix-sept ans, afin qu'ils puissent prouver leurs capacités au monde entier. Comme chaque personne le sait, depuis la grande guerre qui a éclaté dans l'Ancien Monde, la terre se retrouve divisée en plusieurs arches, toutes reliées les unes aux autres. Et afin de préserver la bonne entente dans notre monde si, ce jeu a été créé. »
Le présentateur continue ainsi d'expliquer l'importance de ce jeu pour la survie de notre race. Ce qu'il n'osera jamais avouer, c'est que notre seigneur se sert de cette émission pour effacer notre existence, à nous autres qui sommes différents. Après la guerre, de nombreux jeunes ont hérité de pouvoirs surhumains, alors, nous sommes traqués, recherchés et surveillés par tous. Parfois, les soldats nous laissent un moment de répit. Mais ce qui est sûr, c'est qu'ils ne nous laissent pas l'occasion de vraiment nous reposer, de prendre le temps de construire une vie. Et généralement, lorsque nous atteignons l'âge de dix-sept ans, nous effectuons notre dernière course. Cette fois-ci, c'est notre avenir que nous jouons avec notre force sportive. Si nous leur échappons, nous sommes voués à vivre une vie de fugitif. Sinon... Nous finissons ici. Dans un cas comme dans l'autre, je ne sais pas vraiment lequel est le meilleur.
Cette émission permet au Créateur de contrôler les gens comme moi, les gens comme nous. Il empêche d'éventuelles rébellions et étouffe les pensées résistantes. C'est comme ça qu'il tient chaque être humain dans le creux de sa main. La peur, c'est tout ce qui retient le peuple de ne pas se rebeller.
Chaque année, nous devons passer une première épreuve, afin de nous sélectionner pour la suite des événements, le véritable jeu serait beaucoup trop long si cinquante personnes devaient participer. Et c'est la mort qui attend tous ceux qui ne parviendront pas jusque-là fin.
Ensuite, c'est la partie la moins amusante qui commencera. Les survivants seront séparés en deux camps, d'un côté les chasseurs et de l'autre les loups. Avec pour seule et unique règle : gagner le jeu. Les chasseurs devront éliminer les loups, et inversement. Les vainqueurs auront alors « l'honneur » de rejoindre l'armée du Créateur pour faire régner la paix illusoire qu'il maintient dans notre monde. En fait, je me demande s'il ne vaut pas mieux perdre, plutôt que de rejoindre cet homme assoiffé de pouvoir.
Les loups l'emportent pratiquement à chaque fois, à cause de leur nombre bien plus élevé que les chasseurs. Et l'épreuve qui va suivre déterminera quel rôle chacun de nous aura. Alors je dois donner le meilleur de moi, je ne peux pas me permettre de perdre. Je dois montrer de quoi je suis capable, sans dévoiler mes dons. Il faut que je me retrouve dans ceux qui iront le plus loin. Et pour cela, mieux vaut que je fasse parti des loups.
De toute façon, quoi qu'il arrive, je mènerais mon camp à la victoire. Ça doit se passer comme ça. Et pas autrement.
La voix de Jöakim me sort de mes pensées lorsqu'il désigne les trois parcours, dont les obstacles se sont mis à remuer dans divers sens.
« Cette année, l'épreuve de sélection se présente sous la forme d'un parcours. Chacun d'entre vous devra tenter sa chance, sans y laisser la vie. De multiples pièges y sont dissimulés et les obstacles visibles ne feront qu'une bouchée de vous. Comme vous pouvez le remarquer, une hache est présente comme toute sorte d'instrument de torture digne des plus grands films d'horreur.
— La ferme.»
Les mots m'échappent avant que je ne comprenne ce qu'il se passe. Un silence de plomb s'installe alors. Je vois le présentateur se figer sur place et ouvrir grand les yeux. Il a l'air étonné de me voir intervenir. Mais bien vite, il se reprend et se met à rire, d'une voix forte et cristalline.
« Et bien, il semble que nous ayons des jeunes gens pressés de mourir cette année.
— Finissons-en ! hurle une voix derrière moi, comme un soutien à mon ancienne remarque.
— Il suffit ! Puisque vous semblez tous vouloir mourir, je ne vais plus faire durer le suspens. »
Le visage de Jöakim prend une couleur vive et écarlate tandis qu'il fait de grands gestes emplis de colère. S'il est si susceptible que ça, je risque de bien m'amuser cette année.
« Vous allez devoir survivre à chaque obstacle et seul les trente premiers arrivés seront sélectionnés pour pouvoir participer au véritable jeu, celui que nous attendons tous avec impatience. »
Il fait quelques pas en avant, et me regarde bien en face, tandis que son regard noir de haine se pose sur moi, sans manquer de me détailler de la tête aux pieds. Bizarrement, malgré cette haine qu'il me montre, une part de moi est persuadée que son expression et ses mots sont faux. Je serai prête à parier que son regard exprime en ce moment même de la peur. Mais de quoi a-t-il peur exactement ? Ou plutôt, pour qui a-t-il peur... Pour lui, ou pour moi ?
« La suite des événements vous sera expliquée une fois que vous serez sélectionnés. Maintenant, je n'ai qu'une chose à vous dire, cher téléspectateurs, je sens que cette saison va être remplie de rebondissements. »
Il fait un signe vers le cameraman, qui vient se placer sur notre côté, tandis que le jeune présentateur se place en face de moi. Je me munie alors de l'expression la plus froide et indifférente que je suis capable de fournir, tout en le défiant du regard.
Et c'est d'une voix calme, presque inquiétante qu'il annonce :
« Que le jeu commence... »
Il avance à nouveau tandis que toutes les caméras cessent de filmer le temps d'une légère pause, et c'est dans un chuchotement empli d'assurance et de défi qu'il dit, tout en passant à côté de moi :
« J'espère que tu survivras, tu m'as l'air très intéressante...»
Mes yeux s'élargissent face à cet aveu, mais je tente de ne rien laisser paraître. Personne ne doit penser du mal de moi. Je dois rester aussi impassible que possible, je me suis déjà bien assez fait remarquer comme ça, inutile d'en rajouter.
Dans un même mouvement, nous nous mettons tous en ligne face aux trois parcours identiques et, alors que je me place dans le parcours du milieu, entre une jeune demoiselle rousse et un jeune homme blond, l'inquiétude m'envahit.
Deux yeux bleu océan se dessinent soudainement dans ma tête. Ils sont si clairs, si nets et si précis que j'ai l'impression qu'ils sont réels, je pourrais même tendre la main et les frôler tellement ils paraissent vrais. Ce regard souffle en moi une vague de calme et apaise les braises chaudes de mon âme et j'arrive à reprendre contenance. Je peux le faire, j'en suis parfaitement capable, j'ai les capacités pour.
Mon souffle est lourd, je tente de continuer à penser à ces beaux yeux bleus qui, pour une raison qui m'échappe, suffisent à me faire sentir sereine. Mais à qui appartiennent ces deux iris ensorcelantes ?
Un bruit sourd me sort de mes pensées avant que chaque caméra ne se rallume. Elles se braquent à nouveau sur nous et observent nos mouvements. Elles seront là tout le long du parcours, elle seront toujours présentes durant les prochaines semaines. Autant s'y habituer dès aujourd'hui.
Notre cauchemar commence maintenant...
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