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Aarhon est quelqu'un de très apprécié dans cet endroit tenu à l'écart de toute civilisation. Il n'est pas que respecté. Chaque personne que nous croisons lui sourit, les yeux brillants d'admirations, alors que peu d'entre eux me remarque moi, la pauvre petite adolescente fragile à qui personne ne parle. Pourquoi les autres se préoccuperaient-ils de celle que je suis, alors même que j'ai à peine fait un pas hors de ma chambre depuis mon arrivée.

La main de mon cousin est chaude contre mes petits doigts qu'il serre un peu trop fort. Je sens son corps tendu près du mien. Est-ce moi qui me rend nerveux ? À moins que ce ne soit mon silence ? Pourquoi mon monde ne pouvait-il pas être plus simple que celui dans lequel je vis désormais ?

Il me guide au travers d'un dédale de couloir que je ne connais pas. En réalité, je n'ai pratiquement jamais quitté ma chambre. Je suppose qu'ils ont tous raisons, vivre comme une recluse, comme exclu de la société, n'est pas une solution. Ça ne m'aidera pas à avancer, et la situation dans laquelle je suis ne bougera pas non plus.

Et c'est pourtant tellement plus simple de s'enfermer dans sa douleur, d'oublier le présent pour ne vivre que dans ses souvenirs. Ceux où tout le monde est encore là. Ces moments où Éthan me prenait dans ses bras sous les yeux jaloux de Peter, lorsque nous nous promenions dans les rues de notre ville, fuyant comme des voleurs au moment où nous entendions les pas précipités de la milice anti-monstre. Autrement dit, de la milice anti-nous. Ces moments passé à rire ensemble lorsque nous n'étions encore que des enfants. Ils étaient mes soleils, malgré la pluie qu'aurait dû être ma vie déjà à cette époque.

Même au cours du jeu auquel nous avons participé, je peine à trouver les moments de bonheur qui ont vraiment été important. Mes rencontres ? A quoi bon ? Peter est mort sous mes mains, Éthan serait sûrement encore là si je n'avais pas été aussi blessé, Anna et Jayke ne viennent plus me voir, j'ai volé l'adolescence de mon frère, brisé les rêves de pauvres innocents avec mes dons incontrôlables, ma tante me croit sûrement morte à l'heure qu'il est...

Voilà pourquoi je préfère vivre dans mon passé, dans mes souvenirs. Au risque d'être encore plus détruite lorsque la réalité me rattrapera.

« Éléna. Éléna, tu m'écoutes ? » demande mon cousin, me sortant de mes pensées.

Je secoue la tête de droite à gauche, trop fatigué pour lui mentir. Non. Je n'ai pas écouté une traitre mot de ce qu'il vient de me dire. En fait, je me fiche un peu de savoir quel matériaux a été utilisé pour créer cet endroit, en imaginant que ce soit bien de ça dont il me parlait.

« Je disais donc, que tu seras transférée dans l'ailes Est. C'est dans cette partie que loge les détenteurs des pouvoirs instable, incontrôlable ou inconnue. Tu y dormiras seulement. »

J'ai envie de lui dire qu'ils ne font en fait qu'entreposer des phénomènes de foire dans un même endroit.

« Ne me regarde pas comme ça Éléna. Je sais ce que tu penses, tout ceux à qui j'ai exposé ce fait m'ont fait la même réflexion. Vous n'êtes pas des monstres ou je ne sais quoi d'autre. Cette aile est simplement plus résistante que les autres, et plus récente. Ses murs supportent mieux les dégâts que l'aile Ouest. »

Il marque une pause et j'en profite pour lui lâcher la main, afin de croiser mes bras sous ma poitrine moins imposante qu'avant. J'ai perdue du poids. Beaucoup. Et le peu de muscles que j'avais ont aussi disparue. Je ressemble plus à un maigre clou qu'à autre chose. C'est affligeant.

« Tu mangera au self. Si ton comportement le permet tu y mangera aux mêmes horaires que tout le monde. Tu participera à la vie commune et tu t'entraîneras. Je te fournirais un emploi du temps que tu devra respecter. Si nous voulons être organisé et réussir à améliorer notre mouvement, nous devons vivre en obéissant à certaines logique que nous nous imposons. C'est vital tu comprends ?

— Ton sanctuaire ressemble plutôt à une prison dorée.

— Oui tu as tout à fait com... Non ! Ce n'est absolument pas ce que je cherche à te dire Éléna. »

Aarhon pousse un soupir agacé, ne réagissant même pas au fait que je viens de lui adresser la parole avec une difficulté mal dissimulée.

Ne pas avoir prononcé le moindre mot depuis deux mois a complètement affaiblit ma voix. La voilà désormais rocailleuse, fragile et difficile à exploiter sans grincer des dents.

« Tu es infernale Éléna. Accepte un peu d'être aidé bon sang. »

Il tourne encore une fois dans ce dédale immense de couloir et s'arrête devant une ultime porte contre le mur de gauche, devançant une longue allée de vitre transparente, laissant apercevoir de nombreux appareils médicaux. Certaines machines ressemblent plutôt à des machines de tortures qu'à autre chose. La blancheur de la pièce est effrayante, trop pure pour être réelle. Je n'en peux plus de tout ces murs blanc de partout.

Mon cousin pousse la porte et s'engouffre dans cette pièce, m'intimant de le suivre. Docilement, je lui obéis et observe autour de moi, espérant sentir une ambiance moins clair, moins angélique une fois dans cette pièce. Sans succès.

Mes yeux se posent alors sur une femme, feuilletant un dossier entre ses fines mains. Ses longues jambes élancées sont surmontées d'une paire de collants noir, auxquelles s'ajoute une longue blouse épousant ses formes à la perfection. Possédant une poitrine plutôt plate, son cou n'en semble que plus fin, montrant la couleur laiteuse de sa peau, comme si aucune imperfection ne pouvait exister chez cette femme. Son visage, maigre et allongé, possède deux yeux de biches, fins et rieurs, d'une couleur marron brillant de malice. Ce côté espiègle et à la fois doux est renforcé par ses deux lèvres d'un rose perle, qui s'étirent en un sourire se voulant amicale et réconfortant. Ses cheveux noirs attachés en un chignon serré, lui donne un air faussement strict qui contraste avec l'aura de douceur qui semble entouré cette femme qui ne doit pas dépasser les vingt-cinq ans.

« Oui ? » demande-t-elle sans relever la tête.

Aarhon se racle la gorge et celle que je pense être le médecin de ce sanctuaire relève la tête. Son regard rencontre le mien et j'ai l'impression de me sentir recouverte d'une vague d'amour, de protection. Cette sensation m'étouffe et je respire péniblement, détournant les yeux pour me soustraire à son regard trop communicatif.

« Et bien, je suis heureuse de te voir enfin debout. Je peux te tutoyer ? »

Je hoche la tête, prenant bien soin de ne pas la regarder.

« Désolé Agnès, elle n'est pas très bavarde. se lamente mon cousin.

— Chaque chose en son temps. Cette petite a vécue de sale moment, il ne faut pas lui en vouloir. Toi aussi tu devrais pouvoir comprendre son mutisme Aarhon. Approche ma belle, je ne vais pas te manger tu sais ? »

J'ose à nouveau la regarder timidement. Son sourire est bienveillant, tout comme la main qu'elle me tend. Mon cousin me regard avec insistance, me faisant signe d'obéir.

Au lieu d'avancer vers elle, mes pieds reculent d'un pas, creusant une distance entre cette femme et moi. Que me veut-elle ? Et si elle me voulait du mal ?

« Inquiète ? En voilà une qui n'est pas très docile Aarhon. C'est de famille alors ? se moque-t-elle gentillement sous les grognements de mon cousin. Je veux juste vérifier ton état Éléna.

— J'aimerais aussi que tu lui fasses passer quelques tests. Au moins les basiques pour le moment.

— Seulement avec son accord à elle. Il faut aussi y aller à son rythme.

— Ça fait deux mois qu'on va à son rythme Agnès.

— Et alors ? J'ai mis plus d'une année avant d'oser adresser la parole à quelqu'un en dehors d'un contexte médical. Laisse donc cette enfant tranquille. »

Mon cousin pousse un grognement et se tourne vers moi, agacé. C'est ironique comme situation. Ce n'est pas comme s'il parlait comme si je n'étais pas là. Ce serait plutôt à moi d'être énervée. D'autant plus que je n'ai en aucun cas envie de passer ses test.

Même si Agnès n'a pas l'air si méchante que ça. C'est un médecin, je suis vraiment folle de me méfier d'elle. Avoir des peurs et des barrières n'est pas une mauvaise chose pour se protéger. Mais il faut savoir faire la part des choses, ne pas voir le mal partout. Ce dont je suis incapable pour le moment. Il faut avancer. Un pas après l'autre. Laisser cette femme m'approcher serait un bon début.

« Je te confie ma cousine Agnès. Rend là moi en bon état. Je repasserais dans d'ici deux heures. »

Aarhon quitte la pièce sans demander son reste, claquant la porte dans son dos sans nous jeter le moindre regard. Ni à moi, ni à Agnès avec qui il semble être plus ou moins proche, d'après ce que j'ai pu voir.

« Non mais quel cochon celui là, toujours à faire la tête à la moindre contrariété. S'il s'écoutait, je suis sûre que tu serais déjà en train de courir sous la pluie sans même avoir avalé ne serait-ce qu'un morceaux de pain. Des fois je me demande vraiment où est passé sa compréhension. Mais ne t'inquiète pas, Agnès est là pour lui remonter les bretelles quand il le faut ! »

Elle me sourit, ponctuant certains passages de son récit par quelques grimaces à l'intention de mon très cher cousin, qu'elle décrit parfaitement bien.

« Alors, prête pour quelques petits test ? »

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