"Encore ce surnom, hein ?"

Jisung s'était installé contre la palissade en bois, recroquevillé pour que son épaule s'appuie contre le mur. Il sourit doucement en savourant la voix du jeune homme qu'il n'avait pourtant jamais vu. Le chasseur avait une voix apaisante, Jisung se sentait en sécurité, au calme quand ils discutaient ensemble. Le vide qui s'était installé en lui se remplissait quand il le retrouvait.

"Tu m'appelles Hannie depuis le début, j'ai bien le droit d'avoir un surnom pour toi aussi."

Il perçut un petit rire. Son cœur fit des siennes, mais son sourire ne le trahit pas. Après tout, personne ne le voyait, pas même le mystérieux chasseur avec qui il discutait chaque semaine depuis quelques mois.

"Pas de soucis, Hannie."

Minho était un garçon de deux ans son aîné. Vif d'esprit, taquin mais calme, Jisung avait senti une force incroyable en à peine quelques mots. Leur premier échange s'était déroulé complètement au hasard, un soir où, curieux, Jisung avait longé les murs pour entendre les chasseurs et le chef du refuge discuter. Il avait senti son cœur se serrer à la description des villes fantômes, mais surtout des cadavres brûlés et de ceux qui s'étaient relevés. Les infectés hantaient le monde, dorénavant. Jisung avait été incapable de s'endormir, l'image de son frère et de son meilleur ami transformés en ces monstres immondes le faisait vivre un cauchemar vivant. Les larmes aux yeux, il s'était levé pour une marche nocturne afin d'apaiser son esprit.

Ce fut la voix de Minho qui le guida jusqu'au coin d'un mur, curieux et hypnotisé par le ton d'une douceur incroyable que Jisung découvrit. Minho chantonnait, c'était léger, mais Jisung ne put retenir un son appréciateur de franchir ses lèvres lorsque le chant s'estompa.

"Wouah..."

Un silence un peu gênant avait suivi son éclat. Jisung avait plaqué ses mains sur sa bouche, les joues rouges et le cœur palpitant. Puis, le son d'un rire cristallin, qu'il savait ne jamais oublier de sa vie, résonna dans la nuit.

"Merci, ce n'était pas grand chose, mais je suis flatté."

Soulagé que l'inconnu le prenne bien, Jisung rit à sa suite.

"Désolé, je... Je suis passionné de musique, je faisais même des études dedans, alors je...

- J'en suis honoré, alors. Je m'appelle Minho."

Jisung eut du mal à croire qu'un jeune homme capable de cavaler dans les villes désertes en évitant des infectés ait une voix si douce, un rire si pur, et mué d'une gentillesse qui le faisait flotter sur un petit nuage. Minho lui avoua, un soir lorsque Jisung le complimenta sur l'apaisement qu'il lui prodiguait, que ce n'était habituellement pas l'image qu'il renvoyait aux autres.

"Je te crois pas, avait pouffé Jisung.

- Si, je te jure, Hannie. Dans la vraie vie, avant même toute cette merde, j'étais plutôt introverti. Je vivais seul avec mon oncle après le décès de mes parents, je m'étais dressé plein de barrières, sous couvert de taquineries et d'impassibilité. Je suis pas sûr que mes collègues pensent la même chose que toi.

- Pas même Changbin ?"

Jisung avait appris l'existence du plus jeune garçon au sein des chasseurs. Ils n'étaient que deux en dessous de la trentaine, lui et Minho. Un soir, Changbin était même passé saluer Jisung, sous les grognements de Minho qui l'exhortait à lui "foutre la paix". Jisung avait ri, Changbin semblait amusant, bien plus extraverti que Minho. Il était soulagé que, malgré la situation, Minho ait un ami avec lui. Chaque semaine, Jisung espérait de tout son cœur que les deux garçons reviennent sains et saufs.

"Surtout Changbin, avait répondu Minho dans un rire narquois. C'est notre façon de communiquer. On aime se tirer dans les pattes, ça nous permet de pas trop prendre à cœur nos missions."

Minho et Jisung parlaient peu des morts vivants. Jisung lui avait fait part de son angoisse permanente à l'idée que son grand frère ou son meilleur ami soient morts sans leurs proches, pour revenir à la vie sous l'apparence de mangeurs de chaire humaine.

"Si ça peut te rassurer, j'ai jamais vu personne qui ressemblait à cette description.

- Est-ce qu'ils ressembleraient encore à ceux que j'ai connus ?"

Jisung avait soufflé, plus pour lui-même, et la réponse de Minho avait clôturé l'unique fois qu'ils avaient abordé le sujet.

"Oui. Tu reconnais toujours celles et ceux que t'as connu."

Un soir, Minho lui parla de ses parents. Ils avaient passé la nuit là-dessus, et Jisung fut fier de pouvoir être une oreille attentive à son tour. Minho semblait en avoir gros sur le cœur, au sujet de ses parents. Ils étaient morts quand il était au collège, dans un accident de voiture dans laquelle il aurait dû se trouver. Un concours de circonstances. Il était malade, les parents de sa mère l'avaient gardé, et ils n'étaient jamais revenus. Dix ans s'étaient écoulés, mais Minho n'en avait jamais vraiment fait le deuil.

"La seule chose qui me rassure, maintenant, c'est de savoir que je n'aurais jamais à affronter mes parents dans une telle horreur."

Jisung ne voulait même pas l'imaginer. Il ne se sentait aucunement capable de faire face à un membre de sa famille transformé en infecté. Quand il avait appris que les chasseurs avaient développé des techniques pour les tuer une bonne fois pour toute, il en avait frissonné d'effroi. C'était le mot. Ils étaient plongés dans l'horreur.

"J'avais peu de relation avec mon oncle, avant le drame. J'ai des souvenirs qu'on allait le voir de temps en temps quand j'étais petit, mais il était spécial. Il l'est toujours.

- Il est encore en vie ?

- C'est un peu le chef des chasseurs, si je peux le dire ainsi."

Les chasseurs étaient regroupés comme toute communauté classique. L'oncle de Minho était le grand frère de sa mère. Il approchait la soixantaine, était un homme apathique et cinglant, mais qui s'assurait toujours que personne ne manquait de rien. Toute la famille avait été surprise d'apprendre que Minho était laissé aux "bons" soins de cet homme dépourvu de tendresse. Cependant, Kenny n'avait pas rechigné. Il avait accepté de poursuivre l'éducation de Minho, et ce dernier avait vu les membres de sa famille s'éloigner. Il leur en avait longtemps voulu, car il voyait en son oncle ce que tous avaient refusé de constater. Il aimait Kenny, malgré la difficulté qu'il avait eu à se remettre de la mort de ses parents et l'absence d'un amour parental qui l'aurait aidé.

"Kenny n'est même pas son vrai prénom, Minho avait ri en poursuivant son récit. Mais il préfère qu'on l'appelle comme ça, alors tout le monde le fait."

Il avait l'air d'être un sacré phénomène, mais Jisung dut reconnaître que c'était grâce à lui et aux chasseurs si le refuge tenait. Les mois passaient, Jisung et Minho avaient établi ce petit rituel à chaque retour du groupe. Lorsque le soleil se levait, après des heures de discussion, ils se donnaient rendez-vous la semaine d'après, marquant le lieu d'un point cardinal précis qui changeait à chaque fois.

"Comment s'est passé ta semaine, Hannie ?"

Minho lui demandait toujours des nouvelles en premier. Il préférait parler de Jisung que de lui, même si le plus jeune avait déjà appris beaucoup de choses lors de leurs discussions. Minho avait mis un peu de temps à s'ouvrit mais, dorénavant, Jisung avait l'impression de le connaître par cœur. Il ne l'avait jamais vu, mais il était devenu indispensable à sa vie.

"Bof, comme chaque semaine. Je t'attendais."

Jisung se sentait à l'aise avec Minho, si bien qu'il était toujours transparent. Une connexion spéciale le liait à lui, une harmonie spirituelle qu'il n'avait jamais connu auparavant. Il voulait que Minho comprenne ses sentiments, ses émotions. Il n'avait aucune honte à lui dévoiler que, sans lui, il s'ennuyait à mourir, que le vide qui dévorait son cœur était encore plus pesant. Minho lui manquait chaque jour, il était son phare dans les ténèbres d'une mer glacée.

"Je suis là, Hannie."

Et Minho ne cessait de répondre, toujours avec douceur et compréhension. Il ne se moquait pas de lui, ou alors toujours gentiment, de sorte à ne jamais le blesser. Jisung aimait penser qu'il était devenu important pour Minho, lui aussi. Après tout, pourquoi s'embêterait-il à le rejoindre ici, chaque semaine ? Il sacrifiait une nuit, alors qu'il ne devait pas profiter pleinement des autres vu sa situation.

"J'ai composé, j'ai que ça à faire, reprit Jisung en jouant avec les touffes d'herbe autour de lui.

- Tu as écris une nouvelle chanson ?

- Oui, et par réflexe, Jisung hocha la tête. J'aimerais que tu la chantes, un jour."

Jisung avait appris la composition et la production avec son frère. Il aimait écrire des chansons et, en plus de Minho, c'était la seule occupation qui le calmait vraiment. Depuis qu'il avait rencontré le jeune chasseur, il rêvait de l'entendre chanter une de ses créations.

"Je ne suis pas chanteur, tu sais.

- Mais j'aime ta voix. Elle serait parfaite, j'en suis sûr."

Parfois, quand Jisung jetait des compliments dans une sincérité désarmante, Minho ne répondait pas. Jisung avait fini par comprendre que le jeune homme ne savait tout simplement pas comment réagir aux compliments. Jisung était sidéré. Il lui paraissait impossible que personne n'eut jamais loué Minho.

"Alors, je chanterai pour toi. Un jour."

Jisung rêvait de rencontrer Minho en chair et en os. Le voir en vrai, mettre un visage sur cette voix, un corps sur ces réactions. Ils n'en avaient jamais parlé auparavant, car Jisung avait peur de l'implacable réalité. Il n'arrivait pas à concevoir rester dans ce refuge pour le restant de ses jours, mais c'était pourtant bien ce à quoi sa vie était destinée. Minho était un chasseur, il ne pouvait entrer, et Jisung ne pouvait sortir. Peut-être qu'un jour, Minho ne reviendrait pas. Jisung était terrorisé par cette possibilité.

"J'aimerais te voir, Linoring..."

Jisung posa son menton contre ses genoux, fermant les yeux après cette bouteille jetée à la mer. Des rêves, des envies, c'était tout ce qui lui restait dorénavant. Le silence lui répondit, mais il était habitué à ce que Minho prenne quelques secondes avant de répliquer. Jisung était impulsif, il verbalisait tout ce qui lui passait par la tête. Minho était tempéré, il réfléchissait avant d'agir et de parler. Sur beaucoup de points, les deux garçons se complétaient à merveille. Ils se ressemblaient et étaient à la fois bien différents. Jisung aurait adoré le rencontrer dans d'autres circonstances, et ne pouvait plus imaginer ce à quoi sa vie pouvait ressembler sans Minho dedans.

"Moi aussi. J'aimerais te voir, Hannie."

Jisung poussa un soupir tremblant en rouvrant les yeux. Son sentiment était réciproque et l'émotion qu'il perçut dans la voix de Minho fit palpiter son cœur. Lorsqu'il avait du mal à analyser ses réactions, il pensait à Félix. Son meilleur ami avait toujours été à même de comprendre ce qu'il ressentait, et le poussait souvent à s'affranchir de ses doutes. Il sourit, le ventre remué, en imaginant ce que le blond aurait pu déduire de sa relation avec Minho. Il secoua la tête avant de reprendre, changeant complètement le sujet.

"Comment réagiraient des aliens s'ils arrivaient subitement sur notre terre ?"

Jisung était fasciné par des sujets niches et spécifiques. D'abord timide, quand il avait compris que Minho était au moins aussi spécial que lui, il ne s'était plus retenu.

"Je pense qu'ils verraient une opportunité, répondit Minho. Soit ils nous tuent tous, soit ils gardent seulement les humains viables pour en faire des esclaves.

- Je sais pas ce qui est le pire..."

Ce qui semblait si étrange était d'une normalité apaisante pour eux. Parler de tout et de rien, mais surtout de ce qui les sortait de cette infâme réalité. Jisung ne se sentait calme qu'une nuit par semaine, quand il retrouvait Minho pour quelques heures, et que leurs échanges l'emmenaient au-delà de sa nouvelle vie. Jisung survivait, mais lorsqu'il discutait avec Minho, son cœur était mué d'une nouvelle frénésie. Avec Minho, il vivait.

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Survivants s'ouvre déjà sur une relation spéciale entre le Minsung ! 

Mais que ressentent-ils réellement l'un pour l'autre ?  (─‿‿─)