Je suis assise sur la canapé, depuis plus d’une heure maintenant, à observer Tyler à la dérobée, feignant de surveiller ma soeur qui ne quitte pas le chaton, le suivant partout dans l’habitation. Tyler arpente la zone commune, frôlant les murs pour regarder par les fenêtres. Il n’a pas du tout l’air à sa place dans cette pièce. Quand il se tourne vers moi je reporte directement mon regard sur ma soeur. Je finis par soupirer et me lever, ce silence pèse trop lourd sur mes épaules, et puis je commence à avoir faim.

- Tu peux dormir dans la chambre de ma soeur, lui dis-je pour briser le silence.

- Oh ne t’inquiète pas je peux dormir sur le canapé ça ne me dérange pas, me répond-t-il d’un air détendu.

- Mais non Leanne dort avec moi, j’ai répondu un peu vite je l’avoue, elle… fait des cauchemars depuis… Tu vois…, m'empressé-je d’ajouter.

La concernée, qui joue toujours avec le chaton qui se tortille entre ses jambes, se retourne vers moi en fronçant les sourcils.

- Mais Sisi c‘est toi qui a voulu que ze dorme avec toi, même que tu m’as oblizée, marmonne-t-elle, cette traitresse.

Je crois que mes joues rougissent, et Tyler me regarde sans cacher son amusement. Je ne vais pas lui dire que c’est moi qui dort très mal, et même si la présence de ma soeur m’apaise je continue à faire de très mauvais rêves.

Cet épisode plutôt embarrassant passé, nous avons rapidement mangé ce que nous pouvions, puis je me suis retirée dans ma chambre avec Leanne.

D’ailleurs voilà plus d’une heure que je suis allongée avec elle. Il fait nuit à présent et je caresse sa chevelure rousse et brune, perdue dans mes pensées. Tyler a fini par accepter ma proposition et dort dans la chambre d’à côté, celle de Leanne. J'énumère toutes les questions qui me trottent dans la tête.

Comment Tyler peut-il savoir autant de choses ?

Que sait-il d'autre ?
Pourquoi est-il vraiment dans le secteur F ?

Que veut-il vraiment ?

Puis-je lui faire confiance ?

La dernière question est celle qui me tourmente le plus. Il n'a pas l'air méchant. Mais on ne sait jamais. Son pouvoir est d’autant plus terrifiant qu’il a l’air de savoir s’en servir à la perfection, ce qui est aussi troublant. C’est souvent les pires psychopathes que l’on trouve le plus amicaux. C'est sur cette pensée que je sombre dans un sommeil tourmenté.

Je suis seule. Je vois mes parents. Au sol. Du sang sort de leur nez et leurs yeux sont grands ouverts. Morts. Voilà ce qui me vient à l'esprit. J'essaie de courir vers eux sans succès. Même si je cours je vois qu'ils s'éloignent de moi de plus en plus. Je hurle leurs prénoms. Je leur crie de ne pas m'abandonner. Puis plus rien. Et enfin je vois autre chose. Je vois le grand gouverneur Charles Iron assis derrière un grand bureau blanc immaculé. Puis ensuite une femme me serrant la main. Comme si on passait un pacte. On m'appelle. J'entends quelqu'un murmurer mon prénom.

J'ouvre les yeux et prends une grande inspiration. Ma poitrine se soulève à un rythme effréné. Je suis en sueur. Je tremble.

- Cassie... Calmes toi, murmure une voix près de moi. Une douce voix masculine chuchotant à mon oreille. Papa ? Serait-il enfin rentré ?

Je suis totalement désorientée, mes repères ont totalement disparus. Je cherche à tâtons ma lampe de chevet, trouve l’interrupteur pour l’allumer, mais celle-ci ne s’enclenche pas. Ma panique ne fait que redoubler et je tente de discerner le visage qui me fixe dans le noir, je met un temps à le détailler à la lumière lunaire filtrant à travers ma fenêtre. Mon rythme cardiaque se calme peu à peu et je reconnais enfin Tyler, une main posée négligemment sur mon lit, à l’endroit où je dormais encore il y a quelques secondes.

- Tu hurlais dans ton sommeil… J’ai cru qu’on vous attaquait, me dit-il pour justifier sa présence dans ma chambre.

Je regarde ma petite soeur qui dort toujours profondément à mes côtés.
Comment fait-elle pour ne pas se réveiller ?

Je soupire et me redresse dans mon lit, m’installant en tailleur. Je prends ma tête dans mes mains.

- Ça va ?, me demande doucement Tyler.

Je secoue la tête. Sans même tenter de feindre le contraire.  

- Tu veux parler ?, sa voix calme, tellement sereine, tranche drastiquement avec mon état de panique actuel.

Je suis sur le point de refuser. Mais je repense à ce que j'ai vu en dormant. Sûrement ses souvenirs. Alors je me lève et lui fais signe de me suivre. Je m'apprête à allumer la lumière quand je me souviens que l'électricité nous a abandonné à la fin de la première semaine. En même temps que la télé où on nous énumérait encore le nombre de survivants... 5% de la population seulement... C'est tellement insignifiant. Mais finalement, quelle est la part de civils dans ces 5% quand on sait que cet acte était prémédité ? Combien d’agents WorldCenter ont été épargnés ?

Je m'assois dans un fauteuil de notre zone commune et Tyler fait de même en face de moi. Je le regarde longuement. Puis finis par trouver ma première question.

- Tu me touchais pendant que je dormais ?, je rougis légèrement en repensant à la mauvaise formulation de ma question. Enfin je veux dire... Tu étais en contact avec moi ?

Il fronce les sourcils. Je me mords la lèvre gênée. Il semble réellement réfléchir à la question.

- Oui. Je tenais ton épaule pourquoi ?

- Ceci explique cela, murmuré-je.

- Tu m'expliques ?

- Ben... Je suis entrée dans ton esprit.

Il blêmit. Et je fronce les sourcils. Ça confirme mes soupçons. Il me cache sûrement quelque chose.

- Et t'as vu quoi ?, dit-il d'une voix tendue.

- Le gouverneur Irons. Et une femme. Puis je me suis réveillée.

Il reprend rapidement confiance en lui car il n'a plus du tout l'air gêné ou quoi que ce soit d'autre. C'est vraiment un gars bizarre.

- Et donc ? Ça fait quoi ?

- À toi de me le dire. Pourquoi le gouverneur Irons était dans ta tête ?

- Je l'ai sûrement vu à la télé.

- Nan tu étais face à lui Tyler.

C'est la première fois que je dis son prénom de vive voix. Ça me fait tout drôle.

- Écoute je sais pas. On rêve souvent de gens dont on a à peine vu le visage tu sais...

- Et la femme ?

- Elle était comment ?

- Brune, yeux bleu, plutôt maigre. La quarantaine.

- Sûrement ma mère, dit-il d'une voix grave.

- Oh... Je suis désolée elle est aussi... ?

Il hoche la tête et je m'en veux terriblement. Quelle cruche !

- Excuse moi...

- C'est rien tu pouvais pas savoir...

Je soupire et ramène mes jambes contre ma poitrine. Je baisse la tête.

- Cassie ? Ton cauchemar... C'était tes parents ?

Je relève la tête et croise son regard. Je finis pas hocher légèrement la tête. Il soupire.

- Désolé…  Je veux dire… Pour tes parents.

Il est sincère je le sais.

Je soupire et finis par me lever. Prête à retourner me coucher mais il me retient par la main. Je me retourne prête à lui lancer un regard noir, mais quand je croise son regard j'y vois de la tristesse, et aussi... De la culpabilité ?

Est-il triste pour ses parents ? Pour les miens ? Ou c'est le fait de me mentir qui lui est difficile ?

- On vengera tes parents Cassie.

Je ne comprends pas ce qu'il veut dire par là. On ne peut rien faire. Juste se cacher. Alors je hoche la tête et retourne dans ma chambre. Ma soeur est roulée en boule sur mon lit une place et je n'ose pas la toucher. Alors que je me dirige vers la chambre de celle-ci je me souviens que Tyler l'occupe. Je me tourne vers la chambre de mes parents.

Je prends une grande inspiration, pose la main sur le levier d’ouverture manuelle de la porte. Je tire doucement. J'entre et regarde le lit vide. Je soupire pour la énième fois de la journée. Je me glisse sous les couvertures et sombre dans un sommeil mouvementé.

La dernière chose à laquelle je pense avant d'être aspirée dans les ténèbres c'est Tyler. Ou plutôt ce qu'il me cache. Il en sait plus que ce qu'il ne laisse paraître. Je le sais. Je trouverai qui est Tyler.