Chapitre 6

- On se réveille tout le monde, surgit une voix masculine.

Il allume la lumière de la chambre.

- Wouah ! Y en a un qui n'a pas tenu la nuit, commente-t-il d'une voix moqueuse. Ton oreiller s'est suicidé parce que tu ronflais ? ajoute-t-il sur le même ton taquin.

Je grogne et me force à ouvrir les yeux. Je me retourne et reconnais le garçon au bandeau. Ma main tâte à la recherche de mon coussin pour le lancer dans la face du garçon, souhaitant une grasse matinée.

Mes doigts se referment sur du vide.

Mince, c'est vrai. Il est mort.

Je geins une nouvelle fois de frustration en faisant lourdement retomber ma figure dans le matelas.

Le garçon ne dit rien. Il a peut être pris peur de mes réactions bizarres. Mais pour faire bonne figure, je soulève ma tête et pose mes yeux vers le squatteur de chambre, alias le soldat du camion.

- Qu'est-ce que tu fais là ? je m'étonne en me redressant avec mes bras.

Il pose un plateau déjeuner sur mon lit et referme la porte.

- Quand tu auras fini de manger c'est moi qui dois t'emmener sur le toit, m'informe-t-il en s'asseyant familièrement sur un coin de mon lit, sans oublier de pousser toutes les plumes avec ses pieds en dessous.

- Heu... j'ai bien entendu le toit ?

Pourquoi ne pas me ramener en camion comme hier ?

- Un hélicoptère vous attend, toi et Breeven, m'explique-t-il en plaçant ses mains derrière sa tête tout en se collant dos au mur.

- Pourquoi pas le camion ?

- Pourquoi pas l'hélicoptère ?

Je lève les yeux au ciel.

- Ne te fous pas de moi...

- OK. Ils ont besoin d'un moyen de transport à grande vitesse.

Je pense qu'il est décidé à ne rien dire de plus. D'humeur boudeuse, je porte mes yeux sur le plateau et remarque que la nourriture n'a pas l'air comestible. Mon visage fait une grimace de dégoût.

- Ouais, c'est pas terrible leur cuisine, commente-t-il en rigolant.

Je prends du bout des doigts une sorte de pâte qui ressemble un peu à un pancake.

- Je pense que tu dois quand même prendre des forces, même si ce n'est pas bon, dit-il en prenant un petit bout de mon pancake.

Il le lance habilement dans sa bouche comme un raisin.

- OK vraiment pas bon, corrige-t-il en faisant une grimace.

Je ris, il fait de même. Je me rends compte que je parle tranquillement à un inconnu comme s'il est mon ami. Je pense que c'est la moindre des choses de lui demander son nom.

- Tu t'appelles comment ? je lui demande.

- Ah oui désolé. J'avais oublié de te le dire. C'est vrai que je n'ai pas eu l'occasion de me présenter. Je m'appelle Carson Brosman.

Il me tend sa main droite. Je fais semblant de prendre un air sérieux et lui serre la main.

- Enchantée, lui dis-je.

J'ai quand même d'autres questions à lui poser.

- Maintenant mange. On doit partir dans une heure, m'informe-t-il en poussant le plateau vers moi.

Je ronchonne en observant le verre d'eau en guise de boisson. A contre coeur, je le prends et le bois cul-sec.

- Tu n'as pas l'air d'être méchant alors... Que fais-tu au CNG ?

Il hésite en fixant la porte. On ne se connait que depuis hier, c'est normal qu'il se demande s'il doit me faire confiance.

- Mon père travaille ici. Il m'a dit que le groupe désire recruter plus de soldats. Alors je suis venu. Mais pas pour les mêmes raisons que les autres.

Je lève un sourcil. Pourquoi venir si ce n'est pas pour protéger Burngan et nous trimballer de bâtiment en bâtiment comme des animaux ?

- En fait, j'essaie de trouver le bon moment pour chambouler le projet du CNG, m'apprend-il.

- Et comment comptes-tu t'y prendre ? 

- Pour l'instant, je n'en ai aucune idée. J'attends un élément déclencheur.

- Comme quoi par exemple ?

- Quelque chose qui les fasse bien chier...

- La seule chose qui les énervera sera que les sélectionnés ne s'entre-tuent pas et ça, je doute qu'ils le fassent.

- Mon instinct me dicte que se sera toi qui déclenchera tout.

Je me montre du doigt, les sourcils levés. Ce garçon à dû se prendre un sérieux coup sur la tête s'il pense sincèrement que je puisse bouger les choses.

- Moi ?

- Oui.

- Et comment une pauvre fille comme moi peut y parvenir ?

- Pendant que tous les élèves faisaient dans leur froc, toi, tu te contentes de lever le doigt.

Je hausse un sourcil. Devant mon mutisme il m'explique en réponse :

- J'ai tout vu à travers les vitres depuis l'extérieur.

- J'aurai du m'en douter, je grommelle en grignotant le " pancake " en me pinçant le nez pour pas que le goût me fasse vomir.

Carson rigole de mon comportement. Bizarrement, avec lui, je ne pense pas aux heures qui vont suivre, aux morts que je vais provoquer. Je ne fais que parler à un ami avec un petit sourire qui s'effacera à coup sûr de mon visage, lorsque l'expérience commencera.

- Ce n'est pas toi qui le mange, alors fais preuve de compassion s'il-te-plait.

- Je suis désolé, s'excuse-t-il sans me convaincre qu'il le pense vraiment.

- Et revenons à la conversation de base. En quoi cela m'a différencié des autres quand j'ai levé un simple doigt ? je lui demande très curieuse de connaître la réponse.

- Tu as réfléchis.

- Heu... tu peux développer ?

Je ne comprends pas où il veut en venir. Tourner autour du pot ne m'aide pas non plus à comprendre. Qu'est-ce que j'aimerai bien lire dans la tête des autres...

- Pendant que les élèves se morfondaient sur leur sort. Toi, tu cherchais les options qui te restaient.

Pffff. Tu parles d'une option! Il n'y en avait qu'une: accepter la situation et faire ce qu'on te demande. En gros, rien en ma faveur.

Voulant en savoir plus, je lui demande:

- Et ça fait quoi d'important ?

- Dans une situation déstabilisante, tu sauras quoi faire pour te sortir de tous les problèmes.

Je repense à hier soir, quand j'ai engueulé mon matelas, puis que l'on m'a également remis en place. L'argument de Carson n'est pas valable sur toutes les situations.

- J'espère ne pas être un poids qui freinera mon binôme. Je ne sais même pas avec quoi je vais devoir me battre.

- Un arc et des flèches peut-être...

Je suis ébahie par ces paroles. Lui aussi pense la même chose que moi.

- Dis-moi que je ne suis pas la seule à être persuadée que Burngan s'est inspiré d'Hunger Games, je le supplie.

- Effectivement, tu n'es pas la seule.

- Merci, grâce à toi je me sens moins folle.

Il exprime un large sourire.

- C'était un plaisir mademoiselle.

Il regarde sa montre et grimace d'un air contrit.

- Quoi ? dis-je étonné.

- C'est l'heure de partir, m'informe-t-il en tournant son regard vers moi. J'espère qu'on se reverra.

Il a l'air d'être quelqu'un de bien. Ce ne serait pas de refus de le revoir.

- Moi aussi, lui dis-je.

Je me lève avec une détermination qui étonne Carson.

- Dis-moi ton secret pour ne pas être stressée, me demande-t-il, épaté.

- Je ne pense pas, je réponds. Enfin... j'essaie de ne pas penser à ce qui suit. Sinon je vais péter un câble.

Il me fixe sans ciller.

- Quoi encore ? j'articule, agacée.

- Tu devrais avoir peur...

- Alors profite de me voir comme ça, parce que ça ne va peut-être pas durer.

Je lui tends mes mains. Il arbore un regard interrogateur.

- Mes menottes, je lui rappelle.

- Ah oui mince, jure-t-il en se redressant précipitamment.

Il me retourne et place les menottes.

- N'oublie pas le bandeau aussi, je lui dicte.

Faut tout dire aux mecs...

Je lève les yeux au ciel.

- A vos ordres, ironise-t-il en nouant le tissu autour de mes yeux.

Je quitte ma petite chambre si silencieuse, qui me promettait le calme avant la tempête. Nos pas font échos dans les couloirs vides. Curieusement, je n'ai jamais discerné d'autres personnes les arpenter depuis ma venue dans ce bâtiment. A croire que seul les sélectionnés et les gardiens ont dormis ici.

Nous nous arrêtons après quelques mètres.

-  Escaliers ou ascenseur ? me demande Carson.

En effet, l'ascenseur me permettrait de ne pas puiser dans mes forces. Mais les escaliers m'aideront à penser à autre chose qu'à ce qui m'attend, surtout si Carson doit m'aider à les monter. Que choisir ?

- Mcdo ou tacos ?

- OK, on prend les escaliers, conclu Carson.

J'acquiesce.

- On y va, dis-je pressée de pratiquer un sport.

- C'est partit.

Derrière mon dos, il pose ses mains sur mes épaules et me pousse légèrement pour me faire avancer. Il m'entraîne sur une dizaine de mètres puis m'arrête une nouvelle fois.

- Les marches débutent tout de suite, m'informe-t-il.

Je m'imagine déjà tomber des escaliers en loupant une marche. Mon corps se crispe rien que d'y penser. J'aurais dû y réfléchir avant.

Carson me sent hésiter.

- Ne t'inquiète pas je te rattraperai, dit-il comme s'il venait d'entendre ma préoccupation ce qui me fait soupirer de soulagement. En plus, on m'a ordonné de te livrer vivante et en un seul morceau.

- Dis pas de salade et aide moi à monter, je réplique en levant les yeux bandés au ciel.

- A vos ordres.

Je le sens se déplacer à ma gauche avant de s'emparer de mon bras. Lentement, nous entamons les premières marches durant lesquelles je m'efforce de bien lever mes pieds afin de ne pas me rétamer ouvertement.

Au fur et à mesure des étages, grimper devient un automatisme. Je m'oblige même à aller plus vite. Mais parfois, à vouloir aller trop vite on peut faire des erreurs.

Sans m'y préparer, mon pied droit dérape d'une marche et de tout mon poids, je tombe en avant.

Merde. Quelle blonde comme moi dévale les escaliers et meure juste avant de faire quoi que ce soit dans une expérience sanglante ?

Soudain, deux mains fermes s'agrippent fermement à ma taille et arrêtent ma descente, ma tête à quelques centimètres d'un coin d'une marche (je le sais parce que je sens le froid glacial sur la peau de mon visage se dégageant du sol) . Mon souffle se fait bruyant - il ressemble surtout à un râle pas très féminin. Carson me soulève avec aisance, comme si mes quarante et un kilos sont plus proches des vingt kilos que du cinquante.

- Ça va ? se presse-t-il de me demander.

C'est moi ou son timbre de voix est inquiet ? Ça fait un jour qu'on s'est vu et il arrive à éprouver de l'inquiétude à mon égard. Sûrement parce qu'il est obligé de me ramener en bonne santé.

La chaleur de ses doigts traverse le tissu de mon T-shirt. Le bandeau cache mes yeux mais pas mes joues sûrement rosies par le contact de Carson.

Faites qu'il ne voit pas ma tête !

Le seul homme qui ait touché cette partie de mon corps est mon père. Et encore... c'était il y a plus de dix ans pour me faire virevolter dans les airs avec mon maillot de bain deux pièces roses bonbon.

Carson se racle la gorge en me sortant de mes pensées.

- Heu oui je... je vais bien, je bégaye. Allons-y, dis-je plus sèchement en me reprenant en main.

- OK, approuve-t-il en reprenant mon bras droit.

Je me remets à gravir les étages, trois en tout. Plus je m'approche du toit, plus je m'aperçois que le petit bruit incessant soupçonné provenir d'un aspirateur appartient bien à un hélicoptère. Je ralentis le pas, en prenant conscience que se sera probablement la première et seule fois que je volerai dans cet engin. Carson le remarque peut être, car il me dit:

- Tu réussiras.

En traduction: Je survivrai.

- J'espère seulement qu'il y a un dieu là-haut qui puisse exaucer mon voeu, je réponds avec une pointe de douleur.

- J'en suis certain, assure-t-il.

Je fais un mince sourire. Il me faut être un peu plus joviale pour assister à mon premier baptême de l'air. Mais des images imaginées de potentielles futures victimes s'assemblent dans ma tête. Ma bouche s'affaisse alors en une moue de dégoût. Si je réussirai comme le dit si bien Carson, vais-je pouvoir me regarder dans un miroir sans regretter mes actes ? Certes ils auront également essayé de me tuer. Mais je m'en voudrai, car eux aussi ont une famille qui compte sur eux pour survivre. Pourtant, avec quelle violence je les tuerai ?

J'ai peur de ma future moi. Celle qui sera une sauvage impitoyable et sans coeur. Celle qui planterai sans scrupule ni doute une hache, une flèche ou un couteau dans le cou des autres.

J'inspire et expire longuement. Ce n'est sûrement pas avec cet état d'esprit là que je vais tenir la journée.

Cette fois-ci, c'est moi qui entraîne Carson jusqu'au toit. Il a dû me freiner de justesse avant que je ne me prenne un mur - chose assez gênante vu les circonstances. Comment paraître forte si ma crédibilité est au niveau 0 ?

- La porte se trouve à droite, m'informe-t-il d'une voix moqueuse.

Frustrée de ne pas paraître crédible, je me tourne vivement et avance brusquement vers la porte en question.

Je m'apprête à l'ouvrir quand je me rappelle que mes mains sont attachées l'une à l'autre. Je soupire.

J'entends la porte se débloquer et couiner. Carson s'en est chargé à ma place.

Nous nous dirigeons tout droit. Je sens mes cheveux voler autour de mon visage. Mon chouchou est malheureusement sur mon poignet gauche. Je me maudits de ne pas les avoir attaché pendant le petit déjeuner.

Carson m'aide à monter dans l'hélicoptère. Je me laisse m'avachir dans un siège, de toute façon, je ne peux pas voir les réactions des autres soldats probablement à l'intérieur.

J'entends quelqu'un s'assoir en face de moi.

- Lâchez-moi bordel ! crie une voix grave.

Instinctivement ma tête se tourne dans sa direction.

- Breeven ?

- Présent, rétorque-t-il énervé.

Je souris.

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