Chapitre 5

Adieu ma vie d'ado, bonjour le merdier.

C'est un peu le résumé de ma vie. Vu le regard de Breeven, je ne doute pas qu'il pense la même chose.

Nos paroles ont fait office de signature de contrat. Celui de nous obliger à se transformer en monstre. Nous n'avons qu'à nous en prendre à nous même. Nous avons clôturé le contrat.

- Mes amis vont vous escorter à votre voiture qui vous attend devant l'entrée. Vous serez rejoint au fur et à mesure des élections par les nouveaux sélectionnés, nous informe Burngan d'un ton qui ne mérite pas sa place à cette occasion, la bienveillance.

Breeven hoche la tête. De toute façon, nous n'avons pas le choix d'accepter.

Un homme, qui porte bien sa cicatrice au niveau de la mâchoire, se faufile dans mon dos. Il prend machinalement mes mains, qu'il réunit ensemble et les attachent à l'aide de menottes. J'aperçois une femme, qui arbore une moue de lassitude, faire de même avec mon binôme.

- Ne vous inquiétez pas, ce n'est qu'une précaution, nous rassure Burngan sereinement.

Je souris jaune. Une précaution. Y en a vraiment qui se foutent de ma poire.

On m'invite à descendre de la scène, suivie de près par Breeven. La foule n'ose pas nous regarder. Moi non plus. Cette sensation d'être pris au piège me rend vulnérable. Je suis comme une mouche collée à du scotch - mon espérance de vie diminue d'heure en heure.

- C'est au tour de la première S 2, déclare Burgan, jovial.

Arrivée dans le hall, je réussis à tourner ma tête vers la cour. Je vois avec tristesse mes amies à travers les portes vitrées. Elles me font de petits signes d'encouragement. Je lis sur leurs lèvres qu'elles m'aiment.

" Moi aussi " j'articule bien distinctement sans hausser la voix pour ne pas qu'elle déraille sous l'effet de la tristesse.

Mais le pire de tout, c'est d'entendre la bande de potes de Breeven, eux aussi de l'autre côté du verre, qui lui crient de rester en vie pour eux.

- On croit en toi, tu vas réussir cette putain d'expérience ! hurle Nathan, en agrippant d'une main sa tignasse de cheveux blond bouclés.

Sa voix est atténuée par la porte mais nous arrivons facilement à le comprendre. Oui, nous essayerons d'être vivants jusqu'au bout. Mais au point de " gagner "... Je m'imagine en haut d'un podium sur une montagne de corps, mes victimes. Devrai-je laisser le sale boulot aux autres et revenir pour le finir ? Non, je ne suis pas une lâche, une égoïste peut être mais pas une lâche.

- Merci les gars, murmure Breeven.

Mon angoisse augmente en grade. Nous allons quitter ce lieu que nous connaissons par coeur pour un autre totalement inconnu. Comment faire pour rester calme ?

La grille s'ouvre en laissant juste assez d'espace pour que l'on puisse passer. Mon regard se pose sur le parking d'en face, en espérant croiser les yeux bleus de ma mère ou les cheveux blonds de mon père. Mais qu'est-ce que j'imagine ?! Megan ! Ils ne sont pas là ! Ils ne savent rien !

Je détourne le regard et me focalise sur le plus important en ce moment. Un grand camion noir, de la taille de ceux qui transportent de la marchandise mais en plus massif et blindé, est garé en vrac devant le lycée.

On nous fait marcher plus vite. Mes jambes sont trop petites par rapport à ceux de l'homme qui me tient comme prisonnière. J'ai surtout l'impression de courir.

Nous ne nous arrêtons pas à l'arrière du camion car un soldat me porte comme une plume en me prenant par la taille et m'enfourne dans l'immense coffre. Je sais que Breeven est, lui aussi, porté car le soldat gémis de douleur en le soulevant du sol. Je sourie même si la situation de base m'oblige à faire la gueule. Chaque signe de souffrance de leur part me fera désormais rire. Ils se moquent bien de nos vies, je peux faire de même avec la leur !

Le coffre est très, même trop, spacieux. Tout le monde pourra entrer aisément dedans. Je vois que des bancs sont placés sur les côtés tout le long du camion. En résumé, le trajet sera tape-cul. Génial.

Un homme, le plus jeune que j'ai vue jusque-là, m'invite à m'assoir vers l'avant du camion pour laisser la place aux autres vers le fond.

Lorsque je pose mes fesses sur le bois, le garçon, qui semble avoir dans les dix-neuf ou vingt ans, pas plus, s'accroupit devant moi et sort un tissus noir de sa poche.

- C'est un bandeau, m'informe-t-il en réponse à mon scepticisme.

- Pourquoi ?

Je ne sais pas où on m'emmène, mais en plus je n'ai pas le droit de voir ? C'est le pompon.

- Normalement je n'ai pas le droit de te parler, m'expliqua-t-il.

Pourtant, il le fait.

Son visage montre qu'il est agacé, mais pas par moi puisque sa voix est amicale.

Il a l'air différent des autres et en plus il enfreint les règles. Alléluia !

Je jette un oeil sur le côté et remarque que Breeven est debout à attendre qu'on le place.

- Vous n'avez pas l'air d'approuver ce qu'il se passe. Je me trompe ? je conclus tout bas pour que personne à part l'homme ne m'entende.

Il ne répond pas mais son regard ne laisse aucun doute. Au moins il y a une personne compatissante. Sa main passe nerveusement dans ses cheveux noirs. Ses yeux bleu ciel s'égarent deux secondes dans les miens. Il semble intrigué mais il se reprend vivement.

- Écoute je vais te mettre ce bandeau autour de tes yeux. Les binômes n'ont pas le droit de discuter entre eux avant l'expérience. De toute façon, même pendant, vous ne le pourrez pas.

Je baisse les yeux. Oui. C'est vrai. Nous ne pourrons pas discuter entre nous. Les seules conversations que nous aurons seront les bruits des victimes agonisantes et des appels à l'aide. Je tremble rien que d'y penser.

Il se penche et noue le tissu derrière ma tête en faisant bien attention à ce que je ne vois pas.

- Combien j'ai de doigts ? me demande-t-il.

Comment il veut que je le sache. Je ne vois rien.

- Je ne sais pas... cinq ?

- OK. Je passe à ton binôme.

Puisque l'écran noir ne me permet pas de discerner quoi que ce soit, je m'appuie sur mon ouïe. Le bois grince juste devant. Breeven est donc assis à mes côtés. Ma respiration se fait plus calme, il est à côté, je ne suis pas seule.

Nous nous mettons à attendre la venue des autres participants.

*

- C'est bon, il ne manque personne, crie le garçon au bandeau depuis l'extérieur du camion.

Il vient de nous compter à voix haute. Quarante. Nous sommes quarante à faire le deuil de nos vies dans le noir complet. Ce nombre me sera important une fois que tout aura véritablement commencé. J'espère que Breeven a également pris en compte ce détail.

Nous avons patienté une heure de plus, depuis que mes fesses se sont posées pour la première fois sur l'inconfortable banc. Maintenant, mon derrière me supplie de m'allonger dans du coton. L'attente que les sélectionnés viennent était éternellement longue. J'ai eu tout le temps de penser à une façon théâtrale de mourir : une balle dans le ventre, je suffoque, une caméra m'enregistre pendant que je fais des adieux déchirant à ma famille. Dans la réalité, aurai-je vraiment le temps de parler ? Sûrement pas si la balle c'était logée dans mon coeur.

Mes oreilles m'informent que les portes du coffre se sont refermées. Nous serons pendant un temps indéterminé en dehors de toute civilisation. Loin de la famille, des amis. Le camion démarre en faisant trembler le coffre. Il se met à rouler d'un coup sec. Je me cramponne comme je peux sur le dossier du banc avec mes mains menottées. Bien sûr, ils ne se sont pas pris la peine d'installer des ceintures de sécurité.

Le trajet, comme je m'y attendais, est très stressant et lent. Naturellement, personne n'ouvre leur bouche, ni ne grogne. Ils savent que ce n'est pas en bougonnant que cela ira changer les choses. Le gémissement du camion comble le lourd silence m'empêchant de réfléchir correctement.

Au bout d'un moment, que j'estime être de quinze minutes, la voiture se gare et le moteur se coupe. Je n'ose pas bouger et j'entends les autres faires de même. Je ne peux que vous faire le résumé de toutes mes questions : Où sommes-nous ?

Une voix retentit dans tout le camion en réponse à ma question.

- A partir de maintenant, vous serez dirigés vers un centre médical dans lequel des infirmiers feront le point complet sur votre santé. Vous êtes obligé de passer par cette étape avant de procéder à l'expérience. Nous devons vous garder là-bas une journée complète, ce qui laisse le temps à mes coéquipiers de préparer la ville délimitée pour demain.

Les portes du fond se rouvrent en formant une secousse.

- Lève-toi, m'ordonne un homme.

Je m'exécute automatiquement, ne voulant pas recevoir une quelconque claque - on ne sait pas ce qu'ils sont capables de faire. Il me retourne, vérifie mes menottes et me pousse vers la sortie du coffre.

Cette fois si personne ne m'aide à descendre, je dois sauter. On continue à me pousser sans me demander d'attendre que les autres sortent du camion. Je perçois le changement d'atmosphère, il fait plus chaud : nous sommes rentrés dans le bâtiment.

Droite. Gauche. Droite.

Les longs couloirs se succèdent. Je suis frustrée de ne rien voir. Je ne peux me référer qu'aux directions qu'on me force à prendre. Pourquoi ne me laisse-t-il pas voir ?

" Sûrement parce qu'ils ont peur que tu te sauves avec l'itinéraire du retour en tête " me répond une petite voix dans mon crâne.

C'est bête, puisque je le connais déjà.

Mes questions deviennent de plus en plus débiles...

Une porte se claque derrière moi et une main défait le noeud du bandeau. Lorsqu'il tombe, je découvre une infirmerie, un étroit lit de patient dans un coin, un bureau en son centre et tous les instruments médicaux rangés sur des étagères à ma droite.

Une infirmière, vêtue de sa blouse blanche et de fines lunettes rectangulaires aux montures rouges, me fait signe de m'installer à son bureau devant elle. A première vue, elle a l'air sympa, son chignon et son visage concentré sont des preuves de son professionnalisme. Mais ma mère m'avait déjà dit de me méfier des apparences car elles peuvent être trompeuses.

- Quel est ton nom ? me demande-t-elle son stylo en main.

- Megan Hunter, je réponds en m'asseyant sur la chaise.

Elle le note sur une feuille.

- Très bien, approuve-t-elle. Je vais devoir te poser quelques questions à propos de ton état de santé. Tu te sens prête à répondre ?

- Oui.

- Commençons par la première. As-tu déjà contracté une grave maladie ? Comme le cancer par exemple.

Le cancer. Cela me fait penser à maman. A l'année complète à me ronger les ongles. Je secoue la tête.

- As-tu une allergie ?

- Non.

- As-tu eu un accident dans le genre fracture ou autre ? fait-elle tandis qu'elle griffonne quelques mots illisibles sur le papier.

- Jamais à part une entorse au genou gauche.

- Des problèmes de vue peut-être ?

- Aucun.

- Pratiques-tu un sport ?

- Non plus.

Mes amies font de l'équitation mais moi rien, nada. Je passe mon temps à lire et à m'occuper de ma petite soeur.

- Un membre de ta famille a-t-il eu un cancer ou une tumeur ?

La question qui tue mon moral plus qu'elle ne l'est.

- Oui, je réponds difficilement. Ma mère a eu un cancer.

- Est-il héréditaire ?

- Je ne sais pas, on ne m'a rien dit à ce propos.

- Pas de problème de coeur ?

- Rien.

Elle hoche légèrement la tête.

- D'accord. J'ai besoin de faire une prise de sang pour finaliser notre entretien.

Je déteste les piqûres. Lorsqu'elle me montre la seringue j'avais la folle envie de prendre mes jambes à mon cou.

Je hoche la tête en refoulant une envie de gerber. Mon visage doit avoir pris une teinte verdâtre pendant que l'infirmière enfonce l'aiguille dans mon avant-bras droit. Je détourne mon regard à l'autre bout de la pièce - mieux vaut ne pas voir le sang. Si ces quelques gouttes rouges me donnent le tournis, comment tenir demain avec les morts allongés dans leur mare de sang ?

- C'est bon, me rassure-t-elle. Il me reste tout de même deux - trois chose à faire et c'est fini.

A ces mots, elle braque la lumière d'une petite lampe torche dans mes yeux, puis vérifie mes oreilles. Elle me demande également d'ouvrir la bouche dans laquelle elle y insère un bâtonnet en bois. Enfin, elle me demande de soulever mon T-shirt pour écouter à l'aide de son stéthoscope mon coeur. Je frémis lorsque l'objet froid touche ma peau.

- C'est tout pour toi Megan, m'informe-t-elle.

Je baisse mon T-shirt. Elle ouvre la porte et passe sa tête dans l'entrebâillement. Une seconde après, le même soldat que tout à l'heure débarque dans la pièce et replace mon bandeau.

Et c'est reparti pour un tour !

Nous nous engouffrons dans un grand nombre de couloirs. Je ne peux vous dire dans le combientième nous nous sommes arrêtés, mais mes pieds peuvent témoigner de la souffrance due à la descente de nombreux escaliers.

- Ne bouges pas, m'ordonne le soldat.

Sa main quitte mon avant-bras. Je l'entends insérer une clé dans une serrure, puis une porte qui grince. Il me prend par le bras et me pousse pour me faire franchir la porte.

Il détache mes menottes et retire le bandeau. Une petite chambre à peine confortable succède à l'écran noir. Le lit est recouvert d'une fine couverture marron et une petite table de chevet avec la lampe qui l'accompagne est entreposée dans un coin de la pièce.

La porte claque en me faisant sursauter. Je me retourne vivement et pose ma main sur la poignée en poussant, mais la porte ne bouge pas d'un poil. La panique monte comme une cocote minute.

Pourquoi m'ont-ils enfermée ? J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? Ah, oui, que je me souvienne, tout commence demain alors ils ont trouvé le moyen de nous faire attendre jusque-là : nous garder ou plutôt nous emprisonner.

En soupirant, je me laisse glisser jusqu'au sol, mon dos soutenu par la porte. Je remonte mes genoux vers mon ventre et les entoure de mes bras. Ma tête se pose sur ces derniers.

La pièce est trop silencieuse. Je déteste ça.

Sans le vouloir, mon cerveau se remémore certains souvenir de vacances et tout ce que je ne pourrai plus jamais atteindre. Ils me manquent tous.

Je me mords l'avant-bras pour ne pas crier de douleur. Si seulement une personne de l'extérieur pouvait réagir et nous sauver ! Si seulement je pouvais avoir une nouvelle fois mon père dans mes bras !

Le reste de la matinée est interminablement long. Personne ne rentre à part le midi pour me donner un plateau qui se révèle dégueu: Choux de Bruxelles et rôti froid (Un vrai délice !) .

Cette après-midi, j'ai décidé qu'il serait mieux que je dorme plus tôt pour avoir un maximum de forces pour demain. Il n'y a que ça à faire pour l'instant.

Je m'avance vers le lit et m'installe sur ce dernier. Il grince sous mon pauvre poids.

- Oh toi, t'as pas intérêt à me traiter de grosse ! Parce que tu te trompes sur toute la ligne ! Je suis plus proche de l'anorexie que de l'explosion !

Je pointe furieusement le matelas du doigt.

- Vous allez bien derrière ? demande une voix inconnue dans le couloir en face de ma porte.

Je me fige comme une statue, prise en flagrant délit de pétage de câble sur meuble. Ma honte augmente en flèche. Je prends un coussin et le place devant ma tête déconfite. Pourtant, l'homme n'entre pas dans la pièce et se contente d'attendre une réponse de ma part.

- Heu oui oui, dis-je pas très convaincante. Il m'arrive parfois de me parler toute seule.

- Ouais, bah, je te conseille de la fermer parce que ça ne va pas être dans ton pieux que tu vas dormir mais dans ton cercueil.

Son ton est méprisant. Mon sang ne fait qu'un tour. Je m'efforce de ne pas balancer le coussin sur la porte puisqu'il n'a pas la faculté de l'exploser avec l'homme derrière. Malheureusement, mon oreiller s'est déchiré sous ma frustration. Les plumes de déversent mollement sur mes genoux. Rappelle-toi Megan, ce n'est pas aujourd'hui que tu appelles la faucheuse mais demain, alors calme toi tout de suite !

J'entends les pas de l'homme résonner au loin dans le couloir. Il est partit.

Je souffle pour me détendre. Mon énervement est si haut que je me demande comment j'arriverai à dormir.

Du revers de mes mains, je fais tomber les plumes au sol; me lève et éteint la lumière. Puis, je me couche sur ma couette devenu inconfortable depuis que le coussin à rendu l'âme.

Mes yeux se ferment et je me concentre pour rêver d'une longue et belle plage, du son des vagues s'écraser sur la rive. Je me laisse doucement bercer par les souvenirs d'enfance. A profiter de mes derniers instants d'insouciance.

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