Chapitre 19

- Serre les dents, je recommande prudemment à Breeven tandis que je m'apprête à percer la peau du bout de mon aiguille.

Je remarque que ses mains se crispent jusqu'à former des poings pendant qu'il s'appuie contre l'îlot central de la cuisine. Avec minutie, je recouds ses plaies qui, je l'espère, seront les dernières entailles de sa peau.

La vue de ses grandes coupures me rappelle parfaitement la violence de l'explosion et du choc de nos corps au sol comme de vulgaires pantins. Contrairement à moi, Breeven a eu le courage de me protéger en mettant sa vie en danger. Et ce n'est pas la première fois qu'il augmente mon espérance de vie au péril de la sienne.

Qu'ai-je fais en retour pour être quitte?

Rien.

Même pas un simple " Merci.".

J'ai l'impression de devenir de plus en plus égoïste. Valais-je vraiment la peine d'être sauvée? Et surtout pourquoi l'a-t-il fait? Suis-je devenu son amie? Ou pense-t-il que je sois une porte de sortie, le ticket gagnant de la survie ou même la seule personne qui puisse l'aider à survivre jusqu'à la fin de l'expérience? Une bombe explose et la seule chose qu'il pense à faire en une micro seconde c'est de me protéger?

Troublée par mes propres questions, je me recule jusqu'à toucher le plan de travail dans lequel est incrusté un lavabo en inox.

Il a failli mourir par ma faute. Je n'aurai surtout pas dû m'arrêter de courir. Peut-être n'aurait-il pas eu ses plaies après l'explosion? Les décisions que je prends deviennent de plus en plus irresponsables. Qu'auraient pensé mes parents s'ils avaient vu que leur fille ne peut plus réfléchir avec un minimum d'intelligence?

Ma mère m'a toujours mis en garde sur le fait qu'il y a toujours des répercutions sur chacun de nos actes. Aujourd'hui nous avons manqué de peu à le payer très cher. Nous n'aurons pas deux fois cette chance.

Il n'y a rien à espérer. La ville est imprévisible. Nous pouvons nous entraîner à lutter contre les autres sélectionnés mais nous ne pouvons prévoir les assauts meurtriers des bâtiments eux-mêmes. Nous ne pouvons désormais plus regarder seulement autour de nous, mais également au-dessus de nos têtes et sûrement sous nos pieds.

- Megan?

Sa voix me ramène à la réalité qui est tout autant effrayante que les événements d'il y a plus d'une heure. Du sang perle encore sur un petit bout de la plaie pas encore recousu. Cette remarque me fait l'effet d'un coup de pied aux fesses, je m'approche vite de lui et m'active à réunir les deux bords de la peau légèrement bronzée fraîchement coupée afin de la refermer.

- Désolée, je réfléchissais à un truc, je m'excuse en coupant le fil.

- A quel "truc"? Me demande-t-il, tandis que je colle une compresse sur les zones couturées.

Déstabilisée à cette question que je ne veux pas répondre au risque de paraître plaintive et pleurnicheuse, je lui réponds en fuyant la cuisine jusqu'au premier étage:

- Ce n'est pas important.

Me précipitant dans la chambre parentale, je donne un grand coup de pied dans des sacs disposés au sol les faisant valdinguer à l'autre bout de la pièce. Dans un excès de colère, je renverse des étagères entières de livres et d'objets provenant sûrement de voyage. Sans scrupule, tout y passe.

Je me fiche que les propriétaires de cette baraque soient furieux lorsqu'ils découvriront l'état de leurs chambres. Ils sont riches, libres de faire ce qu'ils veulent sans marcher sur le fil du rasoir en frôlant la mort qui ne cesse de nous suivre. Qu'est-ce qu'ils en ont à foutre de nos vies! Qu'est-ce qu'ils en ont à foutre de voir que nous n'aurons plus la chance de rejoindre nos familles!

Mes doigts s'agrippent au rebord d'une grande commode de bois claire et je m'accroupie, les jambes tremblantes ne pouvant plus me tenir debout. La colère se transforme en désespoir. Je n'arrive plus à réfléchir, trop de mots, de souvenirs douloureux s'agglutinent dans mon crâne. L'envie de me frapper la tête contre le meuble persiste mais je n'en fais rien. Je n'ai plus la force de me battre.

J'aimerai tellement dans ce moment-là être enlacée par mes parents et entendre leur voix encourageantes pour m'apaiser. Ils me manquent. Ma vie d'avant me manque.

J'enfonce mon poing dans ma bouche afin de m'empêcher d'hurler à en déchirer les cordes vocales. Je réussis tout de même à en sortir un petit son aigu qui devrait être atténué par les murs. Contrairement au boucant que j'ai créé qui a du s'entendre depuis l'extérieur de la maison. Mais je m'en contre fiche, je suis sérieusement entrain de craquer. C'en est trop pour moi.

Après quelques minutes dans cette position, je décide de me calmer.

Assise sur le parquet, je rampe difficilement jusqu'au mur, m'y adosse et observe le ciel à travers la grande baie vitré. Mon souffle ralentit et je croise les bras autour de mes jambes ramenés contre mon ventre pour arrêter de trembler.

Je ne me fais pas à l'idée que tout est bientôt fini. Plus rien ne sera comme avant. Je ne reverrai jamais ma famille, pas même mes amies. Tout ce dont j'ai rêvé est inapprochable. La sortie au bout du tunnel recule sans arrêt, ni prendre en compte toutes les épreuves que nous traversons juste pour espérer vivre. Je n'ai plus aucun espoir de sortir d'ici vivante. La seule condition qui me pousse à survivre est la peur de la mort mais aussi de laisser tomber Breeven qui ne mérite rien de toute cette histoire. Il mérite de voir, toucher, sentir, exprimer des émotions que seule la mort détruit.

J'entends Breeven venir s'installer à mes côtés, son épaule gauche touche la mienne et le vois observer le soleil se coucher.

Que pense-t-il en ce moment? Que nous avons échoué? Que tout a une fin et que la nôtre approche à grand pas?

Je repasse les événements depuis le début de l'expérience et jamais je n'aurai cru de tout ça puisse exister. Serait-ce un tournant décisif de notre pays qui est en train de se créer ? Sommes-nous les seuls à connaître cette expérience? Les autres pays sont-ils déjà au courant?

Si c'était le cas, je pense que ça ferai longtemps que nous aurons quitté la ville. Et les caméras nous ont bien prouvé que nous sommes surveillés de près par le CNG.

Burngan doit être bien content de nous voir affaiblie mentalement, toujours aux aguets au moindre bruit suspect. Lui ne risque rien derrière son écran. Qu'il vienne ici voir si lui tiendra aussi longtemps que nous! Mais est-il le seul à voir les images? Ma famille regarde-t-elle toute les horreurs que nous avons créées? Vont-ils me pardonner?

D'un coup je ne ressens plus rien. Mon esprit est vidé de toutes émotions. Remarque... Je les ai tous extériorisés depuis que j'ai passé le pas de la grille du lycée pour la dernière fois.

Breeven ne bouge pas. Il fait sûrement comme moi, à se morfondre sur notre destin trop bien dessiné au marqueur. Nous ne pouvons pas le gommer. En survivant au maximum, nous essayons de mettre du blanc pour masquer les dégâts et ce qui nous attend inexorablement. Mais jamais nous ne pourrons l'effacer.

- Aujourd'hui, je devais aller chercher ma petite soeur à la sortie de son école, je commence en rompant le silence.

Je sens le regard de Breeven se poser sur moi. Il doit me prendre pour une folle à parler d'une chose banale, pratiquement insignifiante pour lui. Pourtant, il ne dit rien et je le vois se contenter d'arborer une expression peiné. Au point où on en est, je me fiche qu'il me prenne pour une faible puisqu'il y a une chance que rien de ce que je dirai ne sortira de cette villa.

Je repose l'arrière de ma tête contre le mur et reprends :

- Je m'occupe beaucoup d'elle en complétant généralement les responsabilités que mes parents ne peuvent avoir, trop sollicités par leur travail. Comme tous les jours, elle attend ma venue devant la grille de son école. Et comme tous les jours, je lui donne un pain au chocolat et nous allons nous installer sur un banc dans un parc à côté. Elle me parlait de ses amies, de ses amoureux. Elle me demandait également si un jour, j'en ramènerai un à la maison.

Je me mets à rire à ce souvenir. Mon binôme ne dit pas un mot et se contente de m'écouter attentivement.

- A la maison, je l'aidais à faire ses devoirs parce que ma mère s'apprête à partir à l'hôpital. Elle ne revient que le matin. Puis, je lui faisais à manger avant de lui prendre sa douche. Je la laissais jouer pendant que j'essayais de faire mes devoirs. Avant de dormir, elle me suppliait de lui lire son livre préféré: La reine des neiges. Enfin, mon père rentre de son travail et nous fait un bisou sur le front pour clôturer une journée terminée.

Je me tourne vers Breeven pour m'assurer qu'il m'écoute toujours après ce monologue qui ne l'intéresse sûrement pas. Mais contrairement à ce que je pensais, il me regarde d'un air compatissant.

- Même si à l'entente de ma vie ça n'a pas l'air très réjouissant. J'aime tout de même cette vie. J'étais en sécurité. Je commençais à chercher vers quel domaine de travail je me tournerai pour mes voeux de l'année prochaine. Et depuis que tu m'as dit avoir vu ma mère... j'ai peur. J'ai peur de réaliser que ma famille n'est plus en sécurité. Qu'ils ne sont pas partit loin d'ici comme je l'avais pensé.

Mes yeux commencent à s'embuer et je les ferme pour retenir les larmes. Je sens une main se poser sur la mienne. Instinctivement, par besoin de réconfort, je serre la sienne et nous restons silencieux pendant un bon moment.

Je fini alors par lui dire :

- Merci. Merci de me supporter. Merci de m'avoir sauvé la vie en mettant la tienne en danger. Merci d'avoir accepté de rester avec moi alors que tu aurais pu partir du dôme dès le premier jour. Et à côté de toi je n'ai rien fait. Je t'ai mentit et je nous ai mis en danger sans réfléchir aux conséquences.

- Tu n'as pas à me remercier Megan, me dit-il pour la première fois. N'oublie pas que, toi aussi, tu as sauvé plusieurs fois ma vie et tu m'as également protégé contre moi-même.

Je fronce les sourcils. Que veut-il dire par là? Certes, je nous ai sauvés de quelques problèmes. Mais de quelle protection me parle-t-il?

En me voyant perdue, il m'explique:

- J'ai trouvé ton gilet troué et plein de débris derrière un pot de fleurs dans l'une des chambres d'amis.

Je ferme les yeux en grimaçant. Mince! Il ne devait pas le savoir. C'était la meilleure cachette que j'avais choisi.

- Tu avais bien fait de m'interdire de venir avec toi, m'affirme-t-il en souriant. Effectivement, je risquais de nous mettre en danger puisque je ne savais pas viser avec un flingue. Alors, quand j'ai entendu des coups de feu au loin, j'ai tout de suite su que tu étais là-bas. C'est pour ça que je t'avais posé la question d'ailleurs.

Mal à l'aise qu'il ait découvert mon mensonge, je bégaie avant je réussir à formuler une phrase potable :

- Je suis désolée de ne pas te l'avoir dit plus tôt. Ni d'avoir été franche avec toi. Je pensais avoir bien fait pour que tu puisses me laisser sortir dehors.

- Je ne t'en veux pas. A ta place j'aurai fait la même, m'assure-t-il en soulevant devant ses yeux ma main dans la sienne.

Une idée me traverse l'esprit, mais je ne sais pas si c'est le moment d'en parler maintenant. Voyant Breeven paisible, je me jette à l'eau en retirant doucement ma main de sa paume.

- J'ai l'impression que cette situation t'affecte moins que moi.

La mine soudain sérieuse, il me jette un petit regard.

- Vraiment?

Je hoche légèrement la tête.

- On peut dire que frôler plusieurs fois la mort peut changer un Homme, commence-t-il.

Je soupire. En effet, ça la rendu plus sérieux et moi plus sur mes gardes.

- Et puis... Je veux absolument qu'on sorte du dôme vivant, ajoute-t-il en reportant son regard vers l'extérieur. Je suis certain qu'on trouvera une solution.

Il n'y a que lui qui a encore de l'espoir. Parfois je me demande comment il peut trouver la force d'être encore optimiste.

Mes yeux se baissent et je joue machinalement avec le bas de mon T-shirt.

- Mais d'abord si on veut survivre, on ne doit avoir pitié pour personne.

- Tuer des innocents, je murmure.

- Oui mais on a plus le choix. On ne peut plus les éviter éternellement. Ils font comme nous, ils se cachent et attendent qu'on vienne à eux parce qu'ils n'ont pas le courage de le faire eux-mêmes. Alors c'est ce qu'on fera. Nous allons les éliminer un à un pour sauver notre peau.

Un long silence suit son petit monologue pendant lequel je m'imagine toutes les horreurs que nous créerons. Nous n'avons pas fini de souffrir, si nous sortons d'ici je doute que notre sommeil sera paisible.

- Tu penses qu'on y arrivera? Je lui demande, peu sereine.

- J'en suis sûr, affirme Breeven. Il le faut.

Sur ses mots, nous nous remettons à contempler le coucher du soleil au-dessus des toits. J'espère qu'Elodie et Marine l'observent également. Que m'ont-elles dit déjà?

Tu vas survivre.

Eh bien... Je pense qu'il est temps pour moi de me remettre au lancer de couteau. Quelque chose me dit que demain ne sera pas comme les autres.

***

Un nouveau chapitre enfin terminé! Je commençais à me demander, quand est-ce que je réussirai à le publier? Comme vous l'avez lu, ce chapitre ne contient pas beaucoup d'action, je voulais l'écrire en ma basant essentiellement sur les sentiments de mes personnages en croisant les doigts pour que ça soit assez réussit. J'espère que ce chapitre vous a plu. Et je vous souhaite: Joyeux Noël !!! ( en retard XD)

A bientôt!

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