Chapitre 15
Rue Victor Hugo. Rue Victor Hugo. Rue Victor Hugo.
Je me répète mentalement le nom de cette rue depuis cinq bonnes minutes. Il serait bête de ne plus se rappeler où se trouve la villa, parce que Breeven ne pourra pas sortir pour venir me chercher. Je le lui ai ordonné de ne pas le faire. J'espère sincèrement qu'il m'a écouté.
Il commence à faire froid. Je m'étonne d'avoir la chair de poule alors que nous sommes bientôt au mois de Juin. Heureusement pour moi, j'avais attaché mon gilet noir autour de ma taille. Je m'arrête, l'enfile rapidement en mettant ma capuche sur la tête pour cacher un maximum mon visage et me remet en marche.
Cette après-midi, personne ne semble vouloir se battre. Quelle chance moi aussi! Ils sont probablement cloîtrés dans leurs maisons et en pleine sieste. Ce qui me permettra de passer un peu plus inaperçue lorsque je traverserai les rues, pas loin de leur cachette.
Dix minutes plus tard, je retrouve enfin le premier mur transparent. Il va donc être mon point de départ.
Je me retourne et balaie les environs de mon regard. Toujours personne en vue. Tant mieux. Je vais devoir éviter de rester figée au milieu des rues pour ne pas risquer d'être découverte.
- Aller au boulot, je murmure pour m'encourager.
Je me faufile à travers les ruelles en faisant le moins de bruit possible. De mes pieds, je shoote dans le ballon en l'envoyant au plus loin de ma position.
C'est à ce moment que je me rends compte qu'être seule n'est pas la meilleure idée qui soit. Garder mon objectif de trouver les délimitations et de voir en même temps si je ne suis pas repérée toutes les trente secondes me rend parano. Savoir que la moindre erreur peut m'être fatale me stresse. Pourtant, je ne pouvais pas emmener Breeven avec moi. Il ne peut pas nous protéger si un adversaire est loin de nous. Il est plus en sécurité à la maison ce qui me soulage, un peu.
Je continue à avancer et tourne directement à droite dans une petite rue à côté de l'artère principale de la ville. Le silence est toujours autant pesant à un tel point que je me demande s'il y a encore des sélectionnés vivants. Mais s'il n'y a plus personne l'expérience aurait été terminée. Et une petite voix me dit que nous sommes loin d'avoir fini. Très loin.
Je fais quelques pas jusqu'à ce que le ballon rebondisse dans le vide. Ok. Premier mur de l'après-midi détecté. J'observe pendant plusieurs secondes la position précise du mur par rapport à la longueur de la ruelle.
Après être sûre de me rappeler de la localisation de la frontière, je me retourne, sors de la ruelle et reprends mes recherches.
Les mûrs invisibles trouvés s'accumulent dans ma tête au fil de mon avancé dans la ville. J'en suis à ma septième trouvaille lorsque mes yeux se posent sur une horloge à travers la vitre d'une maison.
16h30
Le temps de vite rentrer à la villa, il sera dix-sept heures trente. Je décide donc de faire demi-tour en visualisant les emplacements de chaque mur.
Je saisis le ballon et longe les rues en me rapelant parfaitement du trajet inverse. J'ai donc passé trois heures à l'extérieur, seule et toujours vivante. Je me demande bien ce qu'a fait Breeven pendant tout ce temps...
Il me reste encore 500 mètres à faire, lorsque je les aperçois. Une fille que j'avais vue à la cantine et un garçon, plus grand et trapu qu'elle, encore inconnu. Ils viennent tout juste de sortir d'une intersection. Je me retiens de gémir de frustration quand mes yeux m'informent qu'ils sont également armés jusqu'aux dents.
A la vue de leurs silhouettes se promenant au beau milieu de la rue, je me cache instinctivement derrière une grande poubelle à carton. Je ne pense pas qu'ils ont eu le temps de me repérer. A part s'ils pointent peut-être discrètement leurs armes sur ma cachette, sans que je le sache.
En étant à plus discrète possible, je jette un coup d'oeil rapide dans leur direction. Ils ont l'air paisible et ils discutent face à face, sereinement. Ce qui veut dire qu'ils ne m'ont effectivement pas vue. Ouf ! Ça va être plus facile.
Je m'accroupie et vise la tête de la fille. Sous mes yeux ébahis, elle se met sur la pointe des pieds et embrasse le garçon. Bouche bée, je dévie mon arme de leur direction.
Je ne peux pas les tuer.
Toutes mes autres victimes étaient les premiers à tirer. Mon seul moyen de défense était de les éliminer. Ce n'est que de la légitime défense, rien d'autre. Je ne veux pas faire ça: à profiter de leur faible position. Mais ils ne m'ont pas vue. Ce n'est pas égal. Je ne souhaite tout de même pas me dévoiler de ma cachette, c'est trop risqué. Et puis, il y a trop d'amour à l'horizon.
Je me retourne et m'assois en tailleur. Aujourd'hui je ne les tue pas. Je préfère faire comme la fille gothique dont je ne connais pas le nom et continuer ma route. Et qui me dit qu'ils ne viennent pas de sortir ensemble ? Laissons-les en couple pendant au moins un jour !
Bon, par contre j'aurais un peu de mal à être transparente si je longe la rue en passant à côté d'eux. Mais je suis obligée d'utiliser cette route pour rentrer à la maison. Je ne veux surtout pas faire une énorme boucle pour les fuir. Et il n'y a pas non plus de raccourci à ma disposition. Je n'ai pas le choix. Je dois absolument traverser cette putain route sur laquelle repose le binôme ennemi. J'en ai de la chance !
Je laisse aller ma tête contre le plastique gris de la poubelle et ferme les yeux afin d'attendre qu'une idée géniale m'apparaisse, telle une révélation divine. Mon cerveau a intérêt à se mettre en route rapidement, parce que mourir de faim cachée derrière une poubelle n'est franchement pas la meilleure des fins.
Je respire profondément et me concentre.
Au bout de quelques secondes, deux solutions s'offrent à moi:
- Petit un, continuer à avancer.
- Petit deux, tracer mon chemin mais pas sur la route.
Je me retourne et observe la rangée de maisons sans étages collées les unes aux autres.
Sur le toit.
Bon, ce n'est pas non plus une idée de génie. Malheureusement, il n'y en avait pas d'autres en rayons.
Un véritable dilemme se construit dans ma tête. Faut-il que je trace ma route au péril de ma vie ou dois-je faire comme les chats de gouttière en me promenant sur les toits avec le risque d'une chute mortelle ?
Eh bien...
*
Ça va, ce n'est pas très haut ! Ya pire comme altitude ! Heureusement que je n'ai pas le vertige. Je vais pouvoir passer inaperçue sans problème. Mon plan va marcher comme sur des roulettes.
Accroupie sur un pan du toit côté jardin et non côté route (Je ne veux pas prendre le risque que le petit couple me voit perchée à quatre mètres de hauteur. Très peu pour moi !), je continue mon petit bonhomme de chemin en faisant attention à ce que ma tête ne dépasse pas du faitage de la toiture. Le peu de lumière, grâce aux nuages, m'aide à ne pas être trop repérable à des kilomètres.
La pente n'est, par chance, pas raide. Je suis sûre de ne pas risquer de tomber même avec le moins d'agilité possible. Je m'appuie sur les tuiles rouges avec le ballon entre mes mains et mon arme est coincée dans mon dos. A part le froid persistant, tout se passe comme je l'espérais et même mieux encore.
Cinq toits et deux fausses alertes plus tard, mon dos commence durement à s'endolorir. Je me tortille afin d'avoir une position qui me soulage de la crispation. Mais le mal ne passe toujours pas.
Tient bon, il reste encore cinq maisons à parcourir. Cinq petites maisons. Tu vas y arriver Megan. T'es la meilleure.
Qu'est-ce que je ne peux pas faire pour me mentir à moi-même !
Tout d'un coup, la douleur devient insupportable. Je déplie immédiatement mon corps et me tiens à moitié allongée sur les tuiles, les pieds en appuis juste au-dessus de la gouttière sale et les yeux mi-clos.
Je me détends et expire longuement en retirant ma capuche. Pas trop non plus, je me fais violence pour ne pas faire de sieste, bercée par la douce fraîcheur atmosphérique.
En une fraction de seconde, mes yeux m'informent d'un mouvement vif en dessous de ma position. Ce n'est pas le vent, ni un animal; je n'en avais détecté aucun. Il n'y a qu'une chose qui explique ce mouvement et ça, c'est un très mauvais signe.
Avec une lenteur d'escargot, j'ouvre mes paupières et découvre un problème de taille.
Deux garçons, sans un gramme de muscle, me toisent avec un grand étonnement que je partage entièrement. Je crois que je n'ai jamais eu autant la poisse qu'aujourd'hui.
Je croise les doigts avant de voir s'il leur reste peu de munitions.
Dans leurs mains, une mitraillette.
Dans les miennes, un ballon vert en mousse.
En gros, rien n'est à mon avantage. J'espère seulement ne pas finir trouée comme du gruyère.
Je ne peux pas avoir un après-midi tranquille ! C'est trop demandé ?
Ils me regardent avec des yeux ronds. Je les regarde de la même manière. En fait, je pense que nous ne nous attendions pas à voir des adversaires dans ces circonstances-là. Eux dans le jardin et moi sur le toit. Mais oui ! C'est tellement banal de se promener sur les maisons !
Soudain, le garçon au sweat rouge se réveille et me vise. Surprise de le voir s'animer aussi vite, je me recule instinctivement et levant les bras. Je tourne ma tête à droite et observe la rue dans mon dos.
Je réussis à voir que l'autre couple vient tout juste de me repérer. Et merde.
Pourquoi s'acharne-t-on sur moi de cette façon?
Et aussi, pourquoi la vie ?
La cheminée, qui est à côté de moi, explose violemment tandis que je me recroqueville automatiquement pour me protéger des débris. Un bout de brique percute, sans scrupule, mon bras gauche et ma blessure encore fraîche d'hier. Je crie de douleur.
Comment sortir vivante de là ?
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