Chapitre 35
Le cœur battant et toute tremblante de la tête aux pieds, je me dirige vers le théâtre pour la répétition générale, tout en tenant la main d'Andy. Première répétition depuis ma réconciliation avec Theo, mais aussi dernière répétition. Je suis presque calme jusqu'au moment où je l'aperçois. Il est loin et pourtant il est le seul que je vois. Et là je ressens un coup de poignard dans mon cœur. Je vois son visage se décomposer face à Andy qui se tient près de moi et face à mon regard fuyant. Il est blessé, se sent trahi. Je lui ai brisé le cœur. J'ai accouru vers lui cette nuit-là, ai accepté ses avances et me voilà à m'afficher devant lui avec un autre, comme si rien ne s'était passé.
J'aimerais tant courir vers lui et lui raconter le plan incompréhensible qu'a manigancé Andy, seulement je lui dois au moins ça après la trahison que je lui ai fait. Et d'ailleurs, suis-je réellement prête à donner une chance à ma relation avec Theo ? Même si je ne crois plus au couple que je pourrais former avec le beau brun, qu'en est-il du couple que je pourrais former avec mon meilleur ami ? Et s'il n'était qu'un désir ? S'il ne représentait que le fruit défendu qui, une fois goûté perd de sa saveur ?
Tous les comédiens et moi rejoignons John sur la scène, où il nous donne des derniers conseils, ainsi que le programme de l'après-midi et du soir. A ma plus grande surprise, John souhaite que nous fassions la répétition sans jouer aucune émotion. Il veut simplement que nous soyons en costume, fassions les déplacements et récitions notre texte. Apparemment cela rendra le spectacle d'autant plus riche en émotion. Je n'ai jamais entendu parler de cette technique et commence à avoir peur. Et si le spectacle était un massacre ?
Alors qu'Andy écoute attentivement notre professeur, je vois Theo qui me dévisage, le visage meurtri. Pourquoi ai-je accepté ce deal avec Andy si cela impliquait de faire souffrir celui qui a toujours été au premier plan dans mon cœur ? La culpabilité. J'ai toujours su que Theo représentait un danger pour moi. C'est ce qu'en avait conclu ma thérapie post tentative de suicide. J'avais compris qu'avec Theo j'étais totalement insouciante et irréfléchie, alors que sans lui j'étais bien plus raisonnable et éclairée. J'ai toujours été enchaînée à lui lorsqu'il était dans les environs. Perdant ainsi toute ma liberté. Cela dure depuis que nous nous connaissons, et son départ a été la preuve que rien ne le liait à moi à l'époque.
Après m'être changée avec les autres dans la salle de costumes, c'est stressée que je fais mon entrée sur scène. Stressée comme je ne l'ai jamais été. Pourtant il n'y a que John qui nous regarde jouer. En réalité je redoute les scènes jouées avec Theo. Je redoute le moment où je vais devoir me tenir devant lui, près de lui. Je redoute de l'entendre me prononcer les paroles de Romeo mais d'autant plus de le voir poser ses lèvres sur les miennes, mais cela me permettra peut-être de prendre une décision.
Finalement la méthode de notre professeur de théâtre ne permet aucun réel contact entre Theo et moi. Mon Romeo m'embrasse si brièvement que je me souviens à peine de la sensation. Je ne crois même pas qu'il y a eu un réel contact. Rassurés nous constatons que nous connaissons tous nos scènes sur le bout des doigts, lorsque la pièce touche à sa fin, Andy s'éclipse vite, ayant apparemment une urgence. Je décide alors qu'il est temps que je face le point avec Theo.
Nous sommes seuls, silencieux dans le jardin là où je l'ai revu pour la première fois depuis son départ, et j'ai l'impression que c'était il y a une éternité que je fuyais son regard et pestais de colère contre lui. Aujourd'hui je n'ai plus aucune colère envers lui, mais celle-ci s'est dirigée envers moi.
— Au fond je me doutais que cela allait se passer ainsi, commence-t-il.
Je tourne ma tête vers lui, sans comprendre. Je me suis pourtant livrée à lui comme je ne l'ai jamais fait à personne avant, comment aurait-il pu savoir que je ne nous laisserais pas de chance ? Comme s'il devinait mes questions, mon meilleur ami s'explique.
— Tu ne m'as pas répondu lorsque je t'ai dit que je t'aimais.
Mon cœur loupe un battement. C'est pourtant vrai, il m'a chuchoté pendant que nous étions couchés qu'il m'aimait et à aucune seconde je n'ai ressenti le besoin de lui répondre. Que ce soit par l'affirmative ou la négative. Je me suis simplement contentée de réfléchir à ce que cela signifiait, impliquait... Peut-être que mon attachement pour lui ne résulte que de mon attirance et des souvenirs que nous avons en commun. Ainsi lui serait amoureux et moi non.
— Je suis désolée...murmuré-je.
Il secoue la tête comme pour signifier que je n'ai pas à l'être. Et pourtant je le suis. J'ai l'impression d'avoir raté ma chance. Que tout était là pour me combler mais que je n'ai pas su remettre en ordre le puzzle, qui restera à jamais inachevé. J'ai aimé Theo alors que lui ne partageait pas mes sentiments. Et maintenant la situation s'est inversée. J'ai du mal à réaliser ceci. Suffirait-il que je sois amoureuse de lui pour résoudre tous les problèmes entre nous ?
Les larmes aux yeux je décide alors de m'isoler dans la salle de costume. Une fois la porte fermée je me mets à pleurer toutes les larmes de mon corps. Je laisse les sanglots m'envahir et m'empêcher de respirer. Je l'ai bien mérité. Je suis incapable de me décider. J'ai si peur de mettre le doigt sur ce que je ressens car j'ai peur de ce que cela pourrait impliquer. Et si Theo n'était qu'un fantasme ?
Au bout d'un certain temps, quelques comédiens sont alors venus me rejoindre pour se changer, me confiant que les premiers spectateurs étaient arrivés, accélérant à vitesse exponentielle les battements de mon cœur. Je ressens comme une espèce de boule au ventre. A cette seconde-même, j'aurais envie de tout arrêter. Je voudrais pouvoir directement arriver au moment des applaudissements, sans passer par la case spectacle. C'est malheureusement impossible.
Je tente de m'isoler du reste du groupe avant que cela commence et me prépare pour mon entrée. J'ai l'impression tout à coup de ne plus connaitre mon texte, comme s'il s'était évaporé mon esprit miraculeusement.
Voici arriver le grand moment : celui de mon entrée. J'effectue ma première scène, au début stressée puis je commence à me relaxer lorsque je constate que je connais mon texte à la perfection. En réalité, le moment le plus délicat sera la première scène que j'aurai avec Theo. Celle du baiser. Des baisers. Je soupire. Lors de la répétition il n'a pas touché mes lèvres mais qu'en sera-t-il de cette fois ? Comment réagirai-je ? Il faut que j'arrête, je ne dois pas laisser Carrie prendre le dessus sur mes pensées. Je suis Juliette. Je ne suis ni Carrie, ni Kiara. Seulement Juliette. C'est dans cette optique que je continue à faire mes allers-venues sur scène. Je ne m'autorise aucune pensée. Pas même lors de notre passage excellent, lorsque nous faisons un premier baiser magistral. C'est avec malice que je provoque mon Romeo afin qu'il m'embrasse, et c'est follement amoureuse de celui-ci que je bois le poison qui cause ma perte.
Nous avons réussi. J'ai réussi. Les applaudissements m'assourdissent, je n'entends plus que cela. C'est mon moment de gloire, ce que j'ai toujours attendu, je devrais être comblée, mais pourquoi je sens alors qu'il manque quelque chose ? Je salue encore une dernière fois le public avant de rejoindre la troupe au centre de la scène. En ne laissant que Juliette posséder mon corps lors de la pièce, j'ai enfin compris.
Pourquoi je ne comprends que maintenant qu'il n'y avait que lui ? Qu'il est la clé de mon bonheur ? Ce trou, ce vide intérieur, que je voulais combler par le théâtre, n'était-ce qu'une parade ? A cette seconde même j'en suis sûre. Je cours tête baissée m'enfermer dans la salle de costume. Je m'accroupis dans l'angle du mur tout en sortant mon smartphone pour lui écrire ce message qui me ronge. Que puis-je lui envoyer maintenant que c'est trop tard ? « J'ai enfin ouvert les yeux pardonnes-moi » ? Non, je ne peux tout de même pas mettre ceci même si ce n'était que la vérité. Je me décide finalement à lui demander de me rejoindre. Pourquoi le ferait-il après ce que je lui ai fait ? Je ne peux tout de même pas lui balancer en pleine face un aveu du type « Surprise : Je t'aime ! », qui représente en réalité toute ma pensée depuis des jours. Je finis par lui écrire la dernière partie de cette phrase. Une simple déclaration pouvant en une seconde, je l'espère, changer la donne. Comprendra-t-il que je suis sincère, cette fois-ci ?
Theo m'a dit qu'il m'aimait, et je n'ai su lui répondre. Non pas car c'était faux mais parce que c'était une surprise pour moi. Après tout ce qu'il s'est passé je n'arrivais pas à me faire à l'idée qu'il n'y a que lui qui est capable de me rendre heureuse. Je pensais trouver le bonheur en faisant du théâtre mais en réalité c'est sa présence qui me comble. Jouer sans lui n'aurait aucun intérêt.
La porte s'ouvre en une trombe et se referme aussitôt. Il est là devant moi et je ne peux me détacher de son regard vert magnifique. Il porte ses habits de Romeo mais je reconnais son air malicieux qui ne le quitte jamais. Sa présence fait l'effet d'une énorme vague de chaleur dans la pièce et je ne peux effacer ce sourire qui s'esquisse sur ma face. Il s'approche de moi doucement, sans prononcer un mot et pose sa main sur mon menton tout en m'observant. Son visage est très proche du mien et je peux sentir son souffle chaud et agréable qui me chatouille l'oreille.
— Tu me le promets ? me chuchote-t-il.
J'acquiesce d'un hochement de tête. Cette immense confiance qu'il a envers moi me frappe. Comment peut-il me croire après tout ce que je lui ai fait endurer ? Mais au fond, entre nous c'est une évidence. Il a toujours su que je l'aimais et il sait que je viens seulement de le réaliser.
Sa bouche se rapproche dangereusement de la mienne et nos respirations deviennent saccadées simultanément. Quand va-t-il enfin se décider à m'embrasser ? Au contact de ses lèvres, je ressens comme à chaque fois cette décharge électrique si agréable qui cette fois-ci est encore plus intense. Je me sens enfin libérée de ce poids qui me pèse depuis plusieurs mois maintenant. Tous ces mensonges doivent prendre fin, maintenant et en sa présence. Je l'aime et je l'ai toujours aimé. Au fond peut-être que lui aussi m'a toujours aimé, et ce même lorsque nous étions chez nous. Mais aujourd'hui et maintenant nous le savons.
La respiration haletante, je sens sa main descendre de mon dos à mon postérieur. Je lui retire à bout de bras son tee-shirt afin de me blottir contre son torse musclé si rassurant. Il remonte finalement sa main afin d'ouvrir la fermeture éclair dans mon dos, le contact de ses doigts est enivrant tout comme cette proximité de son buste contre moi. Il s'apprête à m'enlever cette robe qui n'est à présent qu'un obstacle entre nous, mais la porte s'ouvre précipitamment et j'aperçois ce regard que je connais si bien me dévisageant d'un air à la fois surpris et accusateur.
*********************************************************************
J'avais au départ publié un prologue dans lequel Carrie réalisait l'évidence de son amour pour un garçon... J'ai finalement décidé de ne pas le mettre en prologue mais voici donc le passage, que je n'ai quasiment pas modifié, n'ayant fait qu'étoffer le tout.
Qu'en pensez-vous ?
Ceci est le dernier chapitre avant l'épilogue, c'est la dernière ligne droite ! 😉
Bises,
Coralie ♥
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top