Chapitre 15
— Allez en place ! ordonne John d'une voix forte stoppant le brouhaha général.
Tous les comédiens se rendent dans les coulisses afin de se préparer pour le filage qui va suivre et je suis monstrueusement stressée. C'est la première fois que nous nous retrouvons tous pour jouer la pièce complète et ce devant un grand nombre de personnes hautes placées. Je me rassure à l'idée qu'Andy est parmi nous. En effet, il a finalement eu le rôle de Pâris en plus d'être la doublure de Theo, cependant je ressens un léger pincement au cœur à l'idée qu'il soit à l'arrière plan.
— Alors, tu as hâte de m'embrasser à nouveau princesse ?
Je me tourne en direction de Theo, qui me toise avec son rictus habituel, et lui inflige un coup de coude dans le ventre. Ne me débarrasserai-je jamais de lui ?
— Pas vraiment, j'ai plutôt peur que tu te fasses des idées chaque fois que cela arrivera..., je réponds pince sans rire.
Il ne retient pas et rit franchement mais je le sens troublé.
— T'inquiète pas pour moi princesse, conclut-il avant de s'éloigner.
Je le suis du regard et lorsque je détourne les yeux je remarque que Ian m'observe. Il me rejoint peu de temps après.
— Es-tu sûre de réellement le détester ? me murmure-t-il à l'oreille.
Je ne comprends pas immédiatement où il veut en venir et fronce simplement les sourcils.
— Evidement, rétorqué-je confuse.
Il hoche la tête peu convaincu et réfléchit un court instant.
— Tout ce que je te demande c'est de ne pas blesser Lise, elle est assez fragile comme ça...
Je lui adresse un fin sourire pour lui faire comprendre que je n'ai aucune mauvaise intention et m'éloigne près d'Andy, qui discute avec quelques comédiens. Que sous-entendait Ian ? Je ferais tout pour me sortit ses réflexions bizarres de la tête. Mon beau brun m'enlace de son bras et je comprends soudainement que nous formons un couple aux yeux de tous. Je pose la tête sur son épaule, émue. Je crois que je l'aime. Je le connais depuis peu mais je me sens vraiment bien avec lui, il m'apaise.
Après avoir attendu un long moment, je fais enfin mon apparition sur scène et attends, dans un coin, que vienne mon tour de parler. Theo – disons plutôt Romeo – me prend la main comme lors de notre dernière répétition et je me sens tressaillir.
— Si j'ai profané avec mon indigne main cette châsse sacrée, je suis prêt à une douce pénitence : permettez à mes lèvres, comme à deux pèlerins rougissants, d'effacer ce grossier attouchement par un tendre baiser.
Mon cœur bat si fort qu'il me fait de nouveau mal. Je devrais répondre à cette réplique seulement cela vient tardivement.
— Bon pèlerin, vous êtes trop sévère pour votre main qui n'a fait preuve en ceci que d'une respectueuse dévotion. Les saintes mêmes ont des mains que peuvent toucher les mains des pèlerins ; et cette étreinte est un pieux baiser, rétorqué-je peu convaincante.
J'ai l'impression que tous dans le public me dévisage et se moquent de moi, et je n'arrive à me concentrer tant je suis tétanisée.
— Les saintes n'ont-elles pas des lèvres, et les pèlerins aussi ?
Theodore, lui, est excellent et je me sens ridicule face à lui. Il m'adresse un sourire se voulant rassurant mais je sais pertinemment qu'il s'agit de pitié plutôt que de bienveillance.
— Oui, pèlerin, des lèvres vouées à la prière, dis-je trop rapidement.
— Oh ! Alors, chère sainte, que les lèvres fassent ce que font les mains. Elles te prient ; exauce-les, de peur que leur foi ne se change en désespoir.
— Les saintes restent immobiles, tout en exauçant les prières, murmuré-je regrettant déjà d'avoir parlé si doucement.
— Restez donc immobile, tandis que je recueillerai l'effet de ma prière.
Contrairement à la dernière fois, Theo ne tarde pas à poser ses lèvres sur les miennes et je m'étonne à être soudainement rassurée. Je voudrais prolonger le moment aussi rapidement que possible mais il s'éloigne trop rapidement. Je secoue la tête nerveusement, constatant que j'ai trop baissé ma garde.
— Vos lèvres ont effacé le péché des miennes, prononce-t-il d'une voix merveilleusement grave.
J'inspire calmement pour tenter de raisonner mes émotions. J'ai l'impression n'être plus maître de rien.
— Mes lèvres ont gardé pour elles le péché qu'elles ont pris des vôtres.
Je n'ai qu'une seule hâte, c'est de voir cette scène se finir. Plus je suis près de Theo plus je me sens prête à céder à des sentiments enfouis.
— Vous avez pris le péché de mes lèvres ? Ô reproche charmant ! Alors rendez-moi mon péché.
Theo m'attrape alors et m'embrasse fougueusement. En cette seconde qui me parait durer une éternité je ne pense plus à rien. Ma langue s'apprête à faire un impertinent passage dans la bouche de mon Romeo mais je me rappelle, terrifiée de la personne avec qui je suis en train d'échanger un baiser. Que suis-je en train de faire ?
— Vous avez l'art des...
— Cessez le massacre je vous en conjure ! j'entends soudainement prononcer John d'une voix perçante, pourriez-vous me faire le plaisir de rejouer ça de la même manière que la dernière fois ?
Theodore acquiesce tandis que moi je bouillonne de rage. Je ne me réinfligerai ce supplice pour rien au monde.
— Non, échappé-je à la surprise générale.
J'ai beau constater mon comportement de diva, je ne me vois pas céder à sa requête. Je baisse la tête afin de ne pas affronter le regard des spectateurs, ainsi que celui de Theodore.
— Si j'ai profané avec mon indigne main cette châsse sacrée, je suis prêt à une douce pénitence : permettez à mes lèvres, comme à deux pèlerins rougissants, d'effacer ce grossier attouchement par un tendre baiser, tente Theodore d'une voix douce et mélodieuse.
Un rire nerveux m'échappe. Croit-il vraiment que je vais céder ? Je lève la tête et constate enfin le regard de tous sur moi. Ils me dévisagent et me jugent, et je ne vois qu'un seul échappatoire à leur œil critique : la fuite.
— Je suis désolée je peux pas, avoué-je la voix tremblante.
Je m'apprête à partir en courant pour pouvoir me réfugier pour pleurer mais j'entends Theo me rappeler.
— Princesse ne pars pas.
Je me retourne et hausse un sourcil. Ils n'ont qu'à prendre Lise à ma place, et moi je retournerai dans mon village natal avec mon père...
— Tu n'as qu'à me regarder, ne regarde que moi. Comme la dernière fois qu'on a joué la scène et comme lorsque tu étais morte de trac lorsqu'on était jeunes, tu te souviens ? Chaque fois que tu n'arrivais pas à jouer je te demandais de me regarder dans les yeux.
Soudain je me souviens. A un filage similaire à celui-ci, et devant notre professeur de théâtre de l'époque, je suis restée tétanisée et ne pouvais réciter mon texte, que j'avais comme totalement oublié. Ainsi, Theo m'a seulement demandé de le regarder comme lorsque l'on répétait, et depuis ce jour, chaque fois que nous avons joué ensemble j'avais les yeux plongés dans les siens. Je cède alors et le regarde droit dans les yeux comme il me l'a demandé, ne trouvant d'autre échappatoire.
— On peut y aller, déclaré-je sans lâcher ses iris.
Theo me prend par la main et je sens une vague de chaleur m'envahir.
— Si j'ai profané avec mon indigne main cette châsse sacrée, je suis prêt à une douce pénitence : permettez à mes lèvres, comme à deux pèlerins rougissants, d'effacer ce grossier attouchement par un tendre baiser.
Captée par son merveilleux regard vert, je ne pense plus à rien, et étonnamment je prononce mon texte sans aucun effort, d'une voix forte et convaincante. Nos échanges se font naturellement et même lorsque nous nous embrassons je reste totalement impliquée dans mon rôle.
Je prononce enfin ma dernière parole et la suite du filage se fait sans aucune pause, seulement mes échanges sur scène avec Andy, jouant Pâris me font culpabiliser à en mourir. J'ai l'impression de l'avoir trompé. J'oublie rapidement mes tracas lorsque je retrouve Theo. Comme des années auparavant son regard m'apaise, et lors de la fin de la répétition j'éprouve une grande fierté à avoir joué toute la pièce malgré mes précédents troubles. Je quitte sereinement la scène pour rejoindre les coulisses, encore un peu sonnée.
— Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu connaissais Theo depuis longtemps ? j'entends prononcer Lise dans mon dos d'une voix tremblante.
A la seconde où j'ai aperçu son regard empli de tristesse j'ai compris que je me trouvais dans une très, très mauvaise position. En plus de m'être ridiculisée aux yeux de tous, Theo a affiché devant toute l'équipe le fait que nous nous connaissons depuis longtemps...
Soudain je comprends. Il n'a qu'une seule volonté, c'est de me nuire. Il joue avec mes sentiments gaiement en ayant cette fois-ci utilisé un souvenir qui m'était cher pour mieux me poignarder dans le dos. Quel ingrat.
Pour la première fois de ma vie je regrette réellement de l'avoir rencontré. Il m'a peut-être rendue heureuse pendant toute mon enfance et mon adolescence mais ce n'était que stratégique. Je me répète sans cesse les paroles d'Alia à propos de ce qu'elle l'accuse d'avoir commis et enfin je me fais à l'idée qu'il l'a bel et bien fait. Oui, il a bel et bien violé Jenna Smith. Et tout comme il le fait avec moi depuis toujours, il la harcèle certainement.
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