12 - Narcisse


Les sept créateurs se retrouvèrent une grande dalle de marbre non loin de la source d'eau sur la colline de l'île. Ce promontoire était surmonté de sept colonnes au style antique. Narcisse ne s'y connaissait pas en histoire, mais elles lui rappelaient les colonnes grecques ou romaines. Derrière, la source était couverte de nénuphars et de fleurs de lotus blanches. La rivière, minuscule à cet endroit, s'écoulait et se glissait le long d'une plaine qui dévalait la colline, agrandissant petit à petit le ruisseau en un grand fleuve. Plus loin, à des centaines de mètres de la rivière, une épaisse forêt d'étranges arbres se dressait, mystérieuse.

Cà et là, des arbres aux couleurs étranges et aux formes impossibles. Des buissons nuages, des acacias barbe à papa, des rochers en diamant brut. Rien de bien réel et pourtant Narcisse pouvait voir, sentir et même toucher tous ces éléments farfelus.

La Graine avait pris une ampleur qui impressionnerait presque Narcisse. Les autres avaient fait un travail non négligeable. Séquoia arborait un sourire d'enfant fier de lui, tandis que Dahlia et Iris enchaînaient les compliments envers les garçons pour leur travail. Lierre et Trèfle cognèrent les poings l'un de l'autre en signe de coopération réussie.

Narcisse n'irait pas jusqu'à les féliciter. Il se contenta donc de ne pas émettre de critique.

Toujours avec son air de premier de la classe et tête à claques, Lierre expliqua qu'ils avaient prévu cette dalle de marbre comme lieu de rencontre entre le Bureau et leur monde. Il pouvait s'agir là d'un lieu privilégié pour l'arrivée des créateurs dans la Graine. Cela leur permettait d'arriver à un point précis à chaque fois. Foutaises ! Narcisse se promit intérieurement de ne jamais suivre cette obligation et de toujours forcer sa téléportation sur un autre endroit que cette dalle. Il n'allait pas suivre ce genre de règles bidons.


Alors que le grand brun se lançait de de nouvelles explications trop longues au goût de Narcisse, ce dernier partit à toute vitesse dans la pente. Il courut à toute vitesse, bien plus vite qu'il n'aurait pu le faire dans le monde réel. L'atmosphère de la Graine le transcendait, lui apportait une force jusqu'alors endormie en lui. Il fendit l'air à toute allure, ses pieds finissant par quitter le sol pour le laisser planer dans les airs à l'image d'un majestueux rapace. Narcisse se sentait bien en cet instant. Il n'avait plus le temps de penser aux autres, à la vraie vie, à toutes ces stratégies, manipulations et coups de Trafalgar qui grouillaient en permanence en lui. C'était littéralement un nouvel envol vers d'autres horizons. Narcisse fonça vers cette rivière qu'il voyait comme une piste d'atterrissage. Ses cheveux mi-longs blonds s'agitaient furieusement avec la vitesse de sa piquée. Il avait véritablement l'air d'un ange pris d'une folie furieuse de descendre sur Terre.


Alors qu'il allait plonger dans les eaux translucides, l'air sur la rive droite du cours d'eau se mit à scintiller. Narcisse manqua de rater son entrée dans l'eau tant il fut absorbé par l'étrange brillance à côté de lui. La seconde suivante, Chêne s'était matérialisée à côté de la rivière. Narcisse fit une sorte de vrille sur lui-même pour arriver le moins maladroitement possible dans l'eau. La fraîcheur de la rivière était toute aussi revigorante que l'air, voire plus. Il avait souvenir des voix d'Iris et de Dahlia au loin qui expliquaient pendant la réunion que l'eau avait été conçue pour être le berceau de la société de la Graine. Il s'agissait d'une sorte de peuple des rivières, à ce qu'avait compris le bellâtre.


Les bras croisés. Chêne le toisait en croisant les bras. Elle avait cet air sévère des professeurs d'écoles d'un autre temps. Ses taches de rousseur qui courraient sur son long nez ne lui donnait pas l'air enfantin qu'ils auraient dû donner, tant elle avait un sérieux dans son regard. Sa frange était parfaitement lisse et barrait son front pour ajouter encore plus de sévérité sur son visage. Elle lui rappelait vaguement quelqu'un qu'il connaissait mais dont il aurait oublié le nom. Sûrement quelqu'un qui n'était pas très intéressant, sinon cela l'aurait marqué.


Ce sentiment ne lui était pourtant pas anodin et il sentait qu'il devait creuser le sujet. Qui donc pouvait-elle lui rappeler ? Rares étaient les personnes sérieuses qu'il avait rencontrées dans sa vie. Au contraire, il les fuyait. Peut-être avait-elle la présentation de ces juges ou autres magistrats qui s'étaient épuisés sur le dossier de Narcisse. Ceux et celles qui avaient promulguées des sentences, des obligations, des interdictions à l'adolescent puis le jeune adulte qu'était devenu Narcisse. Chêne avait cet air supérieur de la justice que Narcisse haïssait tant. Elle le regardait, postée sur la rive, tandis qu'il sortait de l'eau en secouant la tête. Il s'imaginait comme dans les publicités clichées pour les parfums où des Apollons sortaient de l'eau en étant les plus attirants possibles. Narcisse, en était sûr, il était aussi captivant que ces mecs-là.

- Tu ne t'arrêteras donc jamais ? persifla-t-elle.

Narcisse se fendit d'un sourire charmeur. Main dans les cheveux et yeux qui se ferment. Il agita les doigts, sourire aux lèvres. Un narcisse noir naquit alors dans sa main. Le tendit vers la brune.

- C'est bien pour cela que tu m'as choisi non ?

Question rhétorique. Il jeta la fleur à ses pieds. Chêne, après un coup d'œil accordé à ce cadeau, replongea ses yeux dans ceux de Narcisse. Quelques mouvements du bassin pour se rapprocher de la rive. Narcisse posa ses bras sur la terre ferme. Continua :

- Je pensais que tu m'avais choisi pour mon physique. Ce n'est clairement pas Séquoia et Lierre qui sont un délice pour les yeux.

Chêne soupira.

- Tu n'as d'intérêt pour moi que de celui d'un cobaye.

Narcisse siffla bruyamment. Défense de sang-froid. Presque impressionné de la réponse tranchante de la demoiselle.

- Quelle violence, reine des glaces. Moi qui voulais simplement discuter gentiment avec toi.

- Alors discute vraiment. Ne joue pas un rôle. C'est possible ça, de te montrer sous ton vrai visage et pas sous un masque de narcissique ?

Il leva un sourcil.

- Tu m'as toi-même donné le nom de Narcisse. Ne t'étonne pas que je joue le rôle que tu m'as attribué dans ta pièce.

Il sortit de l'eau avec une dextérité sans nom. Il vit au loin les autres créateurs arriver. Il s'approcha alors de Chêne, trempé par l'eau de la rivière. Il chuchota :

- Et toi, quel rôle as-tu dans ta pièce ?

Elle ne répondit pas, n'offrant à son interlocuteur que la violence de son silence. Lassé, celui-ci fit quelques pas loin de Chêne tandis qu'il s'imaginait sécher à toute vitesse. En un instant, ses vêtements n'étaient plus mouillés.

Arrivée des autres. Ils semblaient discuter de choses futiles aux yeux de Narcisse qui aurait apprécié que son entrevue avec Chêne dure plus longtemps. Pour une fois qu'une personne ici était intéressante. Cette dernière semblait être pleine de ressources que Narcisse ne pourrait s'empêcher d'écraser les unes après les autres. Lierre arriva et se plaça directement à côté de Chêne, faisant obstacle entre Narcisse et elle.

Brave petit chien. Les autres attendaient, postés en demi-cercle. Iris était la plus en retrait.

Bouh, s'exclama-t-il en télépathie à Iris.

Il lui avait de nouveau ouvert les portes de son esprit. La blonde tressauta de surprise. Elle évita le regard de son assaillant. Narcisse n'en n'avait que faire, il reporta son attention vers Chêne, se penchant drastiquement en arrière, jouant d'un certain équilibre pour soigneusement éviter l'obstacle de Lierre et planter ses yeux dans ceux de la brune.

- Alors Capitaine, on les crée ses humains oui ou non ?

Pour toute réponse, ce fut Dahlia qui s'avança vers l'eau. 

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