11 - Narcisse

Si le rôle du parfait méchant lui seyait à ravir, c'était en grande partie car Narcisse faisait tout pour correspondre à celui-ci. Air supérieur, remarques cinglantes, capacités à mettre en échec les autres ; Narcisse était un homme du chaos.

D'aussi loin qu'il s'en souvenait, il avait toujours été un enfant, un adolescent, puis un jeune adulte turbulent. Difficilement contrôlable, il n'avait pas réussi à briller sur les bancs de l'école, préférant traîner dans des plans plus enivrants que les salles de classe aux lumières blanches criardes. Narcisse répétait souvent que ce n'était pas le système scolaire qui l'avait rejeté, mais bien lui qui en était parti de son plein gré. Les livres ne représentaient pas un lieu d'apprentissage suffisant, selon lui. L'expérience, il n'y avait que ça de vrai.

Ne vous y trompez pas, Narcisse n'était pas un de ces petits pickpockets des rues malfamées qui attendait dans l'ombre de voler discrètement les portefeuilles de vieilles dames esseulées. Narcisse, lui, préférait briller dans une lumière qui lui était propre. Il aimait être le centre de l'attention. Il se savait intelligent. Une forme d'intelligence pratique, à l'image de la ruse, de la fourberie ou encore de la mesquinerie. Pendant que vous cherchiez des synonymes, lui cherchait des solutions.


Ruse, fourberie, mesquinerie. Ces mots lui revenaient souvent ans les oreilles. En tête parfois. Tant d'adjectifs péjoratifs qui, selon sa théorie, avait été créés par ceux qui justement, n'avaient qu'une forme d'intelligence scolaire et littérale. Ces personnes qui devaient crever de jalousie de ne pas avoir les capacités de ces autres qui, loin de se préoccuper des affaires universitaires ou politiques, agissaient à des fins bien plus pratiques Ces jaloux. Les personnes comme Lierre. Comme Chêne. Ceux dont la tête gonflait plus gros qu'une pastèque. Qui pensaient tout pouvoir comprendre grâce à des équations et démonstrations logiques. La vie, ce n'étaient pas des mathématiques. Narcisse exécrait ceux qui pouvaient penser ainsi. La vie, c'était plutôt de la survie. S'en sortir par soi-même. Ecraser les autres pour devenir quelqu'un. Pas jouer les bien-pensants.

Narcisse acceptait avec plaisir cette étiquette de méchant. C'était le rôle pour lequel il avait été choisi après tout. Il serait le méchant. Iris serait la sensible. Séquoia le rigolo. Ce clown de service qui ne sert qu'à amuser le groupe. Chêne serait la cheftaine qui pense tout pouvoir gérer. Lierre excellait déjà comme son lèche-botte. Et Trèfle, se serait celui qui n'a pas sa place, le genre qui dans les films américains deviendrait le héros et sauverait le monde. Insupportable, pensait Narcisse, alors qu'il se souvenait du regard provocateur de Trèfle pendant l'incendie. Ce fils de balayeur n'était pas aussi candide et innocent qu'il pouvait le faire croire. Narcisse détestait ce genre de personne. Quitte à être mauvais, autant le faire aux yeux de tous. Sinon, c'est être un arnaqueur. Et ça, c'était la spécialité de Narcisse.

Et il ne laisserait pas Trèfle lui voler sa spécialité.


La réunion s'étirait sur des dizaines de minutes. Une heure maintenant. Insupportable. Une longueur bien trop longue selon Narcisse qui n'avait eu comme autre choix que de trouver occupation en martyrisant Iris. Cependant, il avait rapidement été lassé par ce petit jeu, Iris étant à ses yeux une proie trop facile. Elle n'en valait clairement pas la peine. Alors que cette dernière expliquait timidement – trop timidement – la façon dont elle et les deux autres filles avaient choisi de créer le peuple de la Graine ; Narcisse était occupé à sélectionner une autre personne à embêter. Son choix se portait sur le trio Chêne Lierre et Trèfle. Narcisse rêverait de faire tourner en bourrique cet imbécile de Trèfle. Cela lui permettrait de lui prouver qu'il n'a définitivement pas sa place au sein du groupe. Et puis il ne l'appréciait clairement pas. Lierre serait un défi intéressant. Le grand latino semblait sur ses gardes et ne serait pas le plus simple à effrayer. Mais il n'en valait que trop peu la peine : Narcisse ne s'attaquait pas aux lèche-bottes, il préférait viser directement la tête. Chêne. C'était elle la meneuse de ce projet.

C'était elle, sa proie.

Pourquoi tu agis comme ça ?

La voix d'Iris faillit le surprendre. La jeune blonde avait cessé de parler à voix haute. Narcisse ne s'en était même pas préoccupé, tant ce qu'elle racontait avec Dahlia et Chêne ne l'intéressait point. Narcisse avait préféré se balader dans ses pensées. Et cette Iris avait l'outrecuidance de le déranger. Celle-ci avait laissé la parole à Dahlia qui apportait des précisions sur leurs projets. Elle avait parlé directement dans l'esprit de Narcisse, imitant ce qu'il avait pu faire jusqu'alors.

Saloperie.

Il se retint de ressentir une once de bonne impression envers les capacités d'Iris, préférant rouler des yeux. Elle se mettait en travers de son chemin pour s'amuser avec Chêne. Il ne voulait plus de la petite blonde, plus proche du jouet que de l'être humain. Il ne lui accorda pas un regard tandis qu'il lui répondait.

Je suis un connard. J'agis comme ça parce que je ne connais que le chaos. C'est dans le chaos que je me sens le mieux. Et j'adore ça.

Il imagina alors une barrière mentale entre Iris et lui. Il n'avait que faire de son avis. Encore plus de sa réponse.

Leur communication était à présent terminée.

Le bâillement de Narcisse coupa une explication en plein vol. Dahlia, qui venait d'être arrêtée, présenta un visage frustré. Ce qui amusa profondément Narcisse.

Ses doigts s'enlacèrent, ses bras se tendirent, ses paumes firent face au plafond. Il s'étira bruyamment avant de bondir hors de la table. Ses fesses décollèrent, ses pieds attrapèrent le sol, il fit volte-face.

- Bon.

Il en avait marre de rester sans agir. Il n'avait pas cette patience. Ses six spectateurs n'eurent le choix que de se tourner dans sa direction.

- En résumé on a un joli petit monde, il ne reste plus qu'à mettre des petits bonshommes dedans. C'est ça ?

Dahlia s'apprêta à parler mais Narcisse balaya d'un geste insolent la tentative de réponse avant de rapidement enchaîner.

- Ou des bonnes femmes ou des non genrés ou je ne sais pas quoi. Bref nos petits sujets.

Dahlia, surprise, se contenta d'écarquiller les yeux. Narcisse pouvait faire taire n'importe qui. Il accorda à la militante un sourire empli de fausses bonnes intentions.

- On est tous d'accord dessus, il faudrait peut-être s'y mettre non ? Qu'en pensez-vous capitaine ?

Clin d'œil glissé à Chêne qui adopta un air renfrogné. Narcisse, lui, exultait de sa mesquinerie.

De sa ruse. De sa fourberie.


Trèfle et Lierre s'échangèrent un regard exaspéré. Chêne finit par se lever. Elle contourna la table, ses pas claquant sur le sol en linoléum. Narcisse la suivait du regard comme un lion suivrait sa proie. Quelques pas plus tard, un arrêt. Eclaircissement de la voix.

- La réunion touchait à sa fin de toute manière.

Narcisse lut dans le regard de Dahlia des envies meurtrières. Il gloussa. Vous ne trouvez pas ça amusant vous ?

- Autant appliquer directement ce que nous avons pu dire, continua Chêne. Si cela tient tant à Narcisse de passer à l'action, nous n'allons pas gâcher cette bonne intention.

Dahlia lâcha à son tour un éclat de rire moqueur. Qu'est-ce qu'on rigole cette réunion ! Narcisse ne la calcula même pas.

Ils partirent alors dans la Graine.

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