09 - Iris


Iris avait trouvé un lieu parfait pour satisfaire sa passion du jardinage. Dans cet étrange monde où tout devenait possible, nul besoin d'attendre que la graine germe, pousse puis grandisse. Ici, tout se faisait en un instant. En un claquement de doigts sans même avoir à claquer des doigts. Des arbres, des fleurs, du gazon ; la jeune femme remplissait tout ce qu'elle voyait de plantes aux couleurs pastel. Autour d'elle fleurissaient des hectares entiers de verdure. Elle trouvait tout cela véritablement incroyable. La Surconscience était comme un jeu vidéo où il était possible de faire apparaître ce qu'elle voulait. C'était même encore mieux que dans les jeux, puisqu'elle pouvait toucher l'herbe qui lui chatouillait chaque cellule de sa peau. Elle pouvait sentir le parfum des roses qui venaient d'éclore sous ses mains. Tout était accompagné d'une étrange et délicate brume couleur parme dans laquelle baignait les créations d'Iris.

A sa gauche, Séquoia courrait comme un dératé en transformant le sol sous ses pieds en des routes en terre battue. Il serpentait entre les arbres, tournait autour de la source d'eau, bondissait par-dessus la rivière tout en créant un pont en terre dans sa traînée. Iris le voyait se mouvoir à toute allure. Elle ne pensait pas qu'il était possible d'aller si vite.

- C'est parce que je me suis imaginé courir vite ! expliqua-t-il en prenant une milliseconde de pause.

Puis il repartit à son allure infernale. Il ressemblait à une comète en pleine course avec les étoiles.

Un peu plus loin, Dahlia créait au-dessus de l'île des explosions de nuages. Elle coloriait autour d'eux le ciel avec une teinte azurée. Celle-ci se répandait au-dessus de l'île comme de l'aquarelle sur une feuille de papier vierge. Un éclat de blanc qui apparaissait sur la toile du ciel pour former des boules de cotons. Le soleil noir, maintenant noyé dans un bleu très clair, les regardait au loin créer leur petit havre de paix. Le trio fraîchement construit travaillait dans une bonne humeur quasiment palpable. L'appréhension de toute cette bizarrerie avait été rapidement balayée pour laisser place à l'euphorie de pouvoir créer tout ce qu'il leur était possible d'imaginer.


Combien de temps d'était-il écoulé depuis qu'ils avaient commencé la décoration de ce petit monde ? Iris n'en n'avait aucune idée. Son corps commençait à fatiguer et ses jambes étaient parfois parcourues de tremblements incontrôlés. Elle se demandait comment Séquoia trouvait encore la force de courir dans tous les sens ; et comment Dahlia pouvait garder le menton levé et l'air déterminé qui peignait son visage aux traits francs. Son menton marqué et ses oreilles pointues donnaient à son visage une forme marquée qu'Iris aurait qualifié d'aérodynamique. Cet effet était amplifié par le très précis trait d'eyeliner noir de Dahlia qui allongeait encore plus le visage de cette dernière. Enfin, le crâne rasé et brillant de Dahlia rendait le tout encore plus impeccable. Elle n'avait rien à voir avec le visage rond et pâle d'Iris, son chignon blond qui pendait sur le côté de sa tête. Des perles de transpiration coulaient sur son front et venaient glisser comme sur un toboggan sur le nez en trompette de la jeune femme. Elle commençait à avoir chaud dans la chemise grise qui leur avait été fournie pour ce projet. Iris s'imagina alors ressentir une légère brise. Un vent un peu frais, presque froid. Celui qui venait provoquer un léger frisson, le temps d'une seconde, avant d'offrir une sensation de bien-être à celles et ceux qui ressentaient ce petit courant d'air. Il s'agissait d'une sensation qu'Iris adorait. Elle lui rappelait des grandes promenades dans la forêt avec sa famille, lorsqu'ils commençaient à avoir trop chaud après plusieurs heures de marche, et qu'une fois arrivés au sommet d'une colline, le vent les récompensait de son souffle réparateur. Iris ferma les yeux. Elle voulait revivre cette sensation.

- Hun mais il y a du vent !

Dahlia avait pointé du doigt le ciel dans lequel les nuages se mouvaient à présent. Ils avaient l'air de commencer une douce balade au-dessus de l'île. La jeune femme à la peau couleur ébène se tourna vers Iris. Elles s'échangèrent un sourire.

- Très bonne idée, commenta Dahlia.

Iris se fit la remarque que derrière l'air dur de sa collègue il y avait une extrême douceur. Elles n'échangèrent pas un mot mais elles se comprirent. Séquoia déboula alors à toute allure entre elles et s'arrêta net. Il perdit l'équilibre une fraction de seconde, faisant des moulinets avec les bras pour se remettre droit. Il décocha son plus bel air satisfait.

- On forme une bonne équipe !

Il n'aurait pas pu mieux dire, pensa Iris.

Ils formaient en effet un bon trio. Ils ne se connaissaient pourtant qu'à peine, s'étant aperçus lors des moments de sélection pour le projet. Iris connaissait évidemment Dahlia de réputation. Elle la trouvait encore plus impressionnante en vrai. Déjà physiquement, par son allure soignée et son air revêche, mais également par la force avec laquelle elle s'efforçait de défendre ses convictions. Cette force de caractère s'était manifestée dès le début du projet alors que Dahlia était la seule à envoyer valser Narcisse et ses piques intempestives. Le petite blonde se disait qu'elle n'aurait jamais eu la force de lui tenir tête comme cela. Elle ne se considérait pas comme une personne courageuse.


Le groupe se posa dans l'herbe. Si Iris donnait l'air d'être épuisée, Dahlia gardait un air serein. Séquoia, quant à lui, était allongé dans l'herbe. Il avait l'air à la fois exténué et plein d'énergie. Sa poitrine se gonflait autant que possible pour récupérer tout l'air qu'il pouvait, avant de se relâcher dans un souffle bruyant. Iris se posait la question de l'oxygène. Quelqu'un en avait mis ? Elle imagina alors des petites molécules d'oxygène : des petites boules rouges reliés par une tige blanche, à l'image des figurines en plastique de ses cours de chimie au lycée. Iris visualisa ces molécules qui flottaient dans l'air tout autour d'elle. Elle cligna des yeux plusieurs fois lorsqu'autour d'elle une myriade de points rougeoyants qui dansaient, sortaient de sa peau pour venir se fondre dans le ciel, comme un million de petites lucioles qui se fondaient dans le ciel. Iris mis tout son cœur dans cet oxygène, qu'elle voulait aussi revigorant que la brise fraîche de tout à l'heure. Elle incorpora dans cet air toute la vitalité qu'elle aimerait récupérer, tout ce qui lui ferait se sentir mieux.

Une gigantesque inspiration de Séquoia la tira alors de sa concentration.

Le jeune homme s'arqua, comme s'il était possédé en même temps qu'il récupérait tout l'air possible dans ses poumons. Il se redressa en position assise, la moitié de son visage couvert par ses boucles châtaines. Il se secoua puis expira d'un coup tout ce qu'il avait emmagasiné. Il lâcha un cri de satisfaction intense. Dahlia inspira bruyamment du nez. Une seconde passa, puis elle se mit à rire franchement. Iris s'imprégna à son tour ce nouvel air, et sentit directement son sang se remplir d'oxygène. Elle fut parcourue d'une sensation de relâchement de toute la pression et la fatigue qu'elle avait accumulée tout au long de cette journée. Sa peau se raffermissait, la sueur arrêta de couler sur son front et elle se redressa en position plus affirmée. En quelques instants, elle avait repris des couleurs et de la vitalité.

- C't'un truc de dingue ! s'exclama Séquoia.

Iris se dit que visiblement, Séquoia et Dahlia étaient en train de ressentir la même chose qu'elle. Séquoia fit une roulade d'allégresse dans l'herbe pour finir par se retrouver face à Iris. Un genou au sol, un pied ancré par terre, il écartait les mains comme un acrobate après son spectacle. Il dégagea ses cheveux de devant ses yeux d'un air enfantin.

- T'as trop des bonnes idées toi. T'es vraiment trop forte !

Iris sentit le rouge lui monter aux joues. Elle bredouilla un merci avant de détourner le regard. Elle aurait aimé qu'une nouvelle brise la rafraîchisse. Dahlia roula des yeux.

- Bah tiens, grommela-t-elle.

Iris balaya le sourire niais qui voulait rester collé sur son visage. Elle se sentait particulièrement bien maintenant.

- Tout est possible ici, c'est incroyable. Mais cela implique de lourdes responsabilités sur nous.

Dahlia approuva silencieusement. Séquoia roula une nouvelle fois avant de s'asseoir.

- Nous avons trois mois pour bâtir un monde comme on le souhaite. En fait, c'est un peu comme jouer aux Sims.

- Ou se prendre pour des dieux hun, rajouta Dahlia.

Elle avait un air grave.

- Vous croyez que l'on peut déjà faire apparaître des petits êtres humains ? s'enquit Iris.

Les deux autres créateurs prient quelques temps pour réfléchir. Ils discutèrent ensuite des modalités de création de leurs habitants. Des dizaines de questions affluèrent mais les réponses leur semblaient si complexes à trouver. Ces êtres allaient-ils être doués de parole ? Etaient-ils aussi modernes que l'étaient les créateurs ? Combien seraient-ils ? Seraient-ils humains ? Est-ce qu'ils auraient des capacités surhumaines ? Quelle serait leur Histoire ? Comment appréhenderaient-ils leur monde ? Auraient-ils des genres, des origines, des croyances différentes ? Après une dizaine de minutes de brainstorming, les trois associés en arrivèrent au même point : c'était trop compliqué.

- C'bien aussi une société sans humains, conclut Séquoia.

Iris haussa les épaules.

- Ce serait peut-être un peu de la triche non ? Si le but est de créer un monde complet il nous faudrait des personnes pour l'habiter. Peut-être qu'il nous faudrait plus de temps pour en parler avec les autres non ? 

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