08 - Lierre

Chêne scruta Lierre. Elle donnait l'air de s'interroger sur les intentions de celui-ci derrière sa question. Il imagina les questions que se posaient la cheffe. Était-il un allié ou plutôt un obstacle ? Pourquoi voulait-il savoir cela ? Après ce rapide scan visuel, la brune à la frange maintenant décoiffée décida de répondre.

- En plus d'un travail de programmation informatique et de neurosciences, le projet Surconscience est axé sur l'idée du groupe. S'il est plausible de recréer l'imaginaire d'une seule personne, comment est-ce cependant possible de faire fusionner les imaginaires de plusieurs personnes dans un même espace-temps – même si celui-ci est artificiel ? L'un des objectifs de Surconscience est donc de voir à quel point on peut créer un projet de groupe en combinant plusieurs consciences.

Lierre remarqua que Chêne ne répondait pas directement à la question. Il ne voyait toujours pas ce qui avait motivé les choix de chacune des sept personnes ici présentes. Ce qu'elle avançait était néanmoins très intéressant et il se somma de graver en mémoire tout ce que Chêne était en train de lui apprendre.

- Lorsque j'ai soumis ce projet théorique à notre laboratoire de recherche avec mon amie ...

Chêne s'interrompit et se tourna machinalement vers le troisième participant de la conversation.

- ... Avec l'ancienne Trèfle, reprit-elle, celui-ci a rapidement attiré l'attention d'une grosse entreprise qui travaille sur l'intelligence artificielle.

Il y avait de la fierté dans sa voix.

- Quelle entreprise ? demanda Lierre, curieux.

Le nouveau scan visuel de Chêne ne sembla pas la convaincre. Elle regarda aussi Trèfle qui n'avait aucune réaction.

- Peu importe son nom.

Lierre opina de la tête. Son ton était catégorique.

- Bref, reprit-t-elle. Ces personnes intéressées nous ont expliqués qu'ils souhaitaient financer le projet pour voir où cela menait, tout en nous laissant les droits de création dessus. Ils nous ont expliqués que cela pourrait avoir comme but de créer des projets colossaux où les plus grands professionnels du monde pourraient travailler ensemble dans un même univers de Surconscience.

- Donc le travail en groupe est primordial dans cette étude, comprit Lierre.

Un mince sourire se dessina sur le visage de l'étudiante en informatique.

- Exactement. L'une des problématiques testées ici est de voir si le projet peut marcher avec un groupe. Nous avons alors sélectionné des jeunes – majoritairement des étudiants – pour participer à ce projet. Il nous fallait des personnes qui accepteraient de se consacrer pleinement à six mois de cette étude. Nous voulions des personnalités différentes avec des qualités ou des particularités qui pourraient permettre la création d'un monde virtuel cohérent.

Elle marqua un temps de pause. Lierre tira alors des conclusions :

- Si j'ai été pris, c'est parce que je suis un élève de sciences politiques c'est ça ?

Chêne acquiesça.

- Tu as été la première personne recrutée à vrai dire. Nous voulions quelqu'un capable de gérer et de se questionner sur l'organisation sociale que nous pourrons mettre en place ici. Entre nous créateurs mais également si nous mettons en place une société dans notre monde.

Lierre fut décontenancé. Il trouvait cela déjà incroyable que de créer des arbres, de l'eau ou des nuages Mais il n'avait pas pensé à la difficulté de créer des êtres humains, des cités, des sociétés. Le projet lui sembla tout à coup pharaonique. Il s'imagina ensuite devoir créer cela avec Narcisse, et cela lui provoqua un frisson. Après tout, rien ne l'empêchait de mettre feu à tout ce que les autres pouvaient construire n'est-ce pas ?

- Tu as également une excellente capacité physique. Trèfle – l'ancienne Trèfle je veux dire – avait fait des premiers tests sur des cobayes individuels et il semblerait que la Surconscience soit étroitement liée à la condition physique. Comme s'il s'agissait d'un muscle.

Gêné de ce qu'il considérait être comme des compliments, il détourna le regard pour le laisser se poser sur un élément choisi au hasard dans la bibliothèque du Bureau. Chêne ne prit visiblement pas la peine de s'arrêter dans son explication pour les émois du jeune homme.

- Iris et Séquoia sont respectivement des étudiants en psychologie et en histoire. Ils pourront nous apporter leurs points de vue connaisseurs dans leurs domaines. Nous avons estimé qu'il s'agissait de connaissances importantes pour la création d'un monde, et éviter des erreurs de type humaines.

Lierre rapporta son attention sur Chêne. Il vit dans le regard de celle-ci qu'elle avait déjà imaginé le pire. Il eut alors comme un électrochoc. C'est à ce moment-là qu'il prit conscience du fait qu'ils étaient dans un monde où tout ce qui était imaginable était réalisable. Le pire viendrait et viendra des participants, pas des machines. Ce feu ne venait pas de nulle part. Était-ce pour cela que Narcisse avait été recruté ?

Chêne avait laissé un temps avant de reprendre, comme pour que ses interlocuteurs puissent digérer l'information.

- Dahlia, je ne te la présente pas. Je sais que sa réputation parle d'elle-même.

Le latino hocha la tête. L'air inquisiteur de Trèfle incita tout de même Chêne à développer son propos :

- Elle est une militante assez connue des réseaux sociaux. Elle est connue pour ses prises de position fortes en matière d'éthique, d'égalité sociale et de questionnements actuels. J'ai estimé qu'il s'agissait d'un membre important pour notre conseil de créateurs, même si sa popularité pourrait être à double tranchant.

- Et Narcisse ?

Lierre s'était exprimé d'une voix qu'il voulait la plus neutre possible. Ses interlocuteurs ne furent néanmoins pas dupes.

- Je sais que sa présence fait débat, et que je suis l'entière responsable de sa venue. Faire venir un délinquant multirécidiviste est très risqué. Il a été condamné à de nombreuses arnaques et escroqueries dans le passé. C'est bien ça qui est intéressant ici.

- Pourquoi ?

C'était Trèfle qui avait posé la question.

- Parce qu'il sait trouver les failles.

Au moment où Lierre avait prononcé ces mots, il sut qu'il avait visé juste. Chêne approuva :

- Exactement. Parce qu'il craque les codes. Il sait où il y a des failles et il s'y engouffre. Il est un véritable détecteur d'erreurs dans le système. S'il y a la moindre défaillance dans le projet, il nous la mettra en lumière.

La brune montrait qu'elle était sûre d'elle. Il y avait un air de défi dans son regard.

- C'est pour cela que je me suis incluse dans le projet. Pour gérer les défaillances à venir. Pour prendre des notes de l'intérieur. Pour comprendre. Pour agir. Pour savoir.


Il y eut un bruit métallique. La porte grise s'était ouverte, laissant apparaître la silhouette longiligne de Narcisse dans l'encadrement. Il semblait avoir repris son calme et toisait les trois autres créateurs avec dédain. Un à un, ils furent jugés silencieusement par le blond.

- Et ta copine, pourquoi est-ce qu'elle a abandonné le projet ?

Il se fendit d'un sourire pervers. Lierre estima Narcisse comme s'il s'agissait d'un personnage de théâtre. Il l'observa traverser la pièce, s'asseoir sur une chaise, croiser les jambes. Sa langue fit ostensiblement un tour dans sa bouche, comme s'il se délectait de son retour.

- Tu sais, la vraie Trèfle.

Narcisse n'eut pas besoin de se tourner vers l'intéressé pour faire comprendre que cette pique lui était directement adressée. Chêne se mordit la lèvre pour se contenir. Narcisse continua de remuer le couteau dans la plaie.

- Tu pensais que j'allais trouver toutes les failles n'est-ce pas ? Eh bien je prends ce défi très à cœur.

Il éclata d'un rire digne des méchants de films d'animation.

- Et j'ai déjà trouvé tes failles ma petite Chêne. 

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