07 - Lierre


L'avantage d'être dans un monde irréel, c'était qu'il suffisait d'imaginer quelque chose pour qu'il apparaisse. Ça, c'était la théorie. En pratique, Lierre avait vite compris que cela n'était pas aussi simple. Tout d'abord, il y avait les propres limites de sa Surconscience. Si l'imagination était en soi infinie, les chemins pour y accéder étaient sinueux et semés d'embuches.

Lierre se souvenait de ce premier rendez-vous pour le projet. Chêne et son acolyte étudiante – l'ancienne qui portait le pseudonyme de Trèfle – leur avaient expliqué le fonctionnement de la Surconscience. Lierre se souvenait bien du schéma que les deux filles avaient dessiné. Trois éléments : Inconscience, Conscience, Surconscience.

Si la première représentait la capacité de notre cerveau à conceptualiser des éléments sans que nous nous en rendions compte, la seconde rajoutait un degré de connaissance de ce procédé. La conscience nous permettait de nous rendre compte de ce qu'il se passait dans notre cerveau. La surconscience, quant à elle, avait une valeur productive. Elle marquait ce que notre esprit pouvait inventer. Les rêves, l'imagination et les créations artistiques étaient des manifestations de notre Surconscience. L'ancienne Trèfle, étudiante en neurobiologie, avait théorisé sur les capacités presque infinies de la Surconscience à créer tout ce qui était en mesure d'être pensé. Si cette capacité physiologique se démontrait aujourd'hui assez facilement dans les connexions neuronales d'un être humain, Chêne s'était donnée pour mission de retranscrire cette possibilité dans un programme informatique.


Lierre se rappelait que les deux étudiantes avaient fait le parallèle entre la pratique d'un sport et la Surconscience. Elles avaient expliqué qu'il fallait de l'entraînement, de la volonté et une bonne condition physique et mentale pour pouvoir utiliser ce procédé ; et, a fortiori, si nous souhaitions l'utiliser de manière poussée. Leurs hypothèses étaient claires : Il était plus facile de faire apparaître des choses de petite taille, ayant une réalité physique réelle et se trouvant proche du créateur. Il était également plus facile de faire apparaître quelque chose que de le faire disparaître, puisque s'imaginer quelque chose était plus facile que de la faire disparaître de son champ de conscience.

Néanmoins, Lierre avait pu voir que ces premières projections commençaient déjà à être dépassées. La Surconscience révélait un potentiel déjà au-dessus des calculs de Chêne et de l'ancienne Trèfle. En effet, Iris avait créé un cycle de l'eau et une source loin d'elle, sans même voir ce qu'elle faisait. Chêne avait créé un soleil en utilisant matière noire artificielle qui n'avait aucune existence dans le monde réel. Enfin, Trèfle avait réussi à faire disparaître tout un incendie. Pour leur première expédition dans leur monde imaginaire, trois des sept créateurs montraient déjà des capacités plus élevées que les pronostics des étudiantes.

Lierre en était persuadé : ce projet pouvait à tout moment tourner à la plus grande des catastrophes. Le principe numéro trois lui revint en tête : il est interdit de tuer un autre créateur. Cela voulait-il donc dire que c'était possible ? Interdit n'est pas impossible. Est-ce que s'il était blessé ici, dans la Surconscience, son corps le serait également dans le monde réel ? Et s'il était tué ? Tomberait-il dans une sorte de coma ? Est-ce qu'il ne risquait pas en plus d'être traumatisé en sortant de ce projet ?


Alors que les sept créateurs étaient assis autour de la table, Lierre n'écoutait plus. Il était en pleine remise en question de ses choix. Le jeune homme n'arrivait pas à se départir d'un sentiment de regret d'avoir accepté un tel risque. Dire que cela lui avait été présenté comme un stage d'envergure. Il aurait dû se trouver un stage classique de sciences politiques et sociales. A vingt-trois ans, il avait un avenir tout tracé devant lui. Il s'était battu pour planifier des études dans l'une des plus grandes écoles du pays. Seul, sans l'aide de personne. Il avait prouvé son indépendance pour aujourd'hui ne plus avoir à s'en faire pour lui-même. Il avait respecté les règles de la vie. Il avait étudié, travaillé, des jours entiers et des nuits interminables pour en arriver à ce niveau.

Mais ici, les règles étaient différentes. Ils avaient trois mois pour tout créer. Leur monde, leurs règles. En regardant les autres créateurs, Lierre se dit que cela devait être une mission des plus compliquées. Leurs caractères donnaient l'impression d'être tous différents. Certains semblaient assez calmes, tout comme lui. Iris et Trèfle avaient l'air d'être des personnes réfléchies qui n'aimaient pas être au-devant de la scène. Séquoia était le clown de service – il en fallait bien un. Dahlia ou encore Narcisse étaient de ces personnes qui mettaient les autres loin d'eux. Il s'agissait du même mécanisme selon Lierre, mais leurs façons de faire étaient différentes. Il avait pu voir comment Narcisse taclait les autres pour se mettre en position de force. Dahlia passait son temps à contredire les autres ou à ne pas s'associer avec tel ou tel propos. Quant à Chêne, elle voulait tout contrôler ici. Après tout, ils n'étaient que des participants dans le projet de Chêne, n'est-ce pas ? C'était elle qui avait tout mis en place.

Avec l'ancienne Trèfle. Celle qui avait subitement abandonné le projet la veille de son lancement.


Narcisse était parti en claquant une porte. Une porte que Lierre n'avait même pas remarquée. Après un coup d'œil dans sa direction, Chêne s'était remise à écrire comme si de rien n'était. Elle donnait même presque l'air d'être satisfaite. Trèfle, plus loin, rentrait le cou entre ses épaules.

- Dis-moi Chêne ...

Séquoia avait pris la voix d'un enfant demandant une faveur. Les regards se tournèrent un à un vers lui, dont les yeux d'émeraude scintillaient derrière son casque de cheveux bouclés. L'appelée mis quelques secondes à finir sa phrase avant de lui accorder son attention.

- Tu crois que l'on pourrait retourner dans le monde imaginaire ? J'aimerai bien pouvoir continuer à essayer de créer des trucs ?

Dahlia hocha la tête.

- On est là pour ça en plus hun.

Iris se redressa sur sa chaise. Chêne accepta la demande avec un léger sourire. Elle donnait l'air d'une mère fière de l'initiative de ses petits. Séquoia, Dahlia et Iris se rapprochèrent alors du mur de matière noire et disparurent pour rejoindre le monde imaginaire.

Ils n'étaient alors plus que trois sur sept. Lierre, Chêne et Trèfle.


Lierre ne pouvait pas s'empêcher de ressentir un certain soulagement. Il se trouvait avec les personnes qui avaient l'air les plus pertinentes dans ce projet. Il décida que c'était le moment d'échanger plus sincèrement avec eux afin de créer une cohésion d'équipe. Il leur expliqua cela avec transparence :

- Je pense que nous allons devoir nous serrer les coudes pour mener ce projet à bien.

Trèfle hocha la tête. Il semblait lui aussi plus à l'aise. Ses bras se décroisèrent et ses épaules se déraidirent. Chêne mit un point à ce qu'elle écrivait. Elle ferma son carnet et posa le stylo. Lierre l'observait, puis croisa son regard. Sa bouche esquissa un merci. Il lui répondit par un sourire de circonstance. D'un geste un peu brusque, Chêne tourna ensuite la tête vers Trèfle :

- Tu sais que tu as toute ta place ici ... Trèfle.

Elle avait marqué un temps avant de l'appeler par ce pseudonyme. Trèfle le remarqua. Lierre aussi. Chêne s'aperçut de tout cela. L'échange de regard qui suivit fut lourd. Chêne choisit ses mots avant de s'exprimer.

- Je sais que la situation est compliquée. Mais tu as accepté de participer et de remplacer l'ancienne Trèfle au pied levé, alors que tu ne connaissais rien au projet. Ton courage est une qualité dont nous avons besoin ici. Et ce n'est pas parce que tu es le fils de l'agent d'entretien du bâtiment que tu as une place moins légitime que nous autres.

Lierre se retint de toute réaction. C'est comme cela que Trèfle avait été recruté ? Par hasard, parce qu'il était le fils de la personne qui nettoyait le laboratoire ? Lierre se souvenait des différents examens qu'il avait passés. Ceux avec Chêne, ceux avec toutes ces personnes en costume et qui lui rappelaient les politiciens pompeux qu'il avait rencontré dans le passé. Les patrons d'une grande industrie d'intelligence artificielle, comme ils s'étaient présentés. Son CV avait été analysé en détail, il avait vu un médecin, passé des tests psychométriques et psychologiques, et avait dû écrire une décharge et un engagement pour les six prochains mois. Trois mois dans la Surconscience, et les trois mois qui suivaient, « au cas où ». Il avait été présenté aux autres comme un étudiant en politique, et avait pu rencontrer d'autres jeunes ayant des profils différents. Trèfle, lui, était là par hasard. Lierre comprenait pourquoi il ne devait pas se sentir légitime à être ici.

Et Narcisse lui avait bien fait remarquer.


Cependant, s'il fallait véritablement désigner quelqu'un qui n'avait pas sa place dans le projet, c'était selon l'avis de Lierre le nom de Narcisse qui s'imposait. Son cerveau avait peau retourner toute la situation, il n'arrivait pas à comprendre pourquoi est-ce que Chêne avait décidé de se mettre elle-même des bâtons dans les roues en incluant un pareil délinquant. Il aurait bien voulu lui poser la question, mais ne savait trop comment s'y prendre. Il savait devoir marcher sur des œufs sur ce genre de sujets. Il allait devoir la jouer fine, à l'image de ces mêmes politiciens qui lui revenaient toujours en tête.

- Comment est-ce que tu as choisi les participants pour ton projet ? 

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