05 - Trèfle

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Trèfle n'appréciait pas les hurlements. Rares devaient être les personnes qui les appréciaient, pensait-il ; cependant lui avait particulièrement horreur de ces derniers.

Rapidement, Trèfle retint qu'il ne pourrait pas compter sur Séquoia. Il regardait courir ce dernier : ses bras brinquebalaient dans tous les sens face à l'incendie qui ravageait leur tout nouveau monde. Son visage entier s'était déformé en une moue de peur frisant le ridicule. Ses sourcils formaient un accent circonflexe et sa bouche un sourire à l'envers.

Iris et Lierre donnaient quant à eux l'air de statues d'argile pétrifiées par la chaleur.

C'était donc ça, les participants choisis pour l'expérience de la Surconscience ?

Chêne et Dahlia, plus débrouillardes, prirent quant à elle la décision conjointe de d'envoyer avec leurs mains des jets d'eau pour tenter d'arrêter les flammes. Leurs paumes firent front contre le rideau de feu avant de relâcher de l'eau comme si elles avaient ouvert de toutes leurs forces des robinets. La pression manqua de renverser Chêne. Avec une certaine force, Dahlia lui mit un coup d'épaule qui eut pour effet de remettre sa camarade en position droite. De nouveau côte à côte, leurs lances à incendies intégrées se remirent à combattre le feu.

Cependant, il aurait fallu faire plus que ces trop minces filets d'eau pour que le feu puisse s'éteindre. L'incendie rongeait les arbres à peine créés et transformaient les champs en tapis infernaux. Il fallait faire bien plus.

Mais Trèfle ne fit rien.


Après un combat perdu d'avance, Chêne referma les poings. Sa tête s'abaissa, défaite. Des gouttes giclèrent dans tous les sens. Certaines vinrent s'écraser sur les joues de Trèfle.

Toujours aucun geste.

- Réagissez ! brailla Dahlia à l'encontre des autres créateurs.

Cette dernière ne lâchait rien et ses bras tremblaient sous une pression aussi forte que des canons à eaux.

Trèfle regarda Lierre secouer la tête comme s'il reprenait enfin conscience de ce qu'il se passait autour de lui. Le latino était à une dizaine de mètres des autres créateurs. L'expression de son visage se mua comme si cette prise de conscience venait de lui faire subir un électrochoc. D'une statue de marbre il passa à un automate prêt à en découdre. Ses sourcils se froncèrent et ses yeux noircirent. Ses biceps se tendirent comme si frapper les flammes pouvait être une solution. Trèfle pouvait quasiment voir les rouages de son cerveau s'actionner à toute vitesse alors que le Lierre effectuait un tour sur lui-même. Tout en formant ce cercle, le jeune homme écarta les bras autant qu'il le pouvait.

L'attention de Trèfle était totalement captée par son étrange danse. Les autres créateurs ne se concentraient que sur l'immédiateté du feu. Ce qui intéressait Trèfle, lui, c'était l'idée qu'il venait de voir naître dans l'esprit de Lierre.

Le grondement de la rivière répondit au ricanement de l'incendie. Bruit guttural qui prévint du réveil de l'eau jusqu'alors paisible. Tel un serpent géant, le cours d'eau quitta son lit pour venir s'arquer dans les airs à l'image d'un cobra qui se relèverait pour impressionner un prédateur. Dahlia-canon-à-eau faisait bien pâle figure à côté de Lierre-charmeur-de-rivière. Les autres créateurs braquèrent – enfin – leurs regards sur les mouvements du latino. Le serpent dessina un cercle dans les airs autour de Lierre avant de fondre à toute vitesse sur le rideau de feu. Il y eut un bruit assourdissant d'eau changée en vapeur tandis que les flammes peinaient à continuer leur festin. Elles parvinrent cependant à résister à l'assaut de Lierre et continuèrent leur avancée morbide.


Comme un appel à l'assaut, Chêne reprit des forces et renvoya un puissant jet d'eau sur les flammes. Iris leva les bras vers le ciel et manqua de s'effondrer après avoir réussi à faire apparaître un immense nuage gris qui, quelques secondes après son apparition, se mit à verser une pluie diluvienne au-dessus de la forêt enflammée.

Séquoia et Lierre continuaient à détourner la rivière, Chêne et Dahlia créaient sans cesse de l'eau directement de leurs mains. Ils s'attelaient avec la ferveur des désespérés face à cet incendie.

Trèfle restait quant à lui immobile. Il préférait regarder, analyser, prendre des notes mentales. C'est alors qu'il remarqua que Narcisse, lui aussi restait immobile et passif face au feu. Trèfle avait failli l'oublier. Il se tenait debout, silencieux, immobile devant ce spectacle dévastateur comme hypnotisé par la danse avare du ravage.

Puis il tourna la tête – trop brusquement – si bien Trèfle n'eut pas le temps de défaire son regard inquisiteur du blond. Il remarqua, l'espace d'un instant, l'étincelle de folie qui animait les yeux de Narcisse. Cette découverte mit directement des frissons au jeune homme. Ce Narcisse est un être humain singulier, se disait-il. Son visage aux arrêtes tranchées, ses yeux couleur d'or et ce sourire carnassier devant les flammes ; il donnait l'air d'un ange déchu entraîné dans le brasier des enfers et y découvrant une toute nouvelle jouissance : celle de la destruction.

Les autres créateurs ne lui faisaient vraisemblablement pas confiance. Trèfle se souvenait de la remarque de Dahlia : on sait très bien qui il est. Trèfle n'aurait pas été aussi catégorique : il ne savait pas qui était ce Narcisse. Et il ne voulait sûrement pas le découvrir. Il était un obstacle, un caillou dans la chaussure de ce projet. Aux yeux des autres, Narcisse était un paria.

Tout comme lui, Trèfle. Lui aussi était un outsider.


- C'est quoi ton souci ?

Remarque cinglante de Narcisse qui tira Trèfle de sa rêverie. Il sentit de nouveau la chaleur du brasier lui caresser malicieusement la joue et les gouttelettes de l'eau qui tentait d'arrêter le massacre. Trèfle se dit qu'il devait être en train de fixer de manière inconvenante la silhouette baignée de lumière rouge de Narcisse.

- Et toi, c'est quoi le tien de souci ? renvoya Trèfle entre ses dents.

Lui aussi pouvait avoir du répondant. Il égrenait simplement celui-ci, n'ayant pas le désagréable réflexe de Narcisse, Dahlia ou encore Séquoia de toujours avoir quelque chose à dire.

L'ange diabolique toisa de haut en bas Trèfle qui s'efforçait de garder toute sa contenance face à ce regard. Il eut la désagréable impression de fondre comme s'il avait été attaqué par de l'acide. Narcisse avait une prestance écrasante. Trèfle n'eut pas besoin d'entendre les remarques cinglantes qui devaient être en train de germer dans l'esprit de Narcisse. Il les ressentit.

Bon à rien. Lavette. Demi-portion. Trèfle eut l'impression de redevenir ce petit garçon aux cheveux rasés trop courts et aux yeux en amande toujours pleins de honte.

L'espace d'un instant, il n'était plus Trèfle. Il était redevenu le petit Derreck.


Il n'arriva pas à soutenir le regard. Ses poings se serrèrent et il se tourna vers les flammes. Il les regarda enfin. Jusqu'alors, son intérêt s'était porté sur les autres. Ils s'agitaient tous autour comme des fourmis dont la demeure venait de prendre un grand coup de pied. Leurs actions ne faisaient rien face aux langues de feu géantes qui enlaçaient, entravaient puis mangeaient les arbres.


Trèfle secoua la tête. Ils n'avaient pas l'air de comprendre. Que même Chêne réagisse aussi primairement face à cet incident le décevait. Après tout, ils étaient dans la Surconscience, l'avait-elle oublié ? Ils n'avaient qu'à penser ce qu'ils voulaient. Trèfle leva alors les bras, paumes vers les flammes. Il se postait de la même manière que Chêne et Dahlia, quelques mètres en retrait.

Narcisse arqua un sourcil.

La seconde d'après, les flammes s'envolèrent dans le ciel puis disparurent dans le vide. Il ne resta alors qu'une mince fumée grise qui tourbillonna au-dessus des tas de cendres.


Trèfle ne put s'empêcher de jeter un coup d'œil à Narcisse, dont le second sourcil venait de se dresser. L'adonis ne pouvait passer à côté du masque de fierté qui s'étendait sur le visage de Trèfle. L'outsider, comme il aimait se définir, rapprocha ses mains vers son visage. Il souffla deux coups secs sur chaque paume comme s'il s'agissait de deux révolvers. Narcisse ne pipait mot. Trèfle en était d'autant plus fier.

- Mais ... Comment as-tu fait ?

Chêne avait accouru vers Trèfle et Narcisse. Elle regardait le petit brun comme une scientifique en laboratoire regarderait une expérience qui s'était déroulée de façon totalement inattendue. Trèfle lui présenta ses mains à la manière d'une preuve de son acte. La créatrice fixa consécutivement le visage de Trèfle puis ses mains. Sa frange ballotait au rythme de ses saccades. Elle attrapa ensuite un calepin dans sa poche arrière et se mit à griffonner à toute vitesse.

Trèfle se laissa à respirer profondément. La tête lui tournait un peu. L'odeur entêtante de bois brûlé disparaissait grâce à la brise créée par dans leur monde.

- C'est bien toi qui as éteint les flammes ? lança Chêne entre deux lignes.

Trèfle acquiesça sobrement. Son mouvement de tête fut capté par la cheffe créatrice qui entoura une partie de ses notes non sans une certaine frénésie. Trèfle ravalait le sourire hautain qu'il rêvait de renvoyer à Narcisse. Il sentait la présence de ce dernier juste derrière lui. Trèfle retrouva alors son calme olympien, drapé dans un silence qu'il affectionnait tant.

Les autres filles rejoignirent le groupe. Séquoia arriva ensuite, dernier membre du groupe des sept. Son teint livide trahissait la frayeur qu'il avait ressenti. Le petit bouclé renifla bruyamment comme pour ravaler un sanglot trop proche de l'éclatement. Lierre posa une main sur l'épaule du paniqué. Trèfle analysa ce geste comme un : tu as le droit de paniquer, ça nous arrive tous. Trèfle avait vu Lierre s'immobiliser face aux flammes. Lui aussi avait eu peur. Le grand latino remarqua l'air réflexif de Trèfle et lui demanda d'expliquer ce qu'il s'était passé.

- Il suffisait d'imaginer que les flammes devaient disparaître. Et elles ont disparu. C'est bien le principe de Surconscience d'imaginer quelque chose pour que cela se produise, non ?

Il avait lâché cela comme une évidence, tout en s'efforçant de ne pas paraître prétentieux. Au fond de lui, il jubilait d'avoir réussi à gérer la situation en un claquement de doigts alors que les autres s'étaient épuisés à tenter de combattre le feu. Chêne hocha la tête en signe d'approbation. Il avait pu faire disparaître le feu en quelques instants. Chêne se frotta la tête, faisant alors s'agiter sa frange brune. Elle murmurait pour elle-même des choses puis expliqua qu'elle devait alors prendre relire ses notes sur cette première journée. Chêne fit un tour sur elle-même.

- Pour rentrer au Bureau, il faudrait que je crée un portail. Reste juste à savoir où ...

Elle laissa la fin de sa phrase en suspens.

- On a qu'à créer un soleil téléporteur.

La voix d'Iris était fluette. Elle était, aux yeux de Trèfles, de ces personnes dont le qualificatif de « mignon » était parfaitement approprié. Elle avait levé la tête et pointait du menton le soleil artificiel créé quelques temps auparavant.

- Après tout, si on peut faire ce qu'on veut, autant créer un portail avec le soleil. On le voit de partout. Il suffirait de le regarder et on serait transporté vers le Bureau.

L'idée fut approuvée par tout le monde. 

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