04 - Séquoia

Ce fut de façon quasi simultanée que plusieurs plantes se mirent à pousser sur la terre vierge, créant des acclamations de surprise et de joie chez les sept jeunes créateurs. Des fleurs furent catapultées hors du sol comme sur des ressors, balançant leurs nouveaux pétales bancs, jaunes et roses dans tous les sens. Puis des buissons, puis des arbustes plus gros et enfin quelques arbres apparurent tout autour d'eux. Un autre palmier, plus grand que le premier, s'éleva plus haut que tous les autres végétaux sous le regard d'un Narcisse empli de fierté. Un souffle d'euphorie gagna le groupe qui s'échangèrent des rires d'enfants émerveillés. Séquoia battit des mains. La Surconscience n'attendait que leur imagination !

Séquoia se mit alors à penser à un framboisier. Il pensa à ce petit buisson qu'il connaissait bien pour s'y être piqué plus d'une fois en voulant y décrocher quelques précieuses baies sucrées. Le jeune homme imagina alors les branches tortueuses pleines d'épines et les feuilles dentées qui cacheraient les fruits rosés à la texture si délicieuse. Séquoia vit alors apparaître juste devant lui la réplique exacte ce qu'il avait imaginé. Les branches jaillirent du sol et se tordirent jusqu'à former une boule de piques, de feuilles et de fruits rouges. Il se piqua lorsqu'il tenta d'attraper une framboise. Instinctivement, Séquoia lâcha un petit « aïe » de douleur, avant de se questionner sur la présence d'une telle sensation négative. Avait-il vraiment ressenti la douleur où se l'était-il imaginée ? S'il l'imaginait, elle pouvait donc devenir réelle ici, se dit-il. Sequoia leva le fruit juteux jusque devant ses yeux pour l'analyser. Même couleur, même texture, même forme qu'une vraie framboise. Il la porta ensuite à sa bouche et l'engloutit rapidement. Les petites baies explosèrent, et sa bouche fut emplie d'un goût de framboise qu'il adorait tant. Le goût était sucré, exactement comme il l'avait imaginé ! Il se lécha les doigts plein de jus de ce met délicieux et de sang mélangé.

- Incroyable, lâcha Trèfle.

Il venait de dire son premier mot depuis son arrivée. Sa voix était basse presque comme un chuchotement. Pourtant, tout le monde l'avait entendu et les arbres arrêtèrent alors de pousser.

La créatrice au chignon blond se baissa et attrapa l'une des fleurs qui venait de pousser. Elle ressemblait à un narcisse mais Séquoia ne l'aurait pas parié. Il n'était vraiment pas doué en botanique ! Avec toute la douceur du monde, Plus-ou-moins-Pissenlit porta la fleur à son visage. Séquoia vit son nez s'agiter lorsqu'il rencontra le parfum de la plante. La jeune femme battit plusieurs fois des paupières, comme transportée par l'odeur.

- On dirait une vraie.

Elle avait l'air surprise.

- Mais n'oublie pas la règle numéro une Iris.

La voix de Lierre était posée, calme, mais d'une réalité qui contrastait avec la joie qu'ils venaient tous de ressentir. Ce monde n'est pas réel, récita Séquoia dans sa tête. Iris – elle ne s'appelait donc plus Pissenlit dans l'esprit du jeune homme – fit une moue triste. Elle se terra ensuite dans un silence et laissa pendre son bras. La fleur regardait dorénavant vers le sol en terre battue. Narcisse soupira ostensiblement. L'instant d'euphorie venait de s'achever.

- Rabat-joie, dit-il avec mauvaise humeur. Ce narcisse est très beau.

Séquoia avait pensé la même chose. Il s'était cependant bien gardé de le dire. Il fut d'ailleurs surpris de penser la même chose que cet étrange énergumène qu'était Narcisse. Le petit bouclé en était sûr, il n'avait rien à voir avec le beau gosse blond au caractère exécrable qui se dressait devant lui. Et puis, Séquoia avait entendu de sacrées rumeurs sur ce Narcisse. Il se demandait vraiment pourquoi il faisait partie de l'aventure.

Il y avait à présent de la terre, sept créateurs, un soleil artificiel et un étrange petit jardin botanique. Chêne prit les commandes du groupe et se lança dans des explications sur les premiers objectifs : créer l'environnement de leur choix. Des arbres, des roches, de l'eau, comme ils le souhaitaient.

Lierre proposa de partir sur la base d'une île. Cela permettait de circonscrire une zone d'action et de l'entourer d'eau. Il parla du fait de ne pas laisser de matière virtuelle proche d'autre chose que de l'eau pour ne pas déranger un futur écosystème. Séquoia ne comprenait pas totalement où voulait en venir le grand latino – et il ne comprenait d'ailleurs pas tous les mots compliqués qui étaient utilisés – et laissa Lierre et Chêne partir dans un débat sur différentes lois de la physique à mettre en place ici. Dahlia intervenait de temps à autres, et Trèfle paraissait comme absorbé dans la conversation. Iris quant à elle ne disait rien. Elle tenait toujours sa fleur dans la main. Son narcisse.

- Bon ils ne sont pas funs eux.

Le Narcisse humain tourna les talons et s'approcha du rebord de la terre. Juste après, il y avait du vide. Le blond s'assit sur le bord et laissa ses jambes se balancer dans le virtuel.

- Si vous voulez faire une île, il faut la plage.

Une poussière passa dans les yeux de Séquoia. Puis deux, puis mille. Il cligna plusieurs fois des paupières et porta ses mains à son visage. Ce n'étaient pas des poussières, mais des milliers de grains de sable qui apparaissaient sous le regard médusé du jeune homme. Narcisse, les paumes vers le vide, était en train de créer le sable marin.

- C'est m'ga stylé !

Séquoia s'était précipité vers Narcisse. Il joignit ses mains et pensa alors à deux gros jets d'eaux qui sortiraient de ses bras. La seconde suivante, le jeune homme s'était transformé tuyau d'arrosage humain. La pression de dizaines puis centaines de litres d'eau passait au travers du corps de Séquoia dont les jambes flageolaient entre la fatigue et l'excitation. Iris fit de même et se mit à remplir la nouvelle mer. Les différents jets d'eaux formaient des rubans qui s'enroulèrent petit à petit et vinrent colorier le vide, allant de plus en plus loin de la terre. Leur île prenait forme.

Derrière eux, Lierre s'était tourné vers la terre et créait à perte de vue des champs verdoyants et de la terre battue. Lorsque Séquoia regarda par-dessus son épaule, il remarqua la nouvelle nature qu'ils étaient en train de créer. L'île grandissait. L'euphorie revenait.

Chêne posa ses mains sur le sol et sculpta la terre. Le sol montait ou descendait comme un tissu que l'on froisserait minutieusement, mètre par mètre, créant alors une colline au centre de l'île puis des vallées jusqu'à la plage et la mer qu'Iris et Séquoia étaient en train de remplir. L'île se dessinait.

Après plus d'une demi-heure à envoyer de l'eau dans leur nouvel océan, Séquoia coupa les canaux de son jet d'eau imaginaire et souffla un coup. Il était épuisé et manqua de s'écrouler en s'arrêtant. Ses pieds dansèrent dans le sable pour éviter la chute et ses yeux virent trouble. Iris lui tendit un bras pour l'aider à reprendre son équilibre. La jeune femme avait le front trempé de sueur et son chignon ressemblait maintenant à une patate molle sur le coin de sa tête. Narcisse s'était allongé sur le sable et ses paupières serrées trahissaient sa souffrance. Ils étaient épuisés. Mais la mer commençait déjà à disparaître puisqu'elle n'était plus approvisionnée en eau.

- Il faut créer un cycle, expliqua alors Chêne qui venait de les rejoindre. Une loi de la physique spécifique, comme une notice pour notre univers.

Séquoia réfléchit quelques instants. Il regarda au loin mais ne voyait que la mer finir par disparaître en cascade dans le vide virtuel.

- Quand l'eau arrive aux cascades au fond de l'océan, elle pourrait s'évaporer sous l'île et être renvoyée dans la terre.

- Il nous faudrait alors une source pour que l'eau puisse revenir, enchaîna Iris. Et une rivière pour l'amener jusque dans la mer.

Il y eut un craquement lointain. La terre se fendit en deux et de l'eau s'écoula alors dans l'interstice, profond d'environ deux mètres. Une rivière venait de naître devant eux. Chêne se tourna précipitamment vers Iris.

- Tu as réussi à créer une source d'eau sans même être à côté !

Le ton de sa voix trahissait un sentiment d'admiration. Iris eut un sourire timide en haussant les épaules. A la vitesse de l'éclair, Chêne sortit un calepin de sa poche arrière, un stylo et se mit à griffonner à toute vitesse sur la première page. Iris lui fit un clin d'œil.

- On dirait que j'apprends vite.

Lierre les aida à gérer le flux de l'océan. La vitesse d'écoulement de la cascade du bout du monde, le débit de la rivière qui allait de la source à la mer, le latino se lança dans tout un tas d'expérimentations avec l'aide de Trèfle. Dahlia sculpta le lit de la rivière qui serpentait de la source, tout en haut de la colline, jusqu'à la place où elle se jetait dans l'océan. Le niveau de l'eau finit par s'équilibrer. Lierre avait haussé les épaules en disant qu'un système aussi simple ne marchait que dans un monde virtuel où tout était possible.

Alors qu'ils étaient tous occupés avec l'eau, aucun d'entre eux ne se rendit compte de l'incendie qui était en train de prendre derrière eux. Ni odeur, ni fumée, seulement un brasier écarlate qui rongeait les arbres. Lorsque Séquoia se retourna et surprit les flammes danser leur farandole macabre, il poussa un cri d'épouvante. 

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