03 - Séquoia

Séquoia ouvrit grand la bouche, ébaubi par la disparition de Chêne. Venait-elle vraiment d'être avalée par le mur de vase noire ? Incroyable ! Le jeune homme tourna frénétiquement la tête dans toutes les directions pour regarder ses nouveaux camarades, ce qui désorganisa encore plus ses cheveux bouclés. Il regarda ses comparses : les créateurs avaient tous sensiblement le même âge, bien que Chêne et Monsieur Je-sais-tout donnaient l'air d'être plus matures. Il avait déjà oublié le nom de celui qui était vraisemblablement le plus grand d'entre eux. Séquoia se fit la remarque qu'il avait des sourcils épais. Il se tenait aussi très droit, beaucoup plus que les autres. Mais impossible de se rappeler son nom ! Roseau peut-être ? Il était compliqué pour lui et son trouble de l'attention de retenir les sept noms de plantes qui leur avait été attribués en guise de pseudonymes.

Il avait reçu Séquoia, et c'était déjà assez compliqué pour ce dernier de se rappeler de nom-ci. Personne ne lui avait demandé son avis ; il n'était même pas sûr de l'orthographe de ce mot, ni d'ailleurs à quoi pouvait ressembler un séquoia. Les noms de Chêne et Narcisse étaient les seuls qui avaient marqués sa mémoire. Facile pour Narcisse ! Ce dernier se présentait comme insupportable, vicieux, et terriblement narcissique. Sequoia en aurait mis sa main à couper que le pseudonyme avait été choisi pour cela ! Quant à Chêne, elle était celle qui prenait la place de la cheffe du groupe. Son nom était donc plus aisé à retenir pour un Séquoia généralement trop peu concentré à propose de ce qu'il se passait autour de lui.


Le jeune homme regarda les deux personnes les plus proches de lui. Ils étaient habillés de la même façon que les autres : un pantalon noir en bas et une chemise grise à col mao en haut. Sur cette chemise était brodée de fil blanc la plante pseudonyme de chacun, au niveau du cœur. Le garçon à sa gauche, qu'il aurait appelé Monsieur Silencieux, avait un trèfle de brodé. Facile pour retrouver son prénom ! La fille à sa droite, Madame Discrète, arborait une fleur brodée mais Sequoia se trouvait bien incapable de reconnaître l'espèce qui était représentée. Un pissenlit peut-être ? En tout cas elle faisait un très joli pissenlit. Puis il ramena son peu intérêt vers l'étrange mur noir au bout de la pièce. Celui qui venait d'avaler leur responsable.

-          Est-ce que Chêne est passée de l'autre côté du mur ? questionna-t-il.

-          On dirait bien.

Madame Discrète s'exprimait d'une voix douce. Elle ressemblait à une poupée aux joues rondes et aux yeux aux longs cils. La seule chose qui la différenciait d'une œuvre de porcelaine étaient ses cheveux blonds trop en bataille qui formaient un chignon qui tenait sur sa tête par on-ne-savait quel miracle d'équilibre. Encore un mouvement de tête et l'attention de Séquoia s'agrippa sur les autres créateurs qui affluèrent autour mur noir.

Piqué par un intérêt soudain, il se précipita à son tour vers le mur. Dans sa tête se mêlaient curiosité, admiration et peur. Assez vite, ils furent tous les six réunis en arc de cercle face à cette étrangeté Séquoia se rapprocha, captivé, puis eut un mouvement de recul à peine s'était-il retrouvé trop près de cette masse noire qui s'étirait devant lui. De près, le mur avait un air visqueux qu'il n'aurait pas imaginé plus tôt. C'était du solide, certes, mais sa surface était irrégulière et brillante. Elle donnait l'impression de gargouiller doucement comme une nappe de pétrole en ébullition. Par réflexe, le jeune homme voulu toucher. Il voulait savoir quel était la texture de ce mur. Il n'eut cependant pas le courage de le faire, arrêté au dernier moment par la crainte d'être avalé comme Chêne. Il préféra regarder et attendre que quelqu'un d'autre le fasse. Quelqu'un de plus courageux que lui.

Ce fut le grand latino aux épais sourcils qui s'approcha le plus près du mur. Après inspection de celui-ci, il déclara :

-          J'imagine qu'il faut la suivre.

-          Après-toi Lierre hun, lança la fille au crâne rasé.

Et le dénommé Lierre franchit le mur sans plus de cérémonie.

En une seconde, toute trace de lui avait disparu. La fille à la peau noire l'imita sans sourciller. Dahlia, se souvint alors Sequoia. Son regard d'émeraude impressionnait le jeune homme. Il se souvenait l'avoir déjà vu quelque part. Sur internet ou sur des plateaux télé peut-être. Il ne savait plus exactement pourquoi, mais cette fille-là était célèbre.


Et ils ne furent plus que quatre, remarqua Sequoia. Il avait l'impression d'être dans un roman à suspense. Il ne restait dans le Bureau que le dénommé Trèfle, Plus-ou-moins Pissenlit, Narcisse et lui-même. Séquoia échangea un regard timide avec la fille. Elle ne semblait clairement pas plus partante que lui de tenter l'expérience de la disparition au travers du mur. Normal ! avait-il envie de s'écrier. Trèfle était, comme depuis leur arrivée, muré dans un silence total. Il ne devait pas se sentir à sa place dans le groupe. Pas étonnant, pensa Séquoia. Il n'était pas prévu dans le projet. Il était en quelque sorte la septième roue du carrosse. Narcisse l'avait bien fait remarquer lorsqu'il avait dit que Trèfle n'avait rien à faire ici ! Il avait pris la place de l'étudiante en neurobiologie qui avait abandonné le projet hier soir. Ce Trèfle n'avait pas été choisi comme l'avait été Séquoia, plus-ou-moins Pissenlit, Lierre et Dahlia. Même Narcisse avait été choisi, bien qu'aucun des autres créateurs ne semblait comprendre les raisons qui avaient motivées Chêne à le recruter.

Trèfle avait approché sa figure du mur. Pour la première fois, il exprimait autre chose que de la gêne. Il avait l'air curieux, obnubilé par l'étrange matière sombre. Il la touchait pratiquement du bout du nez. Presque. Il n'était qu'à un ou deux centimètres.

Et son nez s'écrasa contre le pétrole du mur.

Sans crier gare, Narcisse lui avait projeté la tête contre la paroi. Il avait plaqué la paume de sa main sur l'arrière du crâne de Trèfle et avait appuyé avec force. Avec beaucoup de force même ! L'instant suivant, le petit gabarit de Trèfle fut absorbé par le mur. Sourire carnassier du narcissique qui pivota sur lui-même de manière théâtrale, singeant une mimique de gêne.

-          Oups. Bon, allez les amoureux, on est parti ? A moins que je ne sois obligé de vous pousser vous aussi ?

Séquoia sentit immédiatement le rouge lui monter aux joues à peine. Amoureux ? Mais pas du tout ! Il ne connaissait même plus le nom de cette fille et l'avait à peine regardée ! Il s'accorda alors un autre coup d'œil vers elle, s'attachant au détail de sa chemise qui lui allait trop grand. Cela lui donnait néanmoins un certain style, se disait-il. La mode de l'oversize c'était ça ? Cette dernière parut interloquée par le fait que Séquoia la dévisageait et battit des cils. Elle préféra vraisemblablement rencontrer le mur et disparut à son tour dans l'étrange masse noire sans dire un mot.

Séquoia suivit alors. Il ferma les yeux, gonfla ses joues pour retenir sa respiration, et plongea dans l'inconnu.

L'inconnu était visqueux.


Une petite île en terre battue. Absolument rien d'autre. Sur ce disque de terre d'un maximum de trois mètres de rayon, les créateurs se regardaient sans rien dire. Autour de leur îlot flottant, du vide. Séquoia ne voyait rien au-dessus, en-dessous ou sur les côtés. Du vide informatique ou quelque chose du genre, pensait Séquoia qui ne connaissait que trop peu l'univers dans lequel il avait atterri. Autour de lui, seule une boule de lumière identique à celle créée par Chêne quelques minutes auparavant était visible. Elle éclairait le cercle des créateurs qui avaient tous des allures de fantômes aux ombres effrayantes autour de ce maigre point de lumière.

La boule grossit et monta petit à petit dans les airs. Sa lumière avait l'air de plus en plus forte, et la boule grossissait encore en montant dans les airs. Chêne racontait quelque chose mais Séquoia n'écoutait guère, son attention étant totalement rivée sur ce nouveau petit soleil qui montait encore et encore dans le vide qui servait de ciel à cet endroit.

-          ... il vous suffit d'imaginer quelque chose et cela apparaîtra dans le monde, expliquait Chêne alors que Séquoia raccrochait à la conversation. La partie qui gère l'imagination de nos cerveaux est directement reliée à ce lieu virtuel. Nous pouvons donc virtuellement créer tout ce que l'on imagine.

Le jeune homme aux airs de lutins écarquilla les yeux. Ils allaient enfin pouvoir tester à leur tour ce phénomène sur lequel Chêne travaillait depuis tant de temps ! Séquoia s'imaginait déjà faire pousser de gigantesques séquoias en l'honneur de son pseudonyme puis monter dessus et crier tel un homme des forêts.

Il avait quasiment l'image en tête, lorsqu'il se rendit compte qu'il ne savait toujours pas à quoi ressemblait cette espèce d'arbre. A quoi ressemblait un séquoia ? Il se dit que c'était peut-être un arbre qu'il n'avait jamais vu et qui ne poussait pas dans sa campagne du centre de la France. Était-ce un arbre tropical, qui s'épanouissait dans la jungle avec des immenses lianes qui pendient le long de ses branches ? Ou alors était-ce une sorte de palmier comme sur une île déserte ? Se prélasser sur la plage sous un séquoia, en voilà une action qui ravirait le jeune homme ! Il s'y voyait déjà, les doigts de pied en éventail, sous ce qu'il avait imaginé être un séquoia. Chêne quant à elle continuait ses explications mais Séquoia n'écoutait plus.

-          Attention, la maîtrise de la Surconscience n'est certainement pas facile. Il faut commencer à petite éch ...

Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'un mouvement vif se produisit devant eux. Séquoia fit un bond en arrière, surpris, avant de remarquer que quelque chose avait jailli de la terre battue pour venir se cogner contre son genou. Il s'agissait d'un petit palmier, un peu frêle, qui se serait cassé en deux s'il y avait eu le moindre coup de vent dans ce monde virtuel. Séquoia écarquilla les yeux et sa bouche forma un rond de stupeur. 

-          Qui est-ce qui ... commença la créatrice au chignon blond, ne sachant comment finir sa phrase.

Un silence régnait dans le groupe. Dans cet endroit où le bruit n'avait pas encore été imaginé, ce silence était d'autant plus impressionnant. L'atmosphère était glaciale, bien moins reposante que celle qu'avait imaginé Séquoia lorsqu'il se pensait sous un arbre tropical.

Dans ce nouveau monde, seules les chaussures de Dahlia qui frottaient la terre offraient aux oreilles des sept créateurs quelque chose à entendre. Même Narcisse ne semblait rien trouver à redire cette fois-ci. Il regardait le petit palmier avec un air impossible à déchiffrer pour Séquoia. Était-il admiratif ou condescendant envers ce petit arbre ? Les boucles châtaines de Séquoia bondirent sur sa tête tandis qu'il relevait rapidement son menton vers les autres.

-          Je crois qu'c'est moi qui ait imaginé ça, avoua-t-il. Dites-moi ... ça n'ressemble pas à ça un séquoia n'est-ce pas ?

Dahlia éclata de rire.

-          Mais pas du tout !

Puis elle marqua un temps de pause. Son visage se transforma comme si elle avait eu une révélation.

-          Attends c'est toi qui as créé ça ?

Le bouclé acquiesça. Il expliqua qu'il était en train d'imaginer à quoi pouvait ressembler un séquoia, et que l'image d'un palmier lui était venu en tête. Il avoua cependant qu'il imaginait un arbre bien plus grand que le petit palmier devant lui. Les autres créateurs échangèrent de regards. Narcisse lâcha un sifflement comme s'il était impressionné.

-          Il suffit alors d'imaginer, marmonna-t-il.

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