02 - Chêne


Tous bien là, autour de la table. Le silence intima à Chêne l'ordre de continuer. Ils attendaient les directives et la pression de leurs regards pesait sur elle. Une vague d'angoisse menaça de l'envahir lorsqu'elle réalisa qu'ils comptaient tous sur elle. Après tout, c'était elle seule qui les avait embarqués dans cette expérience dangereuse que personne n'avait jamais eu la folie de tester auparavant.

Un projet qui à tout moment pouvait virer à la catastrophe.

L'envie de vomir revint poignarder les entrailles de Chêne. Après s'être raclé une nouvelle fois la gorge et serré les poings dans une tentative d'écraser le stress, elle commença.

- Bienvenue dans le Bureau. Nous sommes dans l'interface que j'ai pu créer sur mon ordinateur grâce à un logiciel 3D. Le Bureau est le seul endroit construit au préalable dans le projet Surconscience. Il est le sas entre le vrai monde et cette zone indéfinie de vide qui sera notre terrain d'expérience. C'est là-bas qu'il sera possible de créer tout ce que l'on veut.

- Tout ce que l'on veut, fit écho Séquoia.

Ses cheveux châtains ébouriffés lui donnaient un air de scientifique fou. Son nez en trompette lui ôtait toute forme de sérieux. Chêne trouvait qu'il ressemblait à un lutin. Un joyeux petit lutin.

- Vous avez tous très généreusement accepté de participer à un projet d'envergure internationale. Un projet qui pourrait bien changer la face du monde. Vous avez chacun reçu un pseudonyme de végétal afin d'assurer votre anonymat durant ces trois prochains mois.

Narcisse, le démon aux cheveux blonds, persifla un commentaire que ne put entendre Chêne. Dahlia, à côté, le fusilla du regard. Chêne secoua la tête puis reprit :

- Nous sommes tous les sept ici pour tester la Surconscience, ce procédé de liaison entre une interface informatique et une neuronale que j'ai pu créer dans le cadre de ma recherche avec une étudiante en neurobiologie.

- Etudiante qui a abandonné le projet, rajouta Narcisse. Pourquoi d'ailleurs ?

Sa fausse candeur énervait au plus haut point Chêne. N'avait-elle pas fait la pire des erreurs en l'incluant dans ce projet ? Elle garda cependant un air impassible. Elle ne pouvait pas gérer les attaques de Narcisse et la pression du projet en même temps.

- Comme vous le savez, cette expérience nous demande de collaborer à sept dans la création d'un univers imaginaire. Nous avons trois mois pour travailler ensemble à la conception d'un monde, d'une société – ou de plusieurs – d'un écosystème, de règles, de lois de la physique ... Bref, tout ce qui peut être imaginable. Nos consciences – et nos Surconsciences – sont imputées dans ce programme. Il n'y a aucune limite dans le projet, si ce n'est l'imagination ; et les trois principes que je vous ai énoncés précédemment.

Elle marqua un temps. Ils connaissaient tous ces règles qu'elle avait mis en place afin de baliser le projet. Cependant, il s'avérait de mise de répéter. Encore et encore.

Le protocole.

- Premier principe...

Lierre compléta immédiatement :

- Ce monde n'est pas réel.

Séquoia se tâta les bras comme pour vérifier qu'il était vraiment là. Il toucha ensuite la table, puis le bord de la chaise, avant de lancer un regard plein de questions aux autres.

- C'quand même dingue tout ça.

- Deuxième principe, continua Chêne après un hochement de tête.

- Une seule sortie du monde est autorisée par créateur, récita une nouvelle fois Lierre.

Chêne se tourna vers lui. Il était assis droit sur sa chaise, les bras pliés sur la table. Ses yeux bruns exprimaient un calme olympien. Il parlait avec un très léger accent hispanique, qui, ajouté à sa peau mate, appuyait ses origines latino-américaines. Chêne se souvenait qu'il était péruvien. Le jeune homme reprit :

- Il suffit d'actionner le mécanisme d'ouverture de la montre qui est à notre poignet. Il y a un bouton nous permettant de nous déconnecter de la Surconscience. Il ne marchera qu'une seule fois par personne.

- C'est qu'il a bien appris son cours celui-là.

Lierre ne réagit pas à la pique, comme s'il n'avait même pas entendu ce qu'avait glissé Narcisse. Chêne n'était pas étonnée qu'il soit capable de réciter par cœur les règles apprises. Il était sans doute le plus studieux des créateurs présents.

Un autre participant, celui qui était resté derrière sa chaise, évita le regard analytique de Chêne. Installé comme cela, avec ses cheveux coupés très court et sa petite taille, la jeune femme trouvait qu'il ressemblait à un de ces adolescents encore innocents envoyés sur les champs de batailles. Elle décida de chasser cette image de son esprit et d'enchaîner sans laisser le temps aux autres de répondre à la nouvelle attaque de Narcisse.

- Enfin, le troisième principe ...

Il y eut une seconde de silence.

- Il est de tuer un autre créateur, déclara la fille qui était le plus en retrait.

Elle qui avait été si silencieuse tout le long attira alors l'attention des six autres personnes. La blonde leva les épaules comme si elle avait dit une bêtise.

- Exactement Iris, remercia Chêne.

- Quel dommage, lança Narcisse d'une voix doucereuse en direction de cette Iris.

L'intéressée baissa la tête, trouvant sûrement le pied de sa chaise bien moins attaquant que ce que lançait Narcisse. Dahlia, elle, tapa du plat de la main sur la table avec force :

- Non mais tu vas te taire oui ?

Elle se tourna ensuite vers Chêne :

- Pourquoi est-ce qu'il est là lui ? Pour mettre le bordel hun ? On sait très bien qui il est !

Narcisse le bellâtre s'esclaffa.

- S'il y a bien une personne qui n'a rien à faire ici, c'est pas moi, c'est lui !

Coup de menton vers celui qui était resté debout derrière sa chaise. Ce bouclier de fortune ne lui avait donc pas permis d'éviter la remarque cinglante envoyée par Narcisse. Il n'avait encore prononcé aucun mot, mais les regards curieux n'avaient cessé de fuser dans sa direction depuis que les créateurs étaient arrivés.

- Trèfle a sa place comme tout le monde ici et tu n'as pas à émettre d'opinion là-dessus, trancha Chêne avec autorité.

Il y eut un nouveau silence. Personne n'osait parler. Chêne n'avait pas l'habitude de lever la voix. Elle n'avait pas non plus l'habitude de diriger un groupe. Elle préférait le calme et la logique des ordinateurs à l'imprécision des êtres humains. Chêne savait que le temps d'acclimatation à chacun allait pouvoir être source de tensions et elle ne préférait pas qu'une altercation éclate dès la première heure de leur mission.

- Je reprends donc. Vous avez toutes et tous été recrutés pour vos qualités et ce que vous pourrez apporter à ce projet. Je sais que c'est un projet qui a l'air totalement dingue, mais je pense que nous pouvons arriver à créer un monde ensemble en se basant totalement sur notre imagination. Nous avons trois mois pour arriver à maîtriser la Surconscience et travailler ensemble. Trois mois pour rendre compte de notre avancée, les sponsors ne nous accorderont pas une seconde de plus.

Chêne ressentait le besoin de souligner l'importance de leur tâche. Elle avait devant elle six autres jeunes adultes qui tenaient entre leurs mains ce qui allait être l'avenir de l'humanité. La jeune femme en était sûre : ils étaient en train de faire le premier pas dans le futur.

Elle se leva d'un geste un peu brusque. Ses pas l'approchèrent du grand mur d'un noir de jais. Elle l'effleura de ses doigts curieux. La texture était étrange, bien plus molle que ce qu'elle avait imaginé jusque-là. Presque liquide. Elle avait travaillé sur cette matière pendant si longtemps sans jamais pouvoir la toucher. Ce n'était pas de la matière artificielle aussi simple que la table ou les étagères qui avaient cette teinte noire caractéristique. Ce mur était un concentré d'informations électriques provenant de tous leurs cerveaux respectifs.

- Premièrement, il faut créer une terre, dit-elle.

Chêne fut absorbée par le mur.

Son imagination venait de la dévorer.

Interdit ou impossible

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