☾Partie 3/3
Je plongeai mon regard dans le sien et m'y noyai, partagée entre l'effroi et l'euphorie. Ariane s'était levée et se demandait comment elle pouvait bien me faire revenir a la réalité. Mais c'était a peine si je la voyais, obnubilée par le regard sombre de l'entraineur. Je savais qui il était mais je ne voulais l'admettre. Je ne voulais ni le voir ni l'entendre. Je souhaitais qu'il disparaisse a nouveau, comme lorsqu'il avait passé la porte en bois massif de l'orphelinat.
Une colère sourde consumait mon corps, faisant frémir mes doigts et trembler mon échine. J'étais incapable de lui en vouloir d'être parti, mais j'avais mis tellement de temps a essayer de me remettre de son départ, que le fait qu'il resurgisse ainsi dans ma vie m'ébranla violemment. Et c'était difficile à admettre, mais je m'étais habituée de son absence, j'avais appris à dire "je" au lieu de "on" et j'avais imaginé un avenir sans lui. J'étais passé à autre chose, et pourtant Clyde se tenait à nouveau devant moi.
Il m'observait simplement, sans aucune réaction visible, essayant sûrement de percer le mystère de ma présence ici. Etait-il au courant que j'étais sur Vivia depuis deux mois maintenant, ou étais-je la seule à ne pas savoir qu'un simple mur nous séparait ? Ariane savait-elle seulement combien il avait compté pour moi, ou était-elle aussi perdue que je l'étais en ce moment même ? Des centaines de questions dansaient devant mes yeux en me brouillant la vue, et je n'étais plus maître de mes sentiments, car je ne ressentais plus rien. J'étais complètement vide, aussi sentimentale qu'une pierre tombale. Que faisait-il là, bon sang ?
En l'observant plus en détails, je me rendis compte qu'il n'était plus exactement le même que dans mes souvenirs. Son nez semblait avoir été cassé à maintes reprise et son bras gauche, lequel il avait l'habitude d'enrouler autour de mes épaules, avait été remplacé par une prothèse en acier lui donnant la même allure que Bucky Barnes dans les Avengers. Son corps entier avait été sculpté par les coups, par la guerre et par la violence de ce monde. Il n'avait plus rien a voir avec celui de l'adolescent gauche que j'affectionnais tant. Mais dans ses yeux aux teintes d'hiver d'apparence, son regard était resté le même. En y plongeant dedans j'étais capable d'apercevoir le jeune homme confiant, plein d'espoir et avide de découvrir le monde et ses mystères. Il avait sûrement déjà tout vu et tout fait sur le front de guerre, mais j'espérai au plus profond de moi, qu'il était resté le même, le jeune écossais rebelle et visionnaire de l'orphelinat.
D'interminables secondes défilèrent, mais j'étais toujours incapable de faire le moindre mouvement ou de prononcer le moindre mot. J'examinai chacun de ses mouvements, essayant d'y déceler des bribes de réponses a mes questions, quelque chose, n'importe quoi qui m'expliquerait comment, de son voyage sur le continent, avait-il finit ici, seul, combattant dans une guerre qu'il n'avait pas voulu. Son voyage en Europe avait-il été réel, ou était-ce simplement une excuse comme mon entretien d'embauche ? Quand je relevai enfin mes yeux sur son visage je fus surprise d'y trouver des yeux presque larmoyants, une fêlure dans son armure en fer blanc. Une preuve qu'il avait gardé un semblant d'humanité. Je n'attendais à présent que d'entendre le son de sa voix, sa voix qui ferait enfin pencher la balance de mes émotions, et me donnerai la confirmation qu'il était bien là, face a moi. Mais quand je l'entendis enfin, ce fut une voix tout droit sortie des ténèbres, aussi froide qu'un blizzard:
"- Professeur McKin, que fait-elle ici ?"
Son regard métallique était braqué sur le professeur, qui semblait aussi gêné et désemparé qu'Ariane. Mais il n'eut apparemment pas à répondre pour que Clyde comprenne:
"- Vous l'avez aussi formée pour la guerre ? Mais elle ne peut pas, elle n'est pas faite pour ça ! Elle ne pourra pas s'en sortir ! Pourquoi l'avez-vous amenée au détriment de sa vie ? Etes-vous aussi égoïstes, vous et votre saleté de planète, pour penser que kidnapper des jeunes terriens sans leur avis pour ensuite les jeter dans la cage au lion rendrait la justice ? Vous êtes simplement trop faibles pour mouiller votre maillot à notre place. Je ne vous accordais pas une grande confiance avant, mais dorénavant, je ne vous comprends plus !"
Son flux de paroles, si justes, me laissaient pourtant interrogative: disait-il cela car il tenait à moi, ou étais-je la personne de trop, comme la goutte qui faisait déborder le vase ? Mais si jusqu'à maintenant, le professeur écoutait sans intervenir, ce fut son tour de donner son point de vue:
"- Nous ne sommes pas égoïstes, Clyde. Cette guerre, qui nous touche actuellement, pourrait également devenir une guerre universelle. Si nous n'arrêtons pas Vénéa, elle deviendra toujours plus forte et toujours plus avide de pouvoir. Vivia est actuellement leur bouc émissaire, mais la Terre sera leur prochaine proie, si nous ne faisons rien. Tu nous traites d'égoïstes, mais tente de penser plus grand que ta personne, toi aussi."
Je les écoutais avec attention, voyant ces deux hommes se défier du regard sans s'avouer vaincus. Le besoin de Clyde de toujours avoir raison n'était pas parti, depuis ces années. Mais bientôt, il sembla lâcher prise.
"- Ce n'est pas possible ! Je ne sais pas quoi dire, tellement la situation est absurde !"
Je lui aurai bien dit que j'étais d'accord avec lui, s'il n'avait pas complètement perdu le contrôle de lui-même. Il se tenait maintenant la tête entre ses mains et répétait en boucle "Ce n'est pas possible, pas elle.". Il parlait de moi, mais ne m'avait pourtant pas adressé la parole, depuis le début. La situation m'échappait à mon tour. Des larmes roulaient maintenant sur mes joues et je ne les contrôlais plus, je ne contrôlais plus rien. La colère, l'incompréhension, le doute, tous ces sentiments refoulés m'échappaient. Mes souvenirs et mes peurs me filaient entre les doigts sans que j'y puisse quoi que ce soit.
J'allais m'effondrer quand je le vis quitter la salle d'une démarche vive et sévère, l'air rageur. Les cris et les paroles, qui avaient fusé en résonnant dans le couloir noir, s'étaient tues en laissant derrière elles un silence confus. Mon coeur battait la chamade, alors que je n'avais pas bougé. Mon corps tremblait, alors que je n'avais pas peur. Les larmes coulaient, alors que je n'étais pas triste. Non, j'étais juste chamboulée, comme si mon esprit ne tournait plus correctement.
Je vis Ariane s'approcher de moi, l'air soucieux et compatissant.
"- Jo, qui était Clyde pour toi ? Un amour perdu ? Un proche ? Je ne le connaissais pas comme ça, excuse-moi."
Ses bras s'enroulèrent autour de mes épaules, et moi qui étais d'habitude peu envieuse des câlins, je la laissai faire, mes bras tombant le long du corps.
"- Ce n'est pas grave, ça va s'arranger."
L'image du professeur McKin était floutée par les larmes qui me brouillaient la vue, mais je vis sa forme s'approcher lentement de moi. Que s'était-il pourtant passé, pour que je me sente aussi atteinte ?
"- Je pense qu'elle est fatiguée et étourdie. Si tu pouvais la ramener dans son lit, je t'en serais reconnaissant. L'entraînement est fini pour aujourd'hui, chuchota le professeur.
- Avec deux heures d'avance ?"
Un long silence s'ensuivit, avant qu'il n'acquiesce. Mais je ne les écoutais pas, je regardai fixement les nombreux tatouages d'Ariane qui dansaient devant mes yeux. Le cycle lunaire, un serpent, une dague, une pivoine, des inscriptions viking, une date, un crâne, une forêt, son rat... Elle en avait tellement qu'il m'était impossible de tous les compter.
Je sentis bientôt mon amie me ramener dans le dortoir en me faisant silencieusement monter les escaliers et éviter les robots ménagers.
"- Tu es complètement crevée, mais tu verras, demain est un autre jour. Tu reprendras le contrôle et tout se remettra en marche."
J'affirmai en un geste de la tête, avant de lui poser une question complètement différente:
"- Ariane, combien as-tu de tatouage ?"
Sans que je ne m'en rende complètement compte, elle cacha prestement son épaule gauche en répondant:
"- Je ne sais même pas moi-même. C'est plus un ensemble de tatouages qui relatent des moments de ma vie, des souvenirs ou ce genre de choses."
Un sourire crispé se dessina sur son visage, avant qu'elle ne lâche son épaule pour me prendre les bras. Et soudain je compris. Le serpent qui était gravé dans sa peau était le même que celui attribué aux recrues. Et son rat, alors ? Pourquoi en avait-elle deux ? Mais je n'eus pas le temps de lui poser la question que je tombai lourdement dans mon lit et m'endormis dans les secondes qui suivirent. Il fallait que je lui pose la question demain...
***
Le réveil fut bien plus que rude, il fut presque insurmontable. Combien de temps avais-je finalement dormi, cette nuit ? Trop peu, c'en était sûr. Mes souvenirs étaient encore embrouillés, comme si je rentrais d'une fête alcoolisée, mais mon envie de demander des explications à Ariane me revint bien vite. Celle-ci m'observai de loin, songeuse. Pensait-elle que j'avais perdu la tête, depuis hier ? J'avais perdu le courant des choses, mais pas le contrôle de mes pensées.
En lui intimant silencieusement de venir, elle s'approcha de moi et me demanda:
"- Alors, comment te sens-tu, aujourd'hui ?
- Comme si j'avais la tête sous l'eau et que je perdais peu à peu connaissance.
- Eh ben, c'est pas très joyeux, tout ça."
Je ne répondis pas à sa remarque, mais elle me demanda:
"- Mais qui était Clyde, pour toi ? Un ancien petit amoureux ? chuchota-t-elle énigmatiquement
- Pas du tout ! C'était mon seul ami à l'orphelinat, on peut dire.
- Comment ça, "on peut dire" ?
- Parce que je le considérais un peu comme ma famille.
- Ohhhhh, c'est mignon tout plein !"
En me disant cela, elle me pinça vigoureusement les joues et je dus lui intimer d'arrêter pour qu'elle enlève ses mains, en laissant sur mon visage deux traces rougeoyantes. Je ne savais pas si c'était la fatigue ou sa manière de me prendre au second degré qui me dérangeait le plus, mais son attitude me mettait hors de moi. Ariane se tourna à nouveau vers moi et me dit:
"- En tout cas, tu as l'air plus parmi nous ce matin que cette nuit !
- En parlant de cette nuit, pourrais-tu m'expliquer pourquoi un rat et un serpent sont dessinés sur tes épaules ? Pourquoi n'en as-tu pas un seul, comme tout le monde ?"
A ma question, elle recula de quelques pas en semblant ne pas savoir comment répondre.
"- Comment ça ? Je n'ai qu'un rat, dit-elle en tentant de paraître souriante et assurée. Tu peux vérifier sur mon épaule droite."
A ses mots, elle fit tomber la manche de sa combinaison sur sa hanche et laissa apparaître son rongeur noir.
"- Mais je ne te parle pas de ton épaule droite, je veux voir la gauche."
En entendant ma demande, mon amie sembla perdre toute contenance et tenta de dévier le sujet:
"- Mais enfin, j'ai sûrement dû me faire tatouer un serpent sur Terre il y a quelques années ! Tu as dû rêver, hier soir. Revoir ton ami d'enfance a dû un peu bouleverser ton esprit. Il était comment, plus jeune ?
- Montre-moi le tatouage que tu as sur ton épaule gauche, maintenant ! criai-je sans pouvoir me contenir."
Résignée, elle tira sa manche d'un geste rageur et son second tatouage me sauta aux yeux, comme une apparition. Soudain suppliante, elle me parla en chuchotant presque, mais c'était à peine si je l'écoutais, seulement intéressée par son serpent, dont le corps s'enroulait autour d'une proie pour l'étouffer et finalement la dévorer. C'était exactement ce que je ressentais à ce moment précis. Comme si le mensonge d'Ariane me prenait à la gorge et m'empêchait de respirer ou de réfléchir correctement.
"- Je suis vraiment désolée, Jo. Ne le prends pas mal, je t'en prie !
- Tu me mens depuis je ne sais combien de temps, et quand enfin je te fais cracher le morceau, tu me demandes de faire comme si de rien n'était ? Je ne suis pas ta proie, Ariane !
- Pardon ?"
J'étais la seule à pouvoir faire le rapprochement avec l'animal que son serpent s'apprêtait à dévorer, mais je ne pris pas le temps de lui expliquer et sortis de mon lit avec rapidité pour me rendre aux sanitaires, sans un regard envers mon acolyte.
"- Mais laisse-moi t'expliquer !
- Je ne suis pas d'humeur à entendre des explications de ta part !"
Sans rien ajouter, je la laissai en plan devant mon lit, complètement décontenancée. Même de dos, je réussis à imaginer sa tête, si joyeuse d'habitude et maintenant complètement déconfite. Une rage insoupçonnée envers elle montait en moi et parcourait mon corps entier.
Lors de la journée, je dus me contenir pendant les quatre heures de cours sur l'histoire de Vivia et je pus enfin enfin me lâcher l'après-midi au corps à corps en mettant violemment tous mes adversaires à terre. Pour une fois, l'entraîneur était réellement fier de mon travail. Le soir venu, Ariane m'attendait devant la porte de la salle d'entraînement et semblait songeuse. Quand elle me vit sortir, elle s'approcha vivement de moi en me retenant par le bras.
"- Jo, s'il te plait, j'ai besoin de t'expliquer."
Je voulais vraiment de ses excuses et renseignements sur son tatouage, mais cela ne voudrait-il pas dire que je n'avais pas réussi à lui tenir tête ? Pourtant, à sa mine attristée, je lâchai prise et la laissai m'entraîner dans les couloirs jusque dans le dortoir. Elle m'installa sur mon lit et resta debout, l'air réellement gêné.
"- Tout d'abord, je vais t'expliquer pourquoi je me suis fait tatouer un deuxième symbole et ensuite, pourquoi je ne t'ai rien dit."
Je n'ajoutai rien, attendant simplement qu'elle me fasse part de ses secrets.
"- Quand j'ai appris que tu avais été dotée d'un rat, j'ai tout de suite anticipé tes sentiments: en colère puis attristée et enfin, renfermée sur toi-même. Et d'ailleurs, tout cela a été vrai, ne le nie pas. Pour te redonner au moins un semblant de confiance en toi, j'ai voulu te ressembler. J'ai voulu te montrer qu'un tatouage n'était qu'un dessin. Alors j'ai demandé un rat en plus au tatoueur, et il a gentiment accepté.
- Contre quoi ?
- Comment ça ?
- Contre quoi le tatoueur a-t-il perdu son temps pour te refaire un tatouage ?"
Ariane semblait apparemment vouloir garder ça pour elle, mais ne voulant plus garder de secrets, elle me répondit:
"- Contre une de mes affaires terriennes, en particulier un bijou qu'il pourrait revendre très cher sur Vivia à des chercheurs. Je lui ai donné un de mes nombreux bracelets sans grande valeur. Il m'a dit qu'il garderait le secret sur de qui venait le bijou et je n'aurai normalement pas de problème."
Je réfléchis un instant avant de continuer:
"-Et tu ne me pensais donc pas capable de faire face à mon infériorité toute seule ?
- Mais ce que tu ne comprends pas, c'est que tu es inférieure seulement dans ta tête ! C'est de ça dont je voulais te parler ! Mais tu ne sembles toujours pas comprendre."
Je restai silencieuse, presque honteuse d'avoir dit cela. Je n'étais pas aussi inférieure que je le disais, et je le savais même au fond de moi.
"- Ensuite, je n'ai pas voulu te faire part de mon réel tatouage car je voulais que tu te sentes égale à moi, et pas que tu penses que je suis amie avec toi seulement parce que tu me fais de la peine. Est-ce que tu comprends ?"
Je ne savais réellement pas quoi penser de tout cela. J'étais en partie reconnaissante des efforts et des risques qu'elle avait pris pour moi, mais également en colère contre elle pour avoir su que je ne m'en serais pas sorti sans aide. Mais la réelle personne contre qui j'étais vraiment en colère, c'était moi, car je me voyais comme une moins que rien.
"- Je t'en prie, essaye de comprendre et dis-moi ce que tu ressens.
- Je ne ressens absolument rien. Ce n'est pas grave, tu n'as pas à t'en faire."
Ces cinq mots, difficilement sortis de ma bouche, étaient tellement faux qu'ils sonnaient mal. Bien sûr que je ressentais des choses, mais des sentiments tellement différents qu'il était impossible de les expliquer. Le visage d'Ariane ne reflétait pourtant que confiance, mais je n'arrivai pas à me livrer.
Et en ayant peur d'une nouvelle question de mon amie qui me ferait perdre tous mes moyens, je sortis sans rien ajouter d'autre que:
"- Je vais manger."
Incapable, voilà ce qui passait en boucle dans ma tête.
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Alors, la rencontre de Clyde ? Sympathique, selon vous ? 😏
Comment pensez-vous que tout cela va devenir sur longue durée ? 😟
Et l'action d'Ariane, qu'en pensez-vous ? 😊
Long chapitre, je m'en excuse !! 😅
Pour plus d'action... votons !! 🌟
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