☾Partie 3/3

William posa doucement son plateau sur la table et vint s'assoir à côté de moi. Voilà maintenant deux bonnes semaines que je n'avais à peine croisé son regard. Il semblait tellement effacé que sa présence en devenait presque invisible. Sur le coup, je m'en voulus de ne pas m'être plus intéressée à son intégration.

Son regard soucieux me fit baisser la tête vers mon plat. William étant habituellement compréhensif, je pensai enfin pouvoir déjeuner en paix, mais mes vœux semblaient avoir rejoint ma motivation: au fond du trou... Au milieu de la cohue environnante, il me parla de sa voix calme:

"- Je ne t'ai pas vue depuis une semaine. En réalité, personne n'a pu t'approcher sans se faire rejeter."

Il semblait attendre une quelconque réaction de ma part, mais il pouvait encore attendre longtemps.

"- Tu sais, tu penses peut-être être à plaindre, tu as peut-être de quoi être déçue, mais le monde tourne aussi bien sans toi. Toute la semaine, Ariane, Callie et moi avons essayé de t'aborder, mais tu étais apparemment trop occupée par toi-même. Passe à autre chose et vite, ou tu risquerais de terminer cette aventure toute seule."

Ce reproche franchit ses lèvres si rapidement, qu'aucun son ne put traverser les miennes. Mon silence dû le vexer, car il reprit son plateau sèchement et se leva de sa chaise.

"- Je pense que même parler avec ma purée aurait été plus vivant. Tu n'es pas la seule à rencontrer des problèmes, en ce moment, sache-le. Je vais retrouver Ariane à la table d'à côté. Et au fait, j'ai eu le lion, si ça t'intéresse."

A peine William eu-t-il tourné le dos que je me remis à me frictionner l'épaule gauche. Un réflexe que j'avais commencé à avoir, mais dont je ne savais toujours pas à quoi il pourrait m'avancer. Frotter mon bras jusqu'au sang n'effacera toujours pas mon rat. Les bras à nouveau immobiles le long du corps et le regard dans le vide, je me mis à repasser le monologue de William en boucle dans ma tête. D'habitude si gentil et réservé, il m'avait sorti toutes ces choses si facilement, que je me mis à penser que ses remarques étaient en fait celles de tout le monde. Mais par-dessus tout, elles étaient vraies. Egoïste, voilà ce que j'étais devenue.

Pourtant, avec plus de recul, je savais encore mieux que les autres que ce que je faisais était plus que ridicule. J'agissais comme une enfant à qui on aurait refusé l'entrée à Disneyland. J'assistais aux cours de sport sur le banc en regardant les autres tomber un à un sur l'estrade et je suivais les différents cours en amphithéâtre au fond de la salle, seule en train de réfléchir à un plan d'évasion impossible.

Si je ne portais plus attention à personne; c'était pour tout d'abord me comprendre, moi, et éclaircir mes idées. Une partie de mon ego était noyé sous la honte, mais une autre partie me suppliait de remonter à la surface. Malheureusement, aucune bouée de sauvetage n'avait été jetée à l'eau, et je coulai de plus en plus dans cette mer de confusion. La remarque de William me fit comme l'effet d'une main me replongeant la tête sous l'eau.

Mon plat encore entier, je me levai et sortis de la cantine en jetant un dernier regard à William en train de rire aux éclats face à Ariane, sûrement due à une des vannes extravagantes de celle-ci. Les voir rire ainsi fit apparaître un léger sourire sur mes lèvres, très vite effacé par les regards curieux qui suivaient tous mes faits et gestes. Cela avait beau durer depuis une semaine, être au centre des discussions me mettait toujours aussi mal à l'aise.

Arrivée la première au dortoir, je pus enfin enlever ma combinaison qui me serrait tellement depuis ces derniers jours. En débardeur et sous-vêtements, je passai devant la glace en évitant soigneusement de croiser mon regard. Avec des cernes violacés et le teint blafard, je ne ressemblais vraiment plus à rien. De pauvres mèches claires sortaient de ma queue de cheval faîte à la va-vite et retombaient autours de mon visage creusé par la fatigue et la pression.

Exaspérée par tous ces changements, je tombai sur mon lit en remarquant à quel point ce simple tatouage me faisait du mal autant mentalement que physiquement. Le silence emplit la vaste pièce et je me surpris à enfin abaisser mon bouclier protecteur. Mon angoisse quotidienne me quitta et le matelas sembla m'aspirer vers un autre univers. Je pensai y être arrivée, j'allais enfin fermer les yeux et partir. Pourtant, alors que les portes des rêves se fermaient pour moi, celle du dortoir s'ouvrit. Quelqu'un entrait dans la pièce et je me redressai rapidement.

Une jeune fille blonde était entrée et m'observait silencieusement. Je ne l'avais encore jamais vue parmi toutes les filles du dortoir. Contrastant avec ses cheveux clairs, ses yeux marron se posèrent sur moi, et d'une voix apaisante, elle me dit:

"- La fameuse Jo au tatouage maudit se cache ici, maintenant ? J'avoue être étonnée. Le regard des autres est oppressant, pas vrai ?"

Un sourire compréhensif se dessina sur ses lèvres roses, et alors que je n'avais parlé à personne durant ces derniers jours, lui répondre me fit finalement du bien.

"- Tu ne sais même pas à quel point, je pense.

- Oh que si."

Sans gêne, elle s'assit à côté de moi et retroussa sa manche pour me montrer son bras. Derrière ses longs cheveux tombés sur son épaule, je remarquai avec étonnement qu'aucun dessin n'y était présent.

"- Sais-tu ce que ça fait de ne pas avoir de marque du tout ? De ne pas savoir ce que tu vaux ? Je pense que c'est encore pire que de savoir que tu ne vaux rien.

- Comment se fait-il que tu n'aies aucun tatouage ?

- Je n'en sais pas plus que toi. Le tatoueur m'avait endormie, puis réveillée quelques minutes plus tard en m'expliquant que je n'étais pas sur sa liste. Je suis la seule à qui aucune marque n'a été attribuée. J'étais la dernière à enfin passer, après de longues heures d'attente. Mais alors que mon tour était venu, que j'étais encore la seule dans la salle, on m'a informée que toutes les personnes inscrites sur la liste avaient été scrupuleusement cochées. Aucune erreur n'aurait pu être commise.

- Comment as-tu fait, alors ?

- J'ai d'abord pensé que j'étais devenue le genre d'héroïne qui était tellement différente des autres que finalement, je ne pouvais pas entrer dans une case. Plus tard, je me suis mise à penser plus loin que ma petite personne, et plusieurs doutes entravent encore mes pensées

- Que comptes-tu donc faire ?

- Attendre et voir ce qu'il va m'arriver, mais surtout, passer à autre chose. Un tatouage sur l'épaule n'est finalement pas plus important que ça n'en a l'air."

Les phrases de cette jeune femme encore inconnue me firent réfléchir. Comment pouvait-elle continuer à faire comme si de rien n'était ? En louchant sur sa combinaison, je déchiffrai son prénom inscrit sur son étiquette. "Esmée" y était inscrit en lettres italiques.

Ce prénom me fit penser à quelque chose, mais elle me devança en semblant avoir lu dans mes pensées:

"- Oui, Esmée comme dans le livre "Twilight", et j'en suis fière."

Sa réponse me fit sourire. A vrai dire, à première vue, il semblait bien concorder avec son caractère. Plutôt généreuse et sympathique, mais surtout digne de confiance. D'un naturel plutôt réservé, j'ai été moi même étonnée par ma facilité à lui avoir répondu. Pourtant, ses ongles rongés jusqu'au sang semblaient montrer une pointe d'angoisse et un léger manque de confiance en soi. Peut-être était elle trop occupée à penser aux autres pour penser elle-même à résoudre ses problèmes...

Alors qu'un long silence commençait à s'immiscer dans notre conversation, la porte s'ouvrit à nouveau en faisant entrer un rayon de lumière dans la pièce sombre. La tête d'un jeune homme passa au-dessus de la porte et Esmée se leva prestement. Elle embarqua avec elle une paire de chaussures placée sous son lit et sortit de la pièce en rejoignant le jeune garçon.

"- Je te laisse, on va manger. On se reparle quand tu veux, je t'écouterai. Tu m'as l'air d'avoir besoin de compréhension."

Alors que la porte se refermait derrière son sourire énigmatique, la pièce devint à nouveau silencieuse et je me dirigeai vers les sanitaires pour me doucher.

Je sentais l'eau glacée couler le long de mon corps, et fermai les yeux. La fraicheur du liquide ne me faisait plus rien depuis de nombreux jours, trop habituée maintenant au froid pour ressentir le moindre pic de douleur causé par l'eau plus que froide. Alors que le bruit de l'eau tombant par terre se faisait assourdissant, l'image du garçon qui avait accompagné Esmée me revint à l'esprit. Je ne l'avais vu qu'un court instant et il était resté dans l'ombre, mais il me semblait l'avoir déjà vu. Un professeur, un simple élève comme moi ? Je tentai tant bien que mal de le retrouver dans mes souvenirs, mais rien ne revint et cette ignorance m'agaça. Je laissai tomber et sortis de la douche en entendant les premières filles entrer dans le dortoir pour se laver à leur tour.


Dans mon lit, les yeux fermés, j'écoutai les bruits environnants, faute de ne pouvoir arriver à dormir. L'insomnie était devenue une habitude, depuis ces quelques jours, et je ne savais toujours pas comment m'en débarrasser. Prise d'une vague de colère, je fis voler ma couverture de l'autre coté de mon lit en levant rageusement mes jambes. Personne ne bougea, et je m'assis sur mon matelas pour épier les ombres nocturnes, mais mes yeux n'étaient pas plus efficaces ouverts que fermés.

J'attendis encore de longues minutes à écouter les respirations de mes colocataires, quand la porte s'ouvrit avec fracas en faisant entrer deux personnes encore dans l'ombre. Les filles, encore endormies il y a deux secondes, se réveillèrent en sursaut en cherchant la cause de leur réveil si brusque. Eclairées par la lumière du couloir, les ombres de Callie et d'Hemna s'allongèrent sur le sol sombre du dortoir.

La venue de ces deux personnes m'inquiéta, et je fixai Ariane du regard pour lui demander une quelconque explication, qu'elle n'avait pas non plus. Les yeux encore mi-clos et les cheveux en pagaille, elle regardait froidement Callie, avant qu'Hemna ne se mette à parler:

"- Votre camarade Callie, ici présente, m'a informée aujourd'hui même d'une infraction du règlement faîte par une personne dans cette pièce. Des habits terrestres ont été retrouvés dans les sanitaires du haut. Que la coupable se dénonce dans les prochaines minutes, avant que je ne vous sanctionne toutes, l'une après l'autre."

Au fil de ses explications, Ariane et moi nous mîmes à comprendre, et nos visages se décomposèrent jusqu'à devenir aussi blancs que le marbre.

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Ouhlahlah... Que va-il se passer ? Les deux cachotières vont-elles se dénoncer ? 😱

Pour plus d'action... votons !! 🌟

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