☾Partie 2/3

La sonnerie matinale n'avait pas encore retentit dans le couloir que j'avais déjà les yeux grands ouverts. La vison du visage d'Ariane revenait sans arrêt dans ma tête, si bien que j'étais incapable de trouver le sommeil. Ses ecchymoses et ses blessures, mais surtout ses yeux si tristes, revenaient chaque fois hanter mes pensées. En une semaine, son regard était devenu vide. Vide de sens, vide d'humour, vide de joie et était maintenant entouré de cernes sombres. Sous un certain angle, elle pourrait presque faire partie de la famille des pandas. En enchainant les nuits d'entraînement intensif, elle était devenue addict à la caféine et était tellement silencieuse la journée qu'on pourrait penser qu'elle était aussi absente la nuit que le jour. Pourtant, elle pensait, elle réfléchissait et repensait encore à sa punition nocturne. Sans jamais avoir voulu m'en parler, elle tentait de rester dure en toute circonstance, malgré le fait qu'elle était un peu plus sur les nerfs chaque seconde. J'avais décidé de respecter son silence, essayant de me mettre à sa place. Pourtant, son visage, aussi fermé que sa bouche, me semblait maintenant étranger. Au lieu d'une personne humaine, se tenait devant moi un zombie avide de café et de sommeil.

En observant les lits alentours, je décidai d'aller me changer les idées en bravant les mystères des couloirs en pleine nuit. En me levant, j'aperçus Esmée au fond de la pièce, emmitouflée dans ses couvertures. Ses respirations régulières soulevaient lentement le drap en même temps que son ventre, avant de le laisser à nouveau retomber. Pourtant, en me tournant vers la porte, je remarquai que le lit d'Ariane était vide, les draps roulés en boule au bord du matelas. Encore en train d'être la seule à souffrir pour nous deux... J'avais longuement hésité à me dénoncer pour la supporter dans ses tourments, mais elle avait refusé et m'avait menacée tellement de fois qu'elle m'en avait dissuadée. Mais je ne me sentais pas moins coupable pour autant, ce sentiment grandissant toujours dans ma poitrine jusqu'à m'étouffer, par moment. Et bien que les couloirs soient interdits d'accès la nuit, je décidai de braver ce mystère nocturne et de profiter du silence qui régnait en ces heures tardives.

Silencieusement, je passai devant toutes ces filles assoupies, avant d'atteindre la porte et de l'ouvrir. La lumière m'aveugla et je refermai prestement la porte en fer, regardant si personne ne s'était réveillé. Pourtant, le concert de respirations lentes et de légers ronflements n'avait pas cessé, et toutes dormaient encore, leur oreiller sur leur tête. Prenant mon courage à deux mains, j'ouvrai à nouveau la porte et sortis dans le couloir. A l'extérieur, je fus étonnée de voir que contrairement à ce que je pensais, le bâtiment était loin d'être endormi à cette heure-ci. La lumière vive me brûlait toujours les rétines et un vacarme assourdissant me vrilla soudain les tympans. A peine habituée à l'éclairage intensif, je cherchai rapidement l'origine de ce vacarme, si silencieux de l'autre côté de la porte du dortoir. Bien vite, je distinguai une multitude de robots ménagers, qui lavaient le sol et les carreaux de leurs bras d'acier. Les roues et leurs jointures crissaient bruyamment et ils étaient tellement nombreux que ça en devenait intenable. J'avais complètement oublié l'existence de ces machines, que je n'avais vues que dans le secteur du bas, où se tenait le bureau d'Hemna. Je n'avais plus eu l'occasion d'y mettre les pieds, depuis.

Perdant à chaque minute un peu plus d'audition, je quittai prestement le couloir pour un autre endroit tout aussi inconnu. Errant sans but dans les couloirs, je finis par arriver au bas des escaliers, où le remue-ménage avait laissé place au silence. Rien d'autre que le silence, qui me frôlait et me compressait la poitrine sans bruit. Alors que je vagabondais dans le couloir, prête à remonter me coucher à tout moment, je perçus un bruit. Si faible soit-il, il suffit à faire doubler mon rythme cardiaque et à m'intimer de retourner me coucher au plus vite. Mais ça m'était maintenant devenu une habitude d'enfreindre les règles... Je brûlai tout de même d'envie de repartir en courant, mais je laissai mes doutes de côté et décidai de me diriger vers l'origine du son. Bientôt, des éclats de voix parvinrent jusqu'à mes oreilles, qui devenaient de plus en plus forts alors que je me rapprochai.

Mes jambes s'activaient toutes seules, en allant plus vite chaque seconde, quand elles se stoppèrent net à la vue d'une forme mouvante, ondulant sur les murs. D'apparence gigantesque, le visage d'Hemna se dessina bien vite dans ma tête, et l'imaginer me surprendre dans les couloirs me fit changer d'avis en quelques secondes. Venue en toute discrétion pour connaître l'origine de ces bruits, je rebroussais maintenant chemin pour ne pas qu'Hemna connaisse l'origine de ma venue ici. Mes pieds tapant frénétiquement le sol froid en silence, je cherchai tant bien que mal une issue où me cacher, alors que l'ombre silencieuse se rapprochait toujours de moi. Mon cœur prêt à sortir de ma cage thoracique et les jambes flageolantes, je trouvai enfin une pièce dont la porte était grande ouverte, et m'y engouffrai prestement.

Une main sur ma poitrine et le souffle court, j'attendis avec angoisse le moment où Hemna me retrouverait ici, pantelante dans mon pyjama noir et les cheveux en bataille. Les pas se rapprochaient toujours et l'angoisse avait laissé place à la peur, qui me tenaillait la gorge. Je décidai alors de fermer les yeux, essayant de calmer ma respiration et de mettre mes idées au clair. Pourtant, tout tourbillonnait en moi, aussi bien mon cœur que mon esprit. Je sentais presque le souffle de ce monstre féminin me fouetter le visage, quand j'ouvris les yeux et je remarquai qu'il n'y avait personne.

La personne qui était passée si près de moi avait finalement continué son chemin, me laissant au bord de la crise cardiaque. Personne ne m'avait remarquée. Pourtant, l'ombre s'arrêta à quelques mètres de la pièce où je me trouvai, et je l'entendis parler avec un nouvel individu. En entendant les premières intonations de voix, je reconnus en quelques secondes le professeur McKin, que j'avais pris pour Hemna. Sa voix grave et élancée m'apaisa finalement, rassurée de ne pas avoir été face à la directrice.

"- Ah, c'est toi qui fais tout ce boucan, seulement pour venir jusqu'ici ? Je suis passé faire un tour pendant que ma femme et mes enfants dormaient. Ariane est donc bel et bien punie. Si cette dure à cuire sort de sa punition sans dommages mentaux, elle sera alors une vraie machine à tuer."

Ses paroles, ne portant pourtant aucun jugement, firent s'hérisser mes cheveux sur mon crâne. Il était simplement venu pour voir souffrir Ariane ? Cogitant encore derrière la porte, j'écoutai maintenant avec attention la personne avec qui le professeur parlait:

"- Oui, elle encaisse sans rechigner, mais on voit que les nuits sont de plus en plus longues pour elle. Je vais d'ailleurs la voir de ce pas pour commencer l'haltérophilie. Ça va être dur à cette heure, mais j'y suis bien obligé. "

Cette nouvelle voix, douce et ferme, me donnait de nouvelles informations sur la position d'Ariane dans cette histoire. Etait-elle contrainte de faire de l'haltérophilie à cette heure-ci ? Pas étonnant qu'elle en ressorte complètement vidée...

"- Hemna semble aimer voir souffrir les recrues, mais elle fait ça pour la fierté de les voir évoluer chaque jour un peu plus. Au rendez-vous, elle nous avait prévenus que les entraînements seraient à toute heure, et elle n'a pas menti."

Je les écoutai, avide de comprendre le sens de leurs paroles. De quel rendez-vous parlaient-ils ? Mais l'adrénaline finalement passée, mon syndrome de claustrophobie me rattrapa bien vite, bloquée derrière cette porte massive, et l'air vint à me manquer dans les secondes qui suivirent. Je ne pouvais pas sortir de mon repli sans me faire repérer, mais je ne pouvais pas non plus retenir ma respiration éternellement. Les secondes s'égrenaient, et mon visage rougissait à vue d'œil en demandant toujours plus d'air. N'y tenant plus, j'ouvris la bouche en laissant échapper un râle, qui alerta les deux adultes. Un long silence s'ensuivit, durant lequel ma seule envie fut de disparaître ou de ne jamais avoir existé. Tout de suite, la voix alertée du professeur McKin résonna dans le couloir, en demandant à la personne qui les espionnait de se montrer.

Que devais-je faire ? Obéir à ses ordres et me montrer au grand jour, ou faire la rebelle et rester confinée dans mon abri ? Je savais enfreindre les règles, mais malheureusement pas désobéir aux ordres... En inspirant un grand coup, je sortis de la pièce et me postai devant le professeur McKin et l'inconnu, qui me fixèrent avec attention. L'étonnement du professeur se sentit dans sa voix, quand il me demanda:

"- Jo ? Mais que fais-tu ici ? Les couloirs sont interdits d'accès, à cette heure-ci !"

J'étais terrifiée, mais ne voulais pas le montrer et encore moins me soumettre à lui devant cet homme à la carrure impressionnante qui était à ses côtés. Son regard sérieux et critique me donna envie de paraître dure, alors que ma dignité s'enfuyait à grands pas.

"- Séquestrer et faire souffrir des personnes est également interdit, à ce que j'en sais."

Mon ton froid les déconcerta, mais le professeur ne rebondit pas sur ma remarque, trop occupé à me faire la morale:

"- Remonte dans le dortoir, tu n'as rien à faire là, à errer dans les couloirs.

- Je cherche Ariane.

- Elle n'est pas ici, Jo. Et tu ne peux pas la voir, elle s'entraîne.

- Elle souffre, surtout ! Chaque jour, sa santé mentale et physique se détériore un peu plus !

- Ariane a été punie et elle l'a accepté ! A elle d'en assumer les conséquences."

La conversation aurait pu durer de longues heures, mais le silence s'immisça à la place, au milieu de nos cris. Les éclats de voix inconnus étaient à nouveau perceptibles dans la pénombre du couloir, et j'étais sûre que ces paroles étaient celles d'Ariane.

"- Je veux simplement la voir, être au courant de ce qu'elle subit et savoir si elle va bien. Elle semble entièrement absente, depuis plusieurs semaines.

- Elle suit un entraînement intensif, elle n'est pas battue non plus.

- Pourtant, sur Vivia, j'ai vu que tout était possible."

A peine avais-je terminé ma phrase que je me mis à courir vers l'origine des voix. Je voulais simplement la voir, simplement l'entendre, simplement être rassurée. Pourtant, ce devait sûrement être la remarque de trop, car la mâchoire de l'inconnu se crispa et le professeur McKin m'empoigna le bras avec force pour me faire remonter. Prise de panique, je dégageai ma main en un geste rapide et m'écartai des deux hommes. Alors que je venais d'échapper à la poigne du professeur, l'inconnu se jeta sur moi et m'enroula les bras derrière le dos. En criant de rage, je tentai vainement de sortir de son emprise, mais sa force phénoménale me fit presque tomber à terre. Pourquoi s'en prenaient-ils à moi comme ça ? Prise d'un élan de colère, mes cris sortirent tous seuls, et résonnèrent contre les quatre murs qui m'entouraient:

"- Ariane, je veux voir Ariane !"

En tournant la tête de tous côtés, mon crâne percuta le menton de l'homme et le fit basculer en arrière. Profitant de l'inattention des deux hommes, je m'élançai vers la pièce illuminée, que je distinguai maintenant au bout de l'allée. Sans arrêter ma course folle, j'entrai en trombes dans la salle et repris mon souffle, avant de distinguer qui se trouvait dans la pièce.

Mon acolyte, à terre et la tête semblant observer le sol poussiéreux, tentait de tenir vainement sur ses avant-bras. Son visage blafard et blanc contrastait horriblement avec ses cernes noires et ses bleus sur le corps. Même ses cheveux devant les yeux ne suffisaient pas pour cacher la détresse qui avait pris possession de son regard. Mais alors qu'Ariane suait sang et eau pour regagner son mérite et sa dignité, son entraîneur, homme massif et gigantesque, lui tournait le dos et regardait par la fenêtre. Pourtant, il n'y avait rien à voir à part les ombres sombres à l'extérieur, alors que se tenait derrière lui une jeune femme qui s'évanouissait presque par terre.

J'entendais derrière moi les pas précipités du professeur McKin, mais je restais immobile à l'entrée de la pièce, mon regard jonglant entre Ariane et cet entraîneur qui émanait la haine. En remarquant ma présence, mon acolyte releva les yeux et dit:

"- Jo, qu'est-ce que tu fous là ?"

Sa voix apeurée résonnait dans mes oreilles, quand l'entraîneur se retourna pour me dévisager. Ses traits tirés et sérieux s'imprégnèrent longuement dans mon cerveau, quand je le reconnus enfin, tellement changé après ces longues années. Un si grand nombre d'émotions contradictoires se bousculaient dans ma tête, et j'eus l'horrible impression de me retrouver seule. Seule dans le noir. Seule dans le noir avec lui et mes émotions. Quelle était encore cette coïncidence si horrible, qui nous réunissait à nouveau ?

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