Une demande d'emploi pour moi ? C'était tout bonnement impossible, inimaginable, inenvisageable, infaisable, irréalisable, impensable, absurde, impossible ! Je n'avais même pas fait l'effort de chercher un emploi car je savais que personne ne me prendrait dans un si court délai. Alors quand madame Rossignol me dit ça, j'en restai bouche bée. Qui avait bien pu écrire alors que je n'avais rien posté ? Je tentai vainement de contrôler les tremblements de mes bras, mais les gestes agités de mes mains ne me facilitaient pas la tâche. 

« - Ne fais pas cette tête, Jo, je suis extrêmement fière de toi ! Te lancer dans l'informatique, quelle bonne idée !

-  L'in-l'informatique ?!

-  Ne fais pas l'innocente, on dirait que tu n'as jamais envoyé de lettre à Burapo.

- Burapo ?

- Burapo, la marque de l'usine informatique. Oh, je suis vraiment contente pour toi, Jo ! Surtout que tes résultats scolaires sont excellents, ça va te servir.

- Euh...merci. Mais est-ce que je pourrai voir ce fameux mail, s'il vous plaît ?

- Mais bien sûr ! Viens avec moi. »

Franchement, je ne savais pas si madame Rossignol me faisait une mauvaise blague, mais je commençais sérieusement à avoir des soupçons sur l'origine de cette lettre. Qui pouvait bien m'avoir écrit ?
Faisant tourner ma cervelle à 150 km/h, je suivis madame Rossignol à travers le couloir pastel, sur lequel étaient accrochés les portraits des directeurs ayant dirigé cet orphelinat.
Les visages peints semblaient me fixer de leurs yeux sans émotion. Du premier responsable de cet orphelinat à madame Rossignol, leurs traits sévères, peints sur la toile, me firent baisser les yeux pour contempler la moquette au sol.

Bizarrement, madame Rossignol avait l'air très contente pour moi. Elle trottinait presque et chantonnait silencieusement « Vraiment magnifique, quelle chance ! ».
Pour une personne qui m'avait détesté toute ma vie, je la trouvais vraiment très joyeuse...

Arrivée à ce bureau, elle sauta sur son siège et tapa frénétiquement sur son vieil ordinateur, la bouche à demi ouverte et les yeux arrondis. Ses lunettes tombaient sur le bout de son nez, mais elle ne semblait même pas l'avoir remarqué.

« - Ah voilà, lança-t-elle d'un ton fier, je l'ai trouvé, viens voir Jo. »

Sans me faire prier, je la bousculai presque de son siège pour avoir les yeux en face de l'écran et commençai à lire ce fameux mail.

« Chère Jo Beveridge, nous avons bien reçu votre demande d'emploi pour l'usine d'informatique Burapo, et nous vous annonçons que nous vous acceptons et sommes prêts à vous accueillir dès le 3 décembre pour commencer votre travail. Afin de vous rencontrer, nous vous proposons de nous voir à 16h30, rue du Haut chêne, dans votre village, vous évitant d'aller trop loin, lors du départ de votre orphelinat. Je tiendrai à ce que vous soyez à l'heure afin de tout de suite pouvoir vous amener à votre nouvelle demeure (qui ne vous sera pas payante) et qui se trouve à quelques heures de là.

Toutes mes félicitations pour votre admission,

Pr. McKin »

Après avoir lu et relu le mail, je ne pus que chuchoter :

« - Mais c'est impossible .. !

- A croire que si, n'est ce pas magnifique ?

- Si, si...

- Ah, je suis vraiment contente pour toi ! »

A ce moment là, ma seule envie fut de l'étrangler sur place. Était-elle si inculte que ça pour croire que j'avais fait une demande d'emploi pour une usine d'informatique ? Moi qui avait toujours été intéressée par le journalisme ?

Mais quand je vis que mon logement serait gratuit, je ne réfléchis pas longtemps. Entre dormir sur la neige et s'enfoncer dans un lit, le choix n'était pas vraiment difficile...

Mais d'un côté, je n'étais vraiment pas rassurée. Qui était ce soi-disant Professeur McKin ? Et comment savait-t-il que j'étais à l'orphelinat ? Pour moi, il n'y avait qu'une seule explication : il m'observait depuis un certain temps. Mais comment ? Je ne savais pas non plus. Je suspectai peut-être madame Rossignol. Si on y réfléchissait, c'était bien elle qui eu ce mail et qui l'a lu en premier. Serait-elle du côté des méchants et voudrait-elle me faire du mal ?

Les films de science fiction et d'aventure peuvent parfois vous rendre quelque peu  dérangé ...

***

Mes neurones ne suivaient plus mes pensées tellement je réfléchissais. D'ailleurs, je m'aperçus que madame Rossignol me regardait bizarrement. Il me sembla savoir pourquoi ; ça faisait environ 5 minutes que je la regardai fixement, essayant de trouver des réponses à mes questions.

« - Euh... Jo, est ce que ça va ?

- Hein ? Euh, oui, c'est l'effet de surprise qui me fait ça. Je ne pensai pas du tout qu'ils m'accepteraient. »

En disant cela, je laissai paraître un sourire crispé, essayant de paraître le plus naturel possible.

- Ahlahlah, que de surprises ! Quelle heure est-il ?

- Attendez, je...

- Oh, là, là, il est déjà 15h ! Et tu dois être à ton rendez-vous à 16h30 ! Il faut que tu te dépêches ! Ou sinon tu vas rater la chance qui s'offre à toi. Vite, vite, vite, rassemble tes affaires et suis moi jusqu'à la pièce d'administration, il faut encore que tu remplisses des fichiers. Viiiiiiite !

- Oui, c'est bon, j'arrive ! »

La pression ne m'a jamais vraiment aidée à me dépêcher et ce n'est pas aujourd'hui non plus que ça changera. C'est pour ça que je pris de longues secondes à me baisser, agripper mes sacs et à les soulever. Je pris un malin plaisir à voir madame Rossignol se ronger les ongles à cause du stress, en me regardant droit dans les yeux. Si je devais partir aujourd'hui, autant la faire rager jusqu'au bout...

« - C'est bon, j'ai toutes mes affaires.

- Très bien. Maintenant, suis moi. Tu dois signer plusieurs papiers attestant ton départ et ensuite, je dois moi-même te donner des papiers que j'aurai signés.

- Bah c'est bon, on est large ! »

Agacée par mes remarques inutiles, madame Rossignol fit mine de ne rien avoir entendu et continua de marcher d'un pas rapide et frénétique vers la porte sur laquelle un panneau affichait en grosses lettres : COMPTABILITÉ. D'un geste vif, elle poussa la porte, qui s'ouvrit dans un grincement et entra dans la pièce sans regarder derrière elle, la laissant se refermer dans un nouveau grincement. Voulant regarder deux secondes derrière moi, je manquai de me prendre cette fichue porte en pleine figure.

Et c'est à ce moment là que madame Rossignol eu l'intelligence de me dire :

« - Attention à la porte, elle se referme vite.

- Merci pour l'information... »

Sans faire attention à ma remarque, elle s'assit in extremis  sur un fauteuil en face d'un ordinateur et sortit un monticule de paperasse d'un des tiroirs situé à sa droite. Après avoir posé tous les dossiers dans un bruit sourd sur la table, elle me regarda et sourit en disant :

« - Voilà, tu vas devoir regarder tous ces dossiers et en signer une bonne partie. »

Étonnée par sa remarque, je ne pus retenir un « Tout ça ?! » de stupéfaction.
Il y avait au moins une quinzaine de dossiers et, ce n'est pas que je n'aime pas lire, mais ce genre de paperasse, ça m'endort sur place rien qu'en lisant les premières lignes.

Semblant habituée à ce genre de situation, madame Rossignol me répondit :

« - Oui, tout ça, en effet. C'est pour ça que je t'ai demandé de te dépêcher. D'ailleurs, assieds-toi et pose tes affaires, ça va prendre un peu de temps... »

Sans blague...

C'est vrai que j'avais complètement oublié que je portais encore tous mes bagages et mes doigts semblaient blanchir sous le poids des sacs. Mes bras commençaient également à me faire souffrir et je laissai mes affaires tomber sur la moquette rouge dans un bruit sourd. Alors, sans ménagement, je m'assis sur un des sièges se trouvant en face du bureau.

Alors installée convenablement, je regardai madame Rossignol, qui avait disparu sous son bureau et se relevait avec un stylo à la main qu'elle me tendit avec son petit sourire enjôleur.

« - Tiens, tu vas pouvoir compléter les documents.

- Je commence par lequel ?

- Le premier de la pile.

- Jusqu'au dernier ?

- Évidemment. »

Super...

En m'encourageant psychologiquement à cet effort presque surhumain pour moi, je pris le stylo que madame Rossignol me tendait toujours et ouvris le premier dossier.

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