☾Partie 2/2

"- Avancez de deux pas, jusqu'à ce que vous sentiez la ligne sous vos pieds."

Un casque de réalité virtuelle vissé sur la tête, je n'avais plus aucun repère. Partout où je tournai le regard, je ne voyais que le noir de l'écran encore éteint sous mes yeux.

Rangés les uns à côté des autres, je me trouvais à côté d'Esmée. Du peu que j'en avais vu, nous étions dans une pièce simple, entourée de baies vitrées, comme toutes les salles d'entraînement. Hemna elle-même se chargeait de nous surveiller et guettait nos réactions, son regard noir braqué sur nous. Notre réel entraîneur était Marc, le hippie que j'avais croisé la première fois, avec ses longs cheveux toujours attachés en queue de cheval.

Alors disposés sur la ligne que nous sentions sous la semelle de nos chaussures, nous étions debout, aussi rigides que Madame Rossignol lors de ses monologues à l'orphelinat. Aucun son ne se faisait entendre, et je tentai tant bien que mal de retrouver la lumière du jour sous mon casque. Mais rien d'y faisait, l'obscurité s'étendait à perte de vue.

Un haut parleur se fit bientôt entendre, avec un compte à rebours:"10...9...8". Chancelant sur mes pieds, je sentis à côté de moi Esmée, qui semblait aussi tendue que moi. "4...3...2". Ce décompte me faisait penser à tous ces films d'action, où les personnages principaux attendaient le coup d'assaut pour enfin s'enfuir, ou se ruer vers leur adversaire avec force. Pour moi, alors que je ne savais même pas ce que nous allions faire, ces dix secondes furent les plus angoissantes depuis que j'étais arrivée sur Vivia. Les secondes s'égrenèrent, et un paysage s'offrit à moi, après avoir entendu le "zéro" retentir.

Un désert infini apparu sous mes yeux, et le paysage si réaliste me stupéfia. De réelles tempêtes de sable semblaient s'élever droit sur moi, et c'était à peine si je sentais la chaleur lourde de ce paysage de sable. Avec étonnement, je me rendis compte que je pouvais voir les personnes placées à mes côtés. Esmée me regardait, un fusil à la main. Elle n'avait pas de casque de réalité virtuelle et les autres non plus. Nous nous voyions sans nos équipements, alors que nous ployions sous le poids des appareils électroniques dans la vie réelle. Son regard, habituellement doux, avait laissé place à la concentration et à l'attention.

En regardant dans mes mains, je me rendis compte que je n'avais pas d'arme, comparé aux autres. Comment était-ce possible ? La voix d'Esmée sembla soudain me parvenir derrière un nuage de sable rouge:

"- Tu ne peux pas avoir d'arme, tu fais du corps à corps !"

Sa réponse, pourtant si simple, me fit prendre peur. Comment pouvais-je me protéger sans arme ? Mes mains ne font pas office de bouclier électromagnétique ! En me tournant, je vis Ariane, une large épée dans sa main droite, prête à découper n'importe quoi. Forcément, elle avait été admise en maniement de l'épée. Son regard dur et concentré se radoucit en me disant:

"- Tu vas y arriver, tu vas tous les défoncer. Celui-là veut te faire du mal. Fonce-lui dessus et vas-y au feeling."

En me retournant, je vis bel et bien un garçon armé d'un fusil comme Esmée, se ruer sur moi sans scrupule. Il semblait encore loin, mais j'avais l'impression qu'il avançait d'un mètre chaque demi-seconde. Malgré les conseils qu'Aria me criait à la figure, je restais pétrifiée, les bras ballants.

La voix de Marc sembla soudain laisser le temps en suspension:

"- Votre but: mettre deux personnes à terre. Les fortes douleurs que vous sentirez sûrement lors de la bataille ne seront que virtuelles. Ce n'est qu'une question de mental, votre corps ne soufrera pas. Pour les personnes mises à terre, je vous demanderai d'appuyer sur le bouton situé sur votre poitrine pour enlever votre casque et vous placer à côté de moi. Allez-y. "

Sa phrase à peine terminée, le monde autour de moi se remit à tourner à cent à l'heure, et ce garçon se rapprochait toujours aussi vite de moi. A quelques centimètres l'un de l'autre, son fusil braqué devant moi, je l'entendis chuchoter:

"- Autant commencer par les plus faibles, ça fera de la place."

Sans même réfléchir, je compris qu'il parlait de moi. Après tout, je n'étais qu'un rat. J'avais presque oublié cette partie de moi pendant ces derniers jours, mais sa remarque ramena mes souvenirs tel un boomerang. Toutes mes pensées d'infériorité me revinrent en pleine figure, et j'eus l'impression que cette bataille était déjà perdue d'avance pour moi.

L'arme se rapprochait toujours aussi dangereusement, et j'entendis finalement le bruit sec de la détente, avant de sentir une douleur intense dans l'épaule droite. Je lâchai un cri de douleur à m'en déchirer les tympans. "Ce n'est qu'une question de mental, ce n'est qu'une question de mental". Je me remémorais la phrase de Marc en boucle, mais rien n'y faisait. La douleur était plus vive à chaque seconde. Aucune goutte de sang ne coulait de ma plaie béante, mais c'était comme tel. Le sable chaud semblait s'immiscer dans mes poumons et ma gorge était en feu. "Ce n'est qu'une question de mental". Mes yeux me piquaient atrocement, mais était-ce réellement la poussière ou des larmes ? "Ce n'est qu'une question de mental".

Le garçon, impassible, releva son fusil sur son épaule gauche et visa maintenant mon cœur. Le choc allait retentir d'une seconde à l'autre dans ma cage thoracique, mais mon instinct de survie prit le dessus. Mon genou s'éleva rapidement en percutant l'arme à feu de mon adversaire et il lâcha prise. Le fusil tomba à terre dans un bruit sourd, disparaissant derrière un nouveau nuage de fumée. Très vite, le sable atterrit dessus et il n'y eut bientôt plus qu'un amas de sable rouge sur cette arme mortelle.

Maintenant tous les deux désarmés, la balance semblait enfin remonter en ma faveur. Contrairement à lui, j'avais assisté à de nombreux cours de lutte ou de judo, et même assise sur un banc, je pouvais réutiliser ce que j'avais appris.

Un coup droit dans le menton, un crochet entre les jambes et bien vite, mon adversaire se retrouva à terre, la respiration sifflante. Ce n'est que quand il disparut du paysage désertique, que je pris conscience que j'avais réussi. Je l'avais mis au sol sans arme, en utilisant simplement mes mains. J'avais réussi, en tant que rat, à mettre un adversaire à terre. De nombreux sentiments de supériorité montèrent en moi en me faisant rougir, et je savourai intérieurement cette victoire personnelle.

Dire qu'être un rat et tout de même pouvoir être supérieure, c'est une chose, mais le vivre et enfin s'en rendre compte, c'est bien plus que satisfaisant. Derrière mon visage rouge et trempé de sueur, se cachaient de nombreux sentiments qui semblaient danser la salsa au milieu de mes neurones. Soudain, sans crier gare, une lame s'immisça avec violence entre mes omoplates. Ma satisfaction n'aura pas duré longtemps...

La surprise, mais surtout la douleur, me firent tomber à terre avec un cri qui semblait venir des enfers. En tournant la tête et prise d'une colère folle, je ne pus retenir mon étonnement quand je vis Ariane, les cheveux devant les yeux et son épée tenue à bout de bras qui pendait devant ses jambes. C'était pourtant difficile à croire, mais mes nombreux sentiments contradictoires me crièrent presque qu'elle m'avait trahie.

Dans son visage, ses gestes semblaient avoir été faits difficilement, comme si elle ne voulait pas m'infliger ça, mais elle l'avait fait. Elle m'avait ouvert le dos avec son arme et sans réalité virtuelle, j'aurais été handicapée ou même morte. Le sentiment de trahison et la colère prirent facilement le dessus sur la douleur, et je me relevai avec énergie pour ne pas me sentir aussi inférieure qu'actuellement. Mais je n'eus même pas le temps de lui cracher ma rage au visage qu'elle me dit, d'une voix rapide et effrénée:

"- Comme le dirait l'expression, je t'ai trahi tel un coup de poignard dans le dos. Plutôt avec une épée, mais ne cherchons pas les détails. Voilà, maintenant, tu devrais contre-attaquer, te jeter sur moi pour que je prenne cher après ce que je t'ai fait."

Je ne comprenais pas où elle voulait en venir. Pourquoi faisait-elle ça ? Elle avait perdu la raison ? Ses gestes semblaient hésitants, tout comme les miens. Devais-je entrer dans son jeu et me jeter sur elle, ou partir en courant en la laissant ici ? Et sans crier gare, elle souleva son épée avec force et se rua sur moi en criant:

"- Contre-attaque, avant que je ne te découpe en morceaux, merde !"

Les yeux grand ouverts par la peur, je l'écoutai enfin et grâce à l'adrénaline, je passai de justesse entre ses longues jambes, avant que l'épée ne s'abatte sur mon crâne. Si jusqu'à maintenant, le paysage tournait autour de moi, j'avais maintenant l'impression d'être dans une montagne russe, n'ayant même pas le temps de distinguer le décor alentours. L'épée était à nouveau dirigée vers moi, et j'attendis qu'elle me touche presque pour esquiver le coup de quelques millimètres. Grâce à l'élan, Ariane ne put stopper son geste et l'épée se ficha dans le sable.

Pendant quelques secondes, elle était alors inoffensive, et c'était maintenant à moi de reprendre le dessus. Avec un coup de pied rageur sur ses doigts, elle lâcha son arme et sa surprise la laissa les bras ballants. Comme un animal sautant sur sa proie, je l'envoyai valser au sol et sautai sur elle, pour me retrouver assise sur ses omoplates. Sortie de mes gonds, j'enchainai les coups de poing sur son corps, et je la sentais souffrir et se retenir de m'arrêter, mais ce n'est que quelques minutes plus tard que je réussis à enfin me calmer.

J'avais mis Ariane à terre, elle avait perdu pour me laisser la victoire. A bout de souffle, je regardai autours de moi, complètement déboussolée. Très vite, je voulus comprendre pourquoi elle m'avait fait ça pour ensuite me laisser la tabasser.

"- Ariane, pourquoi tu m'as laissé faire ?"

Avec difficulté, elle tenta de m'expliquer le plus calmement possible, alors que je n'arrivais toujours pas à me tranquilliser.

"- Tu te sentais tellement inférieure, tellement seule, que j'ai voulu t'aider à goûter à la victoire. Mais si tu crois que je t'ai laissée faire, sache que ce n'est pas du tout dans ma nature. J'ai voulu te faire sortir de ta zone de confort, j'ai voulu que tu deviennes sauvage pour te battre comme une véritable guerrière. Tous les rats ne sont pas médiocres, et je voulais te le faire remarquer.

- Pourquoi "pas tous les rats" ? Tu en connais d'autres, peut-être ?"

Sans répondre, elle souleva lentement la manche de sa combinaison, et ce dessin que je connaissais tellement bien, me sauta à la figure.

"- Tu es aussi un rat ? Je ne te crois pas !

"- Jusqu'à maintenant, je suis passée inaperçue, contrairement à toi. Et si tu ne t'en doutais pas, c'est bien la preuve qu'en attendant, ces petits dessins ne correspondent à rien. Fais-toi une raison, tu n'es pas insignifiante."

Sa main gauche tâtonna le sol, avant de trouver le bouton sur sa poitrine, qui lui permettait de sortir du jeu. Je ne pus même pas la remercier, avant qu'elle ne s'évapore en un million de petits pixels, et que je ne me retrouve par terre, dans le sable chaud.


L'activité était terminée et il y avait eu six gagnants, dont moi. Goûter à la victoire était pour moi tellement nouveau, que je souriais sans fin, trop fière de moi pour penser à autre chose. Ce n'est que quand mon orgueil se modéra que je me rendis compte qu'Ariane n'était pas présente. Esmée, qui était arrivée proche de la victoire, accepta de m'aider à la chercher, sans succès. Bientôt, je proposai à Esmée de rejoindre les autres à la cantine pendant que je continuai les investigations.

Au bout de longues minutes en son absence, je consentis à la chercher dans les dortoirs, même si la trouver là m'aurait étonnée. Pourtant, elle y était. De dos, en débardeur sur son lit défait, elle était cachée dans l'ombre.

"- Ariane, qu'est-ce que tu fais là ? Je t'ai cherchée partout"

Alors que j'attendais une réaction de sa part, je n'entendis que son silence. Sans pour autant m'alarmer, je m'approchai un peu plus du lit en continuant:

"- Je voulais vraiment te remercier pour ce que tu as fait avant. Je n'avais pas tout de suite compris tes intentions, mais tu as vraiment eu de l'ingéniosité. Et je suis désolée de ne pas m'être plus intéressée à toi, ces derniers temps, au point de ne pas avoir remarqué que nous étions identiques, toutes les deux avec un rat."

Alors que je lui confiais mes sentiments, mes inquiétudes et mes remerciements, son comportement ne changeait pas. J'étais encore à quelques mètres d'elle, et choisis de parler, encore et encore, jusqu'à être arrivée à ses côtés.

"- Pourquoi tu ne me réponds pas ? Tu es fâchée, fatiguée ? Tu peux me dire si tu regrettes de m'avoir laissée gagner, je ne t'en..."

Ma phrase resta en suspens quand elle se retourna vers moi et que je ne la reconnus même pas. Mon sang ne fit qu'un tour dans mon corps et ma respiration se stoppa à la vue de son visage. Une entaille enflée et un hématome barraient sa joue, et ses cheveux avaient été partiellement rasés sur les côtés jusque derrière ses oreilles. Les yeux rouges mais le visage toujours aussi rude, elle me répondit:

"- Jo, je suis allée me dénoncer."

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