☾Partie 1/3
Plusieurs jours passèrent, où les entraînements se firent de plus en plus compliqués. Les tatouages étaient également toujours plus utilisés pour nous classer. Maintenant, nous n'étions plus rangés dans l'ordre alphabétique, mais en partant des rats aux aigles. Esmée n'avait pas menti là-dessus et cela me mettait de plus en plus mal à l'aise. Les regards arrogants se faisaient brûlants sur mon dos, et je devais me forcer à fermer les yeux pour faire impasse là-dessus. La guerre et le prochain combat étaient expliqués avec chaque fois plus de détails, plus de dangers, comme pour nous mettre sur nos gardes, et l'angoisse montait de plus en plus.
C'était donc pour quoi, aujourd'hui, chaque mentor se devait de prendre en charge sa recrue. Pour ma part, le professeur McKin m'avait déjà averti sur ce point là : "L'angoisse n'est pas bien pour garder le contrôle de soi-même. Un petit tour à l'extérieur te fera du bien. D'autant plus que j'ai des choses à te dire". A ce que j'en avais alors compris, bon nombre de mes acolytes utilisait cette journée pour demander des conseils de pratique guerrière à leur supérieur, tandis que moi, je partais prendre un bol d'air frais à l'extérieur... Ariane m'avait assuré que ce moment serait tout de même enrichissant, alors que Clyde disait que ce n'était pas dans les habitudes du professeur: "Pourquoi faire une ballade dehors alors que Vivia s'écroule autour de nous ?".
Après un petit-déjeuner animé, je rejoignis donc McKin à l'entrée du bâtiment. Je n'y étais jamais retournée depuis mon arrivée, et je me rendis alors compte que c'était comme si j'avais été retenue en captivité ici depuis le début. On ne nous avait jamais emmené dehors ou autre part que notre dortoir et les salles d'entraînement. Nous étions tellement centrés sur cette nouveauté que l'idée qu'il y ait tout un nouveau monde à découvrir derrière ces murs ne nous était pas venu à l'esprit. Mon supérieur m'attendait de pied ferme devant la porte, un sourire discret aux lèvres, comme à son habitude. Comblant le vide qui nous séparait en évitant les robots sur mon passage, je me retrouvai bientôt face à lui, déjà essoufflée.
"- Bonjour Jo ! Ça faisait longtemps. J'ai décidé de t'emmener à l'extérieur, aujourd'hui. Ça sera une grande première pour toi !"
Je tentai de mettre de l'entrain dans ma voix en lui disant que ça me faisait plaisir, sans grand succès. Il l'avait sûrement remarqué, mais ne releva pas. Bien vite, nous nous retrouvâmes dans sa voiture, le véhicule de mes cauchemars... Il ne fallait absolument pas que je ne rejette tout mon petit déjeuner sur son tableau de bord pendant le trajet.
"- Ici, nous sommes un peu à l'écart de toute la population vivienne. Mais d'ici quelques minutes, tu verras un tout autre paysage que celui-ci !"
Le professeur n'avait pas menti; au bout de seulement dix minutes dans les airs, je vis déjà en dessous de nous la foule dans chaque coin de rue. Enfin, ce qu'il en restait... Comme partout maintenant, toutes les habitations étaient détruites, calcinées et sans aucune âme joyeuse. Pourtant, les habitants ne semblaient pas aussi tristes que l'allure de leurs maisons. Nous les voyions s'adresser des signes de la main d'un trottoir à l'autre et essayer de garder leurs enfants joyeux et excités. Mais les objets technologiques et modernes qui les entouraient contrastait avec l'allure sombre des bâtiments alentour.
"- C'est ici le pire sur cette planète... Les haut gradés veulent cacher la misère des gens en ne réparant plus ce qui est cassé mais en rajoutant des objets bioniques. Malheureusement, ils n'ont pas compris que tout ce qu'on a perdu ne peut pas être remplacé par un robot sans humanité. Tout ce que nous aimions est déjà parti en poussière et rien ne pourra les remplacer."
J'écoutai silencieusement ce que le professeur me disait, de sa voix grave et posée. Sa conduite ne m'importait dorénavant peu, trop intéressée par ses paroles et ces personnes en-dessous de moi. J'avais oublié que McKin vivait ici, avec ses enfants et sa femme. D'ailleurs, n'était-elle pas enceinte de plusieurs mois ? Je n'eus pas besoin de demander que mon supérieur me répondit sans s'en rendre compte:
"- Et j'ai peur que mes enfants soient privés d'avenir. Que vais-je dire à ma future fille pour lui expliquer l'horreur du monde dans lequel elle naîtra d'ici quelques semaines ? C'est d'ailleurs pour ça que je t'ai amenée ici: pour te montrer pour quoi et pour qui tu vas te battre. Tu n'es pas venue ici simplement dans le but de risquer ta peau, mais pour sauver celles de personnes qui méritent de vivre encore de nombreuses années. Les sentiments te seront bien plus importants que la technique pour combattre."
A la fin de son discours, je compris alors pourquoi j'avais été amenée ici et je me rendis compte du sentiment grandissant d'empathie que le professeur éprouvait.
"- Je me bats pour l'égalité entre tous les hommes, mais je pensent que certains méritent plus de vivre que d'autres. Et Vénéa n'est pas la première sur la liste."
Sa dernière remarque me fit longuement réfléchir. Je comprenais entièrement son point de vue, mais n'étais pas complètement d'accord. Vénéa était mal vue simplement à cause d'une minorité de personnes qui criaient plus fort que les autres. Je ne croyais pas qu'ils ne pensaient tous qu'à nous réduire en charpies et à voler toutes les ressources de Vivia. Je connais en partie l'histoire de cette planète, mais qu'en était-il de celle de Vénéa ? Quelles étaient leurs raisons pour déclencher cette guerre ?
***
Nous atterrîmes sans encombre dans un vieux parking délabré quelques minutes plus tard. Contrairement à la dernière fois, ma tête ne me tournait pas autant et mes membres ne tremblaient presque pas.
"- Je vais t'emmener voir de vieux amis. Eux ont déjà vu la guerre et vont pouvoir te parler de leurs ressentis. Ce sera sûrement très instructif."
Je n'osais maintenant plus remettre en cause les idées du professeur, sûre que tout cela servait réellement à ma formation. Sans attendre plus longtemps, nous commençâmes à longer les murs pour aller je ne sais où. Les passants s'écartaient précipitamment de notre chemin pour nous laisser passer, et m'observaient d'un air stupéfait mêlé à la reconnaissance mais également à la surprise. Ils savaient ce que je représentais, mais ne me connaissaient pas assez pour avoir un réel avis sur moi et ma venue ici. Les messes basses augmentaient chaque seconde un peu plus, en même temps que ma gêne et mon angoisse. Je suivais tout de même aveuglément le professeur au milieu des ruelles et des habitants bruyants, faisant attention à ne pas le perdre de vue. Mais même si nous marchions à vive allure, je sentais mes membres s'engourdir, par manque de chaleur. Le vent froid s'engouffrait sous ma combinaison habituelle qui montrait à tous que j'étais une recrue, et me faisait grelotter. Je n'étais plus habituée aux aléas des saisons, et ne savais même pas à quel mois nous étions. Fin d'automne ou début de printemps ? Afin de faire taire mes doutes, je demandai au professeur, qui me répondit qu'il n'y avait pas autant de saisons que sur Terre:
"- En réalité, il y a deux temps différents que l'on qualifie ici de saisons grise ou violette. La première décrit celle dans laquelle nous sommes actuellement; elle est froide, pluvieuse et avec beaucoup de brouillard. La violette est beaucoup plus chaude et aride, mais les tempêtes sont nombreuses et très violentes. On dit du coup qu'elle est violette car lors de ces tempêtes, le ciel devient mauve, ainsi que les éclairs. C'est très beau mais souvent très dévastateur. Comme si nous n'en avions pas déjà assez avec les bombardements... D'ailleurs, au prochain détour nous serons arrivés."
Les explications du professeur McKin me semblaient réellement intéressantes, mais je ne fus pas gênée d'enfin arriver dans un lieu chauffé et sec. A peine étions-nous entrés dans une vielle maison à la façade sombre que le bruit environnant me remplit la tête. Tout cela ressemblait en fait à un pub, avec des gens attablés avec une boisson à la main et un grand homme au comptoir dans le fond de la salle. L'intérieur était tout aussi obscure que les murs au dehors mais la chaleur remonta instantanément tout le long de mon corps en me procurant des frissons. Au milieu des verres qui s'entrechoquaient et des conversations animées et bruyantes, je tendis l'oreille pour comprendre ce que le professeur me disait en haussant le ton:
"- Reste près de moi. Je dois trouver mes deux amis qui doivent être à la table du fond. La plus calme..."
Je le suivis alors entre les tables remplies et en évitant de croiser le regard des hommes qui observaient sans gêne ma combinaison. Ils savaient qui j'étais, et un lourd silence suivit mon passage avant que tout le monde ne recommence à parler.
"- Ne fais pas attention. Les apprentis ne sont pas souvent vus en dehors du bâtiment d'entraînement. Ne fléchis pas sous le poids de leur regard et montre que tu es fière de pouvoir un jour les protéger."
Mais pour cela, il faudrait que je le pense...
Le professeur McKin ne semblait toujours pas avoir compris que je n'étais pas venue ici de mon plein grès. Et même si je m'étais maintenant habituée à cette nouvelle vie, ma gorge se serrait encore quand on parlait de la Terre. Et bien entendu, cette guerre me faisait toujours aussi peur. Soudain, les cris joyeux des deux personnes attablées à côté de nous me fit sursauter:
"- McKin, mon ami !
- Comment tu vas, depuis le temps ?"
Un homme et une femme se tenaient là, un peu mis à l'écart du reste des clients. L'homme avait une immense carrure, semblant pouvoir arrêter un bus simplement en se mettant devant et une barbe épaisse lui mangeait la moitié du visage. La femme à ses côtés contrastait de par sa stature bien plus menue, pourtant, elle était extrêmement musclée et son regard vif montrait qu'elle était toujours aux aguets. Elle avait un sourire lumineux et malgré ses cicatrices, elle irradiait dans la pièce sombre. Les deux avaient le teint pâle et les cheveux grisonnants. Le professeur répondit maladroitement à leurs questions, percuté aux épaules par des coups amicaux de ses deux amis.
"- Très bien les gars, merci ! Et vous ?
- Oh, tu sais, nous on est toujours au top de notre forme. Et ton gamin, il est pour quand ? répondit l'homme."
Le professeur McKin allait enfin se plonger dans leur conversation quand un regard rapide vers moi le fit fermer la bouche pour enfin réfléchir à la raison qui nous amenait ici. Mise à l'écart et cherchant à rester dans l'ombre, je restai avec gêne à l'arrière, tanguant d'un pied à l'autre.
"- Hum... Voici Jo, ma recrue préférée. Jo, Alex et Dimitri, deux grands amis d'enfance."
La remarque ironique de McKin était seulement placée pour me détendre, mais cela me gênait encore plus. Les deux vétérans rivèrent leur regard sur moi et échangèrent un sourire. Je leur répondis d'un léger signe de tête, et cherchai dans les yeux de mon supérieur une aide pour me tirer de ce pétrin.
"- Et pourquoi tu nous ramènes ton poulain tout gêné, au juste ?
- Oh, je tenais à l'amener ici pour qu'elle vous rencontre et que vous lui racontiez un peu votre passé sur... la guerre."
Soudain, ils s'éteignirent. Ils n'étaient plus là, à boire un verre dans un pub, mais sûrement plongés dans des souvenirs bien plus sombres, les yeux perdus dans le vague. La femme brisa le silence et prit la parole :
"-Et bien Yann, tu possèdes toujours le don de casser l'ambiance, dit-elle d'un ton cynique. "
Yann était donc le prénom du professeur ? Je ne m'en étais pourtant jamais souciée, "professeur McKin" me suffisait amplement.
"-Je t'en prie, Alex, fais-le pour elle, pense à ... "
La présumée Alex coupa le professeur d'un geste de la main, pendant que Dimitri reprenait une gorgée de sa boisson mousseuse. Ses traits et ses muscles étaient crispés, et elle se mit soudain à enrouler nerveusement une mèche de ses cheveux emmêlés autour de son doigt. Elle ferma les yeux un instant et prit une longue inspiration avant de me regarder droit dans les yeux.
« -Mets-toi bien en tête que rien, rien de ce que l'on pourra te dire, ne te préparera à affronter ce que tu vivras là-bas, dit-elle calmement d'un ton aussi froid que la mort avant de faire une pause pour trouver les mots justes.
- Imagine... Imagine faire face à la tempête la plus violente de la saison violette, cette tempête qui détruit tout sur son passage, qui n'épargne aucune parcelle de terrain, rien ni personne. Tu navigues en pleine mer. Déchainée, elle semble vouloir t'engloutir, t'attirer toujours plus profondément dans l'eau noire. Tu es à la barre, tu dois protéger ton équipage et mener à bien ta mission, quel qu'en soit le prix. Des gens vont tomber, d'autres vont quitter le navire, et tu ne pourras rien faire pour l'empêcher. mais tu maintiendras le cap. Peu importe ce qu'il se passe, tu te dois de maintenir ce cap, car c'est la seule chose qui t'empêchera de sombrer lorsque tu auras atteint l'œil du cyclone. La peur, la tristesse te suivront comme ton ombre. Ton coeur se brisera quand tu regarderas toutes ces personnes chères à tes yeux, celles que tu ne connais peut-être pas mais que tu te devais de protéger, se débattre dans ces flots torrentiels pour rester à la surface sans que tu puisses réagir. Le vent sifflant éloignera leurs cris, mais tu les sauras toujours en train de sombrer. Et puis un jour, tu sortiras de là, tu atteindras la côte. Un moment paisible, de calme loin de toutes ces horreurs. Tu croiras en avoir fini avec cette tempête, mais tu te trompes. Tout comme un cyclone, elle rebrousse chemin par les endroits qu'elle a déjà saccagés. Tu n'es pas un héros, et tu ne le seras jamais. Tu es juste une survivante, une parmi tant d'autres. Tu vivras avec les sacrifices que tu as faits, les erreurs que tu as commises, les fantômes de ton passé... Tu avanceras à tâtons dans ce brouillard épais, auquel tu ne peux échapper."
- C'est bon, arrête !"
Dimitri venait de crier ces trois mots comme un appel au secours, tenant sa tête entre ses mains serrées. Sa voix se fit faible, secouée de soubresauts.
"- Arrête, s'il-te-plait..."
Alex mit une main sur son épaule pour le soutenir, comme si elle tenait bon pour eux deux, mais n'arrêta pas son récit:
"- La guerre ressemble exactement à l'image que je t'ai décrite, je ne peux pas la comparer à autre chose. J'ai perdu des gens et ai voulu me noyer à mon tour. Et pourtant, je n'ai pas laissé le vent dévier la trajectoire de mon navire, j'ai continué à faire face aux vagues, j'ai continué à faire face à la guerre. Les obus et les armes à feu sonneront comme une douce rédemption. L'arme dans tes mains semblera t'appeler à la délivrance et la pluie se mêlera à tes larmes, mais c'est dans ces moments là que tu la garderas tendue devant toi et non sur ta tempe.
- Alex, c'est beaucoup trop d'un coup, pour elle."
Yann avait lâché ces paroles d'un ton tranchant. Il voulait sûrement faire preuve d'autorité, mais je pensai en fait qu'il était touché par ce qu'il venait d'entendre. Il devait s'être retrouvé dans ce discours, et cela le déstabilisait. Mais la nouvelle remarque de la guerrière me donna la vérité sur ces faits:
"- Pourquoi ce regard larmoyant, Yann ? Tu n'y étais pas, tu nous regardais simplement à travers tes écrans ! Tu voyais à travers nos yeux, mais tu n'y étais pas. Jamais tu pourras ne serait-ce qu'imaginer ce que c'est !"
Pour ma part, j'avais avalé toutes les paroles d'Alex, et mon cœur s'était emballé un peu plus à chaque nouvelle phrase. Son récit m'empêcherait de dormir pendant plusieurs jours. Et pourtant, c'était la réalité, ce qu'elle ressentait, et ce que je traverserai d'ici peu. Tout mon être tremblait face à cette vérité et je sentais monter les larmes alors qu'elles n'avaient pas lieu d'être. Pourquoi voulais-je pleurer alors que tout ça ne m'était même pas encore arrivé ?
La femme observa longuement le professeur McKin, avant de se lever et de me dévisager de toute sa hauteur, face à moi.
« -La guerre, c'est traumatisant et pourtant, je sais que tu ne mérites pas cela. Personne ne le mérite à vrai dire..."
Elle mit une main sur mon épaule et me lança un regard si compatissant qu'il pourrait faire oublier à n'importe qui les atrocités de ce monde.
"- Mais sache qu'un jour, même si tu croiras cela inimaginable, tu iras mieux. Tu penseras aux hommes que tu as perdus avec nostalgie en levant ton verre à leur mémoire, et tu recommenceras à vivre. »
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Voici quelques révélations au sujet de ce qui va peut-être attendre Jo... 😢
Qu'avez-vous pensé du récit, des explications ? Sont-elles bien écrites ? 😶 @RedRoses521m'a aidé à tout bien harmoniser ! (merci !!) 😆
Bien sûr, je ne suis absolument pas spécialiste au sujet de l'impact de la guerre sur les personnes, mais ces textes ont été portés sur notre avis et quelques témoignages de soldats survivants. Si vous avez d'autres informations, n'hésitez pas à me les faire parvenir ! ☺️
En espérant que tout cela ne va pas trop traumatiser notre pauvre Jo ! 🙏
Pour plus d'action... votons !! 🌟
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