☾Partie 1/3


« - Allez, debout là dedans, il est six heures trente ! Comme d'habitude, à six heures cinquante, je veux que tout le monde descende pour manger. Tout retardataire sera puni et..."

Devra rester une heure de plus en colle. Ce discours, rabâché depuis si longtemps, rentrait inconsciemment et assez vite dans la tête.

« - J'espère qu'aujourd'hui sera un jour merveilleux où personne ne l'oubliera, enfin, je ne vais pas commencer à rêver... N'est-ce pas Mlle Beveridge ?»

En lançant ces derniers mots, madame Rossignol me toisa de ses petits yeux perçants, derrière ses lunettes rectangulaires. Ses yeux se plissèrent. Les miens aussi. Elle ne flancha pas. Moi non plus. Après de longues secondes à nous fixer, la surveillante se retourna pour quitter la chambre en laissant derrière elle l'odeur de son fort parfum à la lavande, qui me fit plisser le nez.

Mlle Beveridge... J'avais l'impression d'entendre ce nom à chaque instant de ma vie. Dès que je faisais le moindre geste, on me criait dessus "Mlle Beveridge !". Prononcé avec le ton saccadé de la surveillante, il semblait être entré dans sa liste de mots favoris depuis de longues années.

Dans ces moments là, je me rappelais que je n'étais pas chez moi, mais je ne l'ai jamais été complètement. Les premières heures après ma naissance, j'ai tout de suite été admise à l'orphelinat. Mon père militaire était "mort pour son pays", paraît-il et ma mère, elle, était morte pour ma vie. J'ai tué ma propre mère alors que je ne faisais que quelques centimètres... Depuis, j'ai toujours eu l'impression d'être un danger pour tout le monde, alors j'ai très vite commencé à m'isoler. M'isoler de mes camarades, de mes rares amis, de mon propre monde. Et très vite, les jugements sont arrivés, tellement faciles à jeter à la figure ! Vue comme une asociale de première, j'ai accepté de garder cette affiche collée sur mon front, trop faible pour l'arracher, trop faible pour faire tourner la balance.

Une fois madame Rossignol partie, tout le monde autour de moi se leva, pendant que je restais emmitouflée dans mes couvertures jaunes poussin, l'habituelle couleur de ce bâtiment sans âme. Encore trop dans les vapes, personne ne remarqua que je n'étais pas encore sortie de mon lit, excepté Tiphaine, qui n'oublia pas de me le faire remarquer comme chaque matin. « La vie est un éternel recommencement », dit-on... :

« - Jo, je te rappelle qu'il est l'heure de se lever, et non pas de commencer à faire ta nuit. »

Rien qu'en entendant sa petite voix aiguë me transpercer les tympans, je sentis que cette journée n'allait pas être meilleure que la précédente. En relevant la tête, je lançai un soupir d'exaspération en me sentant attaquée par les forts rayons du soleil. Ceux-ci traversaient les volets et illuminaient toute la pièce. Par pure habitude, je lui répondis :
« - Fiche-moi la paix, lèche cul ! »

Apparemment très touchée par ma remarque, elle ouvrit la bouche en roulant ses yeux bleus, et la referma sans rien dire, ne trouvant sûrement pas de réplique à me lancer au visage. Elle tourna alors la tête, le rouge aux joues, et sortit la première du dortoir en faisant claquer les talons de ses bottines sur le sol synthétique vert. Cette couleur aussi, m'attaquait fortement les yeux...

Quand tout le monde finit de lisser ses habits et de lasser ses chaussures, je consentis enfin à sortir de la douce chaleur de mon lit pour affronter la fraicheur de cette matinée hivernale. Experte en mon genre, je mis 5 minutes top chrono à m'habiller et sortis (5 minutes plus tard que les autres) de la chambre. Arrivée dans le brouhaha de la salle à manger, je me tournai instinctivement vers madame Rossignol, qui se dirigeait déjà vers moi d'un air las. Je connaissais son discours par cœur : « Le monde ne tourne pas autour de toi, Jo Beveridge. Il faudra un jour que tu te fondes dans la masse et te plier aux ordres qu'on te donne pour réussir dans la vie, et blablabla... »

Malheureusement, ce genre de chose était facile pour Tiphaine, mais pas pour moi...

Mais aujourd'hui, son discours ne fut pas le même que d'habitude:

« - Jo... en retard, comme d'habitude. Je ne vais pas te demander une nouvelle excuse car je sais très bien ce que tu fais tous les matins. Je ne vais pas te dire non plus ce que tu dois faire de ta vie car je ne suis pas et ne serai jamais ta mère, mais mon rôle est simplement de te loger et de t'éduquer du mieux qu'il soit. Je ne sais pas si tu sais quel jour on est...

- Si, le 26 novembre !

- Non, le premier décembre...

- Ah bon ?

- Oui, et tu sais quel âge tu vas avoir le 3 décembre ? »


A cette question, mon sang se figea. Dans deux jours, j'allais avoir 18 ans, et je devrai donc quitter l'orphelinat. Non pas que je sois triste de quitter cet endroit morbide et superficiel, loin de là, mais l'orphelinat ne nous prend plus en charge à partir de notre majorité. Ce qui veut dire que dans deux jours, je serai jetée à la rue, sans abri, sans argent, sans travail, sans nourriture, sans ami, sans rien. Simplement accompagnée de ma faible dignité, qui sera tombée dans mes chaussettes.

Maintenant, tout me revenait en tête ; madame Rossignol m'avait demandé il y a plusieurs mois de commencer à trouver un emploi, mais je n'avais rien trouvé et au bout du deuxième mois, j'avais complètement lâché l'affaire.

« - Inutile de me le dire, je sais que tu n'as rien trouvé. Je te préviens juste que dans deux jours, tu ne seras plus sous notre responsabilité et tu devras donc quitter l'orphelinat. Si tu arrives à trouver un emploi d'ici là -ce dont je doute fort -, tant mieux pour toi, sinon, je ne peux que te souhaiter bonne chance. »

Et sans un mot de plus, elle se tourna et partit, le même air impassible que quand elle était arrivée. Moi, je me décomposai sur place. Qu'est ce que je j'allais devenir ? Mes rêves n'ont jamais été de devenir une sans-abri ! Moi qui ne pensais qu'à mon chocolat chaud du matin depuis un bon quart d'heure, je n'avais plus le cœur à manger quoi que ce soit.

Alors, comme les autres commençaient à remonter pour se rendre dans la salle de bain, je les suivis d'un pas lourd. Pour une fois dans ma vie, je ne serai pas en retard en cours...

***

« - Mais faîtes un effort, bon sang ! Si vous ne savez pas combien fait 6 X 32 à votre âge, je ne sais pas ce que vous allez devenir. Jo, aucune idée ? »

Perdue dans mes pensées, je fis non de la tête, n'essayant même pas de réfléchir au problème que nous avait posé notre professeur de mathématiques. Je n'étais vraiment pas d'humeur à vouloir un 20 sur 20 aujourd'hui, dans n'importe quelle matière.

Notre salle de classe, tout aussi jaune que mes draps, comportait une grande fenêtre qui donnait sur la verdure du parc.
Le parc dans lequel j'ai fini mon premier livre, dans lequel j'ai fait tomber ma première dent, dans lequel j'ai eu droit à une fracture du bras, dans lequel j'ai perdu ma peluche... ce parc dans lequel les seuls souvenirs de mon enfance étaient encrés.

Aujourd'hui, la neige tombait lentement, recouvrant les arbres déjà blancs d'une nouvelle couche glacée. Et dire que dans quelques jours, je dormirai sûrement dessus...

***

Le 3 décembre était alors arrivé. Mes recherches pour trouver un emploi ont été vaines et je commençais à compter mes jours avant la mort. J'hésitais même à en profiter pour écrire mon testament... La voix de madame Rossignol me tira soudain de mes torpeurs :

« - Jo, viens voir, j'aimerais te parler. »

Sachant déjà ce qui m'attendait, j'avais préparé mes bagages la veille, mais quand je voulus les prendre, elle me fit un signe de la main qui semblait vouloir dire de les laisser à leur place. Alors, avec un soupir, je me dirigeai vers elle, les yeux baissés et les bras ballants, m'attendant déjà à ce qu'elle me dise de débarrasser le plancher. Et vu sa tête, elle devait vraiment être heureuse que je parte :

« - Oui, madame ?

- Jo, tu sais ce qu'il t'attend ?

- À part me nourrir dans la rue et dormir sur un carton, je ne vois pas trop.

- Ne dis pas ce genre d'atrocités, je ne supporte pas ton humour noir !

- Excusez-moi, mais c'est ce à quoi je pense depuis un bout de temps...

- Alors arrête tout de suite et écoute moi. Je ne sais pas si c'est la chance qui vient de sonner à ta porte, mais ce matin même, j'ai eu une demande d'emploi pour toi par mail. Tu ne m'avais pas dis que tu avais trouvé quelqu'un qui voudrait bien de toi ! »

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Le coup de chance, comme on ne s'y attendait pas ! N'est ce pas ? 😂

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